Pro-canadien et non pro-russe

Par les temps qui courent, il en faut bien peu pour se faire accuser d’être pro-russe par les dirigeants politiques, par les journalistes et par les experts généreusement financés pour lutter contre la mésinformation et la désinformation, c’est-à-dire contre tout ce qui n’est pas conforme à ce qu’on veut faire passer, à tel moment, pour la vérité.

Même si je comprends les raisons qui ont poussé l’armée russe à intervenir en Russie ; même si je considère que les gouvernements ukrainiens, américains et occidentaux ont saboté les négociations avec la Russie et les Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk et sont donc en grande partie responsables de la guerre en Ukraine ; même si je suis content que l’armée russe élimine les combattants néo-nazis qui, depuis 2014, bombardent les civils russophones de l’Est de l’Ukraine, terrorisent la population des territoires qu’ils contrôlent et torturent leurs prisonniers ; même si je pense que les gouvernements occidentaux ne devraient pas financer, armer et entraîner l’armée ukrainienne, et envoyer ouvertement ou subrepticement des militaires en Ukraine ; même si je me dis que c’est tant mieux si les pays occidentaux ne peuvent pas rivaliser avec la Russie quant à la production d’armement, qui pourrait être envoyé en plus grande quantité en Ukraine ou être utilisé directement contre la Russie si l’industrie militaire occidentale se portait mieux ; même si je me réjouis de voir l’économie russe résister si bien aux sanctions économiques occidentales ; même si je considère que l’influence grandissante de la Russie sur la scène internationale est une bonne chose ; même si j’aime beaucoup la littérature et la musique russe et rêvasse à l’idée de faire un jour un voyage en Russie ; malgré toutes ses raisons, dis-je, je ne considère pas que je suis pro-russe.

Il y a d’ailleurs plusieurs choses que je n’aime pas à propos de ce que je crois connaître de la Russie et des Russes : le fait qu’on puisse avoir des ennuis avec la justice si on heurte les sentiments religieux des croyants, par exemple en discutant sur internet ; le fait que les rôles sexuels traditionnels sont assez marqués ou typés ; le fait qu’un certain conservatisme religieux et moral est assez répandu ; le fait qu’on y valorise fortement la famille ; le fait qu’on a imposé un confinement assez dur aux Russes et qu’on y a implanté le passeport vaccinal, au moins dans certaines villes et dans certaines régions ; et le fait que le gouvernement y prépare l’implantation d’une monnaie numérique de banque centrale, qui pourrait servir à surveiller et à contrôler les transactions des citoyens russes, ainsi que ce qui dépend de ces transactions.

En fait, je considère que je suis pro-canadien, et non pro-russe. Cela ne veut pas dire que j’adhère aveuglément à la politique étrangère et intérieure canadienne. Je peux très bien me soucier des intérêts du Canada et des Canadiens même si je m’oppose à de nombreux aspects de la politique canadienne. Ou pour mieux dire : je m’oppose à ces orientations politiques précisément parce que je trouve qu’elles sont incompatibles avec les intérêts du Canada et des Canadiens, qui me tiennent à cœur.

Je trouve mauvais que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux deviennent de plus en plus autoritaires et promeuvent et imposent l’idéologie sanitaire, l’idéologie climatique et l’idéologie militariste, et qu’ils demandent aux Canadiens d’en accepter avec résignation les conséquences. Je trouve mauvais qu’on puisse se faire accuser publiquement d’être misogyne, raciste, extrémiste, antisémite, islamophobe, transphobe, complotiste et pro-russe, simplement parce qu’on ose s’opposer publiquement à ce qui a été déclaré péremptoirement vrai et bon par nos chefs politiques, par les experts qui sont à leur service et par les grands médias qu’ils financent. Je trouve mauvais que les écoles primaires et secondaires, les collèges et les universités deviennent de plus en plus des centres de dressage et de corruption des cerveaux et des usines idéologiques. Je trouve mauvais que la gauche canadienne, ou ce qui passe pour telle, ne semble exister que pour appuyer les orientations politiques nuisibles adoptées par nos gouvernements, pour réclamer qu’ils en fassent encore plus, et pour s’opposer aux mouvements d’opposition à ces orientations politiques. Je trouve mauvais que l’opposition citoyenne soit souvent caractérisée par de fortes tendances conservatrices quant à la morale et à la religion, lesquelles sont souvent incompatibles avec la liberté que cette opposition est censée défendre. Enfin, je trouve mauvais que le gouvernement fédéral, avec le soutien de presque toute la classe politique canadienne, s’aligne sur la politique étrangère et militaire américaine et adopte la ligne dure vis-à-vis de la Russie ; impose ou appuie des sanctions économiques contre la Russie qui nuisent en fait à l’économie du Canada et des autres pays occidentaux, qui les isolent économiquement et qui appauvrissent les citoyens occidentaux ; ternit la réputation du Canada à l’étranger, et nous y fait même passer pour des salopards, en y fomentant la guerre et l’instabilité politique et en y soutenant des groupes de violents extrémistes et des gouvernements dictatoriaux, par exemple en Ukraine, et en s’opposant aux négociations avec la Russie dans le but de conclure un accord de paix et de mettre fin au massacre des conscrits ukrainiens et aux souffrances de la population ukrainienne ; et est peut-être en train de nous entraîner dans un conflit militaire direct contre la Russie, ce à quoi le Canada et les Canadiens n’ont évidemment rien à gagner.

Bref, ne pas faire preuve d’intransigeance à l’égard de la Russie et du gouvernement russe, comprendre qu’il est dans notre intérêt de prendre en considération les intérêts nationaux de la Russie, exhorter nos autorités à modérer leur humeur belliqueuse et à chercher une solution diplomatique à la guerre en Ukraine ou à ne pas entraver de tels efforts, et résister aux mesures de guerre utilisées pour mobiliser la population canadienne et étouffer l’opposition à la guerre, ce n’est pas trahir les intérêts du Canada et des Canadiens, mais c’est au contraire essayer de défendre ces intérêts, et aussi ceux de nos alliés européens. C’est plutôt le contraire qui est anti-canadien et anti-occidental.