Propositions pour remédier à la fermeture des lits hospitaliers et à la pénurie de personnel

Alors qu’on parle de « l’explosion des cas » et de la « propagation fulgurante du virus », nous devons être reconnaissants envers les journalistes, notamment ceux de La Presse, qui ont leurs contacts au sein du ministère de la Santé et des Services sociaux et qui nous informent de ce que nous ne pourrions pas savoir autrement. Que ferions-nous s’ils n’étaient pas là ?

Ariane Lacourisière, dans son article « Nombre record de nouveaux cas – Plus de patients, moins de lits » (La Presse, 18 décembre 2021), nous informe de la situation dans le réseau de santé :

« Près de 2000 lits d’hospitalisation et de soins intensifs sont fermés, par manque de personnel. Et 345 autres le seront pendant les Fêtes. Tout cela au moment où la hausse fulgurante des cas de COVID-19 menace d’envoyer de nombreux Québécois à l’hôpital, dont des employés de la santé contaminés au travail ou dans la communauté. »

Je ne sais pas dans quelle mesure nous pouvons nous fier aux projections du gouvernement et des experts quant à l’augmentation prochaine des hospitalisations et l’effondrement du système de santé :

« Présidente de l’Association des médecins d’urgences du Québec, la Dre Judy Morris indiquait jeudi que, plus que tout, c’est l’impact du variant Omicron sur le personnel qu’elle redoute. Car chaque travailleur de la santé infecté doit être isolé au moins 10 jours. Avec un réseau « déjà saturé », penser que la pénurie de personnel s’accentuera est inquiétant, dit-elle.

Jeudi, l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) a publié ses projections de l’impact du variant Omicron au Québec. Avec ce que l’on sait du virus jusqu’à maintenant, une « augmentation marquée » des hospitalisations est à prévoir au cours des prochaines semaines, si bien que la capacité hospitalière prévue pour les patients atteints de la COVID-19 pourrait être atteinte dès le 8 janvier, prévoit l’INESSS. En tout, 700 lits sont réservés pour les patients atteints de la COVID-19 dans les hôpitaux du Québec. »

On nous a déjà annoncé à plusieurs reprises des débordements qui ne se sont pas produits – toutefois je ne nie pas que notre système de santé est régulièrement l’objet de fortes pressions –, si bien qu’il n’est pas raisonnable de conclure de la « hausse fulgurante » de cas une hausse tout aussi fulgurante d’hospitalisations. Toutefois, il est plausible qu’on assiste à une hausse plus ou moins marquée des hospitalisations, comme cela se produit souvent l’hiver, à cause des infections respiratoires virales, COVID-19 ou autres. Car cela n’a pas commencé avec le virus. Même si nous pouvons nous méfier de ce que disent les personnes même qui ont crié plusieurs fois au loup depuis l’arrivée du virus, c’est tout de même une bonne idée de nous demander ce qui pourrait être fait pour améliorer la situation. Ce serait déjà beaucoup que de rendre la vie un peu plus supportable aux professionnels de la santé, de les inciter à ne pas quitter le réseau public de santé, de désengorger les urgences, et d’éviter que le gouvernement ordonne encore une fois le délestage de certaines activités, ce qui allongerait encore les listes d’attente pour les chirurgies et les examens médicaux, avec les conséquences graves que cela a pour certains d’entre nous.

Revenons d’abord sur les 837 lits (et non 700, finalement) qu’on dit être réservés pour la COVID-19 dans toute la province. C’est bien peu compte tenu que 1866 et 1525 personnes ont été hospitalisées en même temps, pour la COVID-19 ou avec la COVID-19, au plus fort du premier et du deuxième épisodes épidémiques, et que, selon l’Institut de la statistique du Québec, la population québécoise est estimée à 8 604 495 en date du 29 septembre 2021. Ce qui fait seulement 1 lit pour 10 280 personnes. Donc, si plus d’une personne sur environ 10 000 est hospitalisée pour la COVID ou avec la COVID, les capacités hospitalières pour la COVID seraient dépassées. Si vous habitez dans une ville d’environ 100 000 habitants, il suffirait de dix personnes malades hospitalisées en même temps pour saturer les unités de soins dédiées à la COVID. C’est presque rien, surtout si notre gouvernement a raison quand il dit que cette maladie est beaucoup plus dangereuse que la grippe, et pas seulement pour les personnes âgées. Et c’est sans parler du fait que certaines régions ou sous-régions socio-sanitaires ont une capacité hospitalière moins élevée que la moyenne du Québec. Même avec des vaccins qui garderaient une efficacité élevée contre les nouveaux variants, même avec une couverture vaccinale très élevée (comme elle l’est déjà), même avec une forte adhésion aux mesures sanitaires (comme ça semble le cas chez la majorité de la population), ce nombre de lits pourrait s’avérer trop bas, et le délestage d’autres activités pour le rehausser, alors que ça craque déjà à plusieurs endroits et que les listes d’attente sont déjà longues, aurait assurément de mauvais effets sur la santé de la population.

