La nouvelle religion sanitaire et sécuritaire

Voilà bientôt deux ans que nous sommes exposés à un prêche incessant. Il nous faut rester à la maison et réduire nos contacts. Il nous faut pratiquer la distanciation sociale et l’étiquette respiratoire. Il nous faut nous désinfecter les mains et porter un masque. Il faut nous faire dépister et nous isoler préventivement. Il faut nous faire vacciner une fois, deux fois, trois fois… Il nous faut consentir à la destruction de notre économie et à la dilapidation des fonds publics comme à des sacrifices indispensables. Il nous faut nous résigner à l’appauvrissement, à la raréfaction et à la réglementation des relations sociales, qui sont d’autres sacrifices nécessaires. Il nous faut croire que les bénéfices de ces sacrifices sont ou seront à la hauteur des pertes subies. Il ne nous faut pas douter que c’est pour notre bien qu’on nous séquestre et qu’on limite de plus en plus nos droits et nos libertés. Et il nous faut être convaincus que nous serons immanquablement punis, individuellement et collectivement, si nous ne respectons pas assidûment les nombreuses consignes sanitaires. Enfin il nous faut nous informer seulement aux sources autorisées qui sont détentrices de la vérité, et éviter les sources non orthodoxes ou hérétiques. Si bien qu’un nouveau clergé et une nouvelle religion ont vu le jour et consolident leur emprise sur ce que nous faisons, sentons et pensons. Il s’agira, dans ce billet, d’identifier ces ecclésiastiques, ainsi que de peindre les mécanismes religieux qui sont à l’origine de leur empire sur nous.

 

Sortes d’ecclésiastiques

Par ecclésiastiques, j’entends tous ceux – petits ou grands – qui profitent de l’urgence sanitaire ou qui prolifèrent grâce à elle, et qui tâchent d’accroître leur emprise sur nous grâce à la religion sanitaire et sécuritaire. À noter qu’on peut être ecclésiastique sans croire à cette religion, qui devient alors un instrument de pouvoir ou une manière de faire avancer sa carrière.

Les journalistes, dont le travail consiste à nous faire adhérer aux dogmes établis par le gouvernement et les experts autorisés, sont des sortes de curés qui doivent endoctriner les ouailles que nous sommes, s’assurer que nous ne nous éloignons pas du droit chemin et peindre comme des égoïstes, comme des imbéciles, comme des charlatans ou comme des fous ceux qui défendent des opinions contraires aux dogmes officiels et par conséquent fausses, dangereuses, criminelles et délirantes. Leurs employeurs bénéficiant de subsides publics et profitant du traitement sensationnaliste de la situation sanitaire, qui veille à l’avancement de sa carrière a tout intérêt à adhérer à ces dogmes religieux. Les plus zélées d’entre eux – par foi ou par calcul – sont encouragés à critiquer le gouvernement qui n’en ferait jamais assez en matière sanitaire. Voilà qui prépare le terrain au durcissement des contraintes existantes et à l’imposition de nouvelles contraintes par le gouvernement, en plus de donner l’illusion d’une certaine liberté de la presse.

Les médecins, les scientifiques, les modélisateurs et les autres experts autorisés sont les docteurs de la nouvelle Église ou, si on préfère, ses théologiens. Ils sont détenteurs de la vérité sur le virus et sa propagation. Sans leur aide, ces mystères sont inaccessibles aux simples fidèles, qui sont des profanes. Quant aux infidèles, doctes ou non, qui formuleraient des opinions divergentes, il est évident que leur cœur et leur esprit ont été corrompus par l’immoralité et la bêtise. Ces doctes personnages acquièrent une certaine notoriété par leur participation à des émissions de télévision et par les interviews qu’ils donnent aux journalistes, ce qui ne manque pas de flatter leur vanité. Ils augmentent aussi ainsi leurs chances d’obtenir des subsides publics ou privés pour leurs recherches, de se voir offrir des partenariats avantageux et lucratifs et même des positions de conseillers ou de consultants.

Les chefs politiques sont les rois et les ministres oints de l’urgence sanitaire. C’est à eux que revient la lourde tâche de gouverner la communauté des fidèles, de faire respecter les dogmes sanitaires et sécuritaires et d’endiguer les calamités provoquées par le virus et les infidèles. Les pouvoirs exceptionnels dont ils jouissent dépendant de l’état d’urgence sanitaire et de l’adhésion aux dogmes sanitaires et sécuritaires, ils n’ont pas intérêt à ce que l’état d’urgence sanitaire prenne fin, à ce que la situation épidémique s’améliore pour de bon et redevienne normale ou à ce que la communauté des fidèles perde de sa foi.

