Réplique à un autre sermon du Père Lagacé (ou sur le prétendu devoir de promotion vaccinale des syndicats)

Je veux ici répliquer à un autre sermon du Père Lagacé, fait dans une chronique publiée juste avant l’annonce du report de la suspension des travailleurs de la santé non vaccinés (« Les lavabos, la suite », La Presse, 13 octobre 2021). Cette chronique est la suite d’une chronique publiée en avril en 2020. Je ne reviens pas sur cette première chronique et je me contente de faire remarquer que, bien que je ne le suive pas sur toute la ligne (une représentante syndicale des employés de la SAQ me semble avoir raison de s’étonner de la décision de garder les succursales de la société d’État, alors que le gouvernement terrorise la population québécoise pour qu’elle reste chez elle pour ne pas attraper le virus et dit qu’il faut seulement garder ouverts les commerces essentiels, même si j’en conclurais pour ma part que cette décision montre que les mesures sanitaires sont arbitraires depuis le tout début, alors que pour sa part elle y voit quelque chose d’anxiogène pour les employés), Patrick Lagacé n’était pas encore devenu le Père Lagacé et n’avait pas encore sombré complètement dans le délire superstitieux. Il est à craindre que le vaccin lui ait depuis monté à la tête, au sens figuré et peut-être au sens propre, par exemple sous la forme de micro-caillots sanguins.

Sa nouvelle chronique est la suite de la précédente au sens où elle est une charge contre les syndicats des employés du secteur public. Si l’on peut certainement adresser toutes sortes de critiques pertinentes à ces organisations (par exemple le fait de défendre mollement leurs membres et d’assumer parfois le rôle de « conciliateur » entre les employeurs et les travailleurs), on peut difficilement leur reprocher de défendre leurs membres, tous leurs membres, puisque c’est là leur raison d’être. Mais le Père Lagacé est d’un autre avis :

« Que ce soit en éducation ou en santé, les voici, ces jours-ci, les syndicats, défendant vaillamment les plus disjonctés de leurs membres : ceux qui ne veulent pas se faire vacciner et qui n’ont aucune bonne raison pour cela.

Les syndicats préparent déjà les griefs à la veille du 15 octobre, date-butoir dans le réseau de la santé, où les employés non vaccinés seront suspendus sans solde… Comme cela a été annoncé il y a six semaines. »

Outre le fait qu’il en faut bien peu au Père Lagacé pour qualifier des milliers de personnes de disjonctés (c’est qu’il est convaincu d’avoir toute sa tête), un refus de défendre leurs membres non vaccinés constituerait un acte de trahison de la part du syndicat ou des leaders syndicaux. Le statut vaccinal ne devrait pas être utilisé pour déterminer quels membres des syndicats doivent être défendus et quels membres ne doivent pas l’être. Ce qui serait incontestablement de la discrimination. On pourrait aussi y voir une forme de corruption en ce que les syndicats seraient détournés de leur fonction et ne rempliraient plus leurs obligations à l’égard de certains de leurs membres, pour se conformer aux désirs du gouvernement et à la classification qu’il s’efforce d’imposer à la population (vaccinés versus non-vaccinés) avec l’aide des journalistes. C’est comme si on demandait à un avocat de refuser de défendre des clients subissant des préjudices professionnels et économiques sous prétexte qu’ils ne sont pas vaccinés et que les torts qu’ils subissent sont justifiés pour cette raison, avant même d’avoir donné la possibilité aux tribunaux d’en juger. Les personnes non vaccinées seraient pratiquement traitées comme des hors-la-loi privés des moyens de se faire entendre en justice, à moins de disposer elles-mêmes de compétences juridiques.

Il est tout aussi absurde de demander aux syndicats de réprimander publiquement leurs membres non vaccinés :

« Les syndicats ont fait le strict minimum pour inciter leurs membres à se faire vacciner. Aucun leadership, aucune action d’éclat, pas de campagne publicitaire : que des déclarations du bout des lèvres qu’« on encourage nos membres à se faire vacciner » quand on posait la question aux chefs syndicaux. »

Depuis quand est-ce la fonction des syndicats de dire à leurs membres de recevoir un traitement médical ? Le fait que le gouvernement le recommande fortement ou l’exige ne change rien à l’affaire. À mon sens, le fait d’encourager leurs membres à se faire vacciner est déjà trop. C’est se faire la courroie de transmission des recommandations ou des exigences du gouvernement en matière de vaccination. Ce qui reviendrait à faire des syndicats ou des chefs syndicaux les représentants du gouvernement auprès de leurs membres.

