Les structures parallèles comme moyens de résistance

Nous entendons parfois parler, dans la dissidence, de l’importance de créer des structures parallèles afin de dépendre le moins possible des gouvernements occidentaux et des grandes corporations auxquels ils sont alliés, de réduire les conséquences des mesures qu’ils pourraient prendre contre la population en général et plus particulièrement contre les résistants, et de se donner les moyens de persister dans la résistance. Nous avons vu, au cours des dernières années, jusqu’où sont prêtes à aller les autorités politiques et bureaucratiques occidentales : confinement de toute la population ou seulement des récalcitrants, subordination de la science, de la médecine et de la presse à ces autorités, suspension ou congédiement des professionnels de la santé et des fonctionnaires non vaccinés ou protestataires, refus de certaines interventions médicales pour les malades non vaccinés, destruction de l’économie et du niveau de vie sous prétexte de lutte contre le méchant virus, les méchants russes ou les méchants changements climatiques, transformation des écoles en camps d’endoctrinement et de dressage, gel des comptes bancaires et des cartes de crédit des opposants, etc. Si nous ne nous prenons pas en mains rapidement, les gouvernements occidentaux et les élites économiques nationales et supranationales nous tiendront à la gorge. Il ne s’agit pas seulement de résister quand on cherche à contrôler encore plus les informations, l’éducation, les soins de santé, l’alimentation, les biens, les services et l’énergie auxquels nous avons accès, et à restreindre ou abolir nos droits et nos libertés. Il nous faut aussi inventer des structures économiques, sociales et culturelles parallèles qui peuvent nous permettre de ne pas être réduits à la pauvreté ou à la misère, de ne pas vivre dans la dépendance de nos gouvernements et des grandes corporations, de ne pas être à leur merci, de conserver une certaine indépendance et même de l’accroître.

Au lieu d’aller nous faire soigner dans les hôpitaux dont la fonction est d’enrichir encore plus l’industrie pharmaceutique, en espérant que les professionnels de la santé ne feront pas n’importe quoi en appliquant les protocoles médicaux en vigueur, nous pourrions créer des institutions médicales parallèles où on n’appliquerait pas des protocoles médicaux rigides, et y faire travailler les professionnels de la santé qui désapprouvent la pratique dogmatique et machinale de la médecine.

Au lieu de dépendre des grands fournisseurs de nourriture et d’énergie, en espérant ne pas subir des pénuries, ne pas manquer d’argent et ne pas avoir à choisir entre manger ou nous chauffer, nous pourrions nous regrouper pour aller nous installer à la campagne, pour y acheter des terres agricoles et des lots forestiers, pour y cultiver des légumes, pour y élever des poules, des cochons, des vaches, des moutons et des chèvres, pour nous chauffer au bois, et pour produire nous-mêmes notre électricité en installant des panneaux photovoltaïques.

Au lieu d’envoyer nos enfants se faire endoctriner et dresser dans les écoles, au lieu d’aller dans les universités pour qu’il nous y arrive la même chose, au lieu d’être exposés à l’incessante propagande des médias de masse contrôlés par les oligarques ou soutenus financièrement par les gouvernements, nous pourrions créer nos propres institutions d’enseignement et nos propres médias, où nous pourrions nous éduquer et nous informer librement, ou enseigner, faire des recherches et faire du journalisme librement.

Au lieu de dépendre d’institutions financières qui surveillent nos transactions financières et qui collaborent avec le gouvernement pour geler nos comptes bancaires et bloquer nos cartes de débit et de crédit et ainsi nous empêcher d’utiliser l’argent qui nous appartient, nous pourrions créer un réseau d’échange de biens et de services qui reposerait sur le troc ou sur une nouvelle monnaie que nous contrôlerions.

Etc.