L’industrie pharmaceutique est une confrérie très sélecte qui a le monopole de la fourniture des sérums sacrés dont nous devons attendre notre salut grâce à la participation annuelle au sacrement d’inoculation collective, qui seul serait capable de nous protéger des calamités dues au nouveau diable qu’est le virus. L’influence et la richesse de cette confrérie dépend d’un prosélytisme agressif en faveur du merveilleux sérum comme voie unique de rédemption, mais aussi d’une efficacité de courte durée et variable selon les nouvelles incarnations ou manifestations de ce nouveau diable, qui a de multiples visages et qui a plus d’un tour dans son sac. Si bien qu’il faut renouveler les sacrements inoculatoires, que nos rois et ministres de droit divin paient généreusement à l’aide des impôts et des taxes que nous payons, après avoir reconnu à cette confrérie un privilège exclusif.

Les bureaucrates qui gagnent leur vie en élaborant le menu détail des consignes sanitaires que doivent respecter les fidèles, qui veillent à leur application et qui organisent des campagnes d’information et de sensibilisation sont les clercs de la nouvelle religion. Ils ont intérêt à ce que ces règles soient nombreuses, tatillonnes et changeantes, et qu’elles comportent de petites exceptions et toutes sortes de nuances et de vains raffinements. L’existence et l’expansion de l’ordre clérical auquel ils appartiennent et dont ils tirent leur subsistance dépend de ce travail qui est toujours à refaire et pour lequel il faudra toujours de nouvelles ressources financières et humaines, ce à quoi les hautes autorités de cet ordre et les rois et ministres oints de l’urgence sanitaire pourvoiront généreusement, à mêmes les fonds publics qui proviennent des taxes et des impôts que nous payons.

 

Le Diable

En raison de siècles et de siècles de christianisme, le manichéisme est profondément enraciné en Occident. C’est pourquoi il faut à la nouvelle religion sanitaire et sécuritaire, pour qu’elle ait quelque chance de réussite, un nouveau Diable contre les maléfices duquel elle doit nous protéger. L’emprise de la nouvelle religion sur la communauté des fidèles est à proportion de l’invisibilité, de l’omniprésence, de la méchanceté, de la sournoiserie, de la dangerosité, de la mutabilité et de la persistance du Diable. Sans ces attributs, les maléfices dont serait capable le Diable ne seraient pas suffisants pour justifier les sacrifices exigés continuellement par la nouvelle religion. C’est pourquoi les docteurs, les théologiens et les simples curés accordent une grande importance à la connaissance et à la reconnaissance des attributs du Diable par la communauté des fidèles.

Il est entendu que l’empire sur les esprits que le Diable procure au clergé dépend grandement du fait que les fidèles ne l’appellent pas par son nom, croient avoir affaire à une entité matérielle bien réelle qui n’est pas le fruit de leur imagination détraquée, et ne sauraient donc se soupçonner d’être atteints de superstition.

Il n’en demeure pas moins vrai que :

  1. Le Diable est invisible et partout : il est dans l’air, sur nos mains, sur les poignées de porte, sur les rampes d’escalier, sur toutes les surfaces, dans notre gorge, dans notre fosse nasale et dans nos poumons.

  2. Le Diable est méchant : il s’attaque surtout aux personnes âgées, fragiles ou plus vulnérables.

  3. Le Diable est sournois : il attend que nous baissions la garde pour nous attaquer sauvagement et que nous lui tournions négligemment le dos pour nous poignarder traîtreusement et nous montrer que nous avions tort de nous croire invulnérables à ses attaques.

  4. Le Diable est capable de tous les maléfices : il s’attaque aux poumons, au cœur, au cerveau et parfois aux autres organes et y cause des lésions permanentes, il prive de l’odorat et donc du goût, il ronge les orteils, il rend impuissant, etc.

  5. Le Diable connaît régulièrement des mutations et est là pour rester : il est capable de s’adapter en se métamorphosant, à la fois pour persister dans l’existence et pour continuer à nous faire de grands torts, idéalement toujours plus grands.

