Obligation de porter un masque dans les classes des institutions d’enseignement supérieur

Quelques jours avant le début des cours dans les cégeps et moins de deux semaines avant le début des cours dans les universités, le gouvernement a modifié son plan de la rentrée, non pas pour assouplir les règles sanitaires, mais pour les resserrer. Je parle bien entendu de l’obligation de porter le masque même en classe, contrairement à ce qui a été annoncé plus tôt cet été. Pourtant nous sommes au mois d’août, les hospitalisations demeurent relativement stables et les décès attribués ou liés à la COVID-19, même par notre gouvernement, sont pour ainsi dire inexistants à l’échelle de la province. Cela en dit long sur ce qui attend les étudiants et les professeurs cet automne et peut-être aussi l’hiver prochain dans les écoles, à supposer que le gouvernement ne décide pas entre-temps de renvoyer presque tout le monde à la maison. Et on peut se douter que l’actuelle ministre de l’Enseignement supérieur, qui a été ministre de la Santé et des Services sociaux pendant les premiers mois de l’état d’urgence sanitaire – elle a exprimé publiquement sa déception de devoir abandonner la Santé pour l’Enseignement supérieur à l’occasion du remaniement ministériel de l’année dernière –, est disposée à accepter ou à approuver les directives de la Santé publique au détriment de l’enseignement supérieur, et peut-être même à se prendre pour la ministre adjointe de la Santé pour les institutions d’enseignement supérieur. À ce compte, on peut se demander si le ministre de l’Éducation n’est pas le ministre adjoint de la Santé pour les écoles primaires et secondaires, si le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale n’est pas le ministre adjoint de la Santé pour les travailleurs et les entreprises, si la ministre de la Culture et des Communications n’est pas la ministre adjointe de la Santé pour les institutions culturelles, si la ministre du Tourisme n’est pas la ministre adjointe de la Santé pour les touristes et autres voyageurs, si le ministre responsable des Affaires autochtones n’est pas le ministre adjoint de la Santé pour les communautés autochtones, si la ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration n’est pas la ministre adjointe de la Santé pour les minorités culturelles, etc. Tout ce beau monde étant évidemment chapeauté par le ministre de la Santé tout court, le premier ministre et le directeur national de la Santé publique.

Mais revenons à nos moutons, c’est-à-dire aux institutions d’enseignement supérieur. À titre d’exemple, voici la dernière mouture des consignes « sanitaires » en vigueur pour la rentrée de l’automne 2021 à l’Université Laval, bien entendu susceptible de changer de semaine en semaine, en raison des nouveaux décrets et arrêtés du gouvernement, et de la proactivité du vice-recteur à la coordination de la COVID-19 et de l’équipe du vice-rectorat à la coordination de la COVID-19, qui doivent forcément faire quelque chose pour justifier leur existence au sein de l’institution universitaire.

« Les consignes sanitaires à respecter à la rentrée

Dans l’objectif d’assurer la santé et la sécurité de toutes et tous, voici les consignes sanitaires qu’il faudra respecter sur l’ensemble du campus de l’Université Laval à partir du lundi 30 août

La rentrée automnale arrive à grands pas et c’est avec enthousiasme que nous nous préparons à vous accueillir en grand nombre sur le campus.


PORT DU MASQUE

Pour les étudiantes et étudiants :

Le port du masque chirurgical est obligatoire en tout temps pour les étudiantes et étudiants, notamment dans les salles de classe durant toute la durée des cours, lors des activités d’enseignement pratique et à la Bibliothèque.

Le port du masque chirurgical est obligatoire pendant les travaux d’équipe.

Le masque peut être retiré pendant les activités qui le nécessitent, soit lors d’activités d’enseignement qui impliquent l’utilisation de certains instruments de musique, le théâtre ou le chant, ainsi que pendant les activités physiques, si une distance de 2 mètres est maintenue entre les personnes ou si une barrière physique est utilisée.

Ces règles sont conformes aux exigences du ministère de l’Enseignement supérieur.


