Loi transitoire pour mettre fin à l’état d’urgence sanitaire

Bien que la question ait déjà fait l’objet de déclarations à l’Assemblée nationale, les partis d’opposition se sont mis à réclamer avec plus d’insistance la fin de l’état d’urgence sanitaire à la fin du mois de mai. Notre premier ministre dit devoir prolonger jusqu’à la fin du mois d’août pour permettre aux policiers d’empêcher les rassemblements illégaux et pour assurer la poursuite de la campagne de vaccination.

Le Parti québécois réclame du gouvernement un plan de sortie de l’état d’urgence d’ici la fin de la session parlementaire, à la mi-juin. Son chef dit s’inquiéter de voir la province privée de « démocratie puis des contrepoids qui sont normaux dans une société démocratique », pour déclarer :

« L'urgence sanitaire, c'est lorsqu’il y a une urgence, une situation qui est hors de contrôle, qui menace la sécurité des gens. Donc, on va tenter de s'entendre avec le gouvernement sur ces critères objectifs là cette semaine, parce que ce n'est pas à la discrétion du gouvernement [de la renouveler ou non]. »

(« Lever l’urgence sanitaire est impossible avant la fin août, dit Legault », Journal de Québec, 25 mai)

Et la cheffe du Parti libéral d’abonder dans le sens, en affirmant que le gouvernement n’a pas fait la démonstration de la nécessité de prolonger encore l’état d’urgence sanitaire, car elle voit mal comment on peut déconfiner le Québec au complet et ne pas mettre fin à cet état d’exception.

Quant à la co-porte-parole de Québec Solidaire, elle a déclaré ceci :

« On pense donc que la fin de l'urgence sanitaire pourrait permettre de retrouver une pleine démocratie et surtout permettre à des travailleuses de pouvoir avoir accès à leurs congés. »

Même si je sympathise avec ces travailleuses que les gestionnaires du système de santé peuvent priver de leurs vacances pour éviter l’interruption des services de santé en raison de l’état d’urgence sanitaire, je trouve la présence de ce surtout dans cette déclaration quelque peu étrange, car le fait de retrouver une pleine démocratie devrait être au moins aussi important que les vacances du personnel de la santé. Mais passons.

Ce qui me frappe, c’est que les partis d’opposition aient attendu aussi tard avant de réclamer de manière un peu soutenue la fin de l’état d’urgence sanitaire et un retour au fonctionnement normal de nos institutions démocratiques. Et cela juste avant la suspension des travaux de parlementaire pour la période estivale. Comme si les partis d’opposition pouvaient raisonnablement espérer obtenir des résultats en s’y prenant si tard. On en vient à douter de la sincérité de leurs réclamations et de leur désir de lutter contre le gouvernement pour enfin obtenir la fin de l’état d’urgence sanitaire, ainsi qu’à se demander s’il ne s’agit pas surtout d’épater la galerie.

Au début du mois de juin, Québec Solidaire propose de mettre fin au renouvellement de l’état d’urgence sanitaire par l’adoption d’une « loi transitoire », en déclarant, par l’intermédiaire d’un autre porte-parole, que l’état d’urgence est exceptionnel et qu’il doit le rester, et que le fait de le renouveler sans cesse est dangereux pour la démocratie alors que le gouvernement a visiblement pris goût à cette procédure. Ces affirmations sont difficilement discutables, mais encore une fois elles viennent tard. Car après presque 15 mois d’état d’urgence sanitaire, on ne peut certainement plus considérer cet état comme un état d’exception, ce qu’il devrait rester. De fait, il est déjà en quelque sorte devenu normal. Cette déclaration, qui se veut sans doute modérée, manque en fait de justesse.

Encore une fois, une telle proposition de loi a bien peu de chances de voir le jour avant la suspension des travaux parlementaires pour l’été et ne pourrait probablement aboutir à quelque chose que lors de leur reprise, l’automne prochain, si elle n’est pas oubliée entre-temps. Mises à part les belles paroles sur la démocratie, cela revient de fait à se régler sur ce que le gouvernement dit, à savoir que la levée de l’état d’urgence sanitaire sera seulement envisagée l’automne prochain. Si on avait vraiment voulu faire quelque chose de cette proposition, il aurait fallu la faire avant. On peut difficilement croire que les élus de Québec solidaire et aussi des autres partis d’opposition – directement touchés par la suspension du fonctionnement normale des institutions démocratiques qui dure depuis mars 2020 – n’ont pas eu cette idée ou d’autres semblables avant. Alors encore une fois : pourquoi avoir attendu si longtemps ? Faut-il y voir une bonne dose d’hypocrisie ou simplement l’incapacité de réfléchir un tant soit peu à ce que l’on fait ? Ou bien le gouvernement a-t-il manifesté, en coulisse, une certain ouverture, ce que les partis politiques sauraient, mais ce que nous ignorerions ? Cela serait fort étonnant. Mais comme je ne suis pas scrupuleusement toutes les déclarations de nos autorités politiques et sanitaires, il se peut que j’aie simplement raté quelque chose.

Même dans la supposition que cette tentative donne quelque chose, une telle loi transitoire (ou un autre dispositif juridique analogue) peut elle aussi constituer un danger pour la démocratie, ce qui aurait encore plus de chances de se produire si elle était élaborée, discutée et adoptée en urgence, avant la fin de la session parlementaire prévue pour la mi-juin. Ce danger est déjà perceptible dans ce que La Presse rapporte des propos du porte-parole de Québec solidaire :

« Le deuxième parti d’opposition à l’Assemblée nationale explique que la pandémie rendra certaines mesures sanitaires nécessaires pour des mois, possiblement des années. Il croit qu’il est donc temps de baliser les pouvoirs spéciaux dont le gouvernement a besoin pour lutter contre le virus en adoptant une loi transitoire.