 

La tache originelle

Il est donc établi que le Diable, muni de tous ces attributs, existe, même si on lui donne généralement un autre nom. Mais encore faut-il, pour que la religion sanitaire et sécuritaire puisse exercer pleinement son emprise sur les fidèles, que tous les bien-portants, qui sont des malades qui s’ignorent, se sentent aussi menacés par le Diable. D’où l’importance d’une sorte de tache originelle, dont nous serions ou pourrions tous être porteurs – ça revient au même – en tant qu’êtres humains.

C’est précisément ce qu’on obtient en considérant que les personnes qui seraient porteuses de ce Diable mis au goût du jour sont atteintes de la COVID-19 (où le D est pour « disease ») et sont contagieuses même si elles n’ont pas de symptômes et donc ne sont pas malades ; ou en considérant que toutes les personnes qui ont reçu un résultat négatif à la suite d’un test de dépistage sont peut-être malgré tout porteuses du nouveau Diable et donc atteintes de la COVID-19 ; ou en considérant que toutes les personnes qui n’ont pas passé de test dépistage parce qu’elles n’ont pas de symptômes sont peut-être porteuses du Diable sans le savoir et seraient par conséquent malades et contagieuses à leur insu. Ce qui revient à dire que tous sont, en raison de leur vulnérabilité au Diable, des malades et des vecteurs de contagion potentiels. Ce qui implique que tous les bien-portants, en raison de cette souillure potentielle, doivent être traités comme des malades contagieux.

L’hypocondriaque devient alors un modèle de vertu, comme le superstitieux qui voit partout des signes de la présence du Diable. C’est même toute la société qui devient hypocondriaque et superstitieuse.

 

La constitution de la communauté des fidèles

C’est dans ce contexte qu’on a pu constituer la communauté des fidèles grâce à des confinements interrompus ou continus, à un prosélytisme agressif et à des rites omniprésents. Par la force des choses, les fidèles ont appris à vivre sous le signe du nouveau Diable, à reconnaître et à sentir son omniprésence et sa puissance. Comment aurait-il pu en être autrement, puisqu’ils ont consenti à laisser les aléas diaboliques, tels que compris ou décrits par le clergé, déterminer à quelles conditions ils pouvaient aller travailler ou quitter leur domicile ou devaient y demeurer, et à quels rites ils devaient se conformer régulièrement, comme se signer plusieurs fois par jour avec du gel désinfectant, se couvrir le visage à l’entrée des lieux publics, s’imposer des périodes de retraite et se faire entrer un machin dans la fosse nasale pour voir si le Diable y est ?

Malgré la cohésion procurée par la guerre contre l’Ennemi invisible et omniprésent, le clergé avait besoin d’opposants bien visibles pour cimenter la communauté des fidèles. C’est ainsi que toutes les personnes qui osaient remettre en question les dogmes de la nouvelle religion et la bienveillance du clergé et ne pas participer aux nouveaux rites ont été affublés de toutes sortes de noms, par exemple « complotistes », « récalcitrants » et « anti-masques », ce qui est autant de manières de dire qu’ils sont des infidèles. Les ecclésiastiques ont répété maintes fois aux fidèles que les actes et les paroles des infidèles sont des sacrilèges dangereux et même criminels, en ce qu’ils donneraient des forces nouvelles au Diable et compromettraient les efforts faits pour combattre ses maléfices. Du haut de leur chaire, ils ont imploré leurs ouailles d’ignorer leurs propos hérétiques et d’éviter de les fréquenter, leur non-respect des rituels protecteurs les disposants à souffrir des maux diaboliques et à les propager aux fidèles consciencieux.

C’est ainsi que la communauté des fidèles a pu se constituer et acquérir une identité collective propre, par son opposition à tout ce que le clergé lui a présenté comme faux, fou, dangereux et criminel, et par le désir de se distinguer et de se tenir à l’écart de cette bande de mécréants stupides, dingues, superstitieux et criminels qui n’appartient pas à la même communauté qu’eux.

 

Découverte des merveilleux sérums et annonciation du salut

Avec le retour des beaux jours, le clergé avait jugé bon de faire sortir de leur retraite leurs ouailles. Les rites avaient permis d’exorciser les maléfices du Diable et les fidèles devaient être récompensés pour les sacrifices auxquels ils avaient consenti. Mais il ne fallait pas se relâcher, car le Diable demeurait à l’affût et menaçait de frapper à la première occasion. Le clergé eut beau prophétiser le retour des maléfices diaboliques, une partie des fidèles entendait reprendre le temps qui selon elle avait été perdu durant la grande retraite, et se permettait par conséquent toutes sortes de licences. Pour garder sous contrôle les fidèles et dans un effort pour prévenir un retour des maléfices diaboliques, on les obligea à se couvrir le visage dans tous les lieux publics intérieurs. C’était là une manière de leur faire sentir que le Diable était encore là et qu’il pouvait s’immiscer sournoisement en eux, attendant le retour de la saison sombre pour se manifester à nouveau et les couvrir de calamités. En outre, c’était là une manière de cultiver leurs dispositions à l’obéissance.

