Les persécuteurs et leurs complices qui s’ignorent

Tout ce qui est arrivé depuis le printemps 2020 devrait nous avoir appris que la persécution n’est pas quelque chose qui existe seulement ailleurs ou à d’autres époques, et que les persécuteurs et leurs complices sont souvent persuadés d’être dans leur bon droit et de défendre les intérêts de l’humanité ou de la société. En fait, beaucoup de leurs contemporains, loin de les considérer comme des méchants, les considèrent comme de bonnes personnes ou, à tout le moins, comme des personnes normales et saines d’esprit, quoiqu’un peu brutales. Avec le recul, nous condamnons les actes de persécution, nous les qualifions d’horreurs et d’atrocités, et nous nous imaginons que si nous et nos concitoyens avions vécu dans les pays et aux époques où il y a eu des persécutions, nous n’y aurions pas participé, nous n’aurions pas été complices, et nous nous y serions même opposés, car nous sommes de bonnes personnes, bien sûr. Et c’est justement à cause de cette conviction qu’il risque de nous arriver d’être des persécuteurs ou de leur servir de complices.

Eh quoi ! les Romains croyaient-ils être des persécuteurs quand ils infligeaient des supplices aux premiers chrétiens ? Ne pensaient-ils pas plutôt protéger l’Empire romain déjà décadent contre le germe de corruption que représentait la secte des Nazaréens ? Et les Chrétiens, quand leur petite secte a fini par devenir la religion dominante dans certaines parties de l’Europe, n’ont-ils pas persécuté les peuples païens vaincus et les personnes qui pratiquaient encore des rites d’origines païennes après la conquête ou la conversion, et qu’on accusait de pratiquer la sorcellerie ? N’ont-ils pas fait des procès, emprisonné, torturé et tué ceux qu’ils considéraient être des hérétiques, ou des Juifs ou des Mauresques faussement convertis, ou encore des athées ? Le fait d’avoir été persécutés par les Romains et de s’en indigner les a-t-il empêchés de devenir eux-mêmes des persécuteurs ? Certainement pas. Ils croyaient ainsi protéger la vraie religion, agir conformément à la volonté de leur dieu unique et même protéger la communauté chrétienne de toutes sortes de maléfices. Convaincus d’être dans leur bon droit et d’agir conformément à la Vérité et au Bien, comment auraient-ils pu, pour beaucoup, se considérer comme des persécuteurs ?

Il est vrai que le fanatisme des persécuteurs se mêlait parfois à leurs intérêts économiques et politiques. Curieusement, des pogroms tendaient à se produire justement quand les seigneurs de l’endroit décidaient de ne pas rembourser tout l’or emprunté aux Juifs, les seuls qui pouvaient pratiquer l’usure interdite aux Chrétiens, ce qu’ils ne manquaient de faire puisque beaucoup de professions honorables leur étaient interdites et étaient réservées aux Chrétiens. Et sans doute plusieurs des accusations et des condamnations de la Sainte Inquisition étaient motivées au moins en partie par le fait que les possessions des accusés et des condamnés se retrouvaient dans ses coffres. Quant aux rois, ils pouvaient prétendre au rôle de défenseurs de la vraie religion et mettre la persécution religieuse au service de leur politique. Par exemple, des vassaux et des sujets puissants ou turbulents pouvaient être mis au pas ou éliminés sous prétexte d’hérésie ou de non-reconnaissance des origines divines du pouvoir royal, ce qui ne veut pas dire que les rois, s’ils se montraient maladroits, ne pouvaient pas affaiblir plutôt leur pouvoir, ou provoquer une révolte de leurs vassaux ou de leurs sujets.

Même dans les cas où se mélangent fanatisme et calcul intéressé, il n’arrive à peu près jamais que les persécuteurs admettent, dans leur for intérieur, qu’ils pratiquent la persécution. C’est que le fanatisme religieux, politique ou moral justifie la persécution aux yeux des persécuteurs, et la fait apparaître pour autre chose que ce qu’elle est. Et on persécute d’autant plus qu’on croit y avoir intérêt et que les croyances fanatiques fournissent des semblants de justification à la persécution, transformant des actes horribles en actes vertueux, et les personnes persécutées en dangereux criminels, en ennemis publics, en bêtes inhumaines, en monstres horribles ou en insectes nuisibles. Ainsi, même les persécuteurs les plus cyniques ne se considèrent généralement pas comme des persécuteurs, pas plus que leurs complices ne se considèrent généralement comme des complices d’actes de persécution. Ce sont leurs victimes ou leurs ennemis, ou encore des tierces personnes, qui voient en eux des persécuteurs.

