Lettre ouverte d’un radiologue

L’intervention de Grégoire Bernèche, publiée dans la section Opinions de La Presse, est intéressante en ce qu’elle montre une certaine ouverture, dans les grands médias, aux idées incompatibles avec la « gestion de la crise sanitaire » par le gouvernement. Il me semble avoir remarqué la même amélioration en France dernièrement. Je ne sais pas si nous pouvons considérer que c’est un signe que le vent commence peut-être à tourner. Chose certaine, c’est au moins une bonne chose que les personnes qui s’informent seulement dans les grands médias entendent des idées différentes et parfois même des critiques.

Précisons que ce radiologue n’est pas en rupture complète avec les décisions prises par le gouvernement. Il semble croire à l’efficacité des confinements et de la vaccination massive de la population, à moins qu’il ait jugé préférable de ne pas dire ce qu’il en pense vraiment pour avoir plus de chances d’être publié. De toute façon, ce n’est pas vraiment pas sur l’efficacité de ces mesures que porte son intervention.

Il s’étonne d’abord que le gouvernement québécois n’ait pas fait des constats pour lui évidents :

« Parmi ces constats, il y a celui que la COVID-19 est une maladie permanente – extrêmement contagieuse et heureusement peu létale avec la vaccination – que des mesures de confinement, même sévères, ne permettront pas d’endiguer.

L’autre constat manquant est plus pernicieux, mais s’impose après deux ans. La fermeture constante de la société permet de pérenniser la médiocrité dans la gestion du système de santé.

En effet, bien que cela soit vraisemblablement inconscient, l’ankylose de notre système de santé est encouragée par le fait qu’il y ait un contrat social implicite avec le gouvernement : dès qu’il y a fragilité dans le réseau, on paralysera toutes les autres activités socioéconomiques pour vous préserver.

Or, plutôt que d’adapter la société au système de santé à coups de couvre-feu, il serait temps de considérer adapter le système de santé à la pandémie. »

Voilà des paroles pleines de bon sens, qui montrent que le confinement n’est pas une solution à la fragilité du système de santé, mais en fait qu’il dispense de chercher vraiment une solution. Voilà qui rend le confinement très problématique, puisqu’il contribuerait à reproduire les situations dans lesquelles notre gouvernement a recours à lui. Et il devient encore plus problématique si, comme de nombreuses études scientifiques l’affirment, il ne diminue pas de manière significative les hospitalisations.

Le radiologue va plus loin :

« Il est inadmissible, à ce stade-ci de la pandémie, que le gouvernement navigue encore à vue, notamment quand vient le temps de connaître des données cruciales.

En particulier, l’impossibilité de connaître le nombre de patients hospitalisés POUR la COVID-19 plutôt que les patients hospitalisés AVEC la COVID-19 est une faute grave. Cette proportion de patients hospitalisés et qui ont « fortuitement » la COVID-19 est très élevée sur le terrain, et la connaissance précise de cette proportion pourrait changer significativement la trame narrative sur l’évolution du variant Omicron. »

Ce qui revient à nous dire, très poliment et sobrement, que ce que notre gouvernement et les grands médias nous racontent depuis le mois de décembre 2021, que ce qui a motivé les resserrements des mesures sanitaires, n’est pas fidèle à ce qui se passe dans les hôpitaux. Autrement dit, c’est faux. En fait, si ces personnes hospitalisées avec la COVID-19 et non pour la COVID-19 étaient très nombreuses, pourrions-nous même continuer à parler d’une pandémie ?

Après avoir dit qu’il importe d’envisager d’autres solutions pour ne pas nous retrouver à vivre dans « une des sociétés simultanément les plus vaccinées et les plus confinées », le radiologue propose d’abord ceci :

« Il faudrait notamment considérer de limiter la durée de l’isolement des personnes infectées asymptomatiques dans l’ensemble de la société, pas seulement dans le système de santé. »

Remarquons que M. Bernèche ne fait de différence entre une personne vaccinée asymptomatique et une personne non vaccinée asymptomatique. À ses yeux, on dirait qu’une personne asymptomatique est tout simplement asymptomatique, peu importe son statut vaccinal. Sa proposition diffère donc de la décision du gouvernement de réduire le temps d’isolement seulement pour les personnes vaccinées asymptomatiques ou dont les symptômes ont régressé, ce qui renforce la division de la société en deux catégories de personnes et permet aux employeurs et aux collègues d’une personne vaccinée de deviner son statut vaccinal (censé être une information confidentielle) en fonction de la longueur de sa période d’isolement, à moins qu’elle leur fasse croire que les symptômes persistent même quand ce n’est pas le cas.

