Remarques sur la mortalité au Québec en 2020

L’Institut de la statistique du Québec a publié au début du mois de décembre l’édition 2021 de son bilan démographique du Québec, lequel porte essentiellement sur l’année 2020. C’est une publication que j’attendais avec impatience, me disant qu’on pourrait certainement y trouver des informations intéressantes sur les causes de la mortalité. Mais qu’on ne se fasse pas d’illusions : l’Institut étant un organisme public, on ne peut pas raisonnablement s’attendre à ce que les analyses faites dans ce bilan s’éloignent de ce que le gouvernement dit à ce sujet. Si des fonctionnaires statisticiens ou démographes peuvent certainement avoir des idées divergentes, ils ont tout intérêt à ne pas essayer de les développer dans une publication officielle du gouvernement. Outre le fait que les hautes autorités exigeraient probablement le retrait de telles analyses, les dissidents s’exposeraient à des blâmes ou à des sanctions disciplinaires. Et s’ils osaient s’exprimer publiquement pour dénoncer la censure dont ils seraient l’objet, c’est leur carrière qui serait en péril. C’est donc sur les données que porteront mes analyses. D’ailleurs les analyses faites dans ce bilan sont brèves et rudimentaires comparativement à la masse de données qu’on y fournit. Dans le chapitre 3 sur les décès et la mortalité, qui compte 28 pages, 9 pages contiennent seulement des données, et 13 autres pages contiennent des tableaux et des graphiques qui occupent entre 25 % et 50 % de ces pages. Il s’agit essentiellement, dans le texte qui accompagne ces figures, d’exposer par des phrases ce qui est représenté grâce à ces figures, en apportant parfois des précisions méthodologiques et des points de comparaison, qui sont certainement pertinents, mais dont on ne tire presque pas de conclusions. Ce n’est donc pas une lecture très instructive, et encore moins stimulante intellectuellement.

Pour toutes ces raisons je me réfère donc à la liste abrégée des causes de décès selon le sexe, de 2000 à 2020, peu importe le sexe des personnes décédées. Il y a aussi une liste détaillée, mais mon intention n’est pas d’entrer dans le détail et de comparer environ 250 causes de décès. Je m’enfoncerais ainsi dans un bourbier dont je ne serais pas près de sortir, et notre gouvernement aurait le temps de prendre les décisions les plus folles avant que je n’aboutisse à quelque chose. Ce qui m’intéresse ici, c’est la comparaison des grandes catégories des causes de décès en 2020 avec les cinq années précédentes, c’est-à-dire de 2015 à 2019, en me gardant la possibilité de reculer plus loin dans le temps si c’est pertinent.

(Pour manipuler plus facilement les données, le lecteur a intérêt à télécharger le chiffrier au lieu de consulter seulement la page web interactive.)


Il y a trois onglets dans la liste abrégée : nombre de décès, taux standardisés et APVP (années potentielles de vie perdues). Je me demande quelles données il est préférable d’utiliser De prime abord, je vois les limites du nombre de décès, que les journalistes et les autorités politiques et sanitaires utilisent le plus souvent. La population du Québec devenant de plus en plus nombreuse et âgée, le nombre de décès tend naturellement à augmenter d’année en année, ce qui rend la comparaison difficile avec les années précédentes. Le nombre d’années potentielles de vie perdues pour 100 000 personnes me semble intéressant, mais il a aussi une limite importante : il porte sur les personnes de 0 à 74 ans. Ce qui signifie que les personnes dont on attribue le plus souvent le décès à la COVID-19 sont exclues de ces taux. Les taux de mortalité standardisés pour 100 000 personnes sont probablement ce qui convient le mieux à la comparaison que je veux faire dans ce billet. Le bilan démographique confirme mon impression :

« Les taux standardisés sont obtenus en appliquant la mortalité par âge de chaque année à une même population type, ici la population du Québec en 2006. Pris séparément, ils ne véhiculent aucune valeur statistique réelle ; ils servent uniquement à comparer différentes périodes ou populations. » (p. 59.)

« Ce taux est calculé dans le but d’éliminer l’influence de la structure par âge de la population, pour bien mesurer l’évolution dans le temps de la mortalité. » (p. 59.)

« Ce taux de mortalité correspond au nombre de décès rapporté à la population totale. Ce taux brut est influencé par la structure par âge de la population. On lui préférera des indicateurs standardisés pour analyser l’évolution du phénomène. » (p. 60.)

Ce sont donc les taux de mortalité standardisés selon la cause des décès que j’utiliserai ici.


Voyons d’abord ce qu’on fait de ce taux dans le bilan démographique, soit pour nous en inspirer, soit pour choisir une ligne d’analyse concurrente :

« On constate que le taux de 2020 a augmenté de 7 % comparativement à celui enregistré en 2019. Cette hausse contraste avec l’évolution à la baisse généralement observée.

