Projet de loi modifiant la manière de renouveler l’état d’urgence sanitaire

Même si nous avons raison de surveiller de près le gouvernement fédéral et les mesures d’urgence auxquelles il a recours pour écraser le Freedom Convoy et punir les organisateurs et les participants, il est important de continuer à suivre ce qui se passe à l’Assemblée nationale du Québec. En effet, beaucoup des restrictions qu’on nous a imposées et qu’on pourrait nous imposer dépendent du gouvernement provincial. C’est pourquoi il faut aussi continuer à lutter contre l’autoritarisme de ce gouvernement.

Claire Samson, députée conservatrice de la circonscription d’Iberville, a déposé en octobre 2021 un projet de loi visant à empêcher le gouvernement de renouveler à volonté l’état d’urgence sanitaire, sauf si l’Assemblée nationale décide d’y mettre fin, ce qui s’avère à peu près impossible quand le parti gouvernemental détient la majorité des sièges, comme c’est actuellement le cas. Le débat sur le projet de loi n° 898 a commencé le 9 février 2022, puis a été ajourné. Puisque ce projet de loi est assez court et propose d’apporter seulement quelques changements à la Loi sur la santé publique, examinons-les pour voir dans quelle mesure ils pourraient empêcher le gouvernement provincial de s’attribuer à lui-même des pouvoirs extraordinaires de manière durable.


Article 119 actuellement :

« L’état d’urgence sanitaire déclaré par le gouvernement vaut pour une période maximale de 10 jours à l’expiration de laquelle il peut être renouvelé pour d’autres périodes maximales de 10 jours ou, avec l’assentiment de l’Assemblée nationale, pour des périodes maximales de 30 jours.

Si le gouvernement ne peut se réunir en temps utile, le ministre peut déclarer l’état d’urgence sanitaire pour une période maximale de 48 heures. »

Article 119 après modification :

« L’état d’urgence sanitaire déclaré par le gouvernement vaut pour une période maximale de 10 jours à l’expiration de laquelle il ne peut être renouvelé que par résolution de l’Assemblée nationale approuvée par au moins les deux tiers de ses membres, et ce, pour des périodes maximales de 30 jours.

Si le gouvernement ne peut se réunir en temps utile, le ministre peut déclarer l’état d’urgence sanitaire pour une période maximale de 48 heures. »

Ce qui revient à dire que le gouvernement qui déclarerait l’état d’urgence sanitaire pourrait imposer des restrictions aux Québécois seulement pendant 10 jours sans avoir à se justifier devant l’Assemblée nationale, et pendant seulement 30 jours si l’état d’urgence sanitaire est prolongé par celle-ci. De fait, cela ne limite pas seulement la durée des pouvoirs d’exception qu’il peut se conférer à lui-même, mais aussi leur étendue, puisque certaines restrictions demandent du temps pour pouvoir être mises en place (par exemple l’obligation vaccinale directe ou indirecte), puisque le fait de dépendre de l’Assemblée nationale pour renouveler l’état d’urgence sanitaire et mettre en place ou maintenir les mesures sanitaires dissuaderait le gouvernement de multiplier les mesures ou d’en adopter qui sont très draconiennes. Mais pour que ce changement produise ses effets, il est nécessaire que le renouvellement de l’état d’urgence soit approuvé par au moins deux tiers. Si la CAQ, qui est majoritaire à l’Assemblée nationale et prévoit remporter les prochaines élections, ne s’oppose pas simplement à ce projet de loi, je suppose qu’elle essaiera de l’amender pour qu’il suffise d’obtenir la majorité simple pour renouveler l’état d’urgence sanitaire. Cela implique aussi que les partis d’opposition refusent de se rallier au gouvernement, comme ils l’ont fait trop longtemps. Espérons que ce projet de loi, s’il est adopté, introduira une autre dynamique, et que les partis d’opposition n’utiliseront pas leur nouveau pouvoir pour faire de la surenchère sanitaire et obtenir du gouvernement l’adoption de restrictions encore plus draconiennes en échange du prolongement de l’état d’urgence sanitaire.


