Petite réplique à deux petits journalistes

On dirait que les journalistes de La Presse rivalisent de mauvaise foi ou s’affairent pour montrer qu’ils sont capables de raisonner le plus mal que leurs confrères, quand raisonnement il y a. Parfois ils s’adjoignent un collègue pour mettre toutes les chances de leur côté, car deux têtes valent mieux qu’une, comme on dit. Cette fois-ci c’est au tour de Florence Morin-Martel et de Pierre André Normandin (dont il a déjà été question dans un billet précédent), dans un article intitulé « Bilan estival – C’est exactement ce qu’on attendait de la vaccination » (La Presse, 27 août 2021).

L’article commence par une déclaration choc mise bien évidence :

« Six fois moins de décès et deux fois moins d’hospitalisations, malgré une hausse des cas… La COVID-19 s’est nettement moins fait sentir ces deux derniers mois que l’été dernier, une illustration de l’impact de la vaccination, selon les experts. »

Puis on daigne nous présenter quelques données plus précises, provenant de l’Institut national de santé public du Québec, auquel on joint deux graphiques que je reproduirai pas ici et qui comparent l’été 2021 à l’été 2020 :

« Signe que la pandémie se fait moins sentir cet été, le Québec n’a enregistré aucun décès attribué au coronavirus lors de 38 des 70 derniers jours. Entre le 15 juin et le 24 août, 45 personnes au total ont succombé à la COVID-19. À titre comparatif, le virus a fait 277 victimes l’été dernier et seulement sept jours avaient été exempts de mort liée à la pandémie.

Pour la période estivale qui s’achève, 346 personnes au total ont dû être hospitalisées en raison de la COVID-19, contre 730 l’an dernier. Mais le nombre de cas a grimpé cette année, avec 13 040 personnes infectées lors des mois chauds, par rapport à 7738 en 2020.

La forte baisse des décès et des hospitalisations est « exactement ce qu’on attendait de la vaccination », commente Marie-Pascale Pomey, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. Mais cela n’empêche pas la COVID-19 de circuler dans la population. »

Malgré le ton affirmatif de l’article et de l’experte interrogée, des questions importantes demeurent sans réponse et, en fait, n’ont pas même été posées :

  • La période estivale étudiée n’étant pas une période où le virus est dangereux même pour les personnes qu’on considère particulièrement vulnérables, quelle valeur peuvent avoir les conclusions sur l’efficacité des vaccins tirées de cette période de référence ? Le vrai test ne sera-t-il pas la période hivernale ?

  • Cette baisse des hospitalisations et des décès, malgré la hausse des cas d’infection confirmés, ne pourrait-elle pas aussi s’expliquer par ce qu’on appelle « l’effet de moisson », c’est-à-dire par la mort depuis 2020 des personnes âgées les plus vulnérables, ce qui voudrait dire que les personnes toujours vivantes de ces groupes d’âge auraient moins de chances d’avoir des complications et d’en mourir ?

  • Cette baisse ne pourrait-elle pas aussi bien s’expliquer par le fait que le fameux variant Delta est moins létal qu’on l’annonce et qu’une partie non négligeable de la population bénéficie de l’immunité naturelle sans le savoir ?

  • Comment juger intelligemment du rôle joué par chacun de ces facteurs – qui ne s’excluent pas mutuellement et qui peuvent se combiner – sans faire aussi une comparaison avec des pays qui ont une couverture vaccinale comparable à celle du Québec, qui en ont une plus élevée ou qui en ont une plus faible ?

Tout comme la première experte, l’autre expert cité par nos deux journalistes reconnaît lui aussi que les personnes vaccinées peuvent être infectées, mais en précisant qu’on l’ignore en raison du peu de propension de ces personnes à aller se faire tester. Après quoi on cite notre bien-aimé ministre de la Santé et des Services sociaux :

« Le ministre Christian Dubé a affirmé sur Twitter que les données récentes montraient l’« efficacité de la vaccination ». Selon les chiffres du ministère de la Santé et des Services sociaux, les personnes qui ne sont pas pleinement vaccinées ont 8 fois plus de risque d’attraper le virus et 20 fois plus de risque d’être hospitalisées. »

Un tweet reste toujours un tweet même quand c’est le tweet du ministre de la Santé et des Services sociaux lui-même. Raison pour laquelle il importe de nous poser d’autres questions :

  • D’où viennent ces chiffres, alors que les données rendues disponibles par le gouvernement ne portent jamais sur le statut vaccinal des personnes infectées et hospitalisées ?

