Pouvoir arbitraire, imprévisibilité et choix de vie

Une des conditions importantes de la liberté, c’est la capacité de faire des choix en connaissance de cause. Autrement dit, pour être libres, nous devons être capables d’évaluer la réalisabilité, les avantages et les inconvénients des choix possibles, ainsi que l’efficacité des différents moyens qui s’offrent à nous. Cela exige une certaine régularité des événements qui se produisent dans le monde où nous vivons. Sans cette régularité, il ne nous serait même pas possible de faire nos choix en fonction des événements imprévisibles qui pourraient se produire. Nous ne savons pas si l’hiver à venir ou déjà en cours sera clément ou rigoureux, si les tempêtes de neige seront fréquentes ou rares, et si le printemps arrivera rapidement ou se fera attendre ; mais nous savons que les saisons se succèdent toujours dans le même ordre, et que l’hiver ne commence pas au mois de juillet dans l’hémisphère nord. Ainsi, nous pouvons décider de faire, à l’occasion des vacances estivales, un voyage en Angleterre, en France, en Espagne, en Italie ou en Grèce, sans qu’elles ne soient gâchées par une vague de froid imprévue et même des tempêtes de neige, mais en pensant déjà à ce que nous voulons faire durant les jours ensoleillés et durant les jours pluvieux. Il en serait autrement si les saisons cessaient d’exister, et s’il pouvait y avoir une vague de froid arctique en juillet, ou un blizzard qui rendrait impossible les déplacements en avion.

Ce qui vient d’être dit du monde physique peut aussi être dit du monde social. Nous pouvons envisager de faire ce voyage parce que nous savons que nous avons droit à au moins deux semaines de vacances, que nous prévoyons avoir assez d’argent, et que nous pouvons prendre l’avion pour nous rendre Europe. Il en va autrement quand nous ne sommes même plus certains que nous aurons un emploi et des revenus suffisants pour faire des voyages, ou quand l’argent que nous avons économisé et que nous continuons de gagner perd rapidement de la valeur, ou quand il se peut que le gouvernement canadien décide de nous interdire de prendre l’avion ou exige que nous nous nous isolions préventivement pendant deux semaines à notre retour, sous prétexte d’empêcher la propagation d’un nouveau virus ou d’un nouveau variant.

La situation se complique encore quand il s’agit de choix dont les conséquences sont plus nombreuses et à plus long terme, par exemple dans ce que nous pouvons appeler des choix de vie. Nous pouvons par exemple décider de passer des années à étudier l’histoire, la sociologie, la philosophie ou la littérature en sachant que les perspectives d’emploi sont très mauvaises, et que nous devrons probablement vivre sobrement pendant des années, des décennies, ou même pour le reste de notre vie – ce qui nous semble mieux que d’étudier simplement pour faire carrière et vivre plus ou moins confortablement. Mais cela implique que nous ayons l’impression que la situation sociale et économique ne se dégradera pas rapidement, et que nous pourrons toujours trouver un emploi quelconque pour avoir de quoi vivre, tout en gardant assez d’énergie et de temps pour continuer à nous cultiver. Il en va autrement quand nos gouvernements usent arbitrairement de leur pouvoir pour adopter des politiques sanitaires, économiques, énergétiques, écologiques et militaires qui augmentent le coût de la vie et qui détruisent les économies occidentales.

Nous pouvons aussi jouer de prudence et plutôt prendre la décision d’étudier le droit, l’ingénierie, l’administration ou l’informatique parce que nous voulons plutôt avoir un bon emploi et avoir des revenus assez élevés et stables pour acheter une maison et avoir des enfants. Nous ne voulons tout de même pas que les enfants que nous avons l’intention d’avoir vivent dans la pauvreté et commencent leur vie en étant désavantagés à cause de nos choix de vie. Il nous faut alors commencer à penser à notre carrière très tôt, à faire des études en conséquence, et à mettre de l’argent de côté dès que nous obtenons un bon emploi, afin de réaliser nos projets et offrir à nos enfants des conditions de vie aussi bonnes que celles dont nous avons bénéficié, voire meilleures. Encore une fois, cela implique que la situation sociale et économique soit relativement stable. À l’inverse, si nos gouvernements adoptent arbitrairement les politiques les plus folles sous prétexte de crise sanitaire ou climatique, ou encore pour protéger les héros ukrainiens contre les hordes de barbares russes, et détruisent ainsi plusieurs secteurs importants de l’économie, nous interdisent de pratiquer notre métier si nous refusons de nous conformer à des obligations abusives et arbitraires, et réduisent dramatiquement notre niveau de vie, il est possible que notre carrière s’envole en fumée, et que nos enfants connaissent la pauvreté et aient plus tard une vie beaucoup plus misérable que celle que nous avons eue jusqu’à maintenant.