Pour les professeures, professeurs, enseignantes, enseignants et membres du personnel :

Le masque chirurgical peut être retiré lorsque la personne est assise seule dans son bureau fermé, lorsqu’elle peut maintenir une distance physique de 2 mètres avec les autres ou lorsqu’elle dispose d’une barrière physique, comme un panneau de plexiglas.

En classe, lorsque la personne demeure derrière la ligne rouge, ce qui indique la distance de 2 mètres avec les étudiantes et étudiants, le masque peut être retiré.

Ces règles sont conformes aux exigences de la CNESST.


Pour tout le monde :

Le port du masque chirurgical est obligatoire pour toutes les personnes fréquentant les aires communes intérieures de l’Université Laval : les couloirs, ascenseurs, cafétérias, aires ouvertes, vestiaires sportifs et salles de toilettes.

La consigne du port du masque en tout temps ne s’applique pas au moment des repas. Cependant, le masque doit être retiré seulement avant de commencer le repas et remis immédiatement après.


DISTANCIATION

Pour les étudiantes et étudiants :

Aucune distanciation physique n’est exigée en classe et dans les salles de formation pratique, ainsi que lors des travaux d’équipe. L’absence de distanciation est conforme aux règles établies par le ministère de l’Enseignement supérieur.


Pour les professeures, professeurs, enseignantes, enseignants et membres du personnel :

Les professeures, professeurs, enseignantes, enseignants et membres du personnel doivent maintenir une distance de 2 mètres avec les personnes lorsque leur masque est retiré ou en l’absence d’une barrière physique.

Une distance de 2 mètres doit être maintenue dans les salles de réunion, si le masque est retiré ou en l’absence d’une barrière physique.

Ces règles sont conformes aux exigences de la CNESST.


Pour tout le monde :

Une distance de 2 mètres doit être maintenue en tout temps entre les personnes dans les aires communes : les couloirs, cafétérias, aires ouvertes, vestiaires sportifs et salles de toilettes.

Une distance physique de 2 mètres entre les personnes doit être respectée durant les repas.

À l’extérieur, une distance physique 1 mètre doit être maintenue entre les personnes, si le masque est retiré.


Vaccination et matériel sanitaire

Dans le respect des directives de santé publique, nous continuons de miser sur la distanciation physique, le port du masque, la désinfection des mains et des espaces de travail, de même que sur une ventilation adéquate des locaux, pour diminuer le risque de propagation. Nous allons bien sûr nous conformer à d’éventuelles directives gouvernementales concernant le passeport vaccinal.

Notez que tout le matériel vous permettant de respecter ces consignes continue d’être mis à votre disposition. Vous trouverez dans chacun des pavillons une station, qui comprend du gel désinfectant pour les mains, du nettoyant pour les surfaces et un distributeur de masques chirurgicaux. De plus, le centre de vaccination du CIUSSS de la Capitale-Nationale situé sur le campus, au pavillon Alphonse-Desjardins, peut vous accueillir sans rendez-vous tous les jours avant 19 heures, sur présentation de votre carte étudiante.


Pensons à notre santé

Votre santé et votre sécurité sont d’une importance capitale pour nous. Nous voulons éviter toute éclosion de COVID-19 sur le campus cet automne, ce que nous avons réussi à faire au cours des 18 derniers mois. Ensemble, poursuivons sur cette lancée, tout en prenant soin de notre santé physique et psychologique.

Le respect des consignes sanitaires nous permettra de fréquenter le campus en toute confiance lors de cette session de transition. Membres du personnel, soyez assurés que nous suivons de près les directives de la CNESST en ce qui a trait au télétravail et que notre plan de retour sur le campus s’adaptera à toute modification à venir.

Nous allons bien sûr continuer de suivre l’évolution de la pandémie de COVID-19. Il est probable que les consignes continuent d’évoluer et nous nous adapterons avec agilité. Nous sommes conscients que la situation actuelle vous demande de faire preuve de souplesse et nous vous remercions à l’avance pour votre grande collaboration. »

(« Les consignes sanitaires à respecter à la rentrée », site de l’Université Laval, 19 août 2021. C’est moi qui souligne.)