Alors que les jours raccourcissaient, les bonzes de la Confrérie pharmaceutique annoncèrent la découverte de merveilleux sérums capables de laver les fidèles de la tache originelle et d’éloigner le Diable de la communauté des croyants. Toutefois, pour que ça fonctionne, les fidèles devraient placer toute leur foi dans ces sérums, et ne pas accorder foi aux propos mensongers des herboristes et des apothicaires, qui s’avéraient d’ailleurs être des ignorants ou des charlatans qui entendaient traiter les maux causés par le nouveau Diable comme de vulgaires refroidissements. Aux maléfices d’un nouveau Diable, il fallait de nouveaux remèdes. Les merveilleux sérums étaient donc exactement ce qu’il fallait.

Tout le clergé annonça que le salut allait venir, même si les jours raccourcissaient et les maléfices diaboliques allaient recommencer. Il fallait seulement que les fidèles reçoivent le sacrement de l’inoculation quand leur tour viendrait, et alors ils seraient tous protégés contre les maléfices du Diable, la vie pourrait reprendre son cours normal et la société allait pouvoir renaître de ses cendres, purifiée de ses imperfections grâce aux épreuves endurées, et par conséquent plus juste. Mais il fallait, avant que l’inoculation des merveilleux sérums ne commence, obtenir l’autorisation du Collège des Doctes Théologiens.

Le roi signa avec la Confrérie pharmaceutique un contrat de gré-à-gré pour le pré-achat de plusieurs millions de fioles des merveilleux sérums et mandata le clergé de préparer la grande campagne de lessivage de la tache originelle.

 

Sacrements collectifs de l’inoculation et de la confirmation inoculatoire

C’est au plus creux de la saison morte, au moment même où les nuits étaient les plus longues, et juste après l’annulation des fêtes de fin d’année par le roi et la prêtraille et le début d’une retraite forcée (dont on ne savait pas quand elle devait finir) pour cause de maléfices diaboliques, que le Collège des Doctes Théologiens rendit son verdict : les merveilleux sérums étaient sacrés et seuls eux pouvaient venir à bout du Diable. Alléluia !

Le clergé déclara aux fidèles qu’un sauveur était enfin arrivé, et que les sérums sacrés allaient les laver de la tache originelle et leur permettre de sortir de leur retraite. Pour être sauvés, il leur répéta qu’il leur fallait seulement recevoir le sacrement de l’inoculation et, quelques semaines plus tard, le sacrement de la confirmation inoculatoire. La tache originelle était tellement persistante et le Diable était tellement résistant qu’il fallait deux doses de sérum sacré pour laver la première et repousser le second, comme le montraient avec certitude les doctes études soumises par la Confrérie pharmaceutique au Collège des Doctes Théologiens.

Pour inciter les fidèles à se faire inoculer, le clergé déclara que l’inoculation servait non seulement à se protéger soi-même contre les attaques vicieuses du Diable, mais qu’elle servait aussi à protéger les autres. C’est ce qu’on appela l’inoculation altruiste. Ceux qui refusaient de recevoir le sacrement de l’inoculation, par leur souillure, demeuraient non seulement vulnérables aux maléfices du Diable, mais rendaient aussi les inoculés – qui étaient pourtant individuellement protégés contre ces maléfices – vulnérables à ces mêmes maléfices. C’est toute la communauté des fidèles qui devait être purifiée par les sacrements de l’inoculation et de la confirmation inoculatoire.

Alors que le clergé érigeait des milliers de chapelles d’inoculation et recrutaient par dizaine de milliers les inoculateurs avec les deniers publics qui avaient été mis à leur disposition par le roi, des mécréants osèrent formuler publiquement des doutes sur l’efficacité et l’innocuité des sérums sacrés et proposer des remèdes et des approches thérapeutiques plus traditionnels. Le clergé, animé d’un noble indignation, déclara qu’ils étaient des infidèles ignorants et criminels. Il n’était pas question de laisser ces hérétiques affaiblir son emprise sur les fidèles et les entraîner sur la voie de la perdition à un moment si critique. Le Saint-Office-de-la-Pureté-de-la-Foi décréta que l’expression de toute opinion sur sérums sacrés non conforme au consensus religieux devait être rabrouée publiquement et devait entraîner des sanctions disciplinaires et des châtiments à établir selon la gravité de l’offense.