Le Père Lagacé voudrait même que les syndicats organisent une campagne publicitaire en faveur de la vaccination. Ce qui serait de la corruption au sens où les ressources dont disposent les syndicats seraient utilisées pour faire de la propagande gouvernementale auprès de leurs membres. Les syndicats deviendraient alors un instrument de plus pour influencer la population, en plus des médias.

Les « chefs » syndicaux n’ont pas davantage à faire preuve de leadership en matière de vaccination. Cela ne fait pas partie de leurs fonctions. Et ce ne sont pas tant des chefs que des représentants. De quel droit devraient-ils se prononcer sur la question de la vaccination et se faire juges en la matière ? Les « chefs » syndicaux n’ont pas à dire à leurs membres s’ils doivent ou non se faire vacciner, ou à les sensibiliser à l’importance présumée de la vaccination. Le seul fait d’avoir été élus « chefs » syndicaux ne les autorise pas et ne les rend pas plus aptes à décider ce que leurs membres devraient faire en matière de vaccination.

La seule chose intelligente à faire, c’est de défendre la liberté de se faire vacciner ou de ne pas se faire vacciner, et de défendre ceux de leurs membres qui s’exposeraient à des formes de discrimination, à des sanctions disciplinaires et à une suspension sans solde en raison de leur choix.

Il est tout aussi absurde de demander aux syndicats de réprimander leurs membres non vaccinés publiques :

« Les syndicats sont incapables de condamner publiquement, en termes clairs, les plus disjonctés de leurs membres, ceux qui refusent sans bonne raison d’être vaccinés. »

Demander aux « chefs » syndicaux de condamner leurs membres, alors qu’ils ont déjà les autorités politiques et sanitaires et les journalistes sur le dos, ce serait comme demander à un avocat de la défense de se liguer avec le procureur pour condamner le client qu’il est censé défendre.

Et quand les « chefs » syndicaux se plient au jeu avec une certaine réserve, le Père Lagacé trouve que ce n’est pas assez. Comme tous les fanatiques, ils n’aiment pas les tièdes :

« J’ai demandé à la présidente de l’Alliance des profs de me trouver le qualificatif le plus dur qui lui venait à l’esprit, pour parler de la conduite de cette enseignante d’arts plastiques de l’école Saint-Émile.

Réponse, après avoir dû insister : « Inadéquat. »

Inadéquat !

Inadéquat, c’est quand le peintre en bâtiment se trompe de teinte de blanc pour la couleur de ma salle de bains. Inadéquat, c’est surtout pas quand tu nies l’existence du virus sur Facebook et dans ta salle de classe au point d’inciter tes élèves à ne pas appliquer les règles sanitaires de base…

Ce qui entraîne, ô hasard, une éclosion dans l’école.

Ça, c’est « stupide », « révoltant », « inadmissible », « répréhensible » ou « dangereux », si je peux me permettre de suggérer des mots à l’Alliance des profs. Pas « inadéquat ». »

Pourtant le gouvernement ne dit-il pas que quiconque a reçu ses doses de vaccin réglementaires est, pour l’instant, considéré comme adéquatement vacciné ou protégé ? N’est-ce pas nous signifier qu’une personne qui ne serait pas adéquatement vaccinée aurait un comportement inadéquat, du point de vue du gouvernement ? Pourquoi serait-il inadéquat d’employer le même adjectif pour qualifier un autre comportement non conforme aux exigences sanitaires que le gouvernement considère adéquates ? Encore une fois, le Père Lagacé se montre plus catholique que le Pape.

Nous pouvons légitimement nous demander ce qu’il attend exactement des syndicats. Voilà, par la négative :

« Mais on a compris, chers syndicats, on a compris depuis longtemps : vous allez toujours défendre, sur le fond et sur la forme, les plus tatas de vos membres, virus ou pas.

Je sais que les griefs sont déjà écrits pour contester les suspensions de vos camarades antivax, qui prendront effet le 15 octobre.

J’espère que vous allez tous les perdre. »

Les syndicats, pour se conformer aux désirs du Père Lagacé, devraient cesser de défendre les plus tatas de leurs membres, à savoir les « antivax », sous prétexte de virus ou d’état d’urgence sanitaire. Il est craindre que lui et ses émules, sans le dire tout haut, seraient ravis qu’on pratique la même discrimination à l’égard des « antivax » devant les tribunaux. Ils verraient probablement dans cet état de choses une manifestation de la plus haute justice. Ce qui explique en partie leur déception, leur dépit, leur irritation ou même leur colère à l’annonce du report de la date butoir.

