Rôle du directeur national de la santé publique et conditions de la pratique scientifique

Je ne suis pas fâché que le clown que nous avions comme directeur national de la santé publique ait donné sa démission la semaine, peut-être à la demande de Legault et de Dubé, car une démission fait toujours moins parler qu’une destitution. Cependant, je ne suis pas certain que nous gagnions vraiment au change. Malgré les différences de style entre Arruda et Boileau, le problème ne se réduit probablement pas aux qualités de la personne qui occupe ce poste, mais au rôle qu’on lui fait jouer, d’autant plus qu’on choisit vraisemblablement cette personne en fonction de ses dispositions à jouer ce rôle comme on veut qu’on le joue.

Que nous importe le curriculum vitae du Dr Boileau. Le seul fait qu’il est aussi étroitement lié au pouvoir politique qui l’a nominé à ce poste, et qu’il apparaît comme son prédécesseur aux côtés du premier ministre et du ministre de la Santé et des Services sociaux lors des points de presse, nous montre qu’il se prête volontiers au jeu qu’on veut lui faire jouer. Il est justement là pour fournir à la population québécoise une apparence de justification médicale et scientifique aux politiques « sanitaires » passées et à venir.

Pas convaincu ? Considérez de quelle manière il déclare que, selon ses calculs, le Québec aurait connu presque 900 nouvelles hospitalisations par jour et environ 3000 décès par semaines pour la période du 1er au 7 janvier 2022. (Voir la vidéo à la fin de cet article de journal.) On pourrait faire accepter n’importe quoi aux personnes qui prêteraient foi à ces déclarations.

Nous ne savons malheureusement pas comment le Dr Boileau a fait cette estimation. A-t-il seulement tenu compte des données disponibles au Québec ? A-t-il pris en considération les données disponibles dans d’autres pays ? A-t-il fait la différence, dans ses calculs, entre les hospitalisations et les décès dus à la COVID-19 et ceux avec la COVID-19, puisque nous savons que les personnes comptabilisées dans les données du gouvernement sont souvent hospitalisées pour d’autres raisons, ont souvent plusieurs comorbidités et ont souvent d’autres maladies ? S’est-il assuré de la fiabilité des données à partir desquelles il a fait ses calculs ? S’est-il contenté d’appliquer, pour chaque groupe d’âge, le taux d’hospitalisation et de mortalité pour ou avec COVID-19 des non-vaccinés au total des personnes, vaccinées et non vaccinées ? Quand il a constaté que les résultats obtenus étaient beaucoup plus élevés qu’au plus fort de la première et de la deuxième « vague », a-t-il remis en question ses calculs et la fiabilité des données à partir desquelles il les a faits ? A-t-il envisagé d’autres explications possibles au fait que le nombre de décès observés est peu élevé comparativement au nombre d’hospitalisations et de cas de contamination, avant de conclure à la grande protection offerte par les vaccins ?

À toutes ces questions, nous n’avons pas de réponses. Du point de vue de la population québécoise, le Dr Boileau aurait aussi bien pu dire que, sans les vaccins, il y aurait eu 2000 nouvelles hospitalisations par jour et 6000 décès par semaine au début du mois de janvier. Puisque cette déclaration est faite en vitesse, et qu’il nous manque la démarche qui a permis d’obtenir ces résultats, il nous faudrait croire sur parole ce que le Dr Boileau nous dit, simplement parce qu’il est un médecin et serait une sorte de scientifique, à supposer que la santé publique soit une discipline scientifique. D’autant plus qu’il est très commode de faire des estimations sur quelque chose qui aurait pu arriver dans d’autres circonstances, mais qui justement n’arrivera pas en raison des circonstances. C’est un excellent moyen de ne pas être pris en défaut.

Il est vrai que, dans un point de presse, ce n’est pas le moment pour faire de la science. J’en conviens. Alors qu’est-ce que le directeur national de la santé publique fait à ces points de presse ? Ne devrait-il pas s’abstenir d’y participer ? Ne devrait-on pas cesser de lui demander d’y participer ? Ne se compromet-il pas en participant à ces opérations de relations publiques, qui sont incompatibles avec la pratique de la science ? Ne pouvons-nous pas même nous demander s’il ne devient pas un idéologue au service du pouvoir politique ?

Pour que le directeur national de la santé publique ait une certaine crédibilité médicale et scientifique, il devrait séparer ses interventions de celles des politiciens qui nous gouvernent en refusant tout débat public et scientifique depuis presque deux ans. À titre de conseiller médical et scientifique, il devrait publier sur internet les avis qu’il adresse aux autorités politiques, en y joignant les données utilisées, ainsi que les calculs et les analyses faites à partir de ces données. Encore mieux, les discussions entre le directeur national, les directeurs régionaux et les scientifiques et les médecins qu’ils consultent devraient être diffusées et transcrites sur une plate-forme conçue spécialement à cet effet. Les directeurs régionaux et les conseillers médicaux et scientifiques devraient pouvoir y exprimer les positions divergentes, que l’opposition soit avec le gouvernement, le directeur national ou la majorité des directeurs régionaux et des experts, en respectant les mêmes critères de rigueur intellectuelle et de transparence que le directeur national.

Outre le fait que ce qui relève de la médecine et de la science serait ainsi séparé des petits jeux de pouvoir qui n’ont souvent rien à voir avec le bien-être et le bonheur de la population et la recherche de la vérité, ce sont les conditions de la pratique scientifique qu’on mettrait ainsi en place. Car il n’y a pas de vrai science sans transparence quant aux données et à la démarche utilisée. C’est seulement à cette condition que l’examen critique et le débat scientifique et public sont possibles, et que la science a des chances raisonnables de servir les intérêts de la société, au lieu d’être utilisée contre elle. Sans cette transparence, la constitution d’une communauté scientifique au sens fort du terme est impossible, puisque l’essentiel en science n’est pas alors en commun. La science – si science il y a – se fait alors derrière les portes closes et elle demeure très obscure pour les médecins et les scientifiques qui ne sont pas dans le secret des dieux, et encore plus pour la population. En fait, on a probablement affaire à quelque chose d’autre que de la science et de la médecine, c’est-à-dire à une forme de scientisme bureaucratique fort autoritaire, selon lequel il serait possible de substituer à la médecine et à la science des consignes et des procédures pour « contrôler la pandémie », avec les résultats désastreux qu’on connaît. Nous aurions grand tort de continuer à confondre l’étendard de la science et de la médecine avec la science et la médecine.