Les vœux les plus chers du clergé furent exaucés : les ouailles affluèrent en grand nombre dans les chapelles pour être inoculés.

 

Consolidation de la communauté des fidèles et exclusion des non-inoculés

L’inoculation collective des fidèles permettait désormais au clergé de séparer le bon grain de l’ivraie. Car s’il s’avérait difficile de s’assurer de la foi des fidèles, il était facile de vérifier leur statut inoculatoire. À cet effet, le clergé conservait un grand registre de tous les inoculés et avait remis un certificat d’inoculation à chaque fidèle inoculé. Tout était dorénavant très simple : les fidèles étaient les inoculés et les infidèles, les non-inoculés.

Les ecclésiastiques virent dans cet état de fait une occasion de consolider leur emprise sur la communauté des fidèles. Ils disposaient maintenant non seulement des moyens de protéger les fidèles contre l’influence néfaste des infidèles, mais ils pouvaient aussi renforcer l’unité de la communauté des fidèles par les tensions – savamment entretenues – qui l’opposent aux infidèles.

Les curés montèrent en chaire pour condamner l’entêtement et même le fanatisme des infidèles qui refusaient les sacrements de l’inoculation et de la confirmation inoculatoire, qui étaient un fardeau pour la communauté des fidèles, et qui représentaient même une menace pour chacun des fidèles et pour toute la communauté. Ils invitèrent les fidèles à s’enquérir du statut inoculatoire de toutes les personnes qu’ils fréquentaient, et de tenir à l’écart celles qui se déclaraient non inoculées ou qui refusaient de répondre. Ils préparèrent les esprits à l’idée de devoir présenter un certificat d’inoculation en règle pour accéder à certains lieux, pour participer à certaines activités, pour voyager et pour conserver ses moyens de subsistance. En raison de ce travail préparatoire, le roi et ses ministres purent prendre ces mesures sans opposition, tant la communauté des fidèles croyait qu’il était dans son intérêt d’exclure progressivement de la société les infidèles et, par ce moyen, obtenir leur conversion ou, à tout le moins, les empêcher de nuire.

Même si les cibles inoculatoires initiales avaient été largement atteintes, même si le Diable semblait avoir perdu de sa puissance depuis le retour des beaux jours en raison de l’inoculation des merveilleux sérums, le roi, ses ministres et le clergé jugèrent imprudents de suspendre l’obligation de se purifier les mains et de se couvrir le visage en entrant dans les lieux publics même s’ils mirent fin dans une certaine à la seconde grande retraite obligatoire, ou justement pour cette raison. Le Diable n’avait pas encore été vaincu. Il était toujours là, à l’affût et prêt à frapper à la première occasion, car il avait plus d’un tour dans son sac. D’ailleurs, comment aurait-on pu le vaincre et le savoir puisque les conditions de la victoire n’avaient pas été définies par les hautes autorités royales, ministérielles et ecclésiastiques ? Bref, on avait certes gagné une bataille importante, mais la guerre continuait. Par conséquent, les rites de purification des mains et de couverture du visage devaient être maintenus, pour que les fidèles gardent leurs bonnes habitudes et ne se relâchent pas, et pour que le clergé conserve son emprise sur eux en ces temps de crise. Pour les mêmes raisons, le roi et ses ministres décidèrent de ne pas mettre fin à l’état de siège, l’Ennemi invisible étant toujours bien présent à l’intérieur des murs de la Cité, et étant plus menaçant que jamais, en raison de sa dernière métamorphose dont le Collège des Doctes Théologiens craignait qu’elle le rende résistant aux sérums sacrés.

 

La faute des infidèles

Les jours raccourcirent, le froid revint et le Diable sortit de sa cachette. Ses maléfices recommencèrent. C’était assurément la faute des infidèles car, c’était la vérité pure, les sérums sacrés étaient efficaces contre ces maléfices. Pas moyen d’en douter. S’il n’y avait que des fidèles, ces maléfices ne seraient plus, ou du moins ils seraient moindres. S’il n’y avait que des infidèles, la Cité aurait depuis longtemps été détruite par les maléfices du Diable.