Je comprends ce désir de « sortir du système » et de devenir moins dépendants d’une organisation sociale et économique dont nous ne pouvons rien attendre de bon, surtout si nous sommes de ceux qui refusent d’obtempérer aux ordres que nos gouvernements nous donnent sous prétexte de transformations aussi importantes qu’inéluctables. Je trouve aussi que c’est une bonne idée de ne pas seulement critiquer l’ordre social actuel qui est en pleine décadence, et de nous organiser et d’inventer de nouvelles institutions. Toutefois, je trouve que plusieurs de ceux qui sont attirés par ces projets sous-estiment les difficultés. Je ne pense pas seulement aux problèmes pratiques que rencontreraient des citadins inexpérimentés qui décideraient de s’installer dans un petit village pour y vivre de l’agriculture, ou des prêts bancaires qu’il leur faudrait contracter, alors que les taux d’intérêt continuent d’augmenter, pour acquérir des terres agricoles et des lots forestiers, pour acheter, réparer ou construire les bâtiments nécessaires, et pour se procurer des machines agricoles (minimalement une camionnette et un tracteur avec ce qu’il faut pour labourer et faire les foins) et des animaux de ferme. Ce dont je veux parler ici, ce sont plutôt tous les obstacles que les autorités politiques et bureaucratiques nous imposeraient vraisemblablement si nous décidions de créer des structures parallèles d’une certaine importance dans des domaines sur lesquels elles cherchent à accroître leur emprise, tels que ceux que j’ai énumérés plus haut. Étant donné la montée de l’autoritarisme et le renforcement des tendances totalitaires, ce serait être bêtement optimiste de supposer que ces autorités, soutenues par les grandes corporations, les grands groupes financiers et les puissants oligarques dont elles servent les intérêts, nous laisseraient nous soustraire si facilement à leur emprise.

Le problème avec le fait de vouloir « sortir du système », c’est que le « système » est pratiquement partout et qu’il tend à renforcer son emprise sur tout. Il ne suffit pas d’aller habiter dans un village reculé ou d’éviter autant que possible les institutions officielles pour y parvenir. S’il est indéniable qu’il existe différents degrés, le « système » demeure presque toujours assez puissant pour mettre des bâtons dans les roues à ceux qui essaieraient de créer des structures parallèles. Car le gouvernement peut promulguer des lois, des décrets et des directives sur mesure pour interdire ou encadrer des activités et des organisations jusque-là légales et libres. Ce ne sont pas les prétextes qui manqueront, qu’il s’agisse d’assurer la sécurité de la population, de protéger sa santé, de lutter contre la désinformation et la haine, de combattre les changements climatiques, de s’opposer à l’ingérence d’une puissance étrangère, de mettre fin à la fraude et au financement d’organisations jugées dangereuses, etc. Et ce ne sont pas non plus les moyens policiers et technologiques qui manqueront pour surveiller, contrôler et dissoudre ces structures parallèles, une fois qu’on aura trouvé un semblant de justification juridique, politique et morale.

Imaginons que nous essayions de mettre en place un réseau parallèle d’échange de biens et de services, lequel pourrait s’étendre à des zones urbaines et à des zones rurales. Si nous faisons ces échanges au grand jour, en essayant l’élargir ce réseau pour lui donner une certain stabilité, en utilisant des cartes de crédit ou de débit ou des services bancaires en ligne pour rendre facile de s’y intégrer, nous serons rapidement repérés par nos gouvernements, directement ou par l’intermédiaire des institutions financières qui participent à la surveillance des transactions financières effectuées grâce aux moyens de paiement qu’elles contrôlent. Les chefs politiques et les hauts bureaucrates pourront alors invoquer ou même inventer toutes sortes régulations plus ou moins arbitraires portant par exemple sur la production et la distribution de la nourriture, afin d’entraver ou d’interdire les activités économiques qui se font à l’extérieur ou en marge du « système ». Ceux qui ne se conformeraient pas à ces normes sanitaires et écologiques nationales, provinciales et municipales, lesquelles rendraient souvent leurs activités impossibles ou non rentables, recevraient des amendes, se feraient interdire formellement de continuer leurs activités, pourraient se faire saisir leur équipement et leurs produits, et être poursuivis en justice. Ce serait encore pire si des médecins et des pharmaciens intégraient ce réseau parallèle et se mettaient à pratiquer leurs professions hors du cadre habituel, en ne respectant pas les protocoles médicaux et pharmaceutiques imposés par les autorités politiques et sanitaires et en ayant de recours à des traitements et à des produits naturels ou pharmaceutiques déclarés à tort inefficaces et même dangereux par ces autorités parce que non rentables pour l’industrie de la maladie. Ces médecins et ces pharmaciens s’attireraient rapidement de graves ennuis, pour avoir pratiqué de manière non conforme ou illégale la médecine ou la pharmacie, pour s’être rendus coupables de charlatanisme, et pour avoir mis en danger la santé et la vie de leurs patients ou de leurs clients, et du même coup la « santé publique », nous dira-t-on. Quant à ceux qui décideraient d’ouvrir des écoles pour les enfants et les adolescents sans détenir un brevet d’enseignement, sans être des produits standardisés de programmes universitaires d’enseignement primaire ou secondaire, sans reprendre les programmes éducatifs gouvernementaux et sans reproduire l’endoctrinement et le dressage qu’ils impliquent, ils deviendraient rapidement la cible de la bureaucratie éducative et pourraient avoir des ennuis semblables aux médecins et aux pharmaciens.