Tant en nombre qu’en taux, la hausse enregistrée en 2020 est d’une ampleur de loin supérieure à celle des plus fortes hausses récemment observées. Au cours des dernières années, l’évolution du nombre de décès au Québec a été marquée par des saisons grippales parfois très intenses qui ont entraîné des pics de décès notables. Aucun pic de décès n’avait cependant atteint l’ampleur de celui lié à la pandémie de COVID-19 observé en 2020. »

Ce que serait censé illustrer ce graphique :


Même s’il est vrai que la hausse du taux de mortalité standardisé de 2020 entre en contraste avec la baisse générale observée depuis 2010, et plus particulièrement avec 2019, il faut néanmoins remarquer que cette hausse est vraisemblablement amplifiée par le fait que le taux de 2019 a connu une baisse plus prononcée que d’habitude comparativement à 2018. Je me demande si c’est une bonne idée de prendre pour acquise cette tendance à la baisse, même si le vieillissement de la population n’affecte pas ce calcul, justement à cause de sa standardisation. Car il se peut qu’on atteigne un plateau ou qu’on finisse par observer une hausse en raison de limites biologiques du corps humain que la médecine ne parvient pas ou parvient plus difficilement à surmonter, d’une dégradation du système de santé et de l’adoption de politiques ayant de mauvais effets sur la qualité de vie.

Je n’insiste pas sur ce point, car je doute qu’on puisse réellement comprendre quelque chose en s’en tenant à ce simple graphique.


J’ai regroupé les taux de mortalité standardisés par catégories de causes de décès, en plus de la COVID-19 qui est classée à part et non dans les maladies de l’appareil respiratoire.

Le taux pour les causes externes, les affectations périnatales, les malformations congénitales et les anomalies trisomiques, les cas inclassables et les causes externes – qui comprennent les accidents, les suicides, les homicides, etc. – ne sont pas encore disponibles pour l’année 2020. Il ne faut pas y voir une tentative de cacher des informations au public, ces données paraissant généralement seulement deux ans plus tard, comme on peut le constater dans les bilans démographiques des années antérieures.

Le lecteur remarquera que le taux total pour l’année 2020 n’égale pas la somme des taux pour les catégories de causes, alors que c’est pourtant le cas pour les années 2015 à 2019. Sans l’avoir inscrit dans la liste abrégée, les rédacteurs du bilan ont ajouté des taux estimés pour ces catégories. Si nous faisons la différence entre le taux total et la somme des taux des catégories de causes (629,0 - 570,4), nous obtenons un taux global estimé à 58,6 pour ces causes. Ne sachant pas comment a été faite cette estimation, et si elle est une projection ou si elle a été faite à partir de données provisoires, j’ignorerai ces causes dans mes analyses, pour les années comparées. Je recalcule donc les taux totaux de mortalité standardisés comme suit.

Je fais d’abord remarquer que le taux total de mortalité standardisé de 2020 est plus bas que celui de 2015. S’il est vrai qu’on peut déplorer un recul quant aux années 2016 à 2019, il est important de remettre ce dernier en perspective. La mortalité observée en 2020 n’est pas du jamais vu de mémoire d’homme, comme on aimerait souvent nous le faire croire. Nous avons vu pire en 2015, et rares sont ceux qui s’en sont même aperçus, à part peut-être les statisticiens, les démographes et le personnel des hôpitaux. Nous ne nous rappelons pas de l’année 2015 comme d’une année particulièrement mortelle, d’autant plus que le taux de mortalité standardisé était supérieur en 2014 (637,4 décès pour 100 000 personnes). En fait nous nous rappelons des années 2014 et 2015 comme des années d’avant l’arrivée du virus et où il faisait par conséquent bon vivre. Alors pourquoi faire tout un plat de la mortalité de 2020 simplement parce que la situation est moins bonne qu’en 2016, 2017, 2018 et 2019 ? Nous en scandalisons-nous simplement parce que le gouvernement et les journalistes nous disent qu’il faut nous en scandaliser depuis bientôt deux ans ?

Quant à 2019, ça a été une année où le taux de mortalité standardisé a été significativement plus bas que l’année précédente : 586,9 décès contre 614,8 décès pour 100 000 personnes, soit une baisse d’environ 4,5 %. Outre le fait que l’écart du taux de mortalité standardisé entre 2020 et 2019 a pu être amplifié par cette bonne année (les écarts entre les taux de 2020 et de 2018 et de 2020 et de 2017 sont respectivement d’environ 2 % et 3 %), beaucoup de personnes plus âgées et plus faibles, ou même en fin de vie, qui ne sont pas décédées en 2019 sont vraisemblablement décédées un peu plus tard en 2020, à cause du virus ou non. Si l’arrivée du virus avait été précédé d’une année comme celle de 2018, où une légère hausse du taux de mortalité comparativement aux années précédentes a pu être observée, les décès de 2020 auraient été répartis plus uniformément entre cette année et l’année précédente, le taux de mortalité standardisé aurait été plus élevé en 2019 et moins élevé en 2020, ce qui aurait réduit de manière notable l’écart entre les deux années, même si une certaine hausse des décès pourrait probablement toujours être observée en 2020.

