Peur, superstition et saturation

La peur

Il est certainement commode, pour ceux qui nous gouvernent, que nous soyons presque tous plus ou moins couards. Cela n’a rien d’étonnant.

L’éducation qu’ont reçue les plus jeunes d’entre nous n’est certainement pas propice au courage et à la vitalité. Ils ont été tellement couvés et surprotégés par leurs parents qu’on peut se demander s’ils ont une colonne vertébrale. Certes, ils se permettent certains écarts, en rencontrant leurs amis et leur famille malgré les prescriptions des autorités politiques et sanitaires. Mais ils évitent les réclamations et l’opposition organisée. Tout au plus les coalitions étudiantes, qui n’ont plus le moindre mordant, pleurnichent-elles de temps à autre pour demander gentiment qu’on prenne en compte la souffrance psychologique de leurs membres. Comme si ce n’était pas de leur jeunesse, d’une éducation supérieure digne de ce nom et de leur avenir qu’on les prive ! Les autorités peuvent donc se permettre d’ignorer cette jeunesse ramollie et timorée.

Quant à nous, qui sommes plus vieux et qui avons reçu une éducation nous disposant un peu moins à être dociles, craintifs et lâches, nous nous sommes affreusement embourgeoisés depuis que nous nous sommes rangés, avec une carrière et une famille. Nous avons perdu le peu de combativité que nous avions dans notre jeunesse : vivant dans la crainte de déplaire à nos patrons, de nous voir refuser une promotion ou d’être renvoyés, nous avons pris l’habitude de supporter toutes sortes de vexation au travail, sous prétexte d’avoir de quoi subvenir aux besoins de nos enfants et de leur offrir un bel avenir. J’ignore si nous nous racontions des histoires dès le début, pour ne pas regarder en face notre docilité et notre manque de courage, ou si dans certains cas cette justification était sincère. Quoi qu’il en soit, cette obéissance et cette absence de capacité d’opposition sont devenues autonomes et habituelles. La preuve en est que ceux d’entre nous dont les enfants sont maintenant devenues grands et indépendants n’en continuent pas moins d’être serviles au travail. En ce qui concerne la famille, ce n’est pas impunément que l’on surprotège et couve ses enfants pendant presque deux décennies, afin de les protéger de tous les dangers imaginables. Peu à peu nous nous retrouvons à avoir des craintes semblables pour nous. Enfin, il faut reconnaître que nous nous sommes laissés rééduquer depuis 2001, nos autorités ayant profité des attentats terroristes pour mettre progressivement en place un ordre social où la peur joue un rôle plus important et où l’insouciance des décennies précédentes est peu à peu disparue. Les autorités peuvent donc nous manier facilement par la peur du Virus.

Venons-en à nos aînés. Espérons que les « boomers » valaient mieux quand ils étaient plus jeunes. Sans doute ont-ils été rééduqués comme nous qui sommes plus jeunes qu’eux. Mais il y a plus : en vieillissant, ils en sont venus à considérer leur propre mort comme quelque chose d’anormal, qu’il faut repousser le plus longtemps possible, coûte que coûte, quand bien même l’avenir des générations plus jeunes devrait être sacrifié pour leur procurer quelques années de vie supplémentaires, ou simplement pour atténuer leur crainte de la mort grâce à toutes sortes de mesures mortifères peu efficaces. Cela ne les empêche pas de proclamer haut et fort qu’ils aiment plus que tout au monde leurs enfants et leurs petits-enfants, dont ils attendent en retour compassion et abnégation. Comme ce sont des personnes dont on nous répète qu’elles sont vulnérables et des victimes injustement menacées par le méchant Virus, on ne remarque pas cette sécheresse de cœur. Ceux de leurs cadets qui craignent assez peu le Virus s’approprient la peur de leur mort. Ceux qui le craignent peuvent dissimuler la peur de leur propre mort à l’aide de peur de la mort de leurs aînés, paraître altruistes au lieu de couards et être encore plus couards. Les aînés sont très faciles à manœuvrer pour nos chefs, de même que tous ceux qui disent avoir peur du Virus pour eux.

Ainsi notre couardise est telle qu’il suffit à nos chefs de brandir le spectre de la mort et de la maladie pour affoler beaucoup d’entre nous, les mettre au pas et leur faire accepter sans broncher toutes sortes de contraintes. Pour ceux d’entre nous qui ne se laissent pas mater aussi facilement, ils se servent de la crainte des réprimandes, des amendes et des sanctions disciplinaires professionnelles pour les faire rentrer dans les rangs. Je reconnais que ces menaces ne sont pas rien : j’y suis moi-même sensible, même si je blâme aussi ce manque de fermeté et de résolution, au lieu d’essayer de le nier, de l’excuser ou de le justifier. Je parle donc en connaissance de cause.

