L’OTAN et la Russie de facto en guerre ?

Sauf pour ceux qui n’entendent rien à rien, c’est un secret de Polichinelle que la guerre qui a lieu en Ukraine n’est pas une guerre entre l’Ukraine et la Russie, mais plutôt une guerre entre l’OTAN et la Russie. C’est ce que les Russes disent de plus en plus directement et avec de plus en plus d’insistance, au fur et à mesure que les pays de l’OTAN essaient de détruire l’économie russe grâce à des sanctions, fournissent de l’armement plus sophistiqué à l’armée ukrainienne, et s’impliquent de plus en plus directement et ouvertement dans cette guerre. Par exemple, Sergei Lavrov a dernièrement déclaré à l’agence de presse TASS ceci :

« The West has insisted on staying above the fray while saying that there should be no direct conflict between NATO and Russia. This is pure hypocrisy. Member states of the alliance have de facto become a party to the conflict already, with Western private military companies and military instructors fighting alongside the Ukrainians. [...] The Americans have been transferring satellite and other intelligence data to Ukrainian commanders practically in real time while playing a role in planning and conducting military operations. »

US eyes getting Ukraine into NATO 'by hook or by crook', says Lavrov », TASS, 27 décembre 2022.)

Pour une fois, le ministre ukrainien de la Défense, Oleksii Reznikov, se montre d’accord avec les autorités russes, en déclarant que, même si la procédure d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN n’a pas encore abouti, c’est comme si l’Ukraine faisait déjà partie de l’OTAN :

« Ukraine as a country, and the armed forces of Ukraine, became [a] member of Nato. De facto, not de jure (by law). Because we have weaponry, and the understanding of how to use it. »

Ukraine defence minister: We are a de facto member of Nato alliance », BBC, 13 janvier 2023.)

Au lieu de démentir la déclaration de Reznikov, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, abonde dans le même sens, et parle comme si l’OTAN était directement impliquée dans ce conflit militaire, et pas seulement l’Ukraine que cette organisation s’est engagée à soutenir :

« We are in a crucial phase of the war. We are now seeing heavy fighting. It is therefore important that we equip Ukraine with the weapons it needs to be able to win – and survive as an independent nation. »

(« Pressure mounts on Germany to send Leopard tanks to Ukraine », Anadolu Agency, 16 janvier 2023.)

Certains diront que l’utilisation de la première personne du pluriel est seulement une manière de parler et ne veut pas dire que l’OTAN reconnaît ouvertement qu’elle est impliquée dans une guerre contre la Russie. Je suis d’accord pour dire que c’est une manière de parler, mais certainement pas pour dire qu’il s’agit seulement d’une manière de parler, car les manières de parler sont très importantes. C’est grâce à elles qu’on dit ce qu’on veut dire, et parfois autre chose que ce qu’on voudrait dire. Et les manières de parler sont encore plus importantes en temps de guerre, tout particulièrement quand des gouvernements occidentaux s’apprêtent à fournir des chars d’assaut lourds à l’armée ukrainienne avec la bénédiction de l’OTAN, et quand le chef de cette organisation s’identifie aux autorités et à l’armée ukrainienne au point d’employer la première personne du pluriel quand il parle des combats.

Après la lecture de ces trois déclarations, j’ai l’impression que l’Ukraine, la Russie et l’OTAN ont atteint une sorte de consensus, non pas pour conclure la paix, mais pour déclarer de plus en plus ouvertement que cette guerre est de facto une guerre entre la Russie et l’OTAN, et pas simplement une guerre entre la Russie et l’Ukraine. Il est alors à craindre qu’on se donne de moins en moins de peine pour conserver les apparences d’une guerre régionale et pour éviter une escalade susceptible de mener à une nouvelle guerre mondiale. À moins que celle-ci soit déjà commencée, mais sans encore avoir été déclarée officiellement.

Quoi qu’il en soit, la rencontre du groupe de contact pour la défense de l’Ukraine qui aura lieu le 20 janvier à la base militaire américaine de Ramstein, en Allemagne, est de très mauvais augure. Alors que Bakhmout devrait être prise bientôt par l’armée russe et que les lignes de défenses ukrainiennes risquent de céder pour de bon dans le Donbass, allez savoir quelle folie les gouvernements occidentaux pourraient faire, puisqu’ils se sont entièrement investis dans ce conflit, puisque les sanctions économiques contre la Russie ont été en fait prises contre les pays occidentaux, et puisqu’ils s’exposent à la colère de tous ceux qui souffrent déjà et qui souffriront encore plus des conséquences de ces sanctions ! Dans ce contexte, nos dirigeants peuvent-ils même reculer ? Ne risquent-ils pas de se dire qu’ils ont intérêt à jouer le tout pour le tout, et que c’est là la seule porte de sortie pour eux, quitte à nous entraîner dans un conflit mondial chaud et dévastateur ?