Ne pas succomber à la peur

Je reproduis ici le texte d’un ami qui, bien que vacciné et très critique vis-à-vis d’une certaine catégorie d’opposants aux mesures sanitaires, n’entend pas céder à la peur et offrir à notre gouvernement le luxe de coupables désignés, ce qui lui permettrait de détourner l’attention de l’inefficacité de sa « gestion de la pandémie » et le dispenserait de prendre enfin ses responsabilités. Voici le message qu’il adresse à tous les Québécois vaccinés.


La peur a ceci de particulier que ses effets néfastes nous sont évidents quand nous n’avons pas peur et quand ce sont les autres qui ont peur. Nous nous étonnons alors de voir la peur les réduire aux sentiments les plus rudimentaires et les rendre incapables de penser et d’agir correctement. Pleins de jactance quand les choses vont bien, nous nous targuons de faire preuve de plus d’intelligence et de fermeté dans l’adversité. Mais quand c’est nous qui sommes sous l’emprise de la peur, souvent nous ne valons guère mieux que ceux dont nous nous moquions précédemment.

Nous rions de ceux qui croient que le virus est une arme biologique fabriquée par le gouvernement chinois et qui considèrent leurs concitoyens d’ascendance asiatique comme des ennemis publics ; de ceux qui croient qu’on cherche à leur injecter une micropuce en les vaccinant, qui s’imaginent que les vaccins confèrent des propriétés électro-magnétiques et qui pensent qu’on essaiera ensuite de les contrôler grâce à la technologie 5G ; de ceux qui disent que les codes QR utilisés dans les passeports vaccinaux sont la marque de la Bête annoncée dans l’Apocalypse ; de ceux qui demandent à leurs auditeurs de prier pour eux quand ils sont dans une mauvaise passe ; de ceux qui croient que le monde est en fait dirigé par une secte de pédo-satanistes ; de ceux qui ont mis tous leurs espoirs dans la réélection de Trump en 2020 et qui attendent le retour du sauveur en 2024, et qui lui attribuent gratuitement toutes sortes de plans et de stratégies compliqués pour renverser la situation ; et qui s’imaginent presque être investis d’une mission divine. La crise sanitaire, économique et politique actuelle alimente la peur et est propice à la propagation des idées les plus délirantes et à l’influence des prêcheurs qui les diffusent. Tout ce beau monde a perdu la tête, il délire, on peut lui faire croire n’importe quoi et le mener par le but du nez, nous disons-nous. Il nous arrive même de craindre la radicalisation violente de certains.

Faisons maintenant un retour sur nous-mêmes. Nos nerfs ont été mis à dure épreuve depuis l’arrivée du virus. Nous ne sommes pas invulnérables à la peur et à ses effets néfastes, compte tenu du très contagieux variant Omicron et du discours inquiétant du gouvernement, des experts et des journalistes qui annoncent la saturation des hôpitaux et la rupture de soins. Beaucoup d’entre nous craignent d’être infectés et de tomber malades même s’ils sont adéquatement vaccinés, et de ne pas pouvoir être soignés comme ils le devraient s’ils doivent être hospitalisés, à cause du virus ou pour une autre raison. Le gouvernement, les experts et les journalistes nous disent que c’est à cause des non-vaccinés, qui seraient sur-représentés parmi les hospitalisés, qui satureraient les hôpitaux et qui seraient des usines à variants, que l’on envisage un dépassement de la capacité hospitalière ou même un effondrement du système hospitalier, et que l’on dit être dans l’obligation de resserrer les mesures sanitaires pour ralentir la propagation d’Omicron, notamment en interdisant les rassemblements privés, en fermant les salles de spectacles et les salles à manger des restaurants, en fermant les écoles, en obligeant le télétravail et en imposant un couvre-feu. Et le gouvernement, les experts et les journalistes appuient ensuite sur la colère contre les non-vaccinés qu’on aurait ou qu’il faudrait avoir, et préparent le terrain pour un élargissement de l’utilisation du passeport vaccinal, en exhortant les non-vaccinés à répondre au dernier appel et à profiter de la dernière chance de monter dans le train qui est sur le point de partir.

Respirons par le nez et ne nous laissons pas dominer par la peur et par la colère qui peut l’accompagner.

D’abord, la situation est-elle aussi catastrophique qu’on le dit ? Les cas confirmés ont augmenté rapidement, il est vrai. Mais ce n’est pas ce qui pose problème. Les hospitalisations en cours ont elles aussi augmenté rapidement à partir de la mi-décembre, mais certainement pas dans la même proportion que les cas confirmés. D’après les données de l’INSPQ, les hospitalisations en cours et liées à la COVID-19, hors soins intensifs et dans les unités de soins intensifs, sont toujours bien en deçà des pics de mai 2020 et de janvier 2021. Quant au nombre hebdomadaire de décès liés à la COVID-19 (37 durant la semaine du 19 décembre 2021), il a connu une faible hausse depuis le début du mois de décembre, comme on pouvait s’y attendre pour une maladie respiratoire d’origine virale. Ce nombre est beaucoup plus faible que ce qui a été observé en janvier 2021 (379 durant la semaine du 17 janvier 2021 et 891 durant la semaine du 26 avril 2020), et il est comparable au nombre hebdomadaire de décès observé au début de l’été 2020 et à la fin du printemps 2021, alors que nous étions en plein déconfinement. S’il est vraisemblable que le nombre de décès augmente au fur et à mesure que l’hiver s’installera, la situation est loin d’être hors de contrôle. Le variant Omicron ne semble pas si horrible qu’on nous le dit.

