Situation agricole dans la région de Kherson et implications mondiales

Presque toutes les vidéos que nous regardons sur l’Ukraine concernent des régions, des villes ou des villages qui ont été durement touchés par les affrontements. Peu importe de quel côté vont nos sympathies, nous avons l’impression que tout le territoire ukrainien, ou à tout le moins le territoire pris à l’Ukraine par l’armée russe ou sur le point de l’être, est un grand champ de ruines. Ce n’est pas le cas.

Dans ce reportage de terrain de Patrick Lancaster, nous pouvons voir quelle est la situation des agriculteurs dans la région de Kherson, sous contrôle russe depuis plusieurs semaines. La ferme qu’on nous montre n’a pas été détruite par les affrontements entre l’armée russe et l’armée ukrainienne. Il y a bien quelques chars d’assaut russe qui sont passés. Contrairement à la rumeur qui circulait, les Russes ne prendront pas 70 % des récoltes des agriculteurs. Au contraire, ils leur viennent parfois en aide, par exemple en leur donnant du diesel pour faire fonctionner leurs machines agricoles. Quant au bataillon Azov, il n’était de toute évidence pas présent dans la région, puisque certains des habitants semblent avoir appris son existence assez récemment, ou du moins avoir compris de quoi il s’agissait. Peut-être faut-il y voir un signe de l’emprise de la propagande gouvernementale sur les Ukrainiens, surtout depuis le coup d’État de 2014. Chose certaine, cela montre que ses membres ne sont pas assez nombreux pour être partout. Tant mieux ! C’est peut-être pour cette raison que la région de Kherson semble avoir été relativement épargnée par les combats.

Les problèmes des agriculteurs ukrainiens n’ont pas commencé avec l’opération militaire russe. Même si les choses semblaient aller assez bien avant pour Oleg, les taxes ont commencé à augmenter, de même que le prix du carburant, du gaz naturel et de l’électricité, deux ans après l’élection de Zelensky, soit en 2021. À cause de la guerre, plusieurs agriculteurs sont partis et ont laissé leurs champs à l’abandon. D’autres n’ont pas fait leurs semences, par crainte que l’armée russe saisisse les récoltes. Et il y a le problème du coût des machines agricoles et de l’approvisionnement en pièces de rechange pour les réparer, et de la station de pompage pour l’irrigation qui ne fonctionne plus, pas à cause de la guerre, mais parce qu’elle a été laissée à l’abandon depuis longtemps, ce qui diminue considérablement le rendement des terres.

Voici où je veux en venir. Si la situation observée dans la région de Kherson est semblable à celle d’autres régions de l’Ukraine, sous contrôle des Russes ou des Ukrainiens, j’ai de la difficulté à croire que la crise alimentaire mondiale qu’on annonce puisse être simplement résolue en mettant fin à la guerre par la diplomatie, et en déminant et en rouvrant les ports ukrainiens pour livrer les réserves de blé, même si ça peut aider. L’agriculture ukrainienne ne se relèvera pas du jour au lendemain, et les champs qu’on laisse en friche ne seront pas cultivés en claquant des doigts et ne produiront peut-être rien cette année et l’année prochaine. Il faut laisser le temps à la situation économique et politique de se stabiliser. Ce à quoi à on ne contribue certainement pas en déversant en Ukraine des armes qui font durer le conflit, et en prolongeant ou en radicalisant les sanctions contre la Russie, qui d’ailleurs contribuent vraisemblablement plus à la crise alimentaire que la guerre en Ukraine elle-même.

J’en viens aussi à penser que cette crise alimentaire a des causes plus profondes que la guerre en Ukraine et les sanctions visant les exportations russes, lesquelles ont pu aggraver une situation qui existait avant et qui s'explique par les politiques énergétiques, économiques et agricoles des pays occidentaux et, plus récemment, par les politiques de confinement, le saccage économique qui en a résulté et les plans de relance économique peu judicieux qui nous ont engagés dans une spirale inflationniste. En effet, le coût des denrées alimentaires a commencé à augmenter de manière significative en 2021, en plus d’une inflation plus générale. Il est donc bien commode, pour les leaders occidentaux, de dire que c’est à cause de la guerre et de Poutine, alors que ce sont vraisemblablement eux qui nous ont embourbés dans la crise alimentaire et énergétique que nous connaissons et qui s’aggravera s’ils persistent à ne pas reconnaître leur part de responsabilité. J’y reviendrai dans un autre billet.

Les reportages de Patrick Lancaster sont disponibles avec des sous-titres en anglais sur cette chaîne Odysee.