Nous sommes tous vulnérables

Les autorités politiques et sanitaires, et aussi les médias, nous répètent ad nauseam que nous, qui sommes bien portants, jeunes ou un peu moins jeunes, devons penser à nos aînés ainsi qu’aux autres personnes vulnérables, et appliquer rigoureusement les mesures en vigueur pour ralentir la propagation du Virus et protéger la santé des plus vulnérables.

Et les mêmes autorités enchaînent, après une courte pause : « Mais même si vous êtes jeunes et en santé, vous êtes vous aussi vulnérables. Vous pouvez attraper le Virus, avoir des symptômes, être malades, vous retrouver à l’hôpital, peut-être aux soins intensifs, et même mourir. Vous avez tort de vous penser invulnérables, de vous croire invincibles. Vous êtes tous et nous sommes tous vulnérables. »

Sans doute a-t-on raison de ne pas vouloir insister seulement sur la vulnérabilité des personnes âgées. Sans doute a-t-on raison de dire que nous sommes tous vulnérables, même les plus jeunes et les plus en santé d’entre nous. Mais sans doute a-t-on tort de parler surtout de la vulnérabilité au Virus, alors qu’il y a tant d’autres maladies qui non seulement continuent à faire des ravages depuis l’apparition du Virus, mais qui en font de plus bel parce que nos forces sont canalisées dans la lutte contre le Virus. Mais sans doute a-t-on aussi tort de mettre principalement l’emphase sur la vulnérabilité aux maladies, alors que nous sommes aussi vulnérables à la pauvreté et à la misère qui résultent des mesures prises pour lutter contre le Virus. Mais sans doute a-t-on aussi tort de mettre l’accent sur les maux économiques qui résultent de ces mesures quand on ne se laisse pas aveugler par la lutte à mort contre le Virus, alors que nous sommes pourtant tous vulnérables à de nombreux maux politiques, sociaux, moraux et culturels. Si bien que les autorités, les journalistes et les bien-pensants, qui nous rebattent sans répit les oreilles avec notre vulnérabilité au Virus, en fait sous-estiment gravement notre vulnérabilité. Ils ne voient même pas, ou se plaisent à ne pas même voir, la pointe de l’iceberg.

Ce sont donc là des vulnérabilités – effectives ou à venir – qu’il faudra esquisser.

Remarquons d’abord que les personnes qu’on dit particulièrement vulnérables au Virus, principalement les personnes âgées, et plus particulièrement les résidents des CHSLD, n’ont pas toujours été vieilles et plus vulnérables que les autres groupes de personnes. Elles ont déjà été jeunes et bien portantes. Inversement, elles peuvent devenir encore plus vulnérables avec le temps et aussi en raison de la détérioration de leurs conditions de vie et des soins reçus.

L’attitude qui consiste à faire une priorité, et même une priorité absolue, de la protection des personnes actuellement âgées et plus vulnérables, n’est donc rien d’autre qu’une réaction émotionnelle et peu réfléchie. Pour ceux qui l’ont adoptée, il est scandaleux que les résidents des CHSLD et des RPA meurent par milliers, et ils sont prêts à accepter et vont même jusqu’à demander des mesures qui ont pour effet une dégradation rapide des conditions de vie de ceux qu’ils prétendent protéger, de même que des soins qu’on leur donne – ce qui peut évidemment entraîner une détérioration de leur état de santé et même des décès.

Par exemple :

  • l’interdiction de recevoir des visiteurs ;

  • l’interdiction de sortir à l’extérieur ;

  • l’interdiction de socialiser avec les autres résidents ;

  • la suspension des activités sociales ou physiques normalement organisées ;

  • l’obligation de rester enfermé dans sa chambre ;

  • l’isolement des personnes porteuses du Virus, dans des aires réservées à cet effet dans le même établissement, ou ailleurs, dans des hôpitaux ou des hôtels, où peuvent se trouver des malades (par définition symptomatiques) contagieux ;

  • le confinement systématique des membres du personnel de soins ayant reçu un résultat de test positif, même s’ils sont asymptomatiques, sous prétexte d’empêcher la contagion, ce qui n’a pas manqué d’entraîner et ne manquera pas d’entraîner (si on fait la même chose) une pénurie de personnel et de soins, le surmenage et l’exploitation de ceux qui restent, et des démissions par centaines.

Ainsi est-il légitime de se demander dans quelle mesure toutes ces mesures ont aggravé et continueront d’aggraver la vulnérabilité (à toutes sortes de maux, et pas seulement au Virus) des personnes plus vulnérables qu’on prétend justement protéger. Ainsi est-il légitime de se demander, comme d’autres l’ont déjà fait avant moi, quelle est la proportion des décès et des complications attribués au Virus qui ont été en fait causés par les mesures qui devaient justement entraver sa propagation.