 

La superstition

La peur n’a pas pour seul effet de nous rendre dociles. Elle contribue aussi à nous rendre superstitieux, surtout quand l’objet de notre peur est mal connu, imprévisible, changeant et mystérieux, comme on se plaît justement à nous peindre le Virus. Par superstition, j’entends le fait de croire à des rapports causaux imaginaires, qui ont pour fondement l’espoir et la crainte. Le fait de concevoir, dès le début de la « crise », le Virus comme une entité radicalement nouvelle, sournoise et maléfique qui défierait la science d’alors et qui exigerait à elle seule une nouvelle science sur mesure, a certainement favorisé la circulation d’idées farfelues sur la manière dont il se propage, sur les maux dont il serait responsable et sur ce qu’il faut faire pour venir à bout de lui, en fonction des sentiments qui dominent à tel moment et des lubies de notre imagination pour ceux d’entre nous qui délirent, ou en fonction des objectifs que se donnent les charlatans qui cherchent à profiter de ce délire pour s’enrichir et les différentes autorités qui veulent accroître et consolider leur pouvoir.

La superstition a donc quelque chose d’arbitraire et d’inconstant. Du moins il en est ainsi quand on ne s’efforce pas d’orienter et de régler les idées et les sentiments superstitieux grâce à une doctrine officielle plus ou moins constante, grâce à des rites, grâce à des promesses de salut et à des prophéties de catastrophes. La superstition peut avoir un usage politique à condition qu’on l’organise pour en faire une sorte de religion partagée par une communauté suffisamment grande et influente dans la société. Les foules se mettent alors à délirer de la même manière, c’est-à-dire de la manière dont on veut qu’elles délirent pour atteindre tel objectif.

Le discours uniforme et virulent sur le Virus véhiculé dans les déclarations des autorités politiques et sanitaires et par les médias de masse, ainsi que les mesures sanitaires décrétées, ont justement cette fonction unificatrice et organisatrice. Il s’agit de façonner et de diriger les craintes suscitées par le Virus et, du même coup, l’espoir de venir à bout de lui, afin de les rendre conformes aux fins que les autorités se sont données et qui n’ont bien entendu pas à être révélées aux personnes auxquelles on impose cette nouvelle religion organisée. Mais ceux qui sont assez malins peuvent quand même essayer de les deviner à partir de la doctrine et des obligations religieuses qu’on nous impose.

Voici quelques éléments de cette religion, que je reformule pour les rendre plus explicitement superstitieux et dogmatiques.

  1. L’efficacité des mesures sanitaires décrétées par les autorités pour ralentir la propagation du Virus est proportionnelle à la grandeur des contraintes et des sacrifices qu’elles imposent.

  2. La diminution de la propagation du Virus, des hospitalisations et des décès est la récompense des contraintes acceptées et des sacrifices consentis.

  3. L’augmentation de la propagation du Virus, des hospitalisations et des décès est la punition pour les contraintes non respectées et les sacrifices refusés.

  4. Chaque petit geste compte dans la lutte contre le Virus. Plus on multiplie ces petites précautions de tous les moments, plus on enlève de sa puissance au Virus.

  5. Le Virus attend sournoisement que nous négligions ces petits gestes, afin de profiter de notre négligence.

  6. Le Virus n’épargne personne. S’il a une prédilection pour les personnes âgées, il frappe aussi sans pitié les plus jeunes. Le Virus n’a de pitié pour personne. Personne n’est à l’abri du Virus, surtout ceux qui croient qu’il est un virus comme les autres.

  7. Le Virus, qui est une entité anormale, ne saurait être vaincu par des traitements normaux.

  8. L’immunité collective ne saurait être atteinte naturellement contre ce Virus surnaturel. Et même si cela était possible, le coût humain serait trop grand.

  9. Les nouveaux vaccins, adaptés à la radicale nouveauté du Virus, sont notre seul espoir, c’est-à-dire notre seule manière d’atteindre l’immunité collective et de mettre fin à la crise sanitaire. Point de salut sans les vaccins.

  10. L’abolition ou l’assouplissement prématuré des mesures sanitaires entraînera assurément la réalisation de la prophétie qui annonce beaucoup plus de décès.

  11. Dans l’attente de l’immunité collective obtenue grâce aux vaccins, les dommages sociaux, culturels, politiques et économiques des mesures sanitaires doivent être considérés comme des dommages collatéraux qu’on ne saurait mettre sur le même plan que les vies humaines perdues. Car rien n’est plus précieux que la Vie. Ces dommages, même s’ils nous empoisonnent la vie, sont secondaires. Car il y a la vie et la Vie.

