Tentative de portrait de la situation épidémique au Québec (1)

Les autorités politiques, les experts et les journalistes nous balancent des « chiffres » à la tête depuis bientôt deux ans, souvent sans en faire l’analyse et nous montrer comment les données ont été collectées et comment les calculs ont été faits. On nous demande de nous fier à ce qui serait scientifique et rationnel. Pourtant, même si ces « chiffres » étaient l’aboutissement d’une démarche rigoureuse, nous n’en savons rien et on ne nous donne pas les moyens d’en juger. On nous décourage même de le faire : nous ne sommes pas des experts et il faut laisser les experts faire leur travail. Ce qui revient à dire qu’au lieu de décider rationnellement si nous devons ou non faire confiance aux experts et aux autorités qui disent prendre leurs décisions en s’appuyant sur leurs avis, il nous faut croire à ce qu’ils disent. Compte tenu des pouvoirs exceptionnels dont nos gouvernements disposent actuellement et dont ils ne semblent pas vouloir se départir, voilà qui revient à accepter qu’ils soient nos maîtres.

C’est pourquoi je ne prétends pas ici à une expertise dans une science quelconque. Pas plus que je n’attends de mes lecteurs à ce qu’ils me considèrent comme une autorité et à ce qu’ils me croient sans discuter et sans examiner le portrait de la situation épidémique que je tente ici de peindre. Bien au contraire, je présenterai de manière transparente ma démarche à mes lecteurs précisément pour leur donner la possibilité de la critiquer, d’adhérer en connaissance de cause aux résultats obtenus et à l’analyse qui en est faite, ou encore de la corriger, de la complexifier, de la prolonger ou même d’élaborer une démarche concurrente. Je ne veux pas en imposer à mes lecteurs, mais les inciter à exercer leur jugement dans une situation où on attend généralement de nous des actes de foi.

Pour ces raisons, j’éviterai de m’appuyer sur des connaissances scientifiques – que je n’ai pas – et de me lancer dans des calculs complexes exigeant une grande maîtrise des mathématiques – que je n’ai pas non plus. Je m’efforcerai seulement de bien raisonner à partir des données disponibles et de faire des liens entre elles pour comprendre des choses qui n’apparaissent pas au premier coup d’œil. Certains prétendront que c’est là bien peu de chose. Je réponds que c’est déjà faire beaucoup plus et beaucoup mieux que ce que font les politiciens et les bureaucrates qui nous dirigent, les journalistes qui nous moralisent et certains experts et médecins qui prêchent au lieu de faire de la science ou de soigner.

 

Les données qui manquent

Dans le but d’essayer de sortir des ornières dans lesquelles nous avons tendance à nous enfoncer quand il est question de la situation épidémique et l’efficacité des vaccins, je me garde de commencer simplement mes analyses à partir des données que le gouvernement nous rend disponibles. Je trouve plus pertinent de me demander quelles données il me faudrait pour peindre un portrait fidèle de cette situation et que je n’ai pas. Car la connaissance des données utiles mais manquantes peut nous faire comprendre les limites des analyses que nous pouvons faire à partir des données disponibles, et nous inciter à chercher des manières de surmonter ces limites par le recoupement de ces données disponibles.

Voici la liste des principales données que j’aimerais avoir pour faire mes analyses et que je n’ai pas réussi à trouver.

  1. L’évolution des hospitalisations liées à la COVID-19 dans les unités de soins intensifs en fonction du statut vaccinal et du groupe d’âge. (Car si ce sont des personnes vaccinées qui occupent principalement les lits dans des unités de soins intensifs, les mérites des vaccins pourraient s’avérer exagérés.)

  2. L’évolution des décès et des hospitalisations, dans les unités de soins intensifs ou non, toutes causes confondues, en fonction du statut vaccinal et du groupe d’âge. (Car on peut être malade et mourir d’autres maladies que la COVID-19, car les nouveaux vaccins expérimentaux pourraient disposer à avoir certaines maladies et des complications.)