[...]

M. Nadeau-Dubois pense qu’une loi transitoire distinguerait les pouvoirs dont le gouvernement a besoin pour gérer la pandémie de ceux qui ne sont pas nécessaires. Elle permettrait de sortir de l’état d’urgence sanitaire tout en assurant un encadrement raisonnable pour l’imposition de mesures sanitaires, l’organisation de campagnes de vaccination et l’octroi d’un rôle élargi de la santé publique, notamment. »

(« QS propose une loi transitoire pour mettre fin aux renouvellements », La Presse, 2 juin 2021.)

S’il est sans doute louable et utile de vouloir réduire et encadrer le pouvoir dont dispose le gouvernement, le fait de reconnaître que le gouvernement doit pouvoir disposer de pouvoirs spéciaux pendant des mois ou même des années pour continuer à « gérer la pandémie » et poursuivre « sa lutte contre le virus » comporte assurément son lot de dangers pour la démocratie. Par cette loi, on pourrait très bien pérenniser une partie des pouvoirs exceptionnels dont dispose le gouvernement quand l’état d’urgence est déclaré, sans lui enlever la possibilité de déclarer à nouveau l’état d’urgence sanitaire, conformément à la Loi sur la santé publique, c’est-à-dire selon son bon plaisir et sa compréhension de la situation sanitaire. Ce qui pourrait par exemple arriver durant l’hiver 2021-2022, en raison de variants préoccupants contre lesquels les vaccins qu’on est en train de nous injecter ne seraient pas assez efficaces, selon les sociétés pharmaceutiques, les experts autorisés et les autorités sanitaires.

Autrement dit, ce serait prolonger une partie de l’état d’urgence sanitaire et des pouvoirs spéciaux qui lui sont associés, ce qui reviendrait à les rendre normaux, alors qu’on prétend justement vouloir qu’ils restent exceptionnels.

Il faut être très prudent quand on propose une telle loi transitoire, surtout si elle contient autre chose que des étapes claires et précises qui décrivent la manière dont le gouvernement se verra privé des pouvoirs spéciaux dont il dispose, et si on y étale le processus sur des mois ou des années, sans qu’on sache exactement ou même vaguement quand il devrait prendre fin. Dans ce cas, la loi ne servirait pas à faire la transition de l’état d’urgence à un retour à la normalité, mais à faire passer une partie de l’état d’urgence sanitaire dans la normalité, qui serait alors transformée de manière plus ou moins durable, voire permanente, puisque la notion de « crise sanitaire » qui sert de fondement juridique aux mesures sanitaires et aux pouvoirs spéciaux du gouvernement n’est même pas définie, et ne serait peut-être même pas définie dans cette loi.

À ce propos, il serait intéressant de lire la loi que la France a adoptée pour sortir de l’état d’urgence sanitaire et les indicateurs intégrés au plan de déconfinement de la Colombie-Britannique, auxquels se réfère le porte-parole de Québec solidaire. Si jamais on se mettait à rédiger une telle loi transitoire, par exemple à l’automne, cela nous permettrait peut-être d’éviter certains pièges et de reprendre des éléments intéressants.

Mais à mon avis, ce n’est pas la voie qu’il faut suivre. Ou du moins ça ne saurait suffire.

Ce qu’il faut obtenir le plus rapidement possible, c’est la fin complète de l’état d’urgence sanitaire et le retrait de tous les pouvoirs spéciaux dont dispose le gouvernement. Après quoi c’est la section de la Loi sur la santé publique qui porte sur l’état d’urgence sanitaire qu’il faut revoir dans sa totalité, pour restreindre considérablement les pouvoirs que cet état d’exception accorderait au gouvernement, pour l’empêcher de le déclarer et de le prolonger à volonté, pour y affirmer le rôle de contrôleur des décisions du gouvernement qu’aura à jouer l’Assemblée nationale, et pour y préciser de quelle manière le gouvernement doit rendre des comptes pendant l’état d’urgence sanitaire et après l’état d’urgence sanitaire, avec la possibilité de poursuites devant les tribunaux en cas d’abus de pouvoir et de décisions contraires à l’intérêt public.

À moins de ça, nos représentants élus à l’Assemblée parlementaire nous jouent la comédie quand ils se posent en défenseurs de nos institutions démocratiques. Ou bien ils ne comprennent pas bien ce que cela veut dire. Ce qui s’est produit une fois pourrait se produire à nouveau, à la venue du prochain virus ou du prochain variant jugé dangereux par l’OMS.

Comme nous pourrions attendre longtemps avant que nos élus se lancent dans une telle entreprise, et comme il est loin d’être certain qu’il en sortirait quelque chose de mieux, nous pouvons nous essayer à cet exercice de réécriture de cette section de la Loi sur la santé publique. Il est vrai qu’en tant que simples citoyens nous ne disposons directement d’aucun pouvoir législatif. Hélas ! les référendums d’initiative citoyenne n’existent pas dans notre démocratie. Mais cet exercice n’est pas inutile pour autant : cela nous permettrait de comprendre à quel point ces articles de loi accordent des pouvoirs excessifs et arbitraires au gouvernement, nous serions moins disposés à nous laisser mobiliser et gouverner de manière autoritaire par le gouvernement, et certaines de nos idées pourraient peut-être se répandre, montrer la nécessité de réécrire cette loi à un nombre croissant de nos concitoyens et élus, et finir par faire leur chemin dans un texte de loi.