Ce qui vient d’être dit s’applique encore plus aux sociétés occidentales actuelles. Nous croyons vivre dans des sociétés civilisées, pour lesquelles la persécution serait une chose qui appartiendrait au passé, et où en fait elle ne prend généralement pas des formes aussi meurtrières qu’à d’autres époques. Ainsi nous avons encore plus de difficulté à la voir où elle est, et il nous est plus facile ou commode de la voir où elle n’est pas ou où elle n’est plus. Ou mieux : nous la voyons où elle n’est pas ou où elle n’est plus, pour ne pas la voir où elle est.

En effet, parmi ceux qui ont cru et continuent de croire à toute cette histoire de méchant virus anormalement contagieux et mortel, ils sont peu nombreux à considérer que le gouvernement a pratiqué une forme de persécution à l’égard de leurs concitoyens qui ont refusé de se conformer aux mesures dites sanitaires, qui ont dû payer des amendes assez élevées et qui ont parfois été arrêtés et brutalisés par les policiers, ou à l’égard de ceux qui ont été suspendus sans solde, congédiés ou radiés par leur ordre professionnel pour ne pas s’être fait administrer les injections expérimentales ou pour avoir osé remettre en question ce qui passe pour la « Science » et critiquer la « gestion de la crise sanitaire », notamment les confinements, l’obligation de porter un masque et les campagnes de « vaccination » de masse. L’exclusion partielle de la société des personnes non vaccinées ne leur semble pas être non plus un acte de persécution, ni même les confinements et les amendes qu’on leur a tout spécialement imposés ou dont on les a menacées. Aux yeux de beaucoup de persécuteurs et de leurs complices, les personnes persécutées sont de méchants égoïstes qui ne veulent pas faire leur part, des récalcitrants, des anti-masques, des antivax et des complotistes qui constituent un danger pour la société, qu’on doit empêcher de nuire et qui doivent être punis. Mêmes les ministres, les administrateurs et les soi-disant experts qui ne croient pas à cette histoire de virus et de pandémie, et qui exercent un pouvoir arbitraire grâce à ces croyances, ne considèrent vraisemblablement pas ces individus comme des personnes persécutées, mais plutôt comme de mauvais sujets qui ne respectent pas leur autorité, qu’il faut mater et dont il faut faire un exemple pour les autres. Je pense, par exemple, aux participants du « Freedom Convoy » contre lesquels le gouvernement fédéral canadien a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence, principalement pour pouvoir geler leurs comptes bancaires et leurs cartes de débit et de crédit et ainsi les contraindre à quitter Ottawa. Et en l’absence de persécutés, les autorités ne peuvent pas se considérer comme des persécuteurs. Elles se voient plutôt comme des chefs qui doivent régner sur les masses stupides et ignorantes qu’elles méprisent, en leur imposant une certaine orthodoxie religieuse, morale et politique.

Que les déviants qui s’écartent de cette nouvelle normalité prennent bien gare à eux ! Ils seront d’autant plus persécutés que leurs persécuteurs et leurs complices ne se considéreront pas comme des persécuteurs et ne les considéreront pas comme des persécutés. Et si ce n’est pas à cause de leur non-conformisme sanitaire, ce pourrait être à cause de leur opposition aux sanctions économiques occidentales contre la Russie, qui sont en fait très destructrices pour l’Occident. De telles personnes, considérées comme des pro-russes, des désinformateurs, des propagandistes, des traîtres ou même des apologistes du terrorisme, peuvent être persécutées sans que cela ne suscite l’indignation générale. C’est bien fait pour eux. On peut attaquer leur réputation, réclamer contre eux des mesures disciplinaires, leur faire payer des amendes, geler leurs comptes bancaires, leur faire des procès ou les emprisonner, comme cela est arrivé ou aurait pu arriver à des journalistes indépendants et à des intellectuels dissidents. Et ce n’est rien en comparaison de la persécution qui pourrait arriver à cause de la lutte contre les changements climatiques au cours des prochaines années, car il s’agirait alors de sauver l’humanité toute entière des canicules, des sécheresses, des inondations, des ouragans, de la supposée fonte des glaces arctiques, de la montée du niveau des océans supposément capable de submerger le régions côtières densément peuplées, de la famine et des pandémies dues à la migration des populations animales et à la libération d’agents pathogènes congelés depuis des dizaines de millénaires dans le pergélisol. Les dissidents, en paroles ou en actes, ne perdent donc rien pour attendre.