Ne baissons surtout pas la garde

Tel que rapporté dans La Presse (28 avril 2021), le Dr Arruda a émis des réserves quant à l’utilisation du passeport vaccinal au Québec. S’il admet la nécessité de fournir une preuve de vaccination pour voyager à l’étranger quand cela est requis, une utilisation plus large, sur le territoire Québec, n’est pas la priorité du ministère de la Santé et des Services sociaux pour l’instant, nous dit-il. L’important, c’est d’élargir la couverture vaccinale dans tous les groupes d’âge. Il dit même qu’on surestime généralement les avantages de ce dispositif (il y aurait des incertitudes à leur sujet) et qu’on sous-estime ses inconvénients, car il y a des enjeux éthiques importants et le passeport vaccinal pourrait être utilisé à mauvais escient. Ce n’est pas dans cette direction que veut aller le gouvernement pour l’instant, selon le directeur national de la Santé publique. Si bien qu’on ferait une utilisation assez marginale du passeport vaccinal, d’après les orientations actuelles des équipes du bon Dr Arruda.

Nous pourrions donc nous réjouir en nous disant que nos autorités politiques et sanitaires font, pour une fois, preuve de plus de bon sens que leurs homologues des autres pays, et qu’elles ne se contentent pas de les imiter cette fois-ci. Et nous pourrions nous dire qu’il est inutile de « brûler du gaz » sur cette question et décider de consacrer nos forces à d’autres combats.

Mais attention : il ne faut pas prendre pour argent comptant tout ce que déclare publiquement le Dr Arruda. N’oublions pas que c’est lui qui, après avoir dit publiquement que le port du masque par la population est inutile et même nuisible, a ensuite recommandé fortement le port du masque dans les lieux publics, pour ensuite aller dans le même sens que le gouvernement pour l’imposer. C’est aussi lui qui nous a déclaré, l’année dernière, qu’il ne fallait pas lui reprocher ses volte-faces : la situation et les connaissances scientifiques pouvant évoluer rapidement, il nous avisait qu’il peut dire une chose à un moment et son contraire à un autre moment. Mais il n’en faudrait pas moins obéir à la « vérité » du moment, qui sortirait de sa bouche.

Revenons au cas qui nous intéresse présentement et aux récentes déclarations de ce grand personnage de la bureaucratie sanitaire. De son intervention, il ressort que ce qu’il dit vaut pour la situation actuelle. Mais ça pourrait changer, si la littérature scientifique en venait à dire autre chose et si on venait à tirer d’autres conclusions des expériences faites à l’étranger, par exemple. Et comme le dit la journaliste de La Presse :

« À son avis, il est encore trop tôt pour spéculer sur une utilisation plus large. « On n’est pas rendus là », a-t-il dit. »

Ce qui veut dire que, plus tard, on pourrait en être rendus là. Par exemple quand une forte proportion de la plupart des groupes d’âge serait vaccinée. Le gouvernement ne peut certainement pas implanter le passeport vaccinal et imposer maintenant son utilisation pour avoir accès à des lieux publics et participer à des activités collectives alors qu’un peu plus de 35 % de la population québécoise a reçu une première dose d’un vaccin ou d’un autre, et que les groupes d’âge plus jeunes, qui constituent la majorité de la population active, n’ont pas encore été vaccinés dans une forte proportion, en raison de l’ordre de priorité décidé par le gouvernement. Peut-être est-ce la raison pour laquelle le Dr Arruda parle de problèmes d’opérationnalité.

Mais qu’en sera-t-il si ces groupes d’âge, dans quelques mois ou quelques semaines, sont vaccinés dans une proportion semblable à celle de leurs aînés ? Le gouvernement ne pourrait-il pas alors modifier sa position, en disant que la situation a changé (ce qui est vrai) et en prétextant qu’il ressort autre chose de la littérature ? Et alors foin des problèmes éthiques évoqués de manière très vague par le Dr Arruda, lesquels pourront être facilement écartés du revers de la main, puisqu’on n’aura pas développé à leur sujet publiquement ! De telles généralités sur les problèmes éthiques – qui seraient traitées à huis-clos par des comités d’experts – permettraient de rendre moins palpables les incohérences qu’impliquerait un virage à 180 degrés ou une implantation progressive et sournoise – grâce à la stratégie éprouvée du goutte-à-goutte – de ce dispositif.

