L’emprise des religions sur les écoles

De la même manière que les religions traditionnelles et dogmatiques imposent à leurs fidèles des règlements alimentaires plus ou moins pointilleux et contraignants (voir le billet de 26 février 2023), afin d’exercer un contrôle sur eux dans leurs activités quotidiennes et dans leurs besoins essentiels, elles exercent souvent une forte influence sur la manière d’enseigner et la matière enseignée partout où elles sont encore vigoureuses et ne sont pas en train d’agoniser ou d’être délogées par des religions concurrentes, anciennes ou nouvelles. Quand les autorités religieuses sont au sommet de leur puissance et quand elles sont associées aux autorités politiques ou détiennent elles-mêmes le pouvoir politique, presque tous les aspects de la vie dans les institutions éducatives sont prises en charge par elles. Dans les écoles où sont éduqués les enfants et les adolescents, les autorités religieuses leur inculquent les dogmes et les attitudes morales et intellectuelles attendues des bons croyants, par exemple la passivité, l’humilité, l’obéissance, la docilité, le respect des autorités, la foi, la peur de Dieu ou du Diable, la résignation et l’admiration des grands mystères incompréhensibles. Dans les écoles où ce sont les jeunes adultes qui sont éduqués, ces autorités consolident leur emprise sur les jeunes esprits déjà façonnés par des années d’enseignement religieux, lesquels appartiennent parfois à une élite sociale, politique et économique. Elles s’assurent que ces personnes, appelées à occuper individuellement et collectivement des positions d’influence ou d’autorité, leur demeureront fidèles, donneront aux institutions et à la société des orientations compatibles avec le maintien ou le renforcement de l’influence et du pouvoir détenus par ces autorités, serviront d’exemples ou de maîtres à penser aux fidèles qui occupent une position sociale inférieure ou qui leur sont directement subordonnés, et pourront, au besoin, les mater en usant du pouvoir et de l’influence dont ils disposent. Il est donc dans l’intérêt des autorités religieuses de contrôler ce qui se passe dans les écoles, ou du moins d’y exercer une forte influence, car leur emprise sur les classes inférieures et supérieures de la société en dépend considérablement.

Examinons rapidement et schématiquement quelques exemples de l’emprise des autorités religieuses sur les écoles, en nous intéressant surtout à une religion que nous connaissons pour la plupart bien, c’est-à-dire le christianisme dans sa version catholique.

Pendant des siècles, les personnes sachant lire et écrire étaient surtout des clercs, des moines ou des prêtres. Même les nobles, qui appartenaient alors à une aristocratie essentiellement guerrière, ne savaient souvent ni lire ni écrire. Après la disparation des écoles romaines et avant l’apparition des premières universités au XIIe et au XIIIe siècles, les écoles qui existaient en Europe étaient paroissiales, épiscopales et monastiques. Ces écoles servaient surtout à éduquer les ecclésiastiques, ce qui implique que de nombreuses idées sur la religion et sur la morale pouvaient difficilement y être enseignées et discutées, du moins pas ouvertement. L’étude des Écritures Saintes et de la théologie y occupaient une place importante, et les études devaient être ponctuées ou rythmées par des rituels chrétiens et même par la discipline monastique. Même si les universités sont apparues à cause d’un désir des clercs de soustraire leurs études à l’autorité directe des écoles épiscopales et de constituer une sorte de corporation d’intellectuels dotée d’une certaine liberté académique, ce serait exagéré de voir dans cette transformation une laïcisation de l’enseignement. Les maîtres et les étudiants étaient des clercs et pour cette raison ils dépendaient de la justice ecclésiastique et non de la justice civile. La théologie continuait d’y occuper une place importance, la philosophie continuait d’être grandement subordonnée à la théologie (on disait souvent qu’elle était la servante de la théologie), l’étude des textes impies était interdite ou surveillée par les autorités ecclésiastiques, et les textes qui faisaient autorité (la Bible, les œuvres des Pères de l’Église, les commentaires scolastiques portant sur ces livres, etc.) étaient souvent utilisés pour mettre fin aux disputes et établir les savoirs reconnus, surtout en matière de religion. C’est ainsi que les autorités religieuses formaient une classe de lettrés intéressés à la protection des privilèges ecclésiastiques et soustraits au pouvoir des autorités civiles, lesquelles dépendaient d’ailleurs d’elle pour lui fournir des administrateurs et permettaient ainsi aux clercs de s’immiscer dans les affaires civiles et, du même coup, à l’Église d’accroître son influence et même son pouvoir temporel. On ne sera pas étonné du fait que ces lettrés, pour les meilleurs d’entre eux, étaient prêts à inventer toutes sortes de dispositifs intellectuels pour démontrer les dogmes établis et les grands mystères du catholicisme, aussi invraisemblables et absurdes fussent-ils ; alors que les autres, moins doués, se contentaient de répéter et de commenter ce qu’avaient dit les autorités. Quand, malgré tout, certains esprits novateurs sortaient trop des sentiers battus, ils se retrouvaient souvent impliqués dans des disputes houleuses, les penseurs conformistes et les autorités religieuses formaient une cabale contre eux, l’enseignement de leurs thèses pouvait être interdit dans les universités, et ils s’exposaient à toutes sortes d’ennuis, comme des accusations d’hérésie.