Voilà une bonne nouvelle. Par conséquent, ne cédons pas à la panique et gardons la tête froide.

Mais le gouvernement, les experts et les journalistes nous diront que le nombre de lits réservés aux malades COVID a déjà été dépassé, en parlant encore de la pression accrue que subit le réseau de santé et le personnel soignant, en parlant d’un relâchement généralisé quant au respect des consignes sanitaires, en récriminant encore une fois contre les non-vaccinés et en faisant planer sur eux la menace de nouvelles mesures les visant spécialement. Ce qui tend à dissimuler le fait que la proportion de vaccinés hospitalisés (versus les non-vaccinés) augmente peu à peu, et surtout le fait que les quelque 837 lits réservés pour les malades COVID sont bien peu de chose pour une province d’environ 8 604 495 habitants. Cela fait moins d’un lit par 10 000 personnes. C’est tellement peu que, même si toute la population était vaccinée à 100 %, ce nombre de lits serait rapidement dépassé compte tenu que les vaccins semblent perdre de leur efficacité assez rapidement et fonctionner moins bien contre le variant Omicron.

À quoi donc notre gouvernement a-t-il pensé ? Tout en prétendant que la pandémie n’est pas terminée et en prolongeant l’état d’urgence sanitaire, s’est-il imaginé que les cas de COVID-19 n’allaient pas augmenter au retour de l’hiver, et qu’il ne fallait pas davantage de lits, simplement parce que les cibles vaccinales avaient été atteintes ?

C’est qu’il y a pénurie de personnel dans le réseau de la santé, dira-t-on. Mais le gouvernement actuel et les gouvernements précédents sont les principaux responsables de ce problème. Notre gouvernement a-t-il vraiment essayé de résoudre ce problème ? Y a-t-il mis les efforts et les ressources nécessaires pour avoir une chance de réussir ? Ou bien l’essentiel de son énergie a-t-il été consacré à une campagne de vaccination qui, même pour les personnes adéquatement vaccinées, ne semble pas pour autant les rendre adéquatement protégées, si on en juge d’après les hospitalisations et la crainte qu’il entretient chez ces personnes ? Notre gouvernement a-t-il manqué de prudence quand il a mis tous ses espoirs et tous ceux de la population dans la vaccination qui devait éviter que ce qui s’est passé l’année dernière ne se reproduise cette année ?

Alors il est certainement très commode pour notre gouvernement de nous faire peur avec la situation des hôpitaux et, ayant affaibli notre capacité à penser correctement, de se disculper en accusant les non-vaccinés dont il fait des boucs émissaires ; de nous imposer un resserrement des mesures sanitaires présenté comme la conséquence nécessaire d’une situation dont il ne serait aucunement responsable ; de nous engager dans une autre coûteuse et longue campagne de vaccination massive dans laquelle nous devrions mettre tous nos espoirs et qui ne produira vraisemblablement pas d’effets assez rapides pour empêcher ou atténuer de manière significative la saturation des hôpitaux qui serait imminente, et qui ne permettra peut-être pas de l’éviter l’hiver prochain en raison de l’apparition d’un autre variant ; d’imposer toutes sortes de mesures pour rendre la vie difficile aux non-vaccinés, en allant jusqu’à les exclure de la société sous prétexte de les protéger ou de protéger les autres, et peut-être jusqu’à les priver de leurs moyens de subsistance et de leurs droits et libertés les plus fondamentaux ; et de continuer à nous gouverner encore longtemps de manière autoritaire, grâce aux pouvoirs exceptionnels conférés par l’état d’urgence sanitaire, dont on ne sait pas quelles conditions devraient être réunies pour y mettre fin.

Succomberons-nous à la peur ? Nous laisserons-nous mener grossièrement par le bout du nez par notre gouvernement, ainsi que par les experts et les journalistes qui abondent dans le même sens que lui ? Continuerons-nous encore longtemps à voir dans nos autorités politiques et sanitaires des protecteurs dont nous devons attendre notre salut, alors que tout ce qu’elles nous demandent de faire depuis presque deux ans ne semble pas devoir nous faire sortir de cette crise ? Nous laisserons-nous radicaliser au point d’accepter ou de réclamer la division de la société entre vaccinés et non-vaccinés ? Nous abaisserons-nous à agir de manière aussi peu réfléchie que les complotistes délirants dont nous nous gaussons ?

Ou bien nous armerons-nous de courage et de raison et ferons-nous comprendre à notre gouvernement que cela a assez duré ; qu’il est grand temps de nous donner les moyens de recommencer à vivre normalement ; que nous ne saurions supporter plus longtemps qu’il nous dicte comment vivre sous prétexte de pénurie de lits et de personnel dans les hôpitaux, alors qu’il ne daigne même pas faire une tentative sérieuse de remédier à la situation ; qu’il serait grand temps qu’il explore d’autres avenues pour sortir de cette crise, au lieu de continuer à miser exclusivement sur la vaccination, le dépistage et les mesures sanitaires ; qu’il doit fixer une date de fin à l’état d’urgence sanitaire, soit qu’il sera alors enfin venu à bout de contrôler la situation, soit que ce qu’il a essayé n’aura pas marché et ne saurait donc continuer plus longtemps ; et que son incompétence et sa gestion calamiteuse de la crise ne sauraient être tolérées plus longtemps ?