Heureusement les cadres du MSSS ont réussi à faire comprendre au ministre Dubé que ce n’était pas une bonne idée, en raison de la pénurie de personnel, d’aggraver la situation en suspendant sans solde les professionnels de la santé non vaccinés. Car si on en croit les données fournies par le MSSS lui-même et diffusées par La Presse, plusieurs urgences dépassent largement leur taux d’occupation :

Il est donc important de nous demander ce que fait notre ministre de la Santé et des Services sociaux pour remédier à la situation et empêcher le débordement de la capacité hospitalière d’être atteinte et même largement dépassée, comme il dit le craindre lui-même. La réponse : continuer la vaccination des enfants de 5 à 11 ans qui ne sont presque jamais hospitalisés à cause de la COVID-19, dans l’espoir de ralentir la propagation du virus et l’infection des personnes âgées plus vulnérables ; injecter au plus vite leur dose de rappel à toutes les personnes âgées de 60 ans et plus ; et resserrer les mesures sanitaires pour ralentir la propagation du virus. C’est comme s’il fallait nous terrer chez nous, encore une fois, pendant que les vaccinateurs et les vaccinés continueraient à faire la course – perdue d’avance d’après ce qu’on dit de la vitesse de propagation du nouveau variant – contre le variant Delta et le variant Omicron qui aura tôt fait de le remplacer, d’après les experts.

Il est vrai que le ministre recrute aussi du personnel :

« En conférence de presse mardi, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a fait appel à la population pour recruter 500 vaccinateurs via la plateforme Je contribue ! Jeudi, plus de 1500 candidatures avaient été reçues. »

Mais ce n’est pas avec 1500 vaccinateurs de plus que la situation va s’améliorer dans les urgences déjà débordées et dans celles qui pourraient ne le sont pas encore mais qui pourraient le devenir. Car on peut être malade d’autre chose que de la COVID-19, n’en déplaise au ministre.

Et la journaliste ajoute, il est vrai :

« Ce dernier a indiqué qu’un programme de rétention et d’attraction de personnel était en cours. L’équivalent de plus de 2500 personnes ont déjà été engagées. Des employés à temps partiel ont accepté de travailler à temps plein. Du recrutement externe a été fait. »

Mais le ministre précise :

« Mais ce n’est pas assez. On en cherche plus de 4000 et si je prends les infirmières auxiliaires, c’est plus de 5000. On est loin de notre objectif. »

Raison pour laquelle un programme de formation avec bourses a été mis en place :

« Un programme de bourses pour les infirmières auxiliaires et les agents administratifs a été mis sur pied. Le programme de formation pour les infirmières auxiliaires sera de 14 mois plutôt que de 22. Plus de 5000 candidatures ont été reçues. « Il reste encore de la place », a dit M. Dubé. Plus de 2200 candidatures ont aussi été reçues pour des postes d’agent administratif, alors que 3000 candidats sont recherchés. »

Toutes mes félicitations au ministre qui, pour une fois, pense à long terme. Mais ce n’est pas dans 14 mois que le réseau de santé a besoin de ces infirmières auxiliaires, si on en croit les taux d’occupation de certaines urgences fournis par le MSSS et les projections annonçant une hausse marquée des hospitalisations au cours des semaines à venir et qui sont à l’origine du resserrement soudain des mesures sanitaires. Qu’on se décide : soit il y a urgence, et le ministre ne devrait pas nous proposer des solutions qui produiront leurs effets en 2024 ; soit il n’y a pas urgence, et alors le ministre devrait nous dispenser d’une autre période des Fêtes gâchées et d’un autre resserrement des mesures sanitaires.

De toute évidence, le ministre est à court d’idées. Raison pour laquelle je me permets bien humblement de lui faire quelques modestes propositions. Même si je ne suis pas un expert en la matière – tout comme le ministre et les journalistes, d’ailleurs –, je crois que le recul que j’ai vis-à-vis de la situation me permet d’envisager des possibilités difficilement envisageables par ses conseillers et lui.


