Une preuve de vaccination pour louer un logement

Depuis que la campagne de vaccination massive a commencé, je me suis dit qu’une mesure prétendument sanitaire aussi sordide allait finir par voir le jour. Seulement, je me suis abstenu d’en parler, pour ne pas donner de mauvaises idées aux compagnies de gestion immobilière qui pourraient vouloir faire du zèle sanitaire. Mais voilà, c’est finalement arrivé : une compagnie albertaine se propose maintenant d’exiger une preuve de vaccination de ses nouveaux locataires. Alors aussi bien en parler, d’autant plus qu’on cherche à établir un précédent et que la nouvelle circule déjà dans les médias anglophones :

« An Alberta-based rental housing provider says it hopes to set a precedent with its decision to require proof of COVID-19 vaccination from new tenants.

Strategic Group -- which owns more than 1,500 one and two-bedroom suites in rental apartment buildings in Edmonton and Calgary -- says it believes it is the first major landlord in Canada to implement a vaccine requirement for new tenants.

"We're proud of it. Very proud of it. And we'd like to see other landlords implement the same policy," said chief operating officer Tracey Steman. "It will help to end this pandemic." »

(« Apartment building owner hopes to set precedent with vaccine requirement », CP24, 22 novembre 2021.)

N’en déplaise à cette madame toute contente d’elle-même parce qu’elle croit faire sa part pour vaincre le méchant virus, je n’arrive pas à voir comment le fait de refuser de louer un logement aux personnes non vaccinées pourrait contribuer à mettre fin à la pandémie. Les journalistes, qui aiment mettre les non-vaccinés au pilori, n’ont pourtant pas, à ma connaissance, rapporté d’éclosion dans un immeuble à logements qui serait due à une personne non vaccinée. Ils n’en ont pas non plus parlé avant l’arrivée des vaccins, quand ils militaient pour l’adoption et l’extension de toutes sortes d’obligations et d’interdictions. Ou si c’est arrivé, c’était somme toute marginal, par opposition aux « éclosions » qui ont eu lieu dans les bars, les gyms, les milieux de travail et les écoles. S’ils commençaient à en parler seulement quand se met à circuler l’idée de demander une preuve de vaccination pour louer un appartement, cela serait fort suspect.

Même en adoptant le point de vue des personnes qui croient à l’efficacité des mesures sanitaires et des vaccins, l’obligation vaccinale pour les nouveaux locataires ne marche pas et est même absurde.

Il faut bien habiter quelque part, qu’on soit vacciné ou non. Ça fait partie des besoins essentiels, surtout compte tenu du climat canadien. Si les personnes non vaccinées auxquelles on refuse un logement n’ont pas encore annoncé leur départ au propriétaire du logement qu’elles occupent, elles peuvent prolonger leur bail, puisque ça ne concerne pour l’instant que les nouveaux locataires. Si par contre elles ont déjà annoncé leur départ, elles poursuivront leurs recherches jusqu’à ce qu’on ne leur demande pas de preuve de vaccination. Ça pourrait prendre du temps, mais elles n’ont pas le choix. Ce qui veut dire que dans les deux cas elles auraient autant de chances de contracter le virus et d’infecter les autres locataires de l’immeuble où elles résident.

Mettons que la majorité des compagnies immobilières suivent l’exemple de Strategic Group. Cela aurait pour effet d’obliger les personnes non vaccinées à louer un logement dans les immeubles restants, où l’on n’exigerait pas d’eux une preuve de vaccination pour signer un bail de location. On créerait donc artificiellement des « poches de personnes non vaccinées », c’est-à-dire des lieux où la couverture vaccinale serait plus faible, ce que disent craindre les autorités politiques et sanitaires. La situation pourrait être aggravée par le fait que des locataires vaccinés, ne se sentant plus en sécurité malgré la confiance qu’ils disent avoir en l’efficacité des vaccins pour les empêcher de développer des formes graves de COVID-19, pourraient décider de déménager dans des immeubles où il y a seulement des locataires vaccinés.

Imaginons maintenant que les compagnies immobilières exigent presque toutes une preuve vaccinale de leurs nouveaux locataires. Plusieurs personnes vaccinées seraient obligées d’aller vivre dans la maison ou l’appartement de parents ou d’amis qui, souvent, ne seraient pas vaccinés eux non plus, quitte à louer ou à sous-louer une chambre, à habiter dans le sous-sol ou à dormir sur le sofa. Puis il y a la possibilité qu’une telle exigence développe un fort sentiment de solidarité entre personnes non vaccinées, celles d’entre elles ayant une maison ou un appartement assez grand pouvant décider d’héberger des personnes non vaccinées gratuitement ou en partageant les frais avec elles. Enfin, il se peut que des personnes vaccinées ne trouvent nulle part où habiter et deviennent des sans-abris, ce qui les obligerait à fréquenter les refuges – si on ne leur en interdit pas l’accès –, où la promiscuité est plus grande que dans les immeubles à logement et où la concentration de personnes non vaccinées y augmenterait en raison de cette exigence imposée par les compagnies immobilières. Ce qui reviendrait à créer artificiellement des personnes qu’on dit plus vulnérables.

