Les martyrs du journalisme

Pauvres journalistes ! À ce qu’il semble, l’hostilité de la population envers eux est en hausse. Et vous comprendrez qu’ils n’aiment pas ça, que ça les dérange profondément, et que ça leur fait même peur. C’est ce qu’on constate dans l’article de Suzanne Colpron (La Presse, 20 février 2022), qui commence ainsi :

« L’effritement de la confiance du public envers les médias, l’influence des courants pro-Trump de ce côté-ci de la frontière, l’envenimement des médias sociaux et les tensions provoquées par la pandémie ont fait leur œuvre. Les médias et les journalistes sont de plus en plus critiqués et parfois même menacés de mort. »

De toute évidence, la journaliste ne comprend pas que la confiance du public n’est pas quelque chose qui est due aux journalistes, mais qu’au contraire elle doit se mériter. Ainsi l’effritement de cette confiance est seulement une mauvaise chose quand les journalistes méritent cette confiance sans pouvoir l’obtenir, et s’avère une bonne chose quand ils ne méritent pas. Nous pouvons supposer que quiconque réclame la confiance comme quelque chose qui lui serait simplement dû est en fait peu digne de confiance, car il ne ferait alors rien pour la mériter. Et s’il ne l’obtient pas ou la perd, il trouve toutes sortes de raisons pour expliquer la situation, lesquelles le dispensent de se demander ce qu’il aurait dû faire et ne pas faire pour obtenir cette confiance. C’est précisément ce que fait ici Suzanne Colpron, en associant la perte de confiance de la population envers les journalistes aux partisans canadiens du « trumpisme », à l’envenimement des médias sociaux (il faut savoir ce qu’elle entend par là) et aux tensions provoquées par la pandémie (tensions en fait provoquées par toutes les restrictions imposées par nos gouvernements, avec la complicité des journalistes). Et c’est pour ces raisons que les journalistes seraient de plus en plus critiqués, et qu’on leur ferait parfois des menaces de mort.

Drôle d’idée de mettre sur la même ligne les critiques adressées aux médias et aux journalistes et les menaces de mort, en laissant entendre que les menaces sont l’aboutissement ou la conséquence des critiques, et que ces critiques sont par conséquent mauvaises. En fait, il est utile et sain de critiquer les journalistes et les médias. En raison des puissants moyens de diffusion dont ils disposent, leurs erreurs, leurs omissions et leurs mensonges ont ou pourraient avoir de graves conséquences. On ne saurait donc raisonnablement déplorer la critique à laquelle est soumis le travail des journalistes. S’il faut déplorer quelque chose, c’est plutôt le fait que le travail des journalistes donne si facilement prise à la critique, et que les journalistes refusent de soumettre à la critique ce qu’ils font et disent. Ce que montre bien le fait que Colpron considère la critique comme une menace s’apparentant aux menaces de mort. Cette aversion pour la critique est malheureusement très répandue chez les journalistes, et c’est ce qui fait que l’hostilité de la population augmente à leur égard, laquelle se manifeste le plus souvent par des paroles injurieuses, et beaucoup plus rarement par des menaces, la perturbation du travail des journalistes et des bousculades. Car les journalistes qui refusent la critique et qui l’empêchent même de se faire entendre tentent d’imposer leur point de vue avec entêtement et dogmatisme à la population. Ils ont beau essayer de passer pour d’innocentes victimes, mais en fait ils sont grandement responsables de la perte de confiance dont ils sont l’objet et de l’animosité qui en résulte.

Nous y reviendrons. Pour l’instant, je dis seulement que c’est une chose d’expliquer l’hostilité dont les journalistes sont l’objet, et c’en est une autre d’approuver les actes de violence ou d’intimidation dont sont ou seraient victimes les journalistes. Voyons d’abord de quoi il s’agit en redonnant la parole à Colpron :

« La crise qui paralyse la capitale fédérale depuis trois semaines a amplifié un phénomène qui se répandait sournoisement depuis des années : l’hostilité à l’endroit des journalistes. Résultat : les menaces en ligne se sont muées en intimidation physique.