Première proposition : réaffecter dans les hôpitaux le personnel présentement affecté à la vaccination

Ce n’est pas en vaccinant des enfants de 5 à 11 ans, qui ne sont presque jamais hospitalisés en lien avec la COVID-19, qu’on va diminuer la pression croissante qui sera exercée cet hiver sur réseau de santé. Compte tenu de la forte hausse des hospitalisations prévues au cours des prochaines semaines, il n’est pas non plus raisonnable de croire que les vaccins, à deux doses aussi pour les enfants, pourraient produire assez rapidement une réaction immunitaire suffisante chez une part assez importante d’entre eux pour réduire de manière significative la propagation du virus et l’infection des personnes âgées plus vulnérables qu’ils pourraient fréquenter. Par conséquent, le personnel employé à leur vaccination ne contribue nullement à atténuer la forte hausse d’hospitalisations que les autorités et les experts annoncent pour les prochaines semaines. Il devrait donc être réaffecté sur le champ dans les hôpitaux pour remédier au manque de personnel qui y sévit, désengorger les urgences qui en ont besoin, empêcher le délestage de certaines activités, peut-être même reprendre les retards et, au besoin, permettre l’ouverture de nouveaux lits pour les malades hospitalisés avec ou pour la COVID, le tout selon leurs compétences, puisque les vaccinateurs appartiennent à des corps de métiers très variés, d’après ce que j’ai vu. Je ne vois pas pourquoi ces personnes, qui se sont portées volontaires pour vacciner, hésiteraient à intervenir pour sauver le réseau de santé qu’on dit sur le point de s’effondrer, d’autant plus qu’elles sont adéquatement protégées et qu’on leur permettrait de conserver leurs primes COVID après leur réaffectation.

La même question peut se poser pour les personnes qui administrent les troisièmes doses au 60 ans et plus (et qui sont peut-être dans une certaine mesure les mêmes qui vaccinent les enfants de 5 à 11 ans). Alors que les projections publiées par l’INSPQ le 16 décembre annoncent, avec différents scénarios, une hausse marquée des hospitalisations en décembre 2020 et 2021, potentiellement aggravée par le variant Omicron, est-il raisonnable de continuer à employer des professionnels de la santé à une vaccination qui ne produit pas son effet immédiatement et dont les experts nous disent qu’elle n’est pas miraculeuse, tout en la recommandant. Comme s’ils disaient : pour l’instant, c’est mieux que rien, ça ne peut pas nuire, ça devrait aider à atténuer le problème, mais il faudra voir si ça fonctionne en observant ce qui se passe dans les pays qui sont plus avancés dans l’administration de la troisième dose, etc. Voilà qui n’inspire guère confiance.

C’est pourquoi je propose au ministre de la Santé de promulguer au plus vite un décret ordonnant la réaffectation immédiate des vaccinateurs aptes à travailler dans les hôpitaux. Cela pourrait faire la différence compte tenu qu’il y avait environ 1 800 personnes participant à la vaccination dans la seule région de Québec à la fin du mois de novembre 2021, et que 11 000 vaccinateurs auraient été recrutées pour l’ensemble du Québec en avril 2021. La vaccination n’est pas une fin en soi. Continuer à employer ce personnel à la vaccination, au lieu de l’envoyer en renfort dans le réseau hospitalier qui risque de s’effondrer, ce serait rater la cible. Et je pèse mes mots. Qu’on use du temps qu’il reste pour désengorger les urgences qui en ont besoin, rouvrir les lits qui sont fermés en raison d’une pénurie de personnel, préparer l’ouverture de nouveaux lits réservées pour les patients atteints de la COVID si ça s’avère nécessaire, et empêcher ou atténuer le délestage des activités médicales. Car la mission première du ministère de la Santé et des Services sociaux, ce n’est pas de vacciner, c’est plutôt de soigner. Ne l’oublions pas.

 

Deuxième proposition : réaffecter dans les hôpitaux le personnel présentement affecté au dépistage

Si l’INSPQ a raison de craindre une augmentation exponentielle des cas à cause de l’arrivée au Québec du variant Omicron, qu’on dit beaucoup plus contagieux, est-il raisonnable de croire qu’avec les ressources actuellement affectées au dépistage et au traçage des contacts, on parviendra à dépister assez rapidement toutes les personnes qui pourraient avoir été infectées. Et il ne serait pas responsable d’affecter de nouvelles ressources financières et humaines au dépistage, alors qu’on annonce une hausse marquée des hospitalisations, alors que réseau hospitalier craqueraient de partout alors que le personnel hospitalier est déjà surmené.

C’est pourquoi je propose au ministre de la Santé et des Services sociaux de décréter une nouvelle politique de dépistage, pour le restreindre aux seules personnes qui ont des symptômes assez forts ou assez caractéristiques pour laisser supposer avec quelque vraisemblance une infection par le virus, afin qu’elles puissent être soignées adéquatement dans l’éventualité d’un test positif. Toutes les autres personnes ne devraient pas avoir la possibilité de se faire dépister. Elles se rendent coupables d’engorger les centres de dépistage et, indirectement, sont responsables du détournement de ressources qui devraient être employées plus utilement, dans le contexte d’urgence actuel. Les personnes qui refuseraient de se conformer à cette nouvelle politique, et qui entraverait de quelque manière que ce soit le bon déroulement des opérations des centres de dépistage, devraient être passibles d’une amende de 1 500 $, comme les personnes qui refusent de porter un masque dans les lieux publics ou qui refusaient de respecter le couvre-feu quand il était en vigueur.