Article 122 après modification :

« L’Assemblée nationale peut, conformément à ses règles de procédure, désavouer par un vote la déclaration d’état d’urgence sanitaire et tout renouvellement.

Le désaveu prend effet le jour de l’adoption de la motion.

Le secrétaire général de l’Assemblée nationale doit promptement publier et diffuser un avis du désaveu avec les meilleurs moyens disponibles pour informer rapidement et efficacement la population concernée. Il doit, de plus, faire publier l’avis à la Gazette officielle du Québec. »

Si je comprends bien, l’Assemblée nationale se garderait la possibilité de mettre fin à l’état d’urgence sanitaire avant que les dix jours suivant sa déclaration par le gouvernement soient écoulés. Ça me semble une bonne précaution, pour étouffer dans l’œuf un autre épisode de délire sanitaire. La majorité simple semble ici suffire. Il aurait été incohérent de rendre plus difficile la révocation de l’état d’urgence alors qu’en modifiant l’article 119 on veut rendre plus difficile sa prolongation, et qu’il est si facile, pour le parti au pouvoir, de détenir la majorité des sièges.

Il est logique, compte tenu qu’il s’agit ici de désavouer l’état d’urgence, d’exclure son renouvellement qui doit être fait par l’Assemblée nationale, laquelle pourrait difficilement désavouer ce qu’elle a décidé elle-même de faire. Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne se garde pas la possibilité d’y mettre fin plus tôt que prévu, s’il n’est plus jugé nécessaire, comme on le verra dans l’article 128.


Article 128 actuellement :

« Le gouvernement peut mettre fin à l’état d’urgence sanitaire dès qu’il estime que celui-ci n’est plus nécessaire.

Un avis doit être publié et diffusé avec les meilleurs moyens disponibles pour informer rapidement et efficacement la population concernée.

La décision doit, de plus, être publiée à la Gazette officielle du Québec. »

Article 128 après modification :

« Le gouvernement ou l’Assemblée nationale peut mettre fin à l’état d’urgence sanitaire dès qu’il est estimé que celui-ci n’est plus nécessaire.

Un avis doit être publié et diffusé avec les meilleurs moyens disponibles pour informer rapidement et efficacement la population concernée.

La décision ou la résolution doit, de plus, être publiée à la Gazette officielle du Québec. »

L’Assemblée aurait donc aussi la possibilité de mettre fin à l’état d’urgence même si c’est elle qui a décidé de le prolonger. C’est une bonne idée puisque c’est le gouvernement qui continue à disposer de pouvoirs considérables, qu’il peut arriver qu’il induise en erreur ou trompe l’Assemblée en lui fournissant de renseignements incomplets ou erronés, et qu’il peut être nécessaire de lui mettre des bâtons dans les roues rapidement, et pas après 30 jours, s’il abuse de ses pouvoirs exceptionnels, ou si la situation s’avère moins critique qu’il ne le dit.

La majorité simple suffit dans ce cas-ci, pour les mêmes raisons que dans le cas de l’article 122.


L’article 4 du projet de loi tient compte du fait qu’il pourrait être adopté alors que l’état d’urgence sanitaire serait toujours en vigueur au Québec :

« Les dispositions de la Loi sur la santé publique (chapitre S-2.2), telles que modifiées par la présente loi, s’appliquent à toute déclaration d’état d’urgence sanitaire ou à tout renouvellement en vigueur le (indiquer ici la date de la sanction de la présente loi). L’état d’urgence sanitaire alors en vigueur est réputé avoir été déclaré ou renouvelé le (indiquer ici la date de la sanction de la présente loi), et ce, pour une période de 10 jours. »