La manifestation la plus visible de cette violence est l’incident dont le journaliste Raymond Filion de TVA a été victime, vendredi soir, lors des manifestations à Ottawa, quand il a été poussé par un homme pendant un topo en direct, assez brutalement pour quitter le cadre de la caméra. »

À en juger d’après cette vidéo, c’est bien peu de chose. Raymond Filion a seulement été bousculé, il n’a pas été frappé et blessé, et il ne semble pas particulièrement traumatisé par l’événement. Assurément il ne s’est pas fait mal en sortant du cadre de la caméra. Il n’y a certainement pas de quoi en faire tout un plat, du moins quand on est un adulte. Mais les journalistes et nos élus voient les choses autrement :

« Ce sont entre autres ces agressions qui ont suscité un vent de réactions depuis quelques jours. Le grand patron de l’information de La Presse, François Cardinal, et la directrice générale de l’information de Radio-Canada, Luce Julien, ont signé des textes pour déplorer l’escalade de gestes hostiles envers les journalistes, de même que le syndicat des travailleurs de l’information (FNCC-CSN). La Chambre des communes a accordé un appui unanime aux représentants des médias. Et Québec vient d’adopter une motion dénonçant le harcèlement et l’intimidation dont font l’objet les équipes qui couvrent les blocages des camionneurs. »

Pourtant censés débattre sur le recours à la Loi sur les mesures d’urgence invoquée par le gouvernement fédéral pour résoudre la crise nationale qu’auraient provoqué les manifestations et les barrages liés au Convoi de la liberté, nos politiciens trouvent néanmoins le temps de s’occuper de semblables broutilles. Mais c’est une autre affaire quand Alexa Lavoie de Rebel News (média qui s’oppose à toutes les mesures dites sanitaires et à l’autoritarisme de gouvernement) reçoit quelques coups de matraque et un projectile non létal à bout portant. Même chose quand David Menzies a été malmené, il y a quelques mois, par les gardes du corps de Trudeau. À leurs yeux, ce ne sont pas de vrais journalistes qui travaillent pour un vrai média et qui se trouvent du bon côté, à savoir le leur et celui de l’écrasante majorité des journalistes. Nos gouvernements et nos journalistes ferment les yeux sur ces actes de violence à l’égard des journalistes qui ne se rangent pas du bon côté, et qui mériteraient ce qui leur arrive. Compte tenu de ce parti pris des journalistes des médias de masse, il n’y a donc pas lieu de s’étonner que toutes ces personnes qui ne sont pas de leur côté leur témoignent de l’hostilité.

Les journalistes de grands médias continuent de regarder leur nombril :

« Si le phénomène n’est pas nouveau, il est grave. Pas seulement parce qu’il rend la vie difficile aux journalistes dans l’exercice de leur métier et leur impose de grands stress, mais surtout parce qu’il s’agit, de l’avis de beaucoup, d’un symptôme d’un mal beaucoup plus profond : la violence croissante du débat public, l’exacerbation des clivages sociaux et l’effritement des fondements de la démocratie. »

Comme si les journalistes ne rendaient pas la vie difficile et n’imposait pas un grand stress aux citoyens qui résistent à la grande mobilisation médiatico-gouvernementale qui doit organiser la société et notre vie jusque dans les moindres détails ! Comme si les journalistes n’étaient pas grandement responsables de la violence croissante du débat public, de l’exacerbation des clivages sociaux et de l’effritement des fondements de la démocratie ! N’est-ce pas eux qui dénigrent les personnes ou les groupes de personnes qui résistent à cette grande mobilisation en les qualifiant de récalcitrants complotistes, extrémistes, négationnistes et rassuristes, pour ne pas avoir à discuter avec ces personnes, étouffer les opinions divergentes et défendre l’orthodoxie sanitaire et politique ? N’est-ce pas eux, avec le gouvernement, qui se sont efforcés de diviser la société en vaccinés et en non-vaccinés ? N’est-ce pas eux qui sont allés en paroles parfois plus loin que le gouvernement en réclamant des mesures punitives devant exclure les non-vaccinés de la société et en faire des citoyens de seconde zone ? N’est-ce pas eux qui ont tenu et continuent de tenir à l’écart du débat public ou de qualifier de menteurs ou de charlatans les scientifiques et les médecins qui s’opposent aux politiques de confinement, à l’usage généralisé du masque, à la vaccination massive et répétée de toute la population, pour donner seulement la parole aux experts qui approuvent les décisions du gouvernement ou qui voudraient qu’il aille encore plus loin dans la même direction ? N’est-ce pas eux qui ont contribué à faire accepter aux citoyens un mode de gouvernance par décrets incompatible avec la démocratie ? N’est-ce pas eux qui, au lieu d’être un rempart contre les abus de pouvoir du gouvernement, font flèches de tout bois pour essayer de les justifier ? Les journalistes ne peuvent donc pas s’attendre à ce que toutes les personnes qu’ils ont écartées, dénigrées et attaquées, parfois avec violence (certains ont reçu des menaces et ont eu des ennuis à cause d’eux), leur envoient des remerciements.

