Science ou marketing ?

La corruption dont est responsable l’industrie pharmaceutique serait tellement grande que des acteurs du secteur de la santé, comme Peter Gøtzsche (médecin danois auteur de Remèdes mortels et crime organisé), disent que la recherche faite dans les centres de recherche universitaires n’est plus de la science mais du marketing. Une telle affirmation peut paraître exagérée et même provocatrice, mais en lisant le livre de Gøtzsche, on a de bonnes chances de changer d’idée.

Pour savoir si l’on peut y trouver des traces des pratiques de corruption décrites par Gøtzsche, j’ai consulté les communiqués de presse publiés sur le site de Pfizer Canada dans l’espoir d’y trouver des indices.

Le 4 décembre 2020 (c’est-à-dire 5 jours avant l’obtention de l’autorisation d’utilisation d’urgence du vaccin contre la COVID-19), Pfizer annonce un don de 600 000 $ à l’Initiative interdisciplinaire en infection et en immunité de McGill (MI4) par l’entremise de l’Université McGill et de la Fondation du Centre Universitaire de Santé McGill (CUSM). Ce don a pour but de créer des bourses :

« Ces bourses permettront à des chercheurs et chercheuses en début de carrière de la communauté de l’Université McGill et du CUSM d’entreprendre des recherches à fort impact pour contrer la menace des maladies infectieuses et faire évoluer la médecine. Sur une période de trois ans, deux bourses de 100 000 $ seront décernées chaque année, dont l’une à un chercheur ou une chercheuse titulaire d’un Ph. D. et l’autre à un clinicien-chercheur ou une clinicienne-chercheuse. La somme servira notamment à financer les premiers stades de développement de concepts qui pourraient profiter aux patients atteints du coronavirus, en particulier ceux qui souffrent également d’autres affections comme la douleur chronique ou le cancer. »

Le Dr Hadrava, vice-président et directeur médical de Pfizer Canada, déclare :

« Pfizer Canada est très fière de soutenir les travaux scientifiques de pointe issus de MI4. Nous mettons tout en œuvre pour lutter contre la pandémie de COVID-19, en priorisant la sécurité des patients et la santé publique. Nous sommes donc ravis de constater à quel point le travail de MI4 cadre avec ces objectifs. »

Nous avons presque l’impression d’avoir à faire à un organisme de philanthropie qui fait un don désintéressé, et non à un géant de l’industrie pharmaceutique. Car il s’agirait essentiellement de bien outiller la relève en recherche :

« Les récipiendaires auront accès à l’équipement et aux plateformes de pointe de l’Université McGill et du Centre de biologie translationnelle de l’Institut de recherche du CUSM, dont la plateforme de recherche clinique de MI4 et deux laboratoires de confinement de niveau 3 où les utilisateurs peuvent manipuler des micro-organismes dangereux comme le SRAS-CoV-2. »

Le Dr Eidelman, vice-principal (Santé et affaires médicales) et doyen de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université McGill d’en rajouter :

« Comme la pandémie l’a mis en évidence, les maladies infectieuses et immunitaires demeurent l’une des plus grandes menaces à la santé humaine. Merci à Pfizer de donner aux jeunes scientifiques et cliniciens-chercheurs de l’Université McGill et des instituts de recherche de nos hôpitaux affiliés les moyens de tirer parti de l’infrastructure et de l’expertise en place pour lutter de façon ambitieuse, décisive et créative contre l’un des problèmes les plus pressants de notre société. »

Après toutes ces belles paroles, j’ai presque moi aussi envie de donner une poignée de main cordiale au très généreux vice-président et directeur médical de Pfizer Canada. Hélas ! les mesures sanitaires m’en empêchent.

Je me console en cherchant ce que la MI4 a décidé de faire de cette donation, pour le plus grand bien de notre société gravement menacée par le dangereux virus. Un appel de candidatures a effectivement été fait en février pour deux bourses de recherche Pfizer, mais la décision du comité de sélection n’a pas encore été rendue publique. Ça ne devrait pas tarder, puisqu’il est écrit sur l’appel de candidatures que l’annonce des récipiendaires devrait faite en juin 2021.