Je ne suis pas dans la tête de notre directeur national de la Santé publique. Je ne sais pas exactement ce qu’il pense, où il veut en venir et pourquoi il veut en venir là. Mais je suis à peu près certain d’une chose, car il faut rendre à César ce qui revient à César : le bon Dr Arruda est plus malin ou mieux conseillé que les journalistes (comme Patrick Lagacé) qui défendent ouvertement le passeport vaccinal comme incitatif à la vaccination, comme dispositif permettant de récompenser les bonnes personnes qui se sont fait vacciner et surtout de punir les mauvaises personnes qui ne se sont pas fait vacciner en les tenant à l’écart de la société. Certes ces journalistes préparent une partie de la population à l’implantation de ce dispositif, mais elle peut aussi accroître la réticence vaccinale d’une autre partie de la population, non vaccinée. Si on veut bel et bien implanter le passeport vaccinal et en faire une utilisation large, c’est assurément une meilleure stratégie de laisser les groupes d’âge plus jeunes se faire vacciner sans rien dire de précis à propos de ce dispositif, et même de laisser entendre qu’on devrait l’utiliser de manière assez limitée, tout en promettant de réduire les mesures sanitaires au fur et à mesure que la couverture vaccinale augmentera, toujours sans prendre d’engagements précis sur les nouvelles libertés accordées et sur la manière dont on pourrait les accorder. Une fois une majorité assez importante de la population et des différents groupes d’âge vaccinée, le gouvernement pourrait compter sur le consentement des personnes vaccinées, ou du moins sur leur non-interférence, pour implanter brusquement ou progressivement le passeport vaccinal et l’appliquer à de nombreuses situations. Car chaque personne vaccinée est une personne qui, vraisemblablement, n’aura pas d’objection à l’implantation de ce dispositif, et qui l’exigera peut-être, pour obtenir les libertés promises en échange de l’injection du vaccin. D’où l’importance de faire obstruction à la campagne de vaccination en dissuadant de se faire vacciner les personnes que nous connaissons, en leur parlant des risques à moyen et à long terme qui sont inconnus pour l’instant, et en leur expliquant les problèmes politiques qu’implique le passeport vaccinal et qu’ils seront plus disposés à prendre en considération si elles ne sont pas vaccinées.

Enfin ajoutons que le Dr Arruda peut très bien dire une chose maintenant et que le ministre Dubé peut très bien décider autre chose plus tard, soit qu’ils ne sont pas du même avis, soit qu’ils se sont concertés pour endormir notre résistance et nous imposer plus tard leur volonté, sans donner l’impression d’un simple volte-face, puisqu’il s’agit de deux personnes différentes.

Ne baissons pas la garde. Passons même à l’attaque contre cette idée. Profitons du sursis que nous accordent nos adversaires, qui croient peut-être que le moment n’est pas venu de faire ouvertement la promotion du passeport vaccinal en vue d’en imposer l’utilisation à toutes sortes de situations, pour attaquer vigoureusement cette idée et en faire l’objet d’un débat public auquel les citoyens, les scientifiques et les intellectuels non autorisés participeraient.

Ne nous laissons pas rouler dans la farine une fois de plus en étant en « mode réactif » ! Ne nous défendons pas seulement ! N’attendons pas que l’attaque vienne ! Attaquons plutôt ! L’heure n’est pas à la passivité ! Faisons sentir à nos autorités politiques et sanitaires que, si elles décrètent de manière autoritaire l’utilisation du passeport vaccinal, elles se heurteront à une forte opposition !