Si les rédacteurs du bilan démographique ont raison de dire qu’une hausse de 7 % est exceptionnelle, cette comparaison avec l’année précédente est soumise à des contingences extérieures et antérieures à l’arrivée du virus, et elle doit donc être remise en contexte et relativisée. La hauteur de la crête d’une vague ne dépend pas seulement de la vague elle-même, mais aussi de la profondeur du creux qui la précède.


Je m’intéresse maintenant aux variations des taux de mortalité standardisés selon les grandes catégories des causes de décès.

En 2015, 2017 et 2018, de faibles hausses sont observées pour certaines causes de décès, alors que de faibles baisses sont observées pour d’autres causes, comparativement à l’année précédente. Ce qui résulte en une faible variation, à la hausse ou à la baisse, du taux total de mortalité standardisé. Quant à 2016 et 2019, on peut y observer des baisses d’importance variable pour presque toutes les causes décès, lesquelles se cumulent et résultent en une baisse assez importante du taux total de mortalité standardisé comparativement aux années précédentes. L’année 2020 diffère : alors qu’on peut observer des baisses relativement importantes pour la plupart des causes de décès, on observe une hausse très marquée du taux total, lequel est dû, d’après les données disponibles, essentiellement à l’apparition de la COVID-19.

À première vue, il n’y a pas lieu de nous étonner. L’arrivée d’une nouvelle maladie comme la COVID-19 entraîne nécessairement des perturbations importantes et bouleverse les régularités que nous observons normalement, dira-t-on. Bien qu’entraînant une forte hausse de la mortalité chez les personnes plus âgées et plus vulnérables, on ne voit pas pourquoi cette maladie entraînerait aussi une hausse de la mortalité due à d’autres maladies, par exemple les tumeurs.

Cela a quelque vraisemblance et pourrait même être difficilement contestable si notre gouvernement avait opté pour une approche plus habituelle dans sa « gestion de la crise sanitaire », et n’avait pas instillé – avec l’aide des journalistes – la peur à toute la population (y compris le personnel soignant) dès l’arrivée du virus. Mais les choses étant ce qu’elles sont depuis mars 2020, les professionnels de la santé sont envoyés en grand nombre en isolement préventif lors des épisodes épidémiques, ces professionnels migrent vers le secteur privé en raison des conditions de travail insupportables qu’on leur fait, les résidents de certains CHSLD voient leurs conditions de vie se dégrader dramatiquement, des lits doivent être fermés dans les hôpitaux en raison de la pénurie de personnel, et on pratique le délestage de certaines activités comme les examens médicaux et les chirurgies, quand les malades terrorisés ne décident pas de prendre leur mal en patience et de ne pas aller chez le médecin et à l’hôpital quand ils en ont besoin, comme cela a été observé en 2020. Puis il y a la détérioration généralisée des conditions et des habitudes de vie, l’isolement causé par la réglementation et la minimisation des relations sociales, et les traumatismes psychologiques résultant de la crainte du virus, de la précarité économique et de l’imposition brusque d’un mode de vie très désagréable. Il serait donc fort étonnant, compte tenu de tous ces facteurs néfastes pour notre santé, que les taux de mortalité standardisés pour les causes de décès autres que la COVID-19 connaissent presque tous une haute significative. Pourtant c’est ce qu’on voit dans les données rendues disponibles par l’Institut de la statistique du Québec. Il me faut donc essayer d’expliquer ce phénomène étrange, qui défie l’entendement.

Une explication possible est qu’on a attribué à tort, en assez grand nombre, des décès à la COVID-19 quand en fait il s’agit de personnes mortes d’autre chose mais qui ont reçu un résultat de test de dépistage, ou encore qui ont été déclarées mortes de la COVID-19 par lien épidémiologique, tout simplement parce qu’elles avaient des symptômes assimilables à ceux de la COVID-19 (mais qui pourraient être ceux d’une forte grippe ou d’une pneumonie, par exemple) et qu’elles étaient porteuses du virus ou qu’elles avaient été en contact avec un cas confirmé en laboratoire, en milieu hospitalier, dans les CHSLD ou dans les résidences privées de personnes âgées. Car l’INSPQ reconnaît lui-même, dans une note méthodologique, qu’il y a un certain flou dans la détermination de la cause du décès :