Le roi, les ministres et le clergé pensèrent d’abord à obliger par toutes sortes de moyens les infidèles à consentir de manière libre et éclairée aux sacrements de l’inoculation et de la confirmation inoculatoire. Toutefois on jugea plus opportun d’inoculer les enfants, car on pouvait à moindre coût obtenir un agrandissement de la communauté des fidèles en lui apportant du sang nouveau, compenser ainsi le refus des infidèles, et procurer ainsi une protection inoculatoire plus grande à la communauté des fidèles.

Les ecclésiastiques n’en fulminaient pas moins contre les infidèles, qui étaient à leurs dires beaucoup plus sujets aux maléfices du Diable que les fidèles, et qui étaient la brèche par laquelle le Diable s’immiscerait pour attaquer sans merci les fidèles qui, même s’ils étaient protégés par la double inoculation des sérums sacrés, demeuraient vulnérables à ces assauts diaboliques.

 

Retour en force du Diable

Alors que le froid et les ténèbres l’avaient définitivement emporté sur le beau temps et la lumière, et que les inoculateurs rivalisaient de vitesse avec le Diable pour fidéliser le plus d’enfants possible, le Collège des Doctes Théologiens annonça que le Diable s’était encore métamorphosé pour mieux infliger ses maléfices à la communauté des fidèles. La Confrérie pharmaceutique s’empressa de déclarer qu’elle venait de découvrir que les sacrements d’inoculation et de confirmation inoculatoire devaient être suivis d’un sacrement de reconfirmation inoculatoire pour que les sérums sacrés soient pleinement efficaces contre la nouvelle incarnation du Diable. Le Collège autorisa avec empressement ce nouveau sacrement. Des membres du clergé précisèrent toutefois que, même si ce nouveau sacrement allait certainement procurer une protection accrue contre cette nouvelle incarnation diabolique, il ne fallait pas non plus en attendre des miracles. Cette mise en garde fut suivie de peu par une nouvelle annonce de la Confrérie pharmaceutique à l’effet qu’elle travaillait sur un nouveau sérum tout aussi merveilleux que les précédents et spécialement conçu pour protéger des maléfices de la nouvelle incarnation du Diable.

Mais cette nouvelle porte de salut était annoncée pour le printemps et le nombre de personnes possédées par la nouvelle incarnation du Diable augmentait dramatiquement, y compris parmi les fidèles doublement inoculés au sérum sacré. Même s’ils disaient que la situation était critique, le roi et ses ministres décidèrent de ne pas interdire les festivités de fin d’année et s’abstinrent d’ordonner immédiatement une nouvelle retraite forcée et un nouveau couvre-feu. Afin de ne pas provoquer la grogne des fidèles, ils décidèrent de diminuer de moitié le nombre de participants autorisés, en rappelant que seuls devaient y prendre part les fidèles doublement inoculés. Puisqu’il était connu que les maléfices diaboliques et surtout les cas de possession deviendraient plus fréquents bientôt, les autorités royales et ecclésiastiques voyaient dans cette permission généreusement accordée un moyen d’accroître leur emprise sur la communauté des fidèles, en usant de son sens des responsabilités et de son sentiment de culpabilité. Car elles pourront dire : « N’est-ce pas parce que vous avez fêté quand le Diable sévissait que ses maléfices se sont intensifiés ? N’aurait-il pas été plus sage de faire pénitence ? Les maléfices que nous connaissons aujourd’hui sont le prix à payer pour votre relâchement. Il vous faut donc assumer les conséquences de vos actes, prendre vos responsabilités comme des adultes et accepter sans rechigner les nouvelles restrictions que votre comportement nous oblige à vous imposer. » Les fidèles seront alors tout disposés à accepter une nouvelle retraite généralisée et un couvre-feu strict ; à consentir librement et de manière éclairée à un nouveau sacrement de reconfirmation inoculatoire et, plus tard, à un autre sacrement d’inoculation adaptée s’ils veulent revoir la lumière du jour ; et à réclamer la vaccination obligatoire de tous les infidèles non inoculés – qui refusent de faire leur part pour le salut collectif, dira-t-on –, agrémentée d’une forte amende et d’une peine d’emprisonnement en cas de refus de donner leur consentement libre et éclairé à ces sacrements inoculatoires et de rejoindre enfin la grande communauté des fidèles, comme l’exigent évidemment la Raison et la Morale. Car maintenant tout est sur la table, pour le plus grand bien de la communauté des fidèles. Amen !