Mais aux yeux des journalistes, c’est toujours la faute des autres. Ce que confirment les propos du président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec :

« La difficulté, c’est qu’on ne peut plus dialoguer avec les complotistes parce que pour dialoguer, il faut qu’on soit deux, explique-t-il. Mais si la personne ne veut pas dialoguer, qu’elle veut juste avoir raison et imposer son point de vue, ce n’est plus avec les mots qu’on pourra régler la situation. Je pense qu’il est le temps pour le fédéral de réguler les réseaux sociaux pour de vrai. C’est devenu un Far West. »

Encore une fois, les journalistes – soit aveuglement, soit mauvaise foi – pratiquent l’inversion accusatoire, et projettent ce qu’ils font sur les autres. Ce sont les journalistes qui refusent de dialoguer avec les personnes qui ne sont pas d’accord avec eux. En les qualifiant de complotistes ou de conspirationnistes, ils se dispensent d’écouter et d’examiner ce qu’elles ont à dire, et ils peuvent prétendre que ce sont elles qui ne veulent pas discuter et qui cherchent à imposer leur point de vue, en allant jusqu’à demander au gouvernement fédéral de réguler ce qui se dit sur les réseaux sociaux, qui serait une sorte de Far West où – c’est scandaleux ! – on peut dire ce qu’on ne peut pas dire dans les journaux et à la télévision.

Après quoi Colpron nous enfile une série de témoignages de journalistes menacés et apeurés pour justifier la réglementation des réseaux sociaux, les peines auxquelles s’exposent les harceleurs des journalistes, les agents de sécurité qui doivent parfois escorter les journalistes froussards, et les réclamations adressées aux forces policières pour obtenir leur protection contre la partie de la population qui voit en eux des ennemis, surtout dans le cadre des manifestations à Ottawa. Jamais on ne se demande si l’emploi par les journalistes du vocabulaire guerrier, pour qualifier les manifestations de siège, d’occupation et même d’insurrection, n’est pas à l’origine de ce rapport antagoniste. Car on ne peut pas traiter des personnes comme des envahisseurs, des occupants et des insurgés, et ensuite s’indigner qu’elles nous rangent dans le camp ennemi. Les journalistes devraient savoir ce qu’ils veulent et en assumer les conséquences. Mais comme ils sont des « purs », c’est toujours la faute des autres.

C’est donc dans l’ordre des choses que des citoyens perturbent le travail des journalistes car, par ce travail, les journalistes perturbent le débat public et constituent même une menace pour la démocratie. Je ne suis donc absolument pas scandalisé que des journalistes puissent être interpellés et insultés, ou même bousculés, quand ils sont sur le terrain. Il est bon qu’ils sentent la colère d’une partie importante de la population, laquelle est la conséquence légitime de leur manière déplorable de faire du journalisme et de servir nos gouvernements autoritaires.

Mais que les journalistes qui me lisent peut-être se rassurent. Je ne suis pas en faveur des menaces de mort et des actes violents au sens fort du terme, comme une volée de coups ou un meurtre. Et presque tous ceux qui vous méprisent au plus haut point, et qui savent que vous êtes irrécupérables et indécrottables, sont du même avis que moi. Nous croyons qu’il est inutile et même contre-productif de vous menacer, de vous battre et de vous tuer. Cela ne vous rendrait pas plus intelligents et intègres. Et les personnes qui prendraient votre place ne le seraient probablement pas plus que vous. Vous n’avez donc pas à craindre pour votre intégrité physique et pour votre vie. Vous n’en valez simplement pas la peine. Et surtout nous ne voulons pas vous donner l’occasion de jouer les martyrs. Alors vous pouvez dormir sur vos deux oreilles.