Réglementation alimentaire, religions et contrôle social

Les religions traditionnelles comportent souvent des obligations et des interdictions alimentaires, même si elles peuvent changer d’une religion à l’autre. Les bons catholiques devaient, dans le passé, manger maigre le vendredi et ne pas manger de viande pendant le Carême. Pendant le Ramadan, les bons musulmans devraient s’abstenir de manger de la nourriture, voire de boire de l’eau, du lever du soleil jusqu’au coucher du soleil. Les bons juifs devraient seulement manger des aliments cacher et les bons musulmans devraient seulement manger des aliments halal, ce qui implique des restrictions portant sur les aliments eux-mêmes, sur la manière de les produire et de les préparer et parfois même sur les personnes qui les produisent et les préparent, ce qui implique la mise en place d’un système de certification et l’existence de commerces d’alimentation spécialisés, par exemple des supermarchés cacher ou des boucheries halal. Les bons hindous ne devraient pas manger de viande de bœuf, et devraient manger le moins de viande possible ou même pratiquer le végétarisme. Les bons musulmans ne devraient pas boire d’alcool. Les bons mormons ne devraient pas boire d’alcool, de thé et de café.

Je pourrais continuer encore longtemps à énumérer les interdictions et les obligations alimentaires d’origine religieuse. Mais je ne veux pas entrer ici dans toutes les subtilités de ces règlements alimentaires, d’autant plus qu’ils varient selon les époques, les endroits et les différentes tendances au sein d’une même religion. Tout ce que je veux mettre en évidence ici, c’est l’importance que les religions accordent à la réglementation de l’alimentation, et au respect de cette réglementation aussi longtemps qu’elles ne déclinent pas. Dans plusieurs cas, il s’agit d’éviter les aliments impurs ou illicites, d’éviter que les aliments licites soient souillés par un mode d’abattage ou de préparation déclaré impur ou par un mélange avec des aliments impurs ou illicites, ou encore d’éviter la souillure des aliments licites par des personnes impures (des Gentils ou des infidèles) lors de l’abattage ou de la préparation des aliments, voire pendant le repas lui-même. Dans d’autres cas, il s’agirait seulement d’éviter des aliments déclarés, à tort ou à raison, mauvais pour la santé dans une doctrine religieuse donnée. Dans d’autres cas encore, les obligations et les interdictions alimentaires doivent être respectées par les fidèles simplement parce qu’elles sont un commandement de Dieu ou d’un de ses prophètes, lesquels ne daignent pas s’expliquer, même si on peut après coup chercher à la rationaliser en en cherchant les raisons. Quoi qu’il en soit, la réglementation alimentaire récurrente dans les religions produit plusieurs effets sur les fidèles. Elle permet de donner à la religion une emprise sur des actes quotidiens et essentiels des fidèles et demeurer ainsi constamment à l’esprit de ces derniers, un peu comme les prières qui rythment le déroulement de la journée chez les fidèles de certaines religions ou chez les membres de certaines communautés monastiques. Elle permet d’établir une certaine cohésion communautaire grâce à des coutumes ou à des rites alimentaires qui distinguent les fidèles des infidèles et les purs des impurs ou qui excluent les infidèles et les impurs de l’abattage des animaux, de la préparation des aliments et parfois même de la participation aux repas des fidèles et des purs. Elle permet aux autorités religieuses et à des groupes de personnes qui leur sont liés de se financer par la pratique de l’abattage rituel et par sa certification. Et elle permet aux autorités religieuses ou à la police des mœurs officielle ou officieuse de réprimander ou de punir plus ou moins sévèrement ceux qui ne se conforment pas à elle et de raffermir le contrôle de la religion sur les fidèles, sur les non-pratiquants et même sur les infidèles, dans les pays où elle est dominante ou a même le statut de religion d’État.

Ce qui me frappe dans l’idéologie sanitaire qu’on nous a imposée dans sa forme intégriste en 2020 – dont il demeure encore des vestiges et qui pourrait revenir en force sous prétexte de l’apparition d’un nouveau méchant virus –, c’est sa prise en charge de l’organisation des repas, dans les domiciles privés et dans les restaurants. L’une des premières choses que les autorités politiques ont ordonnées lors des confinements, c’est la fermeture des salles à manger des restaurants, en autorisant toutefois la livraison à domicile et le « take-out » ; et l’une des dernières choses qu’elles ont autorisées lors des déconfinements, c’est la réouverture des salles à manger. Et quand cela finissait par arriver, les salles à manger ne pouvaient pas être ouvertes immédiatement à pleine capacité, et il fallait veiller à la distanciation des tables et à l’installation de panneau de plexiglas pour séparer les différents groupes de convives et les protéger les uns contre les souillures des autres. Rappelons-nous la réglementation pointilleuse et changeantes que ces autorités ont mise en place sous prétexte d’éviter la souillure pendant les repas à domicile et dans les restaurants : l’obligation de signer un registre quand on va au restaurant ; le nombre de personnes et de foyers autorisés à participer à un même repas ou à manger à un même table, à la maison ou au restaurant ; le port rituel du masque quand on circule dans les restaurants et qu’on peut suspendre quand on reste à sa place ; l’exclusion des impurs, c’est-à-dire les personnes non vaccinées, dans les restaurants, voire dans les repas se déroulant dans les domiciles privés ; les pressions exercées sur les employés impurs des restaurants pour qu’ils se fassent vacciner et ne souillent pas de leur souffle malsain les clients purs et vaccinés ou la nourriture qu’ils mangent ; les amendes devant être payées par les personnes et les commerces qui ne respectent pas la réglementation sanitaire, et parfois aussi la fermeture de ces commerces ; etc.