  12. Toutes les personnes dont les propos s’écartent dangereusement de la vérité sur le Virus (c’est-à-dire de la présente doctrine) doivent être considérées et traitées comme des hérétiques coupables de pactiser avec le Virus. Il faut les mettre au ban de la société et, au besoin, les punir sévèrement. On ne discute pas avec les mécréants.

C’est grâce à cette doctrine que l’on essaie de capter et d’orienter notre peur et notre espoir. Si nous nous écartons des consignes des autorités politiques et sanitaires, nous devons craindre d’attraper le Virus, de tomber gravement malades, de le transmettre à nos proches et indirectement à d’autres personnes, d’entraîner une surcharge des hôpitaux et de provoquer une véritable hécatombe. Mais on peut se demander comment cela se produirait exactement. En quoi le fait de passer d’une région à l’autre, si je reste dans mon chalet et si je n’en fréquente pas les commerces et les habitants, pourrait-il aggraver la situation ? En quoi le fait de s’être permis l’été dernier toutes sortes de libertés que les autorités jugent excessives a-t-il pu provoquer la deuxième vague des mois plus tard ? En quoi le fait de recevoir trois amis chez soi peut-il contribuer à une importante flambée des hospitalisations et des décès si les personnes jugées très vulnérables s’isolent et si les protocoles sanitaires sont rigoureusement appliqués dans les RPA et les CHSLD et sont efficaces pour empêcher le Virus d’y entrer ? Même chose si je viole le couvre-feu pour faire une promenade ou si je fais une promenade avec un ami, alors qu’il est bien connu que les risques de transmission sont minimes à l’extérieur. Le « raisonnement » sur lequel s’appuient ces assertions est rudimentaire et superstitieux : si nous ne faisons pas collectivement les sacrifices demandés, si nous ne nous soumettons pas à toutes ces privations, nous serons collectivement punis par le Virus. Si par contre nous obtempérons, le Virus nous épargnera dans une certaine mesure, mais en attendant sournoisement le moindre relâchement, afin d’en profiter.

Inversement, en quoi un « vaccin » dont l’efficacité n’a pas été testée sur les personnes les plus vulnérables et est fort douteuse à long terme pourrait-il être la voie du salut par excellence ? Comment pourrions-nous obtenir une immunité collective durable et sortir de la crise sanitaire si à la fin de la campagne de « vaccination massive », qui s’étirera vraisemblablement en longueur, il faut « vacciner » à nouveau les premières personnes à l’avoir été pour qu’elles conservent leur immunité ? Mais il ne faut pas poser ces questions qui risqueraient de nous faire perdre la foi et de nous priver de notre seule planche de salut. Autrement dit, il nous faut croire aux promesses des prêtres de la religion sanitaire pour être sauvés. C’est pourquoi il faut à tout prix faire taire les mécréants qui ne partagent pas cette foi et qui font circuler de fausses informations sur les vaccins.

 

La saturation

J’ignore combien de fois on nous a répété la même rengaine, question de nous la faire bien entrer dans la tête, notamment grâce aux puissants moyens dont disposent les médias de masse. Et ça continue. La superstition a été stabilisée et elle est devenue une religion organisée aux nombreux fidèles.

Mais il se peut que les fidèles commencent à être saturés et deviennent peu à peu insensibles aux promesses et aux prophéties catastrophiques de cette religion. Ce qui devait initialement durer tout au plus quelques mois semble devoir durer au moins quelques années, à supposer qu’on en sorte un jour, autrement que par la dissolution de notre société que pourrait provoquer le prolongement des mesures décrétées pour lutter contre le Virus. Il deviendra de plus en plus difficile pour les prêtres de maintenir cette adhésion, même si nous ne pouvons pas non plus supposer que cet affaiblissement de l’adhésion prendra la forme d’une révolte ouverte contre la religion sanitaire. N’oublions pas que nous sommes des couards. Plus probablement il y aura relâchement, ce qui ne saurait être toléré par les prêtres de la religion sanitaire.

Pour maintenir et renforcer cette adhésion, il faudra que ces prêtres fassent preuve d’inventivité. Il n’est donc pas à exclure qu’ils préparent des coups de théâtre pour raviver la foi des fidèles et les garder dans l’obéissance. Les « informations » qui circulent sur les variants supposément plus virulents et plus dangereux sont peut-être la trouvaille sur laquelle ils s’appuieront pour donner un deuxième souffle à la religion sanitaire.