Dans l’espoir d’éviter ces ennuis, une certaine clandestinité semble nécessaire. Il ne faudrait pas afficher au grand jour ces structures parallèles et avoir recours à des moyens de paiement qui ne sont pas contrôlés par les institutions financières et qui sont moins sujets à la surveillance gouvernementale, par exemple l’argent comptant, les cryptomonnaies ou même une monnaie clandestine. Malgré les avantages qui en résulteraient, les groupes de personnes qui décideraient d’utiliser cette stratégie s’exposeraient à être assimilées à des groupes criminels qui pratiquent la fraude, qui blanchissent de l’argent et qui contrôlent une sorte de marché noir, ce qui serait dans une certaine mesure vrai, s’ils décidaient de travailler au noir, de ne pas déclarer tous leurs revenus, de ne pas enregistrer leurs entreprises, ou de camoufler leurs activités illicites grâce à des activités licites fictives, le tout pour que le gouvernement ne mette pas son nez dans leurs affaires. En procédant de cette manière, fait-on autre chose que de s’exposer à un mal pour en éviter un autre ? Il est vrai que le gouvernement ne pourrait probablement pas dissoudre toutes les structures parallèles, et que plusieurs d’entre elles pourraient exister quelques années avant d’être ciblées par lui. Ce serait toujours ça de gagner. Mais les autorités auraient probablement recours à des châtiments exemplaires, lesquels consisteraient à punir démesurément ceux qu’elles attraperaient pour effrayer les autres qui participent ou qui pourraient avoir envie de participer à des activités clandestines.

À moins que nous assistions à un effondrement généralisé et brusque, qui rendrait le gouvernement impuissant et instable, et qui permettrait aux structures parallèles de se développer plus librement (non sans devoir surmonter d’autres obstacles justement dus à cette instabilité), il semble difficile pour ces structures d’échapper à l’emprise des autorités politiques et bureaucratiques, dont les tendances totalitaires se manifestent de plus en plus ouvertement, avec le consentement d’une partie importante de nos concitoyens.

Le problème auquel les résistants sont confrontés peut être résumé comme suit : s’ils se tournent exclusivement vers la formation de structures parallèles et se détournent de toute forme d’action politique soutenue au sein d’institutions qu’ils considèrent comme corrompues et même pourries, ils laissent le gouvernement libre de prendre toutes sortes de moyens pour empêcher ou entraver la formation de ces structures et obtenir leur dissolution ; s’ils se tournent plutôt entièrement vers l’action politique, le gouvernement pourra facilement venir à bout d’eux et étendre progressivement ou rapidement son emprise sur tous les aspects de leur vie, puisqu’ils ne pourront pas s’appuyer sur des structures parallèles pour lui résister de manière soutenue, ne serait-ce qu’un certain temps.

