Pour le libre accès aux données

Quand les politiciens et les journalistes se mêlent de science, ça ne peut assurément pas être bon pour elle. Il est rare qu’ils aient une solide formation en science ou en épistémologie. Le premier ministre actuel du Québec a fait des études en administration des affaires et en comptabilité. L’actuel ministre de la Santé et des services sociaux a une formation semblable. Quant aux journalistes québécois, ils ont souvent fait des études en communications, parfois en science politique, en sciences sociales ou en droit, par exemple. Il est rare qu’un physicien, un chimiste, un biologiste, un mathématicien ou un épistémologue fasse une carrière politique ou médiatique. La pratique de la science exige des compétences très différentes de celles qu’exigent la politique et le journalisme, surtout tels qu’on les pratique actuellement, la rigueur intellectuelle et l’intégrité n’étant assurément pas chose courante chez les politiciens et les journalistes, généralement moins soucieux de la vérité et de l’exactitude que d’être populaires auprès de leur électorat ou de leur audience, ou de légitimer les politiques et les idéologies qu’ils s’efforcent d’imposer. Pour eux, la science n’est, quand ils s’y intéressent, qu’un moyen de donner de la crédibilité à leurs politiques ou aux opinions qu’ils diffusent dans la société, ouvertement ou sournoisement. Un scientifique digne de ce nom n’aurait jamais idée de présenter dans un « tweet » les résultats d’une prétendue étude scientifique, comme le font souvent les deux figures politiques nommées ci-dessus. Ou bien si un scientifique décidait de diffuser ces résultats de cette manière, ce serait en faisant le renvoi à un article ou un rapport de recherche. Donc rien à voir avec ce que font régulièrement les chefs politiques qui règlent les moindres aspects de notre vie depuis mars 2020, ou avec ce que font les journalistes à la solde des grands médias et du gouvernement.

À titre d’exemple, je cite un passage de l’article de Pierre-André Normandin, journaliste à La Presse :

« Les nouveaux cas et les hospitalisations continuent à se concentrer chez les non vaccinés. Depuis un mois, les deux tiers des nouveaux cas recensés au Québec ont été dépistés chez des personnes qui n’avaient pas reçu de vaccin. Leur taux de propagation est ainsi de 220 cas par 100 000 personnes, contre 19 par 100 000 chez les pleinement vaccinés.

Même scénario pour les hospitalisations. Depuis un mois, on observe un taux de 4,6 nouvelles hospitalisations par 100 000 non vaccinés, contre 0,2 chez les pleinement vaccinés.

Les nouveaux cas de COVID-19 se concentrent dans le Grand Montréal. Ainsi, Laval affiche le taux de propagation le plus élevé, à 12 nouveaux cas par 100 000 habitants. Montréal suit avec un taux de 8 nouveaux cas par 100 000. »

(« Bilan de la COVID-19 au Québec – 1402 cas en trois jours », La Presse, 23 août 2021. C’est moi qui souligne.)

Plusieurs lecteurs de La Presse ont sans doute vu dans cet extrait la preuve scientifique que la vaccination est la voie du salut et que la non-vaccination est la voie de la perdition. Pourtant ces statistiques ne nous disent presque rien sans une analyse digne de ce nom, ce dont M. Normandin est vraisemblablement incapable, faute d’avoir une vague idée de ce que ça pourrait être. Mais comment faire cette analyse sans avoir accès aux données brutes ? Essayons tout de même de nous y retrouver en l’absence de ces données, non pas pour en arriver à des conclusions définitives, mais en posant seulement des questions dont la fonction est de nous faire comprendre et sentir tout ce qu’il manque pour qu’on puisse parler de science ou simplement de discours rationnel.