  • Ces observations ont-elles été faites sur une durée suffisamment longue pour avoir une quelconque valeur ?

  • Quel âge ont généralement les personnes hospitalisées ? Ont-elles des problèmes de santé qui les disposent à avoir des complications ? Ces observations sont-elles généralisables à l’ensemble de la population ou ne concernent-elles que certaines parties de la population ?

  • Comment expliquer qu’à partir des données rendues publiques dans d’autres pays, on en arrive à des observations très différentes, comme je l’ai dit dans un billet précédent ?

  • Est-il plus raisonnable de prêter foi à des données mentionnées dans un tweet du ministre de la Santé et des services sociaux du Québec, ou à celles qui proviennent de bases de données rendues publiques par les autorités d’autres pays ?

Ce florilège d’affirmations gratuites se poursuit en abordant la question de la vaccination des enfants de moins de 12 ans :

« L’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux a souligné jeudi que la tendance à la hausse qui se poursuit depuis six semaines touchait plus particulièrement les Montréalais et les enfants de 0 à 11 ans.

Le fait que cette montée des cas survient avant le retour en classe inquiète André Veillette. « Les enfants peuvent transmettre le virus à leurs grands-parents, qui auraient peut-être besoin d’une troisième dose », soutient-il. Il est surpris qu’une discussion publique tarde à venir au sujet d’une telle dose de rappel pour les plus vulnérables. « On n’est pas obligé d’attendre que les cas montent en CHSLD », fait-il valoir.

Étant donné que les enfants ne sont pas à l’abri du virus et sont susceptibles de développer la « COVID longue », André Veillette espère que la vaccination pour les moins de 12 ans sera possible avant la fin de l’année. »

Encore une fois, on reste dans le flou et on ne fait qu’évoquer des données sur l’infection des enfants, sans les fournir. Heureusement elles sont disponibles sur le site de l’INPSQ, même si les groupes d’âge ne correspondent pas exactement.

(Site de l’INSPQ, Données COVID-19 par âge et sexe au Québec, graphique 1.7, « Évolution de la contribution de chaque groupe d’âge au nombre total de cas confirmés de COVID-19 au Québec », consulté le 27 août 2021. Les données peuvent être extraites sous forme de tableau grâce au bouton qui se trouve à droite du graphique.)

Même si on peut observer une hausse chez les 0-9 ans pour cette période, une hausse la plus élevée est observable chez les 10-19 ans, les 20-29 ans et les 30-39 ans, et une hausse comparable est observable chez les 40-49 ans, malgré la vaccination déjà bien avancée de ces groupes d’âge. Même en tenant compte du fait que les 10-11 ans manquent, ce groupe d’âge n’est pas ou ne semble pas particulièrement touché. Nous devons nous demander si cette remarque manifestement fausse s’explique par l’intention des autorités politiques et sanitaires de vacciner bientôt ce groupe d’âge, un peu comme on a annoncé – avec trompettes et tambours – que la « troisième vague » allait provoquer une hécatombe chez les jeunes (c’est-à-dire les moins vieux) alors que commençait justement la vaccination massive des groupes d’âge jugés moins vulnérables. Comme c’est commode !

Quant à l’affirmation selon laquelle les enfants infectés seraient moins susceptibles de transmettre le virus à d’autres, en l’occurrence leurs grands-parents, les études cliniques réalisées en vue d’obtenir les autorisations d’utilisation d’urgence des vaccins ne portent pas sur ce point. Cet effet ne fait pas partie des effets attendus de la vaccination par l’experte citée par les journalistes eux-mêmes. Malgré des déclarations publiques reprises par les médias qui laissent entendre le contraire, nos autorités politiques et sanitaires ne se prononcent pas pour l’instant sur cet effet possible des vaccins :

« Les études sont en cours pour savoir si les personnes vaccinées ne transmettent plus l’infection et si les mesures de protection habituelles (distanciation physique, port du masque et lavage des mains) peuvent être assouplies. »

(Site du gouvernement sur la COVID-19, « Vaccination contre la COVID-19 », consulté le 28 août 2021.)