« Pour qu’un décès soit comptabilisé dans le bilan officiel, la COVID-19 (confirmée par laboratoire ou par lien épidémiologique) doit avoir contribué au décès. Elle peut avoir été la cause principale ou secondaire du décès. Les patients atteints de la COVID-19 qui meurent de façon violente (accident, suicide, homicide) ne sont pas comptabilisés dans le bilan officiel de décès. »

Ce que confirme un document du MSSS :

Une autre explication possible, qui peut se combiner facilement avec la première explication, c’est qu’on aurait ignoré les comorbidités, pour tenir compte de la seule COVID-19 comme cause du décès de personnes dont l’état de santé était déjà très mauvais, et qui auraient pu mourir à peu près au même moment ou un peu plus tard sans la COVID-19. La COVID-19 aurait alors été seulement le facteur déclencheur de complications qui n’auraient probablement pas eu lieu si ces comorbidités avaient été absentes. Les données fournies par l’INSPQ montre que les personnes décédées avaient très majoritairement au moins une comorbidité (dont des maladies respiratoires et des maladies cardiovasculaires), soit 97,8 %.

Par conséquent, même si une certaine augmentation du taux de mortalité standardisé peut être observée au Québec en 2020, il est probable que celle-ci n’est pas due à la seule COVID-19, mais découle plutôt en partie d’autres maladies, aggravées par la mauvaise « gestion de la crise sanitaire » de notre gouvernement. Il serait important de réajuster – si c’est possible après-coup – les taux de mortalité standardisés selon les causes, car cela permettrait non seulement de juger de la mortalité véritablement provoquée par la COVID-19, mais permettrait aussi de mettre sur l’autre plateau de la balance la mortalité provoquée directement ou indirectement par la politique sanitaire de notre gouvernement, au lieu de les additionner ensemble, pour pouvoir dire que la situation est très grave et continuer à dire que l’urgence sanitaire est d’autant plus grande que la politique sanitaire de notre gouvernement est inappropriée, inefficace et même néfaste pour la santé de la population.


Nous avons tendance à sous-estimer l’importance du vieillissement de la population québécoise dans l’augmentation de la mortalité. Pour mettre en évidence ce phénomène, j’appliquerai le taux total de mortalité standardisé pour 2020, ainsi que celui pour la COVID-19 à la population de 2020, mais en gardant la structure d’âge de la population type (2006) utilisée par l’Institut de la statistique pour calculer ce taux pour chaque année et le comparer. À noter que j’utilise maintenant le taux total tel que calculé par l’Institut, en n’excluant pas les causes de décès pour lesquelles les données étaient seulement estimées en 2020, afin de nous donner un point de comparaison avec le nombre de décès que nous sommes habitués d’entendre dans les médias.

Ce sont donc des différences importantes.

L’âge médian et l’âge moyen étaient de 40,5 ans et de 39,8 ans en 2006, alors qu’ils étaient de 42,7 ans et de 42,6 ans. Ce qui est une petite différence peut en fait accompagner de grandes différences dans la composition de la population. En 2006, 485 966 personnes étaient âgées de 75 ans et plus, alors qu’elles étaient 722 283 personnes en 2020, ce qui représente une augmentation de 48 %, qui correspond approximativement à l’écart du nombre de décès liés à la COVID-19 observé en comparant les structures d’âge de la population de 2006 et de la population de 2020.

C’est donc quelque chose qu’il nous faut garder en tête quand on parle de l’augmentation des décès, car la population québécoise continue à vieillir malgré la pandémie qui serait censée ravager les plus âgés. Le nombre de personnes âgées de 75 ans est estimée à 754 858 en 2021, soit une augmentation d’environ 4,5 %. En 2025 et en 2030, 901 138 et 1 097 908 personnes appartiendront à ce groupe d’âge. Nous pouvons donc nous attendre à une hausse non négligeable des décès qui pourraient avoir lieu lors de futurs épisodes épidémiques, laquelle serait moins due à la grande virulence de tel micro-organisme, qu’au vieillissement rapide de la population québécoise.

(Institut de la statistique du Québec : 1 et 2.)


Je m’arrête ici. Ce qui devait être un court billet s’est finalement déployé longuement.

Je vous invite à faire circuler ces analyses, à les discuter et peut-être même à les communiquer à des groupes d’opposants, comme Réinfo Covid Québec. Même si je ne pense pas errer ou avoir trop mal raisonné, je ne suis pas statisticien ou démographe. Peut-être qu’une personne appartenant à l’un de ces groupes aura-t-elle des compétences supérieures aux miennes en la matière, pourra-t-elle faire des mises au point et des corrections à mes analyses, et voudra-t-elle les prolonger.