On passe ensuite à une proposition très intéressante sur le dépistage :

« Il serait également important de réévaluer la pertinence de procéder au dépistage COVID-19 des personnes asymptomatiques. D’une part, ce désengorgement pourrait permettre d’aviser plus rapidement les personnes positives et symptomatiques, qui sont souvent plus contagieuses. De plus, diminuer l’obsession du dépistage et du nombre de cas permettrait de libérer énormément de soignants, qui pourraient effectuer d’autres tâches. »

Encore une fois, on ne fait pas de distinction entre les vaccinés et les non-vaccinés. Outre les avantages déjà signalés par M. Bernèche, cela éviterait de faire le compte de cas de COVID-19 qui n’en sont pas (faute de symptômes, pas de maladie), et réduirait les chances – quel que soit notre statut vaccinal – d’être séquestrés à domicile durant plusieurs jours alors que nous ne sommes même pas malades. Pour ceux d’entre nous qui habitent dans de petits logements, seuls ou avec d’autres personnes, parfois sans même avoir un balcon sur lequel aller prendre l’air, ce n’est assurément pas une partie de plaisir. C’est même une grave atteinte à leur liberté.

Même si le gouvernement québécois a décidé dernièrement de réserver les tests PCR pour certaines catégories de personnes jugées plus à risque, il attend encore des millions de tests rapides du gouvernement fédéral. Quand ces tests auto-administrés seront distribués à la population, dans les écoles et dans certains milieux de travail, on peut craindre qu’il ne résulte de ce dépistage facilité des effets diamétralement opposés à la proposition de M. Bernèche.

Cette dernière proposition devrait à mon avis être envisagée avec beaucoup de prudence :

« Enfin, il est surprenant que le Québec, contrairement à plusieurs nations, n’ait pas envisagé plus sérieusement la création d’hôpitaux voués à la COVID-19. En sortant la COVID-19 des hôpitaux traditionnels, on pourrait créer des systèmes parallèles où les périodes de pointe de l’un et de l’autre ne seraient pas interreliées. »

Même si je ne suis pas insensible aux raisons données par le radiologue, je pense que le fait de construire des hôpitaux spécialement pour la COVID-19 – dont il dit lui-même qu’elle est maintenant peu létale – contribuerait à donner l’impression qu’elle appartient à une classe à part, ce qui pourrait renforcer la trame narrative dominante sur la dangerosité du virus. D’un autre côté, je comprends que cela pourrait empêcher le virus de se répandre dans un hôpital où des malades déjà très mal en point sont hospitalisés pour d’autres raisons. Si jamais on décidait d’aller de l’avant, il faudrait que les personnes malades de la COVID-19 soient admises dans ces hôpitaux spécialisés quel que soit leur statut vaccinal ; et il faudrait aussi que ces hôpitaux se trouvent à l’intérieur des villes (et non dans la brousse) et qu’on fasse preuve d’une transparence exemplaire quant à ce qui s’y passe, ne serait-ce que pour désamorcer la méfiance de certains citoyens et d’éviter les délires « complotistes », ce qui serait assurément dans l’intérêt du gouvernement et de toute la population québécoise.

La conclusion de cette intervention mérite d’être soulignée :

« Si les confinements successifs ont permis au système de santé de respirer, ce sont maintenant nos entrepreneurs, nos artistes, nos restaurateurs et nos enfants qui ont besoin d’oxygène.

Il faut insuffler plus de pragmatisme dans notre approche à la pandémie et y adapter notre société plutôt que de la fermer perpétuellement.

La première chose que j’ai apprise en médecine, c’est que la santé n’est pas que physique.

Souhaitons que notre société n’oublie pas de prendre soin de sa santé psychosociale en 2022. »

Mais pour que cela se produise, des souhaits ne suffiront probablement pas. Il faudra exercer toutes sortes de pressions sur notre gouvernement afin qu’il finisse par entendre raison ou qu’il cède sur certains points, au lieu d’employer indéfiniment les mêmes recettes qui ne fonctionnent pas, qui sont même nuisibles et qui nous empoisonnent la vie.