  3. Le nombre de personnes dépistées quotidiennement en fonction du statut vaccinal et du groupe d’âge. (Il existe des politiques de dépistage différentes selon le statut vaccinal et, lors du traçage des contacts, la Santé publique exige plus souvent des non-vaccinés qu’ils aillent passer un test de dépistage, ce qui pourrait expliquer en partie la proportion plus élevée des cas de contamination qu’ils représentent.) Ces données permettraient aussi de calculer le taux de positivité en fonction du statut vaccinal.

 

Nouvelles hospitalisations par groupe d’âge et statut vaccinal

À partir du jeu de données Historique du portrait quotidien du statut vaccinal des nouvelles hospitalisations (15 décembre 2021), voici comment se répartissent les données en fonction du groupe d’âge et du statut vaccinal.

 

Non seulement on constate qu’il n’y a pas seulement des personnes non vaccinées qui occupent des lits dans les hôpitaux, mais on peut aussi voir que la proportion des personnes vaccinées hospitalisées augmente en fonction de l’âge, surtout à partir de 60 ans. En raison de ces grandes variations et de l’importance de l’âge en tant que facteur aggravant en cas d’infection, il ne fait pas vraiment sens de faire des analyses et de tirer des conclusions pour tous les groupes d’âge. Et pourtant c’est précisément ce que font les autorités politiques et sanitaires et les journalistes.

Malgré la couverture vaccinale plus élevée chez les groupes plus âgés et malgré le fait que la population appartenant à ces groupes est moins nombreuse, les personnes âgées de 60 ans et plus, peu importe leur statut vaccinal, représentent 68 % des nouvelles personnes hospitalisés (207/304) pendant la période de référence. Quant aux personnes âgées de plus de 60 ans et vaccinées (134/304), elles représentent 43 % des nouvelles personnes hospitalisées durant cette période.

À la suite de ces constats, il faudrait nous poser les questions suivantes :

  1. Est-ce que la campagne de vaccination a atteint son principal objectif, qui est de protéger les personnes âgées plus sujettes à avoir des complications ?

  2. Si cette recrudescence des hospitalisations des personnes âgées se poursuit, fait-il sens d’accorder autant d’importance à la vaccination des enfants de 5 à 11 ans alors que le rôle qu’il jouerait dans la propagation du virus ne fait pas l’unanimité chez les scientifiques, de même que la capacité des vaccins à réduire la propagation du virus ?

  3. Est-il sage d’utiliser les ressources limitées du système de santé pour injecter une troisième dose d’abord aux personnes âgées, ensuite au reste de la population, au lieu d’utiliser ces mêmes ressources (ou une partie) pour augmenter le nombre de lits réservés dans les hôpitaux pour la COVID-19, qui est seulement de 800 selon le ministre de la Santé et des Services sociaux, ce qui est beaucoup moins que les 1525 hospitalisations atteintes en janvier 2021 et les 1866 atteintes en mai 2020 ?

  4. Fait-il sens de resserrer les mesures sanitaires et d’envisager de nous reconfiner et de nous imposer encore un couvre-feu à cause de cette décision discutable du gouvernement, sous prétexte d’éviter le débordement de la capacité hospitalière ?

  5. Dans l’hypothèse où les vaccins seraient assez efficaces pour réduire de manière significative les hospitalisations liées à la COVID-19, faut-il attribuer cette recrudescence des hospitalisations chez les personnes âgées fortement vaccinées à une perte d’efficacité des vaccins après une dizaine de mois, et faudrait-il persister à considérer la solution vaccinale comme une manière de sortir de la « crise sanitaire » puisque nous nous retrouverions, à l’arrivée de chaque hiver, dans la même situation qu’actuellement, avec un resserrement des mesures sanitaires et le début d’une nouvelle campagne de vaccination ?