On conviendra que cette rentrée ne s’annonce pas enthousiasmante, que l’application de toutes ces règles sanitaires sera assez pénible et qu’on est déjà bien loin de la rentrée relativement normale que les autorités ont utilisée en guise d’appât pour obtenir la vaccination des jeunes, qui devraient déjà se sentir floués, et qui devraient vraisemblablement se sentir encore plus floués si on exige d’eux l’application de nouvelles règles sanitaires et si on les renvoie suivre leurs cours à la maison, sous prétexte d’aggravation de la situation sanitaire et de variants supposément toujours plus contagieux et virulents.

Même si plusieurs de ces règles étaient déjà en application depuis longtemps sur le campus universitaire, le retour en masse des étudiants et des professeurs dans les pavillons rendra forcément leur application plus compliquée et plus pénible. La distanciation physique, applicable même pendant les repas, posera vraisemblablement problème si on va jusqu’à exiger qu’un seul étudiant soit assis à chaque table. Les jours pluvieux et avec le retour du temps plus froid, il est difficile de concevoir comment les étudiants pourront appliquer cette règle et manger pendant l’heure de dîner qui leur est imparti entre les cours, sauf si on a décidé de mettre des tables partout dans les pavillons universitaires, pour y étendre les salles à manger. Et comment les étudiants pourront-ils socialiser en dehors des cours s’ils respectent scrupuleusement ces règles, ou si des agents de sécurité ou des brigades sanitaires y veillent avec zèle ? Car non seulement il faut rester à deux mètres des autres personnes dans les cafétérias, mais on est seulement autorisé à retirer son masque avant de commencer à s’alimenter, avec l’obligation de le remettre aussitôt après. Ces règles sont d’ailleurs plus sévères que celles en vigueur dans les restaurants au palier d’alerte dit vert, où l’on peut être assis plusieurs à une table même à l’intérieur, étant autorisé à enlever son masque quand on est assis à la table, même quand on attend son repas ou après l’avoir mangé.

(Palier 1 – Vigilance, site du gouvernement, consulté le 21 août 2021.)

Quant au port du masque imposé à tous les étudiants dans les classes, il peut réduire leur capacité d’apprentissage et de concentration, notamment pour ceux à qui cela finit par donner des maux de tête. À cela il faut ajouter que le fait d’être entouré de visages masqués et d’avoir l’impression de se trouver dans un hôpital ou même une léproserie, ne constitue certainement pas un contexte moral et esthétique favorable au développement des aptitudes intellectuelles. Sans compter que certains aspects de l’éducation supérieure sont fortement entravés par le port du masque par les étudiants. Si le professeur a le droit (pour l’instant) d’enlever son masque quand il reste derrière la ligne rouge indiquant que la distanciation sociale est respectée, les étudiants semblent devoir garder leur masque même quand ils prennent la parole, par exemple pour poser des questions. À la rigueur, il sera possible de se faire comprendre dans une petite salle de classe, avec peu d’étudiants. Mais il en ira autrement, j’imagine, dans un grand amphithéâtre où se trouvent au moins cent étudiants, où le son circule mal et où la voix des étudiants qui poseront des questions sera étouffée par le masque et difficile à entendre pour le professeur et les étudiants assis à l’autre bout de l’auditorium. Ou du moins il sera nécessaire de parler très fort pour se faire entendre, ce qui peut devenir rapidement pénible avec un masque si l’échange dure quelques minutes. C’est donc là un incitatif à se taire en classe, à ne pas participer activement à sa éducation, à ne pas poser de questions quand on ne comprend pas ou quand on a l’impression que ça ne marche pas.

