Observations sur le massacre de Boutcha

Le gouvernement ukrainien, les gouvernements occidentaux et les médias de masse condamnent unanimement le massacre de civils dont se seraient rendus coupables les soldats russes pendant l’occupation de la petite ville de Boutcha, située à environ 25 km de Kiev. Le gouvernement russe, pour sa part, dément ces accusations. Nous n’avons pas à le croire sur parole. Pas plus que nous n’avons à croire sur parole ses accusateurs. Même et surtout si nos gouvernements se sont rangés du côté du gouvernement de l’Ukraine et se sont engagés dans une guerre économique contre la Russie, il nous faut garder la tête froide et examiner sans parti pris ce qu’on nous dit de ce massacre et ce qu’on nous en montre, et ne pas soutenir ou réclamer de nouvelles sanctions contre la Russie en l’absence d’une enquête indépendante sérieuse. Ces nouvelles sanctions, si elles étaient imposées sans autre forme de procès à la Russie par nos gouvernements, pourraient avoir de graves conséquences pour les populations occidentales et pour la population ukrainienne. Les relations économiques entre l’Occident et la Russie pourraient devenir encore plus difficiles, et la Russie pourrait répliquer par des contre-sanctions, ce qui pourrait aggraver les difficultés d’approvisionnement, provoquer des pénuries (notamment dans les secteurs énergétique et alimentaire) et engendrer une hausse dramatique du coût de la vie. Les pourparlers entre l’Ukraine et la Russie, déjà difficiles, auraient encore moins de chances d’aboutir à une entente pour mettre fin à cette guerre. Et nos gouvernements continueraient à envoyer de l’équipement militaire en Ukraine et à inciter le gouvernement ukrainien à se battre coûte que coûte, alors que l’armée russe pourrait se montrer plus agressive et tirer davantage profit de sa supériorité technologique. Il en résulterait une intensification de la guerre et la mort d’un plus grand nombre d’Ukrainiens, civils ou militaires. Et les risques que le conflit s’étende aux pays voisins, par exemple la Pologne, augmenterait ; ce qui pourrait provoquer une guerre mondiale dévastatrice.

Je le dis encore une fois : ne nous laissons pas gouverner par nos émotions. Ceci est dans l’intérêt de nos pays respectifs, qu’il s’agisse du Canada, ou encore des États-Unis, de la France, de l’Angleterre, de l’Allemagne et des autres pays d’Europe, y compris l’Ukraine.


Revenons quelques jours en arrière, c’est-à-dire au moment où les soldats russes se sont retirés de Boutcha. Le 31 mars 2022, Anatoly Fedoruk, le maire de la ville, se félicite de la retraite de l’armée russe ou, pour dire les choses à la manière, de la victoire glorieuse des forces armées ukrainiennes sur les « orcs russes ».

Aucune mention du massacre des habitants de la ville par l’armée russe. Il est vrai qu’ayant vraisemblablement fui quand les occupants sont arrivés, le maire n’a peut-être pas encore eu le temps de voir les cadavres qui jonchent les rues de sa ville. Toutefois, les forces armées ukrainiennes qui ont repris le contrôle de la ville auraient dû remarquer ces cadavres et aviser le maire de Boutcha. Alors son allocution aurait été très différente : au lieu de chanter la gloire du peuple ukrainien et de l’armée ukrainienne, il aurait maudit la barbarie des soldats russes.

Voici ensuite une vidéo mise en ligne par la Garde nationale d’Ukraine le 2 avril 2022, dans laquelle des soldats patrouillent les rues de Boutcha. La vidéo a peut-être été tournée un peu avant sa publication, par exemple le 1er avril.

Pas de cadavres dans les rues. Mais il se peut que les cadavres qu’on verra dans la vidéo suivante se trouvent dans un autre secteur de la ville. Il serait néanmoins étonnant que les soldats ukrainiens ne se soient pas rendus plutôt à cet endroit, pour faire connaître à l’Occident les horreurs perpétrées par l’armée russe.

Malheureusement je ne comprends pas l’ukrainien et je n’ai pas trouvé de version sous-titrée de cette vidéo. Je ne sais pas si les civils avec lesquels parlent les soldats disent que les soldats russes ont fait des exécutions sommaires. Même si c’était le cas, cela n’explique pas pourquoi il a fallu attendre jusqu’au 3 avril 2022 pour que des vidéos montrent des rues jonchées de cadavres.