Mais les résidents des CHSLD et des RPA ne sont pas les seuls à être vulnérables à la maladie ou à d’autres problèmes de santé. Qu’on considère maintenant que le report des consultations annuelles, des examens médicaux, des traitements ou même des chirurgies a pu rendre de nombreuses personnes plus vulnérables à des maladies sérieuses, qui sont responsables d’une partie considérable des décès au Québec (par exemple les maladies cardiovasculaires et les cancers). Peu importe la raison pour laquelle cela s’est produit : le redéploiement du personnel médical et des ressources matérielles pour faire la guerre au Virus, le confinement systématique des médecins et des infirmières ayant été déclarés porteurs du Virus sans avoir de symptômes, ou le fait d’avoir terrorisé la population pour qu’elle reste à la maison, dans le but de ralentir la propagation du Virus, ce qui a eu pour effet que certains ont refusé d’aller à l’hôpital ou à la clinique, par crainte d’être infectés. Dans tous ces cas, on a rendu de nombreuses personnes plus vulnérables à divers maux, plus ou moins graves, connus ou inconnus des principaux intéressés. Et alors que le retard causé par la « première vague » n’a pas encore été repris, un phénomène semblable commence à se produire pour des raisons semblables lors de cette « deuxième vague », et aura de toute évidence des effets semblables.

Maintenant, pensons à plus long terme. Ceux d’entre nous qui sont déjà âgés, et qui ne succomberont pas d’une infection au Virus ou des conséquences des mesures prises pour contrer sa propagation, continueront de vieillir, et leur santé continuera de se dégrader. Ceux d’entre nous qui sont jeunes ou moins jeunes, qui pour la très grande majorité ne succomberont pas d’une infection au Virus, vieilliront aussi et finiront par devenir vieux, et leur santé ne manquera pas de se détériorer. Ainsi nous deviendrons tous, que nous soyons jeunes ou vieux maintenant, plus vulnérables aux maladies et aux problèmes de santé qui découlent du vieillissement. Cela est inévitable. Cela fait partie de la condition humaine, qu’il faut accepter.

Mais il y a d’autres facteurs qu’il ne nous faut pas accepter, et que nous devons essayer de contrecarrer. Je pense à toutes les conséquences économiques des mesures prises pour lutter contre la propagation du Virus et empêcher coûte que coûte les personnes les plus vulnérables de mourir d’une infection audit Virus, et qui ne manqueront pas d’accroître le nombre de personnes vulnérables et la gravité de leur vulnérabilité :

  • la dégradation des conditions de vie dans les CHSLD, qui résultera de la fermeture des commerces et des industries, des faillites qui en résulteront, des dépenses supplémentaires de l’État pour soutenir les chômeurs et les entrepreneurs, et de la baisse des revenus de l’État et de ses investissements dans les CHSLD ;

  • la diminution du nombre de personnes qui auront réussi à économiser suffisamment pour payer leur séjour dans des résidences de personnes âgées privées, et y bénéficier de soins et de conditions de vie supérieures à ceux qui seront offerts dans les CHSLD financés par l’État ;

  • la dégradation générale des conditions de vie, ce qui veut dire que beaucoup d’entre nous vieilliront plus mal, et qu’ils deviendront plus vulnérables aux maladies en général, et aux maux qui se manifestent avec l’âge ;

  • la disparition d’une retraite comme celle que connaissent actuellement nos aînés, soit qu’on reporte l’âge minimal de la retraite, soit que les pensions et les rentes publiques destinées aux retraités, dans le contexte de la grave crise économique qui se prépare, soient diminuées ou disparaissent, soit qu’il nous soit beaucoup plus difficile d’économiser pour notre retraite en raison des transformations prochaines du marché du travail, soit que les économies déjà faites pour notre retraite s’envolent en fumée, avec la dévaluation de la monnaie et l’effondrement partiel ou total du système banquier et financier ;

  • la diminution du budget de l’État consacré à la santé, qui résultera de cette crise économique, et qui aura pour effet l’extension du principe de l’utilisateur-payeur, la dégradation du système public de santé ou même la disparition ou la privatisation d’une partie des soins qui y sont offerts.