Ce qui vient d’être dit s’applique à beaucoup d’autres situations : quand nous nous demandons si nous quittons un emploi que nous n’aimons pas et qui nous empoisonne la vie, mais qui a l’avantage d’être bien rémunéré et d’offrir plusieurs avantages sociaux et la sécurité d’emploi, en envisageant de prendre un long congé pour réfléchir et faire ce que nous aimons, de retourner étudier pour faire carrière dans un autre domaine, ou d’occuper un emploi plus précaire, mais qui n’exige pas le même investissement moral ; quand nous en avons assez du travail salarié en général et pensons créer une entreprise ou devenir travailleurs autonomes, afin de ne plus avoir de patrons, mais seulement des personnes avec lesquelles nous concluons des contrats de travail ; etc. Dans tous ces cas, il devient difficile de faire de bons calculs quand nos dirigeants prennent des décisions imprévisibles, irrationnelles et dévastatrices, seulement pour se conformer aux dernières grandes tendances délirantes, et pour nous montrer que c’est eux qui dirigent, et que nos petits désirs et nos petits intérêts ne font pas le poids comparativement à la volonté des grandes élites économiques qu’ils servent, ainsi qu’à la lutte contre les méchants russes, les méchants virus et les méchantes émissions de gaz à effet de serre, ou contre allez savoir quoi d’autre.

C’est encore pire quand nous considérons que nos dirigeants semblent bien décidés à user arbitrairement de leur pouvoir pour adopter toutes sortes de mesures autoritaires contre ceux qui expriment des opinions qui leur déplaisent et qu’ils déclarent péremptoirement fausses, criminelles et dangereuses pour la démocratie et même pour l’humanité et la planète. Au cours des dernières années, plusieurs d’entre nous se sont impliqués d’une manière ou d’une autre dans des mouvements de résistance, en tant que citoyens, manifestants, activistes, blogueurs, journalistes indépendants, reporters, vidéastes, intellectuels, scientifiques ou avocats, ou simplement en relayant sur internet des informations et des analyses contredisant ce que prétendent nos gouvernements, les médias de grand chemin, les experts patentés et quelques organisations supranationales très puissantes. Si nos dirigeants persistent dans  l’arbitraire, et si nous persistons dans notre résistance, en viendra-t-on tôt ou tard à nous traiter comme des criminels, comme des traîtres, comme ennemis publics ou comme des fous, parfois peut-être de manière rétroactive, pour des choses que nous avons faites ou dites il y aura des années, alors qu’elles étaient tolérées ?

Pour autant que nous pensions concrètement aux conséquences possibles, nous constatons que nos dirigeants n’ont pas besoin de passer à l’acte, et que la crainte de leurs décisions arbitraires et imprévisibles suffit à réduire considérablement notre liberté. Nous nous retrouvons à hésiter et à faire toutes sortes de calculs et de projections. Nous prenons des précautions qui ne sont pas sans inconvénients et dont l’efficacité est fort douteuse. Et les moins déterminés d’entre nous en viennent à se dire que le plus sage ou le plus raisonnable serait de nous abandonner au pouvoir arbitraire et à l’imprévisibilité de nos dirigeants, ce qui est une manière de dissimuler et de rationaliser leur faiblesse.

L’avenir nous étant opaque, et nos dirigeants ne sachant peut-être pas eux-mêmes où ils veulent en venir exactement et comment y parvenir, ou ne s’entendant pas entre eux, nous pouvons seulement prévoir une chose avec certitude : c’est que nos dirigeants continueront d’exercer sur nous leur pouvoir de manière arbitraire et imprévisible, et que cela entrave grandement notre liberté. Ce que nous ont montré les dernières années, c’est que l’état lamentable de nos institutions politiques favorise chez nos dirigeants le développement d’un certain goût pour le pouvoir arbitraire, ou sélectionne précisément ceux chez qui ce goût s’est développé à un degré assez important. Il ne faut donc pas nous attendre à ce que la situation change comme par magie, une fois que nos dirigeants auront été remplacés par d’autres, du même parti politique ou d’un autre parti politique. À moins d’une transformation de nos institutions politiques pour réduire et contrôler le pouvoir de nos dirigeants et pour qu’ils nous rendent régulièrement des comptes, à moins de prendre les moyens pour que cela arrive, la situation ne s’améliorera pas de manière de significative, et nous continuerons à être les jouets de nos dirigeants, jusqu’à ce qu’ils aient fait de nous des sujets dociles et passifs qui abandonnent leur liberté en s’abandonnant au courant de l’imprévisibilité.