C’est donc seulement le 3 avril 2022 que le ministère de la Défense ukrainien diffuse la vidéo suivante, c’est-à-dire 4 jours après la retraite des soldats russes (qui aurait eu lieu le 30 mars 2022) et la reprise de Boutcha par les Ukrainiens (31 mars 2022). Ce qui veut dire que ces morts ont peut-être été tués après la reprise de la ville, et non avant. Il n’y a pas de raisons de présumer que les soldats russes sont coupables et que les soldats ukrainiens sont innocents.

La vidéo ci-dessous, en plus d’avoir été commentée par un média occidental, a été annotée et éditée par un internaute pour attirer l’attention sur quelques bizarreries.

En raison de la mauvaise qualité de la vidéo et du mouvement, nous ne pouvons pas être certains qu’un des cadavres déplace sa main. Il pourrait s’agir de quelque chose qui se trouve sur le pare-brise, comme le font remarquer des journalistes de la BBC. Je ne suis pas convaincu par ces deux captures d’écran, qui montrent bien que quelque chose bouge, mais sans qu’on ait l’impression que c’est le cadavre. Ça pourrait très bien être une goutte pluie qui est sur le pare-brise.

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Quant aux cadavres qui se relèveraient, les mêmes journalistes affirment que ça serait dû à une déformation de l’image dans le rétroviseur. Ils renvoient à cette vidéo comme exemple de ce phénomène, qui se produit quand l’objet s’approche de l’extrémité du miroir. Essayons de voir si c’est la même chose qui se produit dans la vidéo que nous avons vue.

Dans le cas du premier cadavre dont on a l’impression qu’il bouge, on remarque ce qui semble être une déformation à l’extrémité droite de l’image, qui affecte aussi la maison blanche qui est au-dessus du cadavre, près du coin du rétroviseur. Dans la première image, la maison semble plus mince qu’elle ne devrait l’être, alors que dans la deuxième image elle semble reprendre sa véritable largeur. Ce qui semble être un mouvement du cadavre pourrait s’expliquer par le même phénomène.

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Toutefois, on remarque que le reflet du cadavre gagne plus en largeur que la maison qui est au-dessus de lui. Peut-être est-ce à cause de la distance qui est différente, ou à cause de la courbure du miroir, ou à cause qu’il est plus éloigné du bord du miroir que la maison. Ou bien ce cadavre n’est pas mort et il bouge. Je ne saurais dire. J’ai l’impression qu’il bouge effectivement, mais j’ai déjà fait l’expérience d’illusions optiques qui m’ont trompé.

Il y a une autre chose étrange sur la deuxième image. On a l’impression que le cadavre est assis, que sa tête est en haut (rectangle rouge) et que ces jambes sont dans le rectangle jaune, alors qu’il est ou devrait être couché sur le côté. Ou s’il est bien couché sur le côté, on a malgré tout l’impression que sa tête est du côté d’où arrive le véhicule, alors qu’elle devrait du côté où le véhicule avance. Mais l’image est floue et la tête du cadavre pourrait correspondre au rectangle bleu, alors que ces bras ou ces jambes devraient être dans le rectangle jaune, même si je n’arrive pas avoir comment cette position pourrait correspondre à ce qu’on a vu à la droite du véhicule quelques secondes plus tôt.

J’avoue franchement que je ne sais pas quoi en penser. Je ne saurais être aussi catégorique que l’internaute qui a mis en ligne cette vidéo après l’avoir éditée. Ce qu’il a fait est toutefois utile, puisque cela suscite des doutes quant aux images qui doivent motiver un nouveau lot de sanction, et auxquelles on voudrait que nous croyions sans réfléchir et sans discuter.

En ce qui concerne les deux autres cadavres, on peut observer le même phénomène quand le véhicule s’éloigne et quand leur image s’écarte de l’extrémité du miroir.

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L’angle des cadavres par rapport à la bordure du chemin semble correspondre à ce qui a été vu juste avant, à la droite du véhicule. Même si l’image est floue, on remarque que la tache foncée qui apparaît dans le rétroviseur est plus courte du côté de la bordure de la route, ce qui concorde avec le fait que l’un des deux cadavres est plus petit que l’autre.

Il est donc peu probable que ces deux cadavres aient bougé. À tout le moins, ces images ne me semblent pas concluantes.


La méfiance dont j’ai essayé de faire preuve quant à l’analyse de ces images doit aussi s’appliquer de manière plus générale à ce qui s’est passé à Boutcha. Les images ne parlent pas d’elles-mêmes. Souvent on peut leur faire dire ce qu’on veut, surtout à force de répéter la même chose, avec l’aide des médias de masse. C’est pourquoi il est important de nous en tenir seulement à ce que nous avons vu, sans présupposer quoi que ce soit.