Dans une autre chronique publiée quelques jours plus tard (« C’est pas une pénurie, c’est une hémorragie », La Presse, 16 octobre, 2021), le Père Lagacé explique le manque chronique de professeurs, d’infirmières et d’intervenantes de la Direction de la protection de la jeunesse par le fait que l’État est un employeur peu recommandable et par un mode de gestion inadapté qui optimise l’exploitation des « ressources » humaines afin de faciliter le suivi et la reddition de comptes des gestionnaires, et de donner une impression de rendement au sein de la clique bureaucratique, au détriment de l’éducation que reçoivent les jeunes et des services que reçoivent les bénéficiaires du système de santé. Et il conclut :

« Le système craque de partout et c’est un peu beaucoup parce que l’État traite ses employés comme des Kleenex.

Ce qui est surprenant, ce n’est pas qu’on manque de profs, d’infirmières et d’intervenantes : c’est qu’il en reste autant, dans une économie où l’on peut se faire embaucher facilement n’importe où. Ça craque de partout, ce n’est pas surprenant, suffisait de ne pas se fier aux petites cases des rapports des gestionnaiiiiiiiiires. »

Le gouvernement et les gestionnaires ne vont pas réformer pour le mieux le système d’éducation et le réseau de la santé, alors qu’ils sont grandement responsables de la situation. Ne nous laissons pas tromper par leurs belles paroles, auxquelles il ne faut pas davantage nous fier qu’avant la déclaration de l’état d’urgence sanitaire. Si l’État est depuis des décennies le mauvais employeur que le Père Lagacé dit, on ne peut pas raisonnablement espérer qu’il se réforme moralement du jour au lendemain, de sa propre initiative, le virus lui ayant enfin ouvert les yeux. La manière dont ont été traités les travailleurs de la santé depuis la déclaration de l’état d’urgence sanitaire (l’impossibilité de prendre leurs vacances alors qu’ils étaient ou sont toujours pour beaucoup au bord de l’épuisement, par exemple), malgré les discours hypocrites dans lesquels on les qualifiait d’anges gardiens en 2020, nous montre qu’il faut nous méfier de cette réforme morale que le gouvernement prétend amorcer dans le réseau de la santé.

Le Père Lagacé n’en parle pas, mais la situation qu’il décrit dans le système d’éducation et le réseau de santé est en partie due au fait que les syndicats ne défendent pas avec assez de fermeté leurs membres, et ne défendent pas davantage l’éducation dispensée dans les écoles et la qualité des soins offerts dans le réseau de la santé, contre l’employeur peu recommandable qu’est l’État. Si les syndicats des employés de l’État s’étaient montrés plus combatifs au cours des dernières décennies, nous n’en serions probablement pas où nous en sommes aujourd’hui. Et ce n’est certainement pas en exigeant des syndicats et des leaders syndicaux qu’ils se fassent les ambassadeurs des désirs du gouvernement auprès de leurs membres qu’on contribue à améliorer la situation. Même si les réclamations du Père Lagacé portent spécifiquement sur la vaccination des membres des syndicats et l’application rigoureuse des mesures sanitaires imposées par le gouvernement, il n’en demeure pas moins vrai que les syndicats et les leaders syndicaux deviendraient alors les représentants du gouvernement et cesseraient d’être les représentants de leurs membres, sur ce point particulier et aussi sur d’autres points, parce qu’on a vite fait de s’habituer à servir le gouvernement au détriment des intérêts des membres des syndicats. Bref, ce serait engager les syndicats encore plus loin sur la voie de la corruption, ce serait contribuer à dégrader encore plus le contre-pouvoir qu’ils devraient être, car il n’est pas possible de bien défendre les membres des syndicats et les services publics offerts aux citoyens en consentant à se faire les serviteurs du gouvernement qui traite si mal ces travailleurs et qui est responsable, avec ses prédécesseurs, de l’état lamentable du système éducatif et du réseau de la santé.

C’est donc tout le contraire qu’il faudrait demander aux syndicats et aux leaders syndicaux : représentez vos membres, tous vos membres, vaccinés ou non ; défendez leurs intérêts avec fermeté contre les abus de pouvoir du gouvernement ; et défendez l’éducation et les soins de santé de qualité auxquels la population québécoise devrait avoir accès. Et s’il faut modifier la structure des syndicats et la manière dont on y adhère pour obtenir les résultats voulus, qu’on n’hésite pas à aller de l’avant, mais en réfléchissant bien, pour ne pas obtenir des syndicats encore plus mous ou encore plus corrompus, au sens où ils se laisseraient encore plus facilement détourner de la défense de leurs membres et des services publics, pour servir des intérêts étrangers à leurs membres et aussi à la population.