  6. Dans quelle proportion les personnes âgées vaccinées occupent-elles les lits des unités de soins intensifs ?

  7. Quelle proportion des personnes hospitalisées par groupe d’âge sont hospitalisées avec COVID-19 et non pour COVID-19, puisque la note méthodologique (p. 3-4) du jeu de données ici utilisé indique qu’il n’est pas possible de distinguer les unes des autres, même si on nous dit de manière assez vague que des ajustements peuvent être faits pour tenir compte de nouvelles informations sur telle hospitalisation ?

Je m’efforcerai d’apporter des éléments de réponse à certaines de ces questions plus loin dans ce billet ou dans des billets subséquents.

 

Nouvelles hospitalisations dans les unités de soins intensifs par groupe d’âge

Comme nous pouvions nous y attendre, les personnes admises dans les unités de soins intensifs entre le 1er et le 13 décembre sont majoritairement âgées.

(Source : INSPQ, « Données COVID-19 par âge et sexe – Évolution des hospitalisations », tableau 3.3a.)

 

Comme nous l’avons vu dans le tableau 1, les personnes nouvellement hospitalisées qui appartiennent à ces groupes d’âge sont majoritairement vaccinées. Il est donc vraisemblable qu’une proportion assez importante des personnes hospitalisées dans les unités de soins intensifs soient des personnes âgées vaccinées. Faute de données accessibles sur ce point précis, nous ne devons pas supposer que la proportion, pour chaque groupe d’âge, est la même pour les hospitalisations hors soins intensifs et dans les unités de soins intensifs. Elle pourrait être plus faible ou plus élevée dans les unités de soins intensifs, pour l’ensemble de ces groupes d’âge ou pour certains d’entre eux.

En combinant certaines des données des tableaux 1 et 2, nous constatons que le nombre de nouvelles hospitalisations dans les unités de soins intensifs correspond presque au nombre de personnes non vaccinées pour les 60-69 ans et le dépasse pour les 70-79 ans.

 

Puisqu’il est peu probable que toutes ou presque toutes les personnes non vaccinées hospitalisées le soient dans des unités de soins intensifs, il faut reconnaître qu’il y a sans doute plusieurs personnes adéquatement vaccinées qui sont hospitalisées dans ces unités et qu’elles ne représentent pas une part négligeable des malades qui s’y trouvent.

Nous pouvons certainement expliquer, dans certains cas, l’hospitalisation des personnes âgées vaccinées par l’existence de comorbidités favorisant l’apparition de complications, ou encore par d’autres maladies accompagnées d’un dépistage de la COVID-19. Faute de données à ce sujet, nous ne pouvons pas en conclure simplement l’inefficacité des vaccins, les hospitalisations de ces personnes pouvant être dues, en partie ou en totalité, à autre chose que des complications liées à la COVID-19. Cependant les mêmes réserves devraient aussi s’appliquer aux personnes non vaccinées qui appartiennent à ces groupes plus âgés (qui justement ne sont peut-être pas vaccinées parce que leur état de santé ne le leur permet pas), et aussi aux personnes qui font partie des groupes plus jeunes, qu’elles soient vaccinées ou non.

Il est du moins possible de conclure, grâce à ces données, que les malades hospitalisés dans les unités de soins intensifs ne sont pas tous des non-vaccinés, et que les personnes vaccinées y représentent une partie considérable des personnes qui y sont hospitalisées. Toutefois, les facteurs à prendre en considération étant multiples, nous ne pouvons pas non plus en conclure que les vaccins sont inefficaces, et encore moins savoir dans quelle mesure ils le sont.

Pour essayer de répondre à ces questions, nous pourrions comparer la proportion des groupes d’âge dans les nouvelles hospitalisations avec la même période l’année dernière, alors qu’il y avait un regain épidémique et que presque personne n’était vacciné. Nous pourrions aussi comparer les taux actuels d’hospitalisation des différents groupes d’âge en fonction du statut vaccinal, et comparer ces taux avec ceux des mêmes groupes d’âge, l’année dernière, avant leur vaccination.

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