Le personnel ainsi libéré pourrait être réaffecté dans les urgences et dans les autres unités de soins, le tout afin de désengorger les urgences qui le sont, rouvrir les lits fermés, être disponibles s’il s’avère nécessaire de réserver des lits supplémentaires pour les patients atteints de la COVID-19 et ainsi empêcher ou atténuer le délestage d’autres activités.

Abandonnons donc l’idée utopique de suivre le virus dans ses moindres déplacements et de contrôler sa propagation. Il serait irresponsable de persister sur cette voie alors qu’Omicron, qui se propagerait plus vite que son ombre, est déjà parmi nous. Le but premier du système de santé, c’est de soigner, pas de dépister massivement la population.

 

Troisième proposition : ne pas dépister et isoler les professionnels de la santé adéquatement protégés quand ils n’ont pas de symptômes

L’une des raisons pour lesquelles le gouvernement a fortement insisté pour que tous les professionnels de la santé soit adéquatement vaccinés, et a même envisagé de leur imposer l’obligation vaccinale (qui a été troquée pour le dépistage récurrent préventif du personnel non vacciné), c’est de pouvoir éviter les ruptures de services de santé et réduire les chances d’infections des usagers du réseau de santé et des personnes hospitalisés. Maintenant que les professionnels de la santé bénéficient d’une couverture vaccinale très élevée, on peut se demander pourquoi on semble refuser d’en tirer profit, si on en juge d’après ce que déclare le Dr Quac Dinh Nguyen, gériatre et épidémiologiste au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), dans l’article d’Ariane Lacoursière :

« Il y a encore beaucoup d’incertitude avec le variant Omicron. Mais si beaucoup de travailleurs de la santé contractent le virus et doivent s’isoler, la pénurie de personnel pourrait augmenter. C’est inquiétant. »

Le fait de persister à exiger l’isolement des travailleurs de la santé même quand ils sont adéquatement protégés et même quand ils n’ont pas de symptômes ne revient-il pas à dire, à mots couverts, que la vaccination de ces travailleurs n’a servi pratiquement à rien, en ce qu’elle ne bénéficie pas de manière notable au maintien des activités hospitalières pendant un épisode épidémique ? Cela ne revient-il pas reconnaître tacitement l’inefficacité des vaccins ?

Il est vrai que les vaccins n’empêchent pas la propagation du virus, mais qu’il la réduit seulement, nous dit-on. C’est qu’en ceci comme en toutes choses, il n’y a pas de protection parfaite et de risque zéro. Puis il y a les procédures d’utilisation du matériel de protection et d’asepsie en vigueur dans les hôpitaux, auxquelles les professionnels de la santé sont formés et qui ont fait leur preuve lors des épisodes épidémiques antérieurs. Il est par conséquent temps que nous apprenions à vivre avec le virus, y compris dans les hôpitaux.

C’est pourquoi je propose que les travailleurs de la santé adéquatement protégés ne soient pas contraints de s’isoler même s’ils reçoivent un résultat positif à un test de dépistage alors qu’ils ne sont pas symptomatiques, qu’on ne les dépiste pas sans avoir une bonne raison (des symptômes caractéristiques, par exemple) et qu’ils puissent donc continuer à travailler afin d’éviter le débordement du système de santé pendant cet hiver qui s’annonce dur. De telles mesures servant à assurer la continuité des services devraient être appliquées dans les hôpitaux, dans les CHSLD et dans les résidences de personnes âgées, dans le but d’éviter, dans ces établissements, une situation analogue à celle qui s’est produite au printemps 2020, et qui est peut-être responsable en partie de la mortalité accrue observée à ce moment. Car à quoi aurait servi la vaccination de presque tous les travailleurs de la santé si c’est pour en revenir à ce point ? S’il est vrai qu’un risque demeure, ce risque est raisonnable et vaut mieux que les risques plus grands qui résulteraient de la fermeture de nombreux lits et d’une dégradation des soins dispensés, causées par l’isolement forcé de travailleurs de la santé adéquatement protégées et sans symptômes.


Merci de faire circuler ces propositions, qui devraient être discutées et envisagées sérieusement par nos décideurs. Le temps presse, car notre gouvernement pourrait, par sa tendance à appliquer la même recette, contribuer au débordement et même à l’effondrement de notre système de santé (si du moins les projections qu’on fait pour le début de l’hiver s’avèrent fondées), ainsi qu’à un nouveau confinement socialement et économiquement destructeur visant à sauver ce système coûte que coûte.