Disons la chose franchement : si les propriétaires d’immeubles à logements se mettent malgré tout à exiger de leurs nouveaux locataires (et ensuite de leurs locataires actuels) une preuve de vaccination, si les autorités politiques et sanitaires appuient cette initiative et cette privatisation de la santé publique, si les journalistes l’exigent même en poussant des grands cris indignés (comment peut-on oser louer un logement sans être vacciné ou louer un logement à un non-vacciné !), et si nos concitoyens trouvent pour la plupart que c’est bien fait pour les non-vaccinés, il faut alors reconnaître que ce qui motive ces actions ne sont pas tant un véritable souci de la situation sanitaire, qu’un désir de punir et d’ostraciser les non-vaccinés et de les contraindre à obéir comme tout le monde et à se faire enfin administrer le vaccin.

À propos de la légalité de cette prise en charge de la santé publique et de l’imposition vaccinale par des compagnies immobilières, voici ce que rapportent la journaliste de la Canadian Press :

« While the legality of tying housing to someone's vaccination status remains somewhat open to interpretation, experts say it is likely similar to the workplace issue. New rental agreements are covered by human rights legislation, which says that landlords cannot discriminate on prohibited grounds such as race, gender, sexual orientation, religion or disability. »

Ce qui revient à dire que l’on peut discriminer des personnes pour d’autres motifs que ceux interdits dans nos chartes des droits et libertés en vigueur au Canada et dans ses provinces, comme la race, l’orientation sexuelle, etc. Je ne nie pas le fait : c’est à ma connaissance ce qui est écrit, par exemple dans la charte québécoise, qui interdit la discrimination seulement pour ces motifs. Il y aurait donc des motifs pour lesquels la discrimination devrait non seulement être tolérée, mais serait même souhaitable, par exemple le statut vaccinal. Autrement dit, on aurait affaire à une bonne sorte de discrimination quand il s’agit de priver de leur emploi ou d’un nouveau logement des personnes non vaccinées.

« That means, said Jennifer Koshan, a professor in the Faculty of Law at the University of Calgary, that a prospective tenant trying to challenge a landlord's proof of vaccination requirement would have to somehow prove that they had been discriminated against on one of those prohibited grounds. »

"What the case law is showing us so far is (when it comes to vaccine mandates) those arguments are pretty hard to make," Koshan said.

"I'm not aware yet of any cases in the tenancy situation, but there have certainly been some cases in the employment situation, and so far I'm not aware of any cases where arguments on the grounds of disability or religion have been upheld." »

À première vue, ça semble dans l’ordre des choses. Le candidat à la location d’un logement étant celui qui poursuivrait le propriétaire du logement, ce serait lui qui aurait le fardeau de la preuve en vertu du principe de la présomption d’innocence. Seulement, certains faits sont notoires et il n’est pas nécessaire d’en faire la preuve à moins que le propriétaire les nie : ce dernier refuse de signer un bail de location avec une personne parce qu’elle n’est pas vaccinée, ce qui revient à la priver d’un droit généralement considéré comme fondamental, à savoir le droit au logement. La personne non vaccinée ne pouvant être privée de ce droit sans une raison légitime, ce serait donc le propriétaire qui devrait prouver que son statut vaccinal est une bonne raison, et que les maux évités et les bénéfices escomptés pour lui-même, les autres locataires, et la société (y compris les non-vaccinés) dans son ensemble (on cherche à établir un précédent) compenseraient les préjudices subis par la personne non vaccinée. Ce serait la même chose si un épicier refusait, de sa propre initiative, de vendre de la nourriture à des personnes non vaccinées. C’est lui qui devrait prouver qu’il est légitime de priver les personnes non vaccinées du droit d’acheter de la nourriture dans un commerce de leur choix. Dans les deux cas, le fait de dire qu’elles n’ont qu’à aller ailleurs pour louer un logement ou acheter de la nourriture ne tient pas la route. Car si le juge rendait un verdict favorable au propriétaire ou à l’épicier, en invoquant entre autres ce principe, il établirait un précédent et de grandes sociétés immobilières et de grandes chaînes de supermarchés pourraient l’invoquer pour en faire autant. Et ce n’est pas l’objet du litige de savoir si, oui ou non, les personnes vaccinées pourraient louer un logement ailleurs et acheter de la nourriture ailleurs. Il s’agit de savoir si le propriétaire ou l’épicier a de bonnes raisons de traiter ainsi les personnes vaccinées et de les priver de leurs droits. En invoquant de telles raisons, on pourrait même justifier ou excuser les formes de discrimination qui sont explicitement interdites, par exemple pour la race. On pourrait dire à un Noir à qui on ne voudrait pas louer un logement ou vendre de la nourriture qu’il peut aller louer un logement ou acheter de la nourriture ailleurs, ou qu’il y a des immeubles à logements et des épiceries spécialement pour les Noirs.