Il est difficile de ne pas voir dans toutes ces obligations et toutes ces interdictions portant sur la manière de prendre nos repas des mesures de contrôle semblables à celles qui existent dans les religions traditionnelles, et de ne pas y voir l’imposition d’une nouvelle religion oppressive, sous prétexte sanitaire. N’est-ce pas là une manière de s’ingérer dans notre vie quotidienne par l’organisation de nos repas, de nous faire sentir l’omniprésence du méchant virus et d’obtenir que nous consentions aux pouvoirs arbitraires que les autorités politiques et sanitaires se sont accordés à elles-mêmes ? N’est-ce pas là accepter de faire de la crainte du méchant virus et du devoir de se protéger des souillures le principe qui doit réglementer les relations sociales ? N’est-ce pas là consolider la communauté des fidèles purs et vaccinés et exclure les infidèles impurs et non vaccinés, en allant parfois jusqu’à les punir pour non-respect de la réglementation alimentaire ?

Mais ce n’est pas tout : il y a aussi l’idéologie climatique qui gagne en puissance et en popularité et qui prétend réglementer les aliments que nous pouvons manger, ainsi que la manière dont ils sont produits et préparés. Pour réduire l’empreinte carbone du secteur de l’agriculture et le rôle qu’elle jouerait dans les changements climatiques, il nous faudrait devenir végétariens (ce qui revient à manger maigre), manger le moins de viande possible, opter pour de la viande produite en laboratoire, ou la remplacer par de la farine de criquets ou d’autres aliments de la même espèce. Il nous faudrait aussi arrêter de cuisiner avec des fours à gaz et choisir le mode d’infusion du café qui produit le moins de gaz à effet de serre. Et ce n’est qu’un début, car allez savoir ce que pourraient inventer les grands prêtres des changements climatiques, qui sont parfois aussi les grands prêtres des pandémies ! Ils seraient bien capables d’imposer des réglementations rigoureuses à l’ensemble du secteur agroalimentaire, afin d’en évincer les petits producteurs impurs dont les activités cesseraient d’être rentables s’ils purifiaient leurs moyens de production, et de nous imposer les produits des grandes corporations qui contrôleraient le secteur agroalimentaire et qui verseraient une partie de leurs profits aux grands prêtres en échange de leur certification « carboneutre ». Ils seraient aussi capables d’imposer aux consommateurs de nourriture un système de « crédit carbone » pour contrôler leur diète et pour les récompenser ou les punir en leur autorisant ou en leur interdisant d’autres choses, en fonction des émissions associées à elles. Ils pourraient chercher à faire disparaître l’agriculture animale en invoquant le risque de pandémies zoonotiques supposément provoquées par la production industrielle d’aliments impurs ou polluants comme la viande animale, les œufs ou même le lait. Ils pourraient mettre au pilori les consommateurs et les producteurs de viande, sous prétexte que les émissions impures dont ils seraient responsables contribueraient aux changements climatiques, provoqueraient le déplacement et la rencontre des espèces animales jusqu’alors séparées et le passage de dangereux virus d’une espèce à l’autre, et sous prétexte que ces émissions pourraient entraîner le dégel de dangereux agents pathogènes enfouis dans le pergélisol depuis des millénaires. Par opposition, les végétariens et les ascètes seraient déclarés purs et vertueux, et seraient les sauveurs de l’humanité et de la planète.

En réglementant moralement, bureaucratiquement et juridiquement la production et la consommation de nourriture, à l’échelle individuelle, sociale et peut-être même mondiale, ces autorités religieuses ne parviendraient-elles pas à nous faire sentir fortement l’omniprésence des changements climatiques et des gaz à effet de serre qui les provoqueraient ? Du même coup, ne nous disposeraient-elles pas à nous mobiliser pour la lutte chimérique contre les changements climatiques et à accepter les pouvoirs arbitraires et démesurés qu’elles s’accorderaient à elles-mêmes, ainsi que la servitude qui en résulterait immanquablement pour nous ?

Donc, comment ne pas voir que ceux qui nous dirigent, par l’importance qu’ils accordent à la réglementation alimentaire sous prétexte sanitaire et climatique, semblent bien décidés à exercer sur nous un pouvoir semblable à celui des prêtres des religions traditionnelles ? Ce qui, bien entendu, ne les empêche pas de se déplacer d’un pays à l’autre, ou d’un continent à l’autre, pour participer à de somptueux festins, alors qu’il y aurait une crise sanitaire ou une crise climatique. En cela ils sont les dignes successeurs de tous ces grands personnage de l’Église catholique qui se goinfraient tout en exigeant l’austérité des fidèles. Ceci dit, ne faisons pas l’erreur de réclamer l’application rigoureuse des pratiques austères aux grands prêtres des nouvelles religions. Car ce que nous devrions désirer, c’est l’abondance et la dissolution de ces nouvelles religions austères.