Demandons-nous ce que nous savons avec une certaine certitude et ce que nous ne savons pas après avoir vu ces deux vidéos et des photographies qui circulent dans les médias de masse. Nous savons qu’il y a des cadavres à Boutcha. Le gouvernement ukrainien, en s’appuyant sur le témoignage d’habitants, dit que ce sont les soldats russes qui sont coupables de ces meurtres. Pourtant le maire de la ville a annoncé avec joie la libération de la Russie, allant jusqu’à dire que tout le monde se portait bien. Pas question de cadavres dans les rues avant que les soldats ukrainiens s’installent à nouveau à Boutcha, c’est-à-dire quelques jours après la retraite des soldats russes.

Nous ne savons donc pas si ce sont les soldats russes, en suivant des ordres ou de leur propre initiative, qui ont tué ces personnes, ou si ce sont plutôt les soldats ukrainiens qui l’ont fait, par exemple en guise de représailles contre ceux qui auraient accueilli les soldats russes et qui auraient collaboré avec eux. Nous ne savons pas si tous ces cadavres sont ceux d’habitants de Boutcha, ou si plusieurs d’entre eux y ont été transportés. Nous ne savons pas si ce sont tous des cadavres de civils, ou s’il y a parmi eux des cadavres de soldats (ukrainiens ou russes) auxquels on a retiré leurs habits militaires pour les remplacer par des habits civils, ou s’il y a parmi eux des civils auxquels le gouvernement ukrainien avait remis des armes pour combattre l’armée russe, et qui pour cette raison ne doivent plus être considérés comme des civils, mais comme des combattants. Bref, nous ne savons presque rien et ne pouvons savoir presque rien à l’aide des images qu’on nous montre et l’interprétation qu’on en fait. Mais nous savons que les gouvernements et les médias occidentaux désirent que nous croyions que c’est l’armée russe qui est responsable, sans s’appuyer sur autre chose que les affirmations du gouvernement ukrainien, qui est loin d’être impartial dans cette affaire, et les témoignages de quelques civils qu’il rapporte. C’est déjà là savoir quelque chose d’important. C’est pourquoi il nous faut être très méfiants et très prudents, et ne pas nous laisser mener par le bout du nez.

Si ce massacre était attribué, sans preuves solides et sans enquête rigoureuse et indépendante, à l’armée russe, il pourrait servir à nous faire accepter de nouvelles sanctions économiques qui réduiront encore plus notre pouvoir d’achat et qui nous appauvriront. Il pourrait servir à nous faire accepter un durcissement de l’attitude occidentale à l’égard de la Russie, laquelle pourrait provoquer des représailles économiques de la part de la Russie, et aggraver encore plus notre situation économique. Il pourrait servir à nous faire accepter une intervention militaire plus directe des pays occidentaux dans ce conflit, ce qui pourrait entraîner une guerre mondiale.

Ce n’est donc pas une plaisanterie. Ce ne sont pas des accusations qu’on peut faire à la légère, sans preuves solides, sans envisager différentes possibilités, et sans écouter ce que la Russie a à dire pour se défendre. Il en va de notre avenir.

Enfin, même s’il s’avérait que l’armée russe est responsable de ce massacre, nous devrions nous demander s’il est juste de châtier la Russie, et de prendre parti pour l’Ukraine, sans enquêter sur les massacres contre la population russophone dont son armée et ses groupes paramilitaires seraient responsables depuis 2014. Puis il y a toutes les autres guerres où l’on commet des atrocités semblables, par exemple au Yémen, sans que nous n’intervenions. Pourquoi faudrait-il intervenir quand le coupable est la Russie, et pas quand c’est l’Arabie Saoudite ? Et de quel droit nous déclarons-nous gendarmes et juges des autres pays, alors que nos armées ont apportées la dévastation dans les pays de l’ex-Yougoslavie, en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie, en bombardant des villes, en détruisant les infrastructures civiles, en y provoquant des guerres civiles et en déstabilisant des régions entières ? Qui sont donc nos gouvernements pour faire la morale à la Russie ?


Voici une vidéo de Michel Collon, d’Investig’Action, sur le massacre de Boutcha, dans laquelle il se demande s’il s’agit d’un médiamensonge. Vous remarquez certaines ressemblances avec ce billet, parce que nous sommes partis tous les deux des mêmes images, aussi parce que j’ai visionné cette vidéo alors que ce billet était à moitié écrit.

Je vous renvoie aussi à mon billet du 12 mars 2022, dans lequel j’analyse des images manifestement truquées de l’attaque chimique de Douma, en Syrie. Question de ne pas oublier que de tels trucages ont déjà eu lieu et qu’ils continueront à avoir lieu.