Risque de riposte russe contre les pays occidentaux

Les États-Unis ont finalement décidé de fournir des lanceurs de missiles à longue portée à l’Ukraine, et quelques pays européens ont décidé d’en faire autant. La réponse des autorités russes ne s’est pas fait attendre. En effet, voici ce qu’a déclaré Dmitri Medvedev, président de la Fédération de Russie de 2008 à 2012 et vice-président du Conseil de sécurité de Russie depuis 2020 :

« Dans le cas où des types d’armes seraient utilisées contre le territoire russe, les forces armées de notre pays n’auront d’autre choix que d’agir pour détruire les centres de décision. Tout le monde comprend de quel type de centres il s’agit – le ministère de la Défense, l’état-major général et tout le reste. Mais vous devez comprendre que les centres de décision finale dans ce cas, malheureusement, ne sont même pas situés sur le territoire contrôlé par Kiev. Il s’agit donc certainement d’une menace dont il faudra tenir compte. »

Peu après, Vladimir Poutine a repris l’essentiel de la déclaration de Medvedev, quoique de manière plus modérée.

Parlons franchement. La Russie, en cas d’attaque contre son territoire à l’aide d’équipement militaire fourni par les pays de l’OTAN, pourrait répliquer en attaquant les endroits où se prennent les décisions quant à la politique militaire de l’Ukraine. Car le gouvernement russe n’est pas dupe : ce n’est pas Zelensky qui décide de la manière dont cette guerre est menée, par exemple s’il faut négocier sérieusement ou se battre jusqu’à la dernière goutte de sang du dernier Ukrainien. Non, c’est l’administration américaine, et plus particulièrement le département d’État, qui impose ses décisions au président de l’Ukraine, qui n’est en fait qu’une marionnette. Ce n’est pas pour rien qu’on a mis un acteur à la tête de l’Ukraine. Qui de mieux pour jouer le rôle qu’on lui demande de jouer ?

Les cibles de ces attaques pourraient donc être des bases militaires des pays membres de l’OTAN impliqués dans la fourniture de lanceurs de missiles à longue portée à l’Ukraine.

Sans entrer ici dans le détail des caractéristiques techniques de l’équipement militaire que les gouvernements occidentaux fourniront à l’Ukraine – mes connaissances militaires sont très limitées, quoique probablement supérieures à celles des nombreux journalistes et politiciens occidentaux qui se contentent de régurgiter tout ce qu’on leur dit –, demandons-nous dans quelle mesure les systèmes qu’on s’apprête à envoyer ou qu’on a déjà commencé à envoyer en Ukraine constituent une véritable menace pour la Russie.

Abordons d’abord la question de la portée des cibles qui pourraient être atteintes grâce à ces missiles. Celle-ci ne serait pas déterminée par les systèmes de lancement eux-mêmes, mais par les missiles lancés grâce à ces systèmes. Ainsi la portée des missiles lancés pourrait varier entre 70 km et 300 km. Avec une portée de 70 km, il serait difficile de frapper une ville russe ou même criméenne, étant donné le territoire actuellement contrôlé ou disputé par l’armée russe, dans l’est et le sud de l’Ukraine. Mais avec une portée de 300 km, des villes de Crimée et de Russie pourraient être prises pour cibles. Il s’agit de savoir exactement ce qu’on fournit à l’Ukraine. Car il y a longue portée et longue portée.

Gardons-nous bien de croire à la propagande occidentale, qui ne cesse de dire, à chaque fois qu’on envoie de l’équipement militaire en Ukraine, que ça va changer du tout au tout le déroulement de la guerre. L’Ukraine possédait de nombreux systèmes équivalents, voire supérieurs par le nombre de missiles qu’ils pouvaient lancer, et l’armée russe a pu les détruire facilement. Ce n’est donc pas en fournissant tout au plus une douzaine de ces systèmes qu’on changera l’issue de la guerre, surtout s’il est difficile d’approvisionner l’Ukraine avec des missiles qu’elle n’est pas en mesure de produire elle-même sur son territoire, d’abord puisqu’il s’agit de matériel occidental, ensuite parce que l’armée russe s’empresserait de détruire toute usine où on fabriquerait de tels missiles.