D’abord une bizarrerie. Pourquoi parle-t-on seulement, dans cet article, des personnes non vaccinées et des personnes pleinement vaccinées ? Qu’en est-il des personnes partiellement vaccinées, c’est-à-dire des personnes qui ont reçu seulement une dose de vaccin ? Pourquoi ne nous parle-t-on pas d’elles ? Sans doute n’est-ce pas un simple oubli, puisqu’on ne donne pas de statistiques à propos d’elles aussi bien quand il s’agit des cas d’infection que des hospitalisations ? Cela est d’autant plus étrange que le gouvernement et les médias font actuellement campagne pour que les Québécois qui ont reçu une première dose de vaccin aillent recevoir au plus vite la deuxième dose. Y aurait-il anguille sous roche ? Se pourrait-il que la deuxième dose de vaccin n’apporte pas de réel bénéfice aux personnes vaccinées ? S’il en était autrement, pourquoi les journalistes de La Presse qui militent en faveur de la vaccination de toute la population québécoise se seraient-ils privés de statistiques si utiles à la noble cause qu’ils défendent et dont l’absence alimente les doutes des hésitants et les critiques des opposants ? Vraiment, c’est étrange. Il faudrait avoir accès aux données brutes et agrégées pour découvrir les raisons de cette omission, qui peut être aussi révélatrice que ce qui est dit dans cet article. Mais le gouvernement ne daigne pas les mettre à la disposition du grand public, d’où l’absence de référence. La question se pose alors de la manière dont M. Normandin et La Presse ont obtenu ces statistiques partielles et sommaires sur les taux d’infection et d’hospitalisation en fonction du statut vaccinal. Se peut-il que ces données aient été transmises à ce journaliste et à La Presse directement par le gouvernement, par l’intermédiaire d’une sorte de bureau des relations publiques ou de quelque chose comme ça ? Ce qui voudrait dire qu’il a dû croire sur parole à la justesse de ces données et qu’il les a diffusées aux lecteurs de La Presse sans pouvoir lui-même examiner les données brutes et la manière dont elles ont été recueillies et agrégées. S’il en était bien ainsi, ce serait un grave manque de rigueur journalistique. Et ça n’en serait pas moins manquer de rigueur s’il avait eu accès lui-même aux données, s’il les avait lui-même tronquées et s’il n’avait pas daigné expliquer et analyser ces données, sans quoi ces données ne sauraient avoir la moindre valeur, à moins qu’on accorde une sorte de pouvoir magique aux nombres, et dans ce cas on pourrait pratiquement parler de numérologie, quoique sous une forme différente que ce qu’on entend d’habitude par là.

Revenons à la question de la science, à supposer qu’il ne s’agisse pas seulement de mathématiques de base et de simple bon sens. Pour que ces données aient une valeur scientifique comme les journalistes et le gouvernement s’efforcent de nous le faire croire, il faudrait qu’elles puissent être examinées librement par la communauté scientifique et même le grand public. C’est seulement si l’interprétation gouvernementale des données résiste à cet examen critique et public, ainsi qu’à des analyses concurrentes, que la population québécoise peut la considérer comme scientifique ou simplement vraie. Pour ce faire, non seulement les données agrégées doivent être accessibles, mais aussi les données brutes, avec évidemment des explications sur la manière dont on les a recueillies.

De telles données, agrégées ou brutes, sont absentes de la page du site du gouvernement consacrées aux données sur la COVID-19 au Québec. Elles ne sont pas davantage présentes dans les données sur la COVID-19 publiées par l’Institut national de santé publique (INSPQ) et plus détaillées que celles disponibles sur le site du gouvernement. Je n’ai rien trouvé non plus dans les publications de l’INSPQ. Même résultat en ce qui concerne les jeux de données ouvertes rendus disponibles par le gouvernement, à savoir le portrait quotidien des cas confirmés et le portrait quotidien des hospitalisations. Un tel manque de transparence de la part du gouvernement a de quoi étonner alors qu’elles sont le nerf de la guerre pour imposer le passeport vaccinal et rendre la vaccination obligatoire dans certains secteurs d’activité. Si les déclarations faites par le gouvernement et les journalistes à ce sujet sont justes, pourquoi le gouvernement ne rend pas disponibles les données brutes et agrégées sur la relation entre le statut vaccinal et les cas d’infection et les hospitalisations. Si les choses sont aussi limpides qu’on le dit, que gagne-t-il à cette opacité ? Ne lui serait-il pas avantageux de tirer les choses au clair en les publiant ? S’il ne le fait pas, se pourrait-il qu’il déforme la réalité ou qu’il nous mente effrontément ?