Ce qui veut dire que ce projet de loi, s’il était adopté, donnerait à l’Assemblée nationale la possibilité de mettre fin à l’état d’urgence déjà en vigueur après 10 jours. Encore une fois, c’est une bonne idée. Espérons seulement qu’on ne fera pas traîner en longueur l’adoption de ce projet de loi, pour qu’il ne soit pas adopté avant la fin des travaux parlementaires en juin, ce qui permettrait au gouvernement actuel de continuer à bénéficier pendant tout l’été des pouvoirs exceptionnels qu’il s’est accordé à lui-même en mars 2020, jusqu’à ce qu’il déclenche les élections prévues à l’automne 2022.


Je trouve que c’est une bonne idée, pour augmenter les chances que ce projet de loi soit adopté, de ne pas avoir cherché à y réduire les pouvoirs du gouvernement. Toutefois, je pense qu’il faudrait le faire dans un autre projet de loi, qui pourrait être présenté un peu plus tard, devant modifier l’article 123, qui porte sur les pouvoirs exceptionnels donnés au gouvernement :

« Au cours de l’état d’urgence sanitaire, malgré toute disposition contraire, le gouvernement ou le ministre, s’il a été habilité, peut, sans délai et sans formalité, pour protéger la santé de la population:

1° ordonner la vaccination obligatoire de toute la population ou d’une certaine partie de celle-ci contre la variole ou contre une autre maladie contagieuse menaçant gravement la santé de la population et, s’il y a lieu, dresser une liste de personnes ou de groupes devant être prioritairement vaccinés;

2° ordonner la fermeture des établissements d’enseignement ou de tout autre lieu de rassemblement;

3° ordonner à toute personne, ministère ou organisme de lui communiquer ou de lui donner accès immédiatement à tout document ou à tout renseignement en sa possession, même s’il s’agit d’un renseignement personnel, d’un document ou d’un renseignement confidentiel;

4° interdire l’accès à tout ou partie du territoire concerné ou n’en permettre l’accès qu’à certaines personnes et qu’à certaines conditions, ou ordonner, lorsqu’il n’y a pas d’autre moyen de protection, pour le temps nécessaire, l’évacuation des personnes de tout ou partie du territoire ou leur confinement et veiller, si les personnes touchées n’ont pas d’autres ressources, à leur hébergement, leur ravitaillement et leur habillement ainsi qu’à leur sécurité;

5° ordonner la construction de tout ouvrage ou la mise en place d’installations à des fins sanitaires ou de dispensation de services de santé et de services sociaux;

6° requérir l’aide de tout ministère ou organisme en mesure d’assister les effectifs déployés;

7° faire les dépenses et conclure les contrats qu’il juge nécessaires;

8° ordonner toute autre mesure nécessaire pour protéger la santé de la population.

Le gouvernement, le ministre ou toute autre personne ne peut être poursuivi en justice pour un acte accompli de bonne foi dans l’exercice ou l’exécution de ces pouvoirs. »

À mon avis, il faudrait minimalement enlever les points 1, 2, 4 et 8. Et il faudrait aussi priver les détenteurs de ces pouvoirs de l’immunité judiciaire, c’est-à-dire de l’impunité, pour toute mauvaise décision dont on ne pourrait pas montrer qu’elle n’a pas été prise de bonne foi. Même avec des pouvoirs plus restreints, l’état d’urgence sanitaire pourrait engendrer des dépenses considérables pour l’État. Les personnes qui disposent de ces pouvoirs devraient pouvoir être tenus responsables de leurs actions et, au besoin, être punis. Que la perversité ou le manque de jugement soit à l’origine des actions qu’on leur reproche, cela ne change rien à mes yeux. Quand on détient de tels pouvoirs, on a le devoir d’agir avec intelligence. Ceux qui ont des doutes sur leurs capacités intellectuelles et craignent les poursuites devraient s’abstenir de déclarer l’état d’urgence sanitaire ou donner leur démission, pour laisser la place à d’autres.