J’ai néanmoins trouvé un autre appel de candidatures pour un programme dont l'objectif est de trouver des solutions pour surmonter les obstacles à la vaccination :

« The development and delivery of an effective vaccine against SARS-CoV-2 is our most promising exit strategy from the COVID-19 pandemic. With multiple candidates in Phase III clinical trials, it is likely that one or more vaccines will be approved within the next 6 months. Widespread use of new vaccines will be critical for the development of herd immunity, and ending the COVID-19 pandemic. There are multiple challenges to be overcome for an effective and equitable vaccine rollout strategy including concerns about vaccine efficacy and safety, cultural attitudes towards vaccination, misinformation and gaps in scientific communication, education and outreach, and the costs and logistics of vaccine distribution and administration.

This MI4 funding opportunity is seeking innovative proposals that address barriers to COVID-19 vaccine delivery. This opportunity provides one-time funding of up to $100,000 for 6-month projects that seek to provide solutions for barriers to effective and equitable vaccination. Projects should be solution-oriented. Proposals seeking to identify or understand barriers without the development of mitigating strategies will not be considered. A funding envelope of up to $500,000 is available for this opportunity. »

Cet appel de candidatures a été publié le 21 octobre 2020, c’est-à-dire 7 semaines avant l’autorisation d’utilisation d’urgence du premier vaccin (celui de Pfizer). À part les comités de presse et les déclarations des sociétés pharmaceutiques sur les essais cliniques, la communauté scientifique ne disposait presque pas d’informations sur l’efficacité et l’innocuité des vaccins. Ce qui veut dire qu’on a présumé que ces vaccins seraient efficaces et sécuritaires sans avoir vu les données et les rapports de recherche, et on a aussi présumé que « l’hésitation vaccinale » était simplement causée par des attitudes déterminées culturellement, par de la désinformation et par des lacunes dans la communication scientifique. Et les projets de recherche retenus – alors qu’on disposait toujours d’assez peu d’informations le 23 novembre 2020 (date limite pour soumettre un projet) sur l’efficacité et l’innocuité des vaccins – ont justement pour objectif de remédier à ces lacunes.

L’un de ces projets de recherche (voir l’annonce faite au tout début de l’année 2021) propose de vaincre la « réticence vaccinale » en sollicitant les sentiments altruistes des jeunes adultes grâce à des vidéos et d’étudier leurs réactions, le tout en collaboration avec les organismes publics de santé, dans le but de communiquer les résultats de leurs « recherches » à la population :

« Enhancing COVID-19 Vaccination Intentions by Eliciting Prosocial Altruistic Motives: Evaluating the Efficacy of a Brief Video-Based Intervention

Lay Summary
As Canada approaches 300,000 COVID-19 infections and 11,000 deaths, the need to stop the spread of the virus has become increasingly critical. Although younger individuals (aged 20-39) have lower hospitalization and death rates than older adults, they have high rates of infection and may be less willing to accept a vaccine because they consider the disease to be less dangerous for themselves. It is of concern that nearly 45% of Canadians, especially younger adults, will not be willing to accept a COVID-19 vaccine. Vaccination will be the best method to control the pandemic in the future and protect those at higher risk of hospitalisation and death (e.g., elderly, those with chronic diseases). Therefore, achieving high rates of vaccination coverage among younger adults is very important in the long run to protect not only themselves but also others.

We will develop a brief video that will promote the vaccine’s protection of others (altruism) e.g., family, friends, the community, the elderly on increasing younger adults’ willingness to get a COVID-19 vaccine. Participants will be 2270 younger adults (aged 20 to 39) who will complete a short online survey before and after viewing the video. Our research team is partnering in this study with key agencies, e.g., Public Health Agency of Canada (PHAC), National Advisory Committee on Immunization (NACI), and the Institut National de Santé Publique du Québec (INSPQ) to help communicate our findings to the general population. »

Un autre projet de recherche se donne pour objectifs de préparer des vidéos et de faire des recommandations pour rassurer la population sur la sécurité des vaccins pour les enfants et pour atteindre une couverture vaccinale plus étendue :