La résistance doit donc se faire des deux manières, à la fois par des tentatives de créer et de faire durer des structures parallèles, et par des tentatives d’action politique pour empêcher ou entraver les efforts des autorités politiques et bureaucratiques pour étendre et consolider leur emprise sur la quasi-totalité de la société, avec l’aide des grandes corporations et des grands oligarques dont elles servent en retour les intérêts. Contrairement à ce qu’affirment certains résistants, qui revendiquent haut et fort leur rejet de la politique, cela n’implique pas une foi naïve en nos institutions politiques de plus en plus superficiellement démocratiques, ou une adhésion à un système politique qu’il faudrait rejeter intégralement. Ce qui devrait intéresser les résistants, c’est la multiplication et la combinaison des formes de résistance afin d’accroître leur efficacité, qui est forcément limitée, sinon nous ne serions pas en situation de résistance. Ce n’est pas se montrer naïf de croire que le système politique, corrompu et autoritaire comme il l’est, ne laisserait pas les résistants faire longtemps leurs petites affaires au sein de structures parallèles qui constituent un défi à son autorité, pas plus que ce ne l’est que d’essayer d’agir sur ce système, malgré toutes les difficultés qui seront rencontrées et les chances relativement faibles de succès. C’est le contraire qui serait naïf, puisque le fait de tout miser sur la création de structures parallèles auxquelles participera seulement une minorité assez faible de la population, et auxquelles nos gouvernements autoritaires s’attaqueront avec tous les moyens dont ils disposent, a encore moins de chances de réussir que le fait de mener la lutte sur les deux terrains. Le désir de rester pur en évitant de se compromettre avec un système politique qui – je ne le nie pas – est corrompu, et en refusant de voter sous prétexte que ce serait là cautionner ce que font les chefs politiques pourris, n’aura aucun effet sur l’issue de la lutte et procurera tout au plus un sentiment de contentement moral aux résistants qui décideraient de persister sur cette voie ; ce qui ferait assurément le jeu des autorités politiques et bureaucratiques qui s’efforcent de nous écarter de plus en plus de la politique, et de nous réduire à l’état de simples spectateurs de la politique, notamment en cherchant à nous dégoûter d’elle.

Disons la chose franchement : la seule manière dont des structures concurrentes ont une chance de survivre face à un régime autoritaire qui a la mainmise sur la politique, surtout quand il a de fortes tendances totalitaires, c’est en en venant à s’opposer à la violence par la violence. C’est ce qu’ont fait les anarchistes ukrainiens pendant la guerre civile russe, en combattant les armées d’occupation allemandes et autrichiennes, ensuite les armées blanches, et finalement l’armée rouge, avant d’être vaincus. C’est aussi ce qu’ont fait les groupes anarchistes pendant la guerre civile espagnole, avant d’être vaincus par les armées franquistes ou d’être liquidés ou envoyés au massacre par les communistes autoritaires. Je suis certain que presque tous les résistants qui, par rejet intégral de la politique, misent sur la formation de structures parallèles ne sont pas prêts à aller jusque-là, et seraient incapables de lutter efficacement s’ils décidaient de le faire. Je comprends tout à fait ce refus, étant donné tous les maux qui résulteraient d’une guerre civile, et le massacre probable des résistants.

Puisqu’il s’agit d’éviter autant que possible une guerre civile, la répression des résistants et la dissolution des structures parallèles qu’ils pourraient former, les résistants apolitiques devraient comprendre que ce n’est pas manquer de lucidité que d’essayer d’exercer des pressions politiques sur les gouvernements autoritaires, en votant contre eux (quitte à choisir le moindre mal parmi les partis politiques existants), en les empêchant ainsi d’obtenir la majorité parlementaire, et en leur faisant sentir la grogne populaire grâce à des manifestations ou d’autres actes d’opposition. S’il est certainement difficile d’obtenir la chute d’un gouvernement qui s’accroche désespérément au pouvoir, s’il est encore plus difficile de le remplacer par un gouvernement significativement moins autoritaire, et s’il l’est encore plus de donner naissance à des partis politiques anti-autoritaires et d’effectuer des transformations institutionnelles capables de diminuer la portée du pouvoir des autorités politiques et bureaucratiques, il est plus facile de montrer à ces autorités qu’elles ne bénéficient pas du consentement de toute la population, et qu’une minorité non négligeable s’oppose à elles, est prête à leur résister si elles persistent sur la même voie, et est même franchement en colère contre elles. Il n’est certainement pas raisonnable d’espérer que ces autorités abandonneront pour ces raisons leurs principes autoritaires ; mais il l’est déjà plus de penser qu’elles se montreront moins ouvertement autoritaires si le pouvoir qu’elles détiennent est plus précaire, et qu’elles agiront avec plus de précaution. Voilà qui constitue des conditions plus favorables à l’existence de structures parallèles, lesquelles peuvent en retour fournir des conditions plus favorables à la résistance plus strictement politique.