Il est donc légitime de nous demander, dans l’état actuel des choses, ce qui distingue les personnes vaccinées infectées et asymptomatiques et les personnes non vaccinées infectées et asymptomatiques, à part la croyance non fondée selon laquelle les premières seraient moins contagieuses que les deuxièmes, à supposer que les personnes asymptomatiques soient responsables d’une part significative de la propagation du virus, comparativement aux personnes symptomatiques. Dans l’hypothèse où les personnes infectées asymptomatiques représenteraient un risque de transmission du virus à d’autres personnes indépendamment de leur statut vaccinal, cette croyance pourrait rendre les personnes vaccinées responsables d’une plus grande partie de la propagation, compte tenu de leur plus faible propension à se faire tester, ou de la plus faible propension que l’on a à les tester, des politiques de gestion des cas contacts différentes ayant été établies en fonction du statut vaccinal, comme je le montre dans ce billet publié récemment.

Une étude comparative de la propagation du virus dans différents pays qui ont décidé de fermer les écoles ou de les garder ouvertes devrait pouvoir permettre de tirer la question au clair. Nos autorités politiques et sanitaires se gardent pourtant bien de réaliser une telle étude, qui permettrait d’évaluer intelligemment la pertinence des mesures sanitaires déjà prises et à venir. Et ils se gardent bien de chercher si de semblables études ont été réalisées ailleurs.

En ce qui concerne l’idée d’injecter une troisième dose aux personnes âgées plus vulnérables, elle a quelque chose d’étrange dans un article qui voudrait montrer que l’efficacité des vaccins a été prouvée par les données estivales. Car si ces vaccins sont aussi efficaces qu’on le dit, pourquoi faudrait-il une troisième dose ? En l’absence d’études expérimentales à ce sujet, que permettrait d’obtenir cette troisième dose que les deux premières doses n’auraient pas déjà permis d’obtenir d’après les promoteurs de la vaccination massive de toute la population ? Si ce qui motive cette idée n’est pas simplement les profits des marchands de vaccins, si c’est parce que l’immunité procurée par les vaccins commencerait à diminuer rapidement, si c’est parce qu’elle est de loin inférieure pour les nouveaux variants, qu’on ait au moins l’honnêteté de dire la chose ouvertement. Il sera ensuite possible de réévaluer la stratégie de vaccination massive devant servir à « gérer » la pandémie et d’envisager d’autres moyens, par exemple les traitements précoces.

Enfin l’expert nous annonce que la quatrième vague va s’éterniser :

« Les Québécois doivent s’attendre à un automne marqué par la pandémie, prévient André Veillette. « La quatrième vague va s’éterniser », estime-t-il, prévoyant que le Québec suivra la tendance actuelle de l’Angleterre, avec de « multiples vaguelettes, comme la houle sur la mer ».

« Il va y avoir une augmentation des hospitalisations, surtout chez les non-vaccinés, avance le professeur. Et c’est évident qu’il y en a, parmi ces gens, qui vont mourir. » En raison du taux de vaccination plus faible dans certains groupes d’âge, les victimes du virus seront plus jeunes, selon André Veillette. »

C’est qu’une vaguelette, même très petite, serait une vague. C’est qu’en additionnant les vaguelettes on pourrait obtenir une véritable vague. À moins d’en arriver à un calme plat durable, je ne vois pas comment la pandémie pourrait prendre fin et comment la COVID-19 pourrait finir par devenir une maladie endémique dont on ne se soucierait pas plus que la grippe saisonnière, si on persiste à penser de cette manière. Quant aux prédictions de ce médecin sur l’augmentation des hospitalisations et les décès chez les personnes non vaccinées et plus jeunes, il faudrait que nos autorités politiques et sanitaires se décident enfin à rendre librement accessibles des données sur les relations du statut vaccinal avec les infections, les hospitalisations et les décès. Sinon nos autorités, les experts et les journalistes peuvent se tromper ou mentir sans même que nous ayons la possibilité de vérifier. Et même s’ils disaient vrai, nous n’aurions pas moyen de le savoir et il ne serait pas rigoureux et prudent de les croire sur parole pour quelque chose d’aussi important que notre santé et l’avenir de notre société.


Quelque chose est clair à la suite de la lecture de cet article : ces deux journalistes de La Presse ne pensent presque pas quand ils écrivent ; et quand ils le font, ils le font mal. Ils se contentent de débiter les informations et les avis d’experts qu’on leur fournit. Un programme de génération d’articles de journaux serait capable d’en faire autant, ou même de faire mieux. Ce n’est pas une plaisanterie. Compte tenu des importantes avancées qu’a connues l’intelligence artificielle au cours des dernières années, et qu’elle connaîtra au cours des années à venir, nos deux petits journalistes pourraient facilement être remplacés par un ordinateur et se retrouver sans emploi. Et ce sera bien fait pour eux. Ce sera le prix à payer pour leur incompétence crasse.