« COVERS: COvid Vaccine Evaluation of Resources and Solutions

Lay Summary

Given the devastating impact on health and the economy wrought by the novel coronavirus (COVID-19), a safe vaccine that works will be a game-changer. Indeed, several vaccines are likely to be available for public use in the next months. However, there are substantial potential barriers related to vaccine acceptance, distribution and administration that may impair the effective use of this long sought-after vaccine. These barriers require prompt solutions in order to safely and effectively protect Canadians. In the COVERS study, we aim to identify and address these barriers, propose and develop solutions. We will focus mainly on children and their families given that physical distancing is often challenging in this population and given that fear for children’s safety has been reported as major limiting factor to widespread vaccination. Our study will determine the main barriers and solutions for COVID-19 vaccine administration, we will develop educational videos and a position paper that will summarize our recommendations. »

Je rappelle ce que l’on ne savait pas l’automne dernier et ce que l’on ne sait toujours pas :

  • L’efficacité des vaccins pour diminuer la propagation de la COVID-19 n’a pas été établie dans les essais cliniques qui ont servi à obtenir l’autorisation d’utilisation d’urgence. Cela n’a pas davantage été fait dans l’étude publiée plus récemment par Pfizer et le ministère de la Santé israélien. Mais les médias et parfois le gouvernement essaient de nous croire que cela a été prouvé, bien qu’ils reconnaissent à d’autres moments que d’autres études sont en cours pour savoir dans quelle mesure l’on peut assouplir les mesures sanitaires pour les personnes vaccinées, notamment en ce qui concerne le port du masque.

  • Les essais cliniques sur les enfants et les adolescents ont seulement commencé en octobre ou en novembre. Le fait de présumer que les vaccins sont sécuritaires pour eux à ce moment revient à devancer de plusieurs mois l’approbation de Santé Canada pour leur vaccination (obtenue par Pfizer le 5 mai 2021) et vouloir faire la promotion de quelque chose qui n’avait pas encore été autorisé. Et même si les vaccins étaient sécuritaires pour les enfants et les adolescents, il n’était pas prouvé et il n’est toujours pas prouvé que les vaccins réduisent la propagation et qu’en se faisant vacciner on protège les personnes plus à risque. Ce qui serait la principale raison de vacciner massivement ces groupes d’âge, très peu à risque d’avoir des complications à cause du virus.

Alors voilà : des scientifiques proposent de mettre au point des outils et des stratégies pour « informer » la population sur des faits qui ne sont pas établis par la science et pour promouvoir des actes médicaux qui ne sont pas encore autorisés par les autorités de santé canadiennes, le tout sous prétexte de vaincre la « réticence vaccinale », qui serait causée par des craintes injustifiées et de la désinformation. À moins d’avoir une conception de la science complètement dévoyée, force est de reconnaître que ces pratiques s’apparentent à une stratégie de mise en marché des vaccins. La campagne de vaccination massive est aussi une campagne de marketing, et les scientifiques y participent assurément.

On conviendra qu’il y a de quoi soupçonner l’influence de l’industrie pharmaceutique dans cette affaire. S’il est vrai que la donation de Pfizer n’a pas servi directement à financer ces « recherches » devant fournir des solutions à l’hésitation vaccinale (les bailleurs de fonds sont la Fondation du CUSM, la Fondation Doggone et Fondation de l'Hôpital général juif), on peut tout de même se demander s’il s’agit là d’une sorte de paiement indirect ou d’un échange de bons procédés entre la MI4 et Pfizer Canada. Quelque chose comme ça : « Vous trouvez des solutions pour augmenter l’acception vaccinale et faciliter la mise en marché de notre vaccin et en échange nous faisons un don de 600 000 $, ce qui couvrira vos dépenses pour ce programme et même un peu plus, ce qui vous permettra aussi de recruter de jeunes chercheurs prometteurs et de vous démarquer des autres centres de recherche. »

Mais comme je disais, ce sont des soupçons. Je ne sais pas ce qui s’est passé exactement dans les coulisses. Si les membres du MI4 et les « chercheurs » impliqués personnellement dans cette affaire n’aiment pas être l’objet de tels soupçons, ils n’avaient qu’à agir de manière à ce qu’on ne puisse pas les avoir. Pour la MI4, cela veut dire ne pas solliciter ou accepter des dons de l’industrie pharmaceutique. Pour les « chercheurs », cela veut dire ne pas participer à une campagne publicitaire dans laquelle on fait passer pour des faits prouvés scientifiquement ce qui ne l’est pas, et où on s’adonne même à de la manipulation morale pour obtenir le résultat voulu, bien entendu compatible avec les intérêts de l’industrie pharmaceutique.