Puis il est difficile pour les Ukrainiens de faire entrer cet équipement militaire en Ukraine, étant donné que le réseau ferroviaire et routier, d’abord épargné par l’armée russe, a été partiellement détruit pour entraver les livraisons d’armes occidentales, et que le ciel est contrôlé complètement par l’aviation russe. Si nos dirigeants manquent de sagesse au point d’envoyer des systèmes de lancement de missiles qui constituent une menace pour le territoire russe, il faut nous en remettre à l’efficacité de l’armée russe, qui devient alors notre principale chance de salut. Car même si ces systèmes militaires étaient déployés suffisamment près de la frontière ukraino-russe, ils pourraient être détruits rapidement par l’armée russe et les missiles lancés pourraient être détruits en plein vol par les systèmes de défense russes.

Il n’empêche qu’un tel système, équipé de missiles qui ont une portée suffisante, pourrait échapper à la vigilance de l’armée russe et tirer des missiles qui déjoueraient les systèmes de défense et qui toucheraient des cibles militaires ou civiles en Russie. Cela peut arriver, même si ce n’est pas très probable. Et ne nous fions pas aux promesses du gouvernement ukrainien, qui prétend ne pas vouloir utiliser ces systèmes pour attaquer le territoire russe. Le problème, c’est que l’Ukraine considère que la Crimée fait partie de son territoire, alors que pour les autorités russes ce territoire fait partie de la Fédération de Russie. Le problème, c’est que l’Ukraine considère les territoires des Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk comme ukrainiens, alors que les autorités russes considèrent que ces territoires, où vivent des populations très majoritairement russophones, sont sous leur protection et sur le point d’être rattachés à la Fédération de Russie. La situation est donc potentiellement explosive.

Nos gouvernements ne savent pas ce que c’est que d’avoir la guerre sur leur territoire. Ça ne leur est jamais arrivé depuis des décennies ou même quelques siècles, comme au Canada. La guerre, pour eux, c’est quelque chose qui se passe ailleurs. Plusieurs de nos officiers supérieurs ne semblent pas penser autrement, tout imbus qu’ils sont de la prétendue supériorité militaire occidentale, et incapables de s’adapter aux rapports de force qui changent. Et nous, qui faisons partie de la population, pensons souvent la même chose qu’eux. Quand nous nous opposons à la guerre – au Vietnam, en Irak ou en Afghanistan, par exemple –, c’est toujours en supposant que le théâtre de la guerre ne peut pas s’étendre au territoire des pays où nous habitons. Cela s’est montré vrai jusqu’à maintenant, car comment ces pays pourraient-ils constituer une menace pour les pays nord-américains et européens alors qu’ils ne disposent même pas des forces nécessaires pour défendre leur propre territoire ? Mais c’est une tout autre histoire quand il s’agit de la Russie, qui dispose d’armes hypersoniques capables de toucher des cibles en Europe et en Amérique du Nord, et contre lesquelles les systèmes de défense de l’OTAN sont inefficaces.

Les menaces de Medvedev et de Poutine ne sont pas donc pas à prendre à la légère. Ce n’est pas de la plaisanterie. Même si l’armée russe n’utilisait pas des armes nucléaires pour détruire des « centres de commandement » américains ou occidentaux, les conséquences pourraient être dramatiques. Une telle attaque pourrait être suivie d’une riposte américaine et occidentale avec des armes nucléaires, ce qui pousserait l’armée russe à en faire autant. Tout pourrait être fini en quelques minutes ou quelques secondes selon l’endroit, étant donné que les missiles hypersoniques russes sont capables d’atteindre une vitesse de 11 000 km/h. Et même si les États-Unis et leurs vassaux occidentaux ne répliquaient pas en utilisant des armes nucléaires, ça pourrait quand même déraper.