Quelques siècles plus tard, les penseurs qui ont contribué à l’apparition de la philosophie et de la science moderne, comme Giordano Bruno et René Descartes, ont eu comme adversaires de doctes personnages qui ont fait leurs classes dans ces universités. Le premier a dû fuir d’un pays à l’autre, pour être finalement condamné et brûlé par l’Inquisition romaine. Le second, malgré toutes sortes de ruses pour dissimuler sa pensée et passer pour un défenseur du christianisme aux yeux des docteurs de la faculté de théologie de Paris, aurait été tué par une hostie empoisonnée à l’arsenic et consacrée par un prêtre envoyé en mission en Suède pour convertir la reine Christine au catholicisme, et ne serait pas mort de pneumonie, comme le veut l’histoire officielle de sa mort, reprise à l’unisson par les universitaires aux sympathies catholiques avouées et soucieux de faire passer ce grand philosophe pour un bon catholique et de disculper l’Église catholique de ce crime odieux.

Au Québec, le clergé catholique a continué de contrôler l’éducation des francophones jusqu’à la Révolution tranquille, où l’enseignement a enfin été sécularisé. Pendant des générations, les Canadiens-Français, nés pour un petit pain, étaient éduqués par des curés, des frères et des bonnes sœurs, ou par des instituteurs et des institutrices éduqués par des religieux ou des religieuses. Des prières, des chants religieux, des célébrations et les sacrements de la communion et de la confession étaient intégrés à l’enseignement et avaient lieu dans les écoles. Les enfants de bonnes familles ou destinés à la carrière religieuse pouvaient poursuivre leurs études dans des collèges classiques, des séminaires ou des couvents contrôlés par les autorités religieuses, où on leur inculquait la doctrine, la morale et la bienséance chrétiennes. L’Université Laval, qui a été longtemps la seule université de langue française au Québec, entretenait des liens étroits avec les autorités religieuses (c’était une université pontificale), puisqu’elle était un prolongement du Séminaire de Québec. De 1852 à 1972, tous les recteurs ont été des ecclésiastiques. Et ce n’est qu’en 1971 qu’elle est enfin devenue une université non confessionnelle. Voilà qui explique en partie l’indigence intellectuelle qui a régné et qui continue de régner, car il n’est pas facile de créer des champs disciplinaires autonomes, dans un contexte où ils se défont dans les pays où ils ont pu se constituer. Voilà qui explique aussi le conformisme et la docilité du peuple québécois (dont l’emblème animal est le mouton), la compromission de plusieurs générations d’intellectuels québécois avec les autorités religieuses, et une sympathie pour la religion dont les universitaires ont encore aujourd’hui de la difficulté à se départir, quoique sous de nouvelles formes, par exemple celle de la promotion de la « politique identitaire », de la « laïcité ouverte » et des « accommodements raisonnables ». Quant aux attitudes morales caractéristiques des fidèles, elles n’ont pas simplement disparu avec une certaine prise de distance vis-à-vis de la doctrine chrétienne. L’obéissance, le respect des autorités, la résignation, l’humilité et le collectivisme sont toujours des traits moraux largement partagés et valorisés par nos concitoyens, quoi qu’en utilisant d’autres termes connotés positivement.

En gardant en tête ces observations sur l’emprise de l’Église catholique sur l’éducation en Occident, et plus particulièrement au Québec, essayons d’expliquer une bizarrerie qui s’est produite quand le méchant virus est arrivé dans nos pays respectifs et quand les autorités politiques et sanitaires ont adopté brusquement une politique de confinement. Je veux parler de l’acharnement de l’idéologie sanitaire contre toutes les institutions d’enseignement, des écoles élémentaires jusqu’aux universités. Alors que même d’après les autorités sanitaires les enfants, les adolescents et les jeunes adultes résistaient très bien aux assauts du méchant virus, les mesures sanitaires y ont été maintenues et appliquées avec une rigueur peu commune et peut-être seulement surpassée par les hôpitaux, les centres hospitaliers de soins de longue durée (CHSLD) et les résidences privées de personnes âgées. Rappelons le zèle dont ont fait preuve les autorités sanitaires et éducatives lors de la réouverture des écoles et presque jusqu’à la fin de l’année scolaire 2021-2022 : obligation de porter un masque, espacement des bureaux dans les salles de classe, tests rapides en quantités industrielles, isolement préventif, traçage des contacts, mise en quarantaine de classes entières, fermeture d’écoles où il y aurait trop de cas, preuve de vaccination requise pour participer à des activités parascolaires, promotion agressive de la vaccination auprès des élèves, des parents, des étudiants, des enseignants, des professeurs et des autres employés des établissements d’enseignement, etc. Des universités sont même allées jusqu’à s’entendre avec