« Benjamin Ries, a supervising lawyer with the University of Toronto's Downtown Legal Services program who specializes in housing law, said that while exemptions must be made for those who can't be vaccinated for medical reasons, there is no general prohibition anywhere in Ontario law that would prevent a landlord from asking for vaccine status. »

Sans doute n’existe-t-il pas de loi, en Ontario, en Alberta, au Québec ou ailleurs au Canada qui interdit explicitement le propriétaire d’un logement de s’enquérir du statut vaccinal d’un locataire potentiel, ni de celui d’un locataire actuel, car ce n’est peut-être que le premier pas. Comme si on pouvait imaginer une pareille folie avant l’épisode de délire collectif dans lequel nous sommes entrés et duquel nous peinons à sortir ! En raisonnant de cette manière, le propriétaire d’un logement aurait le droit, sous prétexte qu’il n’y a pas de loi qui le lui interdit, d’interdire à son locataire de boire de l’alcool et de vérifier s’il pratique la sobriété la plus stricte avant de lui louer un appartement, sous prétexte qu’il pourrait faire du tapage, car mieux vaudrait prévenir que guérir. Ou encore il pourrait s’informer du statut conjugal de ses locataires, en refusant les hommes célibataires qui, à ses yeux, sont tous des malpropres qui vont abîmer ses logements. Ou encore il pourrait refuser les couples qui ont des enfants, sous prétexte que ces derniers vont déranger les voisins.

Je rappelle aussi que le statut vaccinal est un renseignement médical confidentiel, et qu’en cela il ne devrait pas être permis aux sociétés immobilières, comme aux employeurs et aux commerçants de s’en enquérir.

« He pointed out that landlords already have the ability to impose other types of rules and restrictions on tenants, for the common good.

"I would think this would be treated in much the same way as issues like smoking or pets," Ries said. »

Cet avocat a décidément une haute estime des sociétés immobilières. Comme si c’était leur affaire de se soucier du bien commun ! Comme si les règlements et les restrictions n’avaient pas plutôt pour but, quand ils sont pertinents, de rendre l’existence supportable dans les logements parfois minables et mal insonorisés qu’ils louent à grands frais ; et, quand ils ne sont pas pertinents, de surveiller et de contrôler la vie de leurs locataires.

Quelques mots sur la comparaison avec le « tabagisme » et les animaux de compagnie. Pendant des décennies et même des siècles, les propriétaires de logement ne se sont pas souciés le moins du monde du fait que leurs locataires fument. Ce n’est qu’au tournant du XXIe siècle, dans le contexte de ce qu’on appelle la « lutte contre le tabagisme », que les propriétaires ont commencé à exiger des locataires non-fumeurs ou à les obliger à fumer sur le balcon de leur appartement, pour ne pas incommoder les voisins au nez sensible quand ils passent dans le couloir, par exemple, ou les futurs locataires du même logement. L’obligation vaccinale pour les locataires est en fait une radicalisation de cette ingérence morale et de ce zèle hygiénique.

Puis faire des règlements sur une cigarette qu’on peut fumer à l’extérieur ou sur un animal de compagnie qu’on peut donner ou vendre, c’est une chose, et exiger une procédure médicale irréversible qui censée être l’objet d’un consentement libre et éclairé, c’en est une autre, surtout compte tenu qu’on ignore les effets secondaires des vaccins à moyen terme et à long terme. Une telle comparaison est donc inadéquate, pour ne pas dire d’une mauvaise foi crasse.


Malgré tous les arguments qu’on peut développer contre l’obligation ou la coercition vaccinale imposées par nos gouvernements ou par des entreprises privées, malgré le fait que ces pratiques nous briment dans ce qui est reconnu comme des droits fondamentaux par nos chartes des droits et libertés, les juges rendent presque toujours un verdict défavorable aux personnes non vaccinées, soit qu’ils n’ont que faire de nos droits et nous considèrent comme des citoyens de deuxième ou de troisième ordre ou comme des sous-hommes, soit qu’ils craignent de s’attirer les foudres des autorités politiques et sanitaires, des journalistes et des experts de plateau. Je ne vois pas pourquoi ça se passerait autrement si l’obligation vaccinale imposée par les sociétés immobilières était contestée devant les tribunaux. Les magistrats qui jugent que, compte tenu de l’urgence sanitaire, il est légitime et proportionné de priver des personnes non vaccinées de leurs moyens de subsistance alors que l’inflation sévit, n’hésiteraient probablement pas à en faire autant quand il s’agirait de nous empêcher de louer un nouveau logement et peut-être même de nous expulser du logement que nous occupons, à moins qu’un juge intègre en vienne enfin à se manifester. Je le souhaite, sans croire que cela arrivera. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas poursuivre en justice les sociétés immobilières qui exigeraient des preuves de vaccination pour louer des logements. Si on ne rencontre pas la moindre résistance, on ira toujours plus vite et toujours plus loin, jusqu’à ce que nous soyons littéralement excommuniés.