La situation devient plus problématique quand les étudiants doivent faire un long exposé en classe. Ils ne semblent pas autorisés à enlever leurs masques s’ils restent à leur place, et on peut se demander s’ils ont le droit de prendre la place du professeur derrière la ligne rouge et d’enlever leurs masques pour faire leur exposé. Et cette consigne pose encore plus problème dans un séminaire de discussion, comme il en existe régulièrement au deuxième et au troisième cycles universitaires. Dans ces séminaires, les étudiants ne prennent pas simplement la place du professeur pour faire un exposé magistral, mais ils discutent entre eux et échangent des répliques sans ordre prédéterminé. Donc, même s’ils y étaient autorisés, il leur serait impossible de se lever pour prendre la parole sans masque en se plaçant derrière la ligne rouge. Il est certainement possible de communiquer avec un masque quand il s’agit de choses simples ou même rudimentaires, mais quand il s’agit de développer un enchaînement d’idées complexes et aussi d’user de rhétorique, c’est assurément plus difficile de se faire comprendre distinctement, de ne pas adopter un ton monotone, de ne pas suffoquer à cause de son masque. Et tout l’aspect non verbal de la communication est presque annulé par les masques.

J’en viens donc à la conclusion que les autorités politiques et sanitaires, ainsi que les autorités universitaires, ont élaboré ces consignes sanitaires comme s’il existait seulement des cours magistraux où les professeurs déversent des savoirs convenus dans la tête des étudiants, dont rien d’autre n’est requis qu’une certaine réceptivité. Quant aux autres formes d’éducation exigeant une participation active de la part des étudiants, c’est comme si elles n’existaient pas pour ces autorités, ou c’est comme si elles étaient vouées à être suspendues ou à disparaître en raison de leur incompatibilité avec les consignes sanitaires et l’impératif absolu de la santé. Il n’y a pas lieu de nous en étonner compte tenu de l’attitude autoritaire de notre gouvernement et de tous les chefs, petits et grands, qui règnent encore plus ouvertement dans nos bureaucraties depuis la déclaration de l’état d’urgence sanitaire. Ils détestent la discussion et sans doute se représentent-ils l’éducation supérieure en fonction du mode de communication qu’ils utilisent avec la population, les professeurs et les étudiants : les uns connaissent et disent la vérité, les autres doivent l’écouter, l’apprendre, à la rigueur la répéter, mais certainement pas la discuter. Mais alors pouvons-nous encore parler d’éducation supérieure ? Ou ne serait-il pas plus juste de parler d’éducation postérieure, au sens où elle vient après l’éducation primaire et secondaire, et au sens aussi où ce qui est attendu des étudiants avec ce retour dans les classes, c’est qu’ils restent sagement assis sur leur postérieur durant les cours ?

Dans le même ordre d’idées, il est légitime de nous demander si l’omniprésence des consignes sanitaires sur le campus de l’Université Laval (et sans doute sur les autres campus) est compatible avec le développement de l’autonomie des étudiants, qui requiert une grande liberté d’action et de mouvement, et pas juste de beaux discours et des idées abstraites sans liens avec l’expérience vécue. Ou bien toutes ces consignes, qui règlent les moindres actes des étudiants, contribuent-elles plutôt à les dresser, ce qui serait compatible avec l’obéissance attendue des employés qui devront intégrer pleinement le marché du travail d’ici quelques années, et la docilité attendue des sujets qui doivent se soumettre aux décisions autoritaires et même arbitraires de notre gouvernement ?

Je termine par une remarque à propos d’un passage que j’ai souligné sur le passeport vaccinal : « Nous allons bien sûr nous conformer à d’éventuelles directives gouvernementales concernant le passeport vaccinal. » Ce qui veut dire que le gouvernement est vraisemblablement en train de discuter avec les autorités universitaires de l’implantation de ce dispositif sur les campus, malgré ses toutes récentes déclarations selon lesquelles le passeport vaccinal ne serait pas requis pour avoir accès à l’éducation, qui a été déclaré services essentiel par le gouvernement. Nous voyons ce que vaut sa parole. Et nous voyons qu’il ne faut attendre aucune résistance des autorités universitaires, qui au contraire semblent aller au-devant des désirs des autorités politiques et sanitaires, et même réclamer l’implantation du passeport vaccinal, qu’elles ne veulent néanmoins peut-être pas prendre sur leurs épaules. Les professeurs et les étudiants qui divergent sauront-ils s’organiser pour résister ?