Quoi qu’il en soit exactement, une chose est certaine : les données que le gouvernement diffuse lui-même ou par l’intermédiaire des journalistes ne sauraient avoir à nos yeux une quelconque valeur scientifique et être considérées comme vraies. Quand bien même elles seraient parfaitement fondées et justes, de notre point de vue nous ne pouvons pas le savoir. Nous savons aussi que ces données ne sont pas rendues disponibles aux scientifiques qui ne travaillent pas pour l’INSPQ et le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), et donc qu’elles ne peuvent pas avoir été mises à l’épreuve par des scientifiques indépendants. En d’autres termes, il faudrait croire sur parole les données rudimentaires qu’on fait circuler, ce qui va diamétralement à l’encontre de l’esprit scientifique et de n’importe quelle démarche rationnelle. Cela dénote que notre gouvernement, ses experts et les journalistes ont une conception dogmatique et autoritaire de la science, qui n’a en fait plus rien à voir avec la science, et qui peut être résumée ainsi : « Nous savons ce qui est vrai, ou du moins nous savons que d’autres savent ce qui est vrai. Et vous devez par conséquent nous croire sur parole quand nous vous disons ce qui est vrai. » Cette attitude intellectuelle et aussi morale relevant davantage de la foi que de la raison, on croirait presque entendre des curés qui, du haut de leurs chaires, sermonnent leurs ouailles.

D’autres points restent aussi à éclaircir :

  1. Est-ce que les personnes pleinement vaccinées sont soumises aux mêmes politiques de dépistage que les personnes non vaccinées ou partiellement vaccinées ? Car il se pourrait bien que, les considérant comme immunisées, on ne leur fasse pas passer des tests de dépistage quand elles entrent en contact avec une personne infectée, sauf quand elles ont des symptômes, par opposition aux personnes non vaccinées ou partiellement vaccinées. La comparaison des taux d’infection et d’hospitalisation de ces groupes de personnes ne ferait alors pas sens, puisqu’en postulant que les personnes pleinement vaccinées sont beaucoup moins disposées à être infectées et hospitalisées, et en leur faisant passer moins de tests de dépistage, on peut contribuer à produire l’effet qu’on postule. Les « Mesures pour la gestion des cas et des contacts dans la communauté : recommandations intérimaires » (tableau 9, p. 19-20.) publiées par l’INSPQ exposent justement des politiques de dépistage différentes selon le statut vaccinal.

  2. Est-ce que les malades admis à l’hôpital sont eux aussi soumis à des politiques de dépistage différentes selon leur statut vaccinal ? Les patients asymptomatiques mais non vaccinés ou partiellement vaccinés doivent-ils passer systématiquement un test de dépistage au moment de leur admission, et peut-être aussi être soumis à un dépistage préventif récurrent pendant tout leur séjour à l’hôpital, par opposition aux patients pleinement vaccinés, qui ne devraient en passer que s’ils ont des symptômes ? Considère-t-on comme une hospitalisation due à la COVID-19 le fait qu’un patient hospitalisé pour une autre raison, mais étant positif et asymptomatique, occupe un lit réservé pour la COVID-19 ? Si oui, il semble que ces politiques de dépistage différentes contribuent à produire l’effet escompté, à savoir que les hospitalisations de personnes infectées sont moins fréquentes chez les personnes pleinement vaccinées que chez les autres. Je n’ai pas trouvé de documents du MSSS ou de l’INSPQ qui confirment ou infirment mes doutes. Je continue de chercher. Si je trouve quelque chose, vous allez en entendre parler.