Ce serait une bonne idée d’avoir recours à la ruse pour augmenter les chances que des juges rendent un verdict en faveur des personnes vaccinées. S’il est vrai que rien dans nos lois n’empêche explicitement les employeurs et les propriétaires de logements d’exiger une preuve de vaccination de leurs employés et de leurs locataires dans le but de suspendre ou de renvoyer les premiers, et pour refuser de louer des logements aux seconds ou les expulser, il en résulte que les employeurs et les propriétaires de logements pourraient demander une preuve de vaccination pour réserver le même traitement aux personnes vaccinées. Rien dans la loi ne les en empêche. Ils pourraient donner toutes sortes de raisons pour justifier cette exigence : les employés vaccinés, en raison des effets secondaires des vaccins à moyen et à long terme, pourraient représenter un moins bon investissement pour les employeurs, alors que les locataires vaccinés, toujours en raison des effets secondaires qu’on peut craindre, pourraient se retrouver plus souvent incapables de travailler et de payer leur loyer, dans un contexte où le soutien fourni par l’État ou les assurances collectives pourraient être dans bien des cas insuffisant, notamment à cause de l’inflation.

Je ne fais pas cette proposition parce que je crois que ces employeurs et ces propriétaires de logements pourraient rivaliser de discrimination avec ceux qui discrimineraient les personnes non vaccinées et qui seraient beaucoup plus nombreux. Je ne dis pas ceci non plus parce que je crois que ces employeurs et ces propriétaires pourraient discriminer impunément les personnes vaccinées. C’est justement pour cette raison qu’on pourrait tirer profit de cette forme de discrimination. Les quelques employeurs et propriétaires qui oseraient agir ainsi seraient vraisemblablement poursuivis en justice par les personnes vaccinées, et à juste titre. Les juges rendraient alors un verdict favorable aux personnes discriminées parce qu’elles sont vaccinées, ce qui pourrait établir un précédent selon lequel la discrimination en raison du statut vaccinal serait interdite, ce qui pourrait s’appliquer aussi à la discrimination contre les personnes non vaccinées, de la même manière que l’interdiction de discriminer en raison de la race ne se réduit pas à l’interdiction de discriminer les Noirs. Il serait ensuite plus facile de montrer que les employés et les locataires non vaccinés sont discriminés en fonction de leur statut vaccinal, de même qu’il serait plus facile pour des juges intègres de rendre un verdict favorable aux personnes non vaccinées, puisqu’on peut difficilement considérer le statut vaccinal comme un motif illégitime de discrimination quand il s’agit des vaccinés, mais légitime quand il s’agit des non-vaccinés. Ce serait nier le principe d’égalité devant la loi.

Mais que les employeurs et les propriétaires de logement qui ont assez à cœur la liberté vaccinale pour s’exposer à être condamnés pour discrimination se montrent prudents. En voulant prévenir un mal, ils pourraient l’exacerber, car il est certain que les journalistes feraient tout un battage autour de leur affaire et pourraient inciter d’autres employeurs et d’autres propriétaires de logements à traiter de la même manière les personnes non vaccinées, sans même attendre le jugement, en se vengeant sur elles et en se disant que c’est de bonne guerre. Nous ne devons jamais oublier que nous, personnes non vaccinées ou en faveur de la liberté vaccinale, nous ne sommes pas en position de force. C’est pourquoi nous devons prendre garde que nos ruses ne se retournent contre nous et ne servent de prétextes à nos ennemis pour nous faire toutes sortes de sales coups. Il pourrait être judicieux d’attendre que la menace devienne bien réelle ici, les entreprises privées n’en étant pas encore, au Québec, à s’enquérir du statut vaccinal de leurs employés et des personnes qui présentent leur candidature (à part peut-être pour les travailleurs de la santé ou le personnel de soutien dans les hôpitaux), pas plus que les propriétaires de logements n’ont commencé à s’informer du statut vaccinal des personnes auxquelles ils louent ou pourraient louer un appartement.

Bref, il faut éviter d’ouvrir les hostilités, mais être prêts à agir quand nos ennemis les ouvriront.