Bref, ceux d’entre nous qui souffrent déjà des maux de l’âge, et ceux d’entre nous qui en viendront à souffrir d’eux tôt ou tard, deviendront plus vulnérables à tous ces maux, en raison des mesures prises pour protéger par tous les moyens, et peu importe les conséquences, nos aînés qui sont plus vulnérables. Les plus âgés d’entre nous, qui ne seront pas les seuls à connaître la vulnérabilité, devraient s’opposer au fait qu’on les rende encore plus vulnérables sous prétexte de les protéger, et qu’on rende plus vulnérables qu’eux leurs cadets pour la même raison. Ceux d’entre nous qui sont jeunes ou moins âgés devraient comprendre qu’on les rendra beaucoup plus vulnérables que leurs aînés, au fur et à mesure qu’ils vieilliront, sous prétexte de protéger ces aînés ; et devraient réclamer qu’on prenne aussi en considération leur vulnérabilité à venir et leurs intérêts.

Faisons un pas de plus. Car en mettant l’emphase sur la vulnérabilité de certains ou de tous aux maladies et aux maux causés par le vieillissement, on sous-estime la complexité et la gravité de la situation. Car l’actuelle crise « sanitaire » est bien loin d’être simplement sanitaire. Elle est aussi économique, politique, sociale, culturelle et morale. Et elle est peut-être bien plus économique, politique, sociale, culturelle et morale, que sanitaire.

Je ne m’attarderai pas longuement à notre vulnérabilité aux maux économiques actuels et à venir. D’autres en ont déjà parlé, et moi aussi. Je signale seulement ces maux en vitesse, sans expliquer le pourquoi et le comment :

  • l’inefficacité de la relance économique, dans un contexte où les sommes dépensées par l’État sont gaspillées en raison des mesures sanitaires qui non seulement empêchent l’activité économique de reprendre, mais qui la détruisent aussi ;

  • le déficit et l’accroissement de la dette de l’État, qui voit ses dépenses augmenter, ses revenus diminuer et les sommes d’argent empruntées augmenter ;

  • l’adoption de politiques d’austérité draconiennes, dont les effets seront l’appauvrissement de la population, la dégradation des services publics et la dissolution du filet social ;

  • la détérioration des routes, des autoroutes, des ponts, des transports en commun, du réseau ferroviaire, des infrastructures portuaires, des barrages hydroélectriques, et du réseau de distribution de l’électricité ;

  • la faillite de nombreuses entreprises, principalement des PME ;

  • la perte massive d’emplois, dont beaucoup ne seront pas remplacés de sitôt par des nouveaux emplois, sauf par des emplois minables et mal rémunérés, en moins grand nombre ;

  • l’exploitation des travailleurs par les entreprises survivantes (dont on peut croire que ce seront souvent de grandes entreprises), les employés mécontents ou indociles pouvant facilement être remplacés par les nombreux chômeurs qui seront prêts à supporter n’importe quoi pour échapper à la misère ;

  • des problèmes d’approvisionnement dans les secteurs alimentaire, vestimentaire, énergétique, métallurgique, mécanique, électronique et informatique ;

  • etc.

On ne saurait donc parler simplement d’une récession économique, comme certains experts, politiciens et journalistes se plaisent à le faire. Il s’agira d’une crise économique au sens fort du terme, et peut-être même d’un véritable effondrement économique. Pour rien au monde nous ne devons sous-estimer la pauvreté et la misère auxquelles beaucoup d’entre nous seront exposés, et seront d’autant plus vulnérables, que contrairement à nos grands-parents ou arrière-grands-parents, nous n’aurons pas la possibilité d’effectuer un retour à la terre, parfaitement ignorants que nous sommes de l’agriculture et incapables de trouver suffisamment de terres fertiles ou de les défricher.

Mais venons-en aux maux politiques, sociaux, culturels et moraux auxquels nous sommes actuellement exposés, et auxquels les circonstances actuelles et futures nous rendent et continueront de nous rendre plus vulnérables. Chacun d’entre eux mériterait un développement pour qu’on en comprenne bien les causes et les effets, et la manière dont il se combine avec les autres maux. Pour l’instant je me contenterai donc de les esquisser rapidement, en me proposant de traiter plus tard quelques-uns d’entre eux dans d’autres textes.

La peur du Virus, qu’entretiennent et cultivent assidûment les autorités politiques et sanitaires et les journalistes, de même que la grande entreprise de moralisation devant convaincre l’ensemble de la population de faire de la protection des personnes les plus vulnérables la priorité absolue, contribuent grandement à l’apparition ou à l’aggravation des maux suivants :

  • l’octroi de pouvoirs considérables ou arbitraires au Gouvernement et aux autorités sanitaires, qui multiplient les décrets et les arrêtés, et organisent à leur gré la vie en société et le comportement des individus ;

  • la limitation, la suspension ou l’abolition de plusieurs de nos droits et libertés, comme le droit d’aller où nous voulons quand nous voulons, et de fréquenter qui nous voulons quand nous voulons comme nous le voulons, sans nous exposer à être dénoncés par nos concitoyens ou à recevoir une amende ;

  • la destruction progressive de la sociabilité qui résulte de notre confinement dans l’activité professionnelle (souvent en télétravail) et la vie familiale, laquelle, à l’échelle individuelle, constitue une menace pour l’amitié et l’amour et, à l’échelle sociale, a pour effet la dissolution progressive du tissu social ;

  • le risque, quand nous critiquons ouvertement les décisions prises par les autorités et le narratif des médias, d’être traînés publiquement dans la boue, d’être censurés, d’être menacés de renvoi par nos employeurs, et de nous exposer aux sanctions disciplinaires des associations professionnelles auxquelles nous sommes contraints d’appartenir pour exercer notre profession ;

  • la multiplication et la modification continues des consignes, et l’obéissance et même le dressage qui en résultent et qui sont incompatibles avec l’attitude attendue d’un citoyen dans un État démocratique ;

  • la mise en place graduelle d’une austérité morale qui rend notre existence ennuyeuse, qui encadre, dégrade ou interdit les célébrations, qui fait d’elles l’une des principales causes de la situation dans laquelle nous nous trouvons, et qui en viendra tôt ou tard à obtenir la disparition de nombreuses activités (la gastronomie, la discussion, la fête, le théâtre, la musique, les sports, etc.) et de nombreux lieux (les restaurants, les cafés, les bars, les salles de spectacle, les complexes sportifs, etc.) qui font l’agrément de la vie, pour ne conserver que ce qui est jugé essentiel ;

  • l’augmentation de la criminalité, et plus particulièrement des crimes violents, à cause de la pauvreté et de la misère causées par les mesures prises par le Gouvernement pour lutter contre la propagation du Virus, et à cause du fait que des personnes déjà instables, ou qui seraient saines d’esprit dans un autre contexte, « péteront les plombs » en raison du mode de vie très insatisfaisant qu’on nous impose ;

  • la neutralisation de nombreuses disciplines intellectuelles qui contribuent à la formation de l’esprit critique, comme la philosophie, les sciences humaines et sociales et la littérature, qui ont besoin d’un milieu social pour produire leurs effets, et qui supportent mal l’enseignement par vidéoconférence ;

  • la vulnérabilité de nos institutions démocratiques et de toute notre civilisation du fait de la perte d’esprit critique et de vitalité, et de notre isolement, qui découlent de l’organisation actuelle de la vie et qui rendent plus difficile d’organiser la résistance à toutes les formes de propagande et de délire collectif dont sont ou pourraient être responsables les grands médias, et aux décisions opaques et contraires à nos intérêts susceptibles d’être prises par nos autorités, qui prennent un goût manifeste à l’autorité presque sans bornes qu’elles se sont elles-mêmes accordée depuis que l’état d’urgence sanitaire a été déclaré ;

  • etc.

Que faut-il conclure de ce florilège de maux qu’on considère secondaires, dont on parle très peu ou pas du tout, et que nos autorités, les grands médias et tous ceux qui ne jurent que par le narratif officiel de la pandémie actuelle ne considèrent pas comme des maux, et dans lesquels ils voient peut-être même des biens, comme l’anéantissement ou la neutralisation de la pensée critique, et comme la disparition de notre amour de la liberté et de ce qu’il nous reste encore de vitalité ?

Que nous avons grand tort de considérer presque exclusivement la vulnérabilité immédiate des personnes les plus vulnérables au Virus, et d’être le plus souvent aveugles à tous les autres maux, actuels ou à venir, auxquels nous sommes tous vulnérables, et auxquels seront particulièrement vulnérables les plus jeunes d’entre nous et les générations futures.

Qu’il n’est pas criminel de relativiser la vulnérabilité des plus vulnérables au Virus, mais qu’il est criminel de minimiser tous ces autres maux qui sévissent déjà ou qui séviront bien assez vite, et dont les conséquences sont incommensurablement plus graves et plus durables.

Que si beaucoup d’entre nous n’en viennent pas bientôt à ouvrir les yeux, à comprendre leurs intérêts, ceux de leurs concitoyens et ceux des générations à venir, à faire ce qu’il faut pour défendre leurs droits et leurs libertés et l’avenir des plus jeunes, et à lutter contre la prolifération de tous ces autres maux auxquels nous sommes vulnérables, nous aurons tôt fait de le regretter, si du moins nous disposons encore d’assez d’esprit critique et si nous ne sommes pas trop ramollis.

Que nos institutions, notre société et la civilisation à laquelle nous appartenons ne sont pas invulnérables et éternelles, qu’elles ne peuvent pas exister dans n’importe quelles conditions, et qu’un ordre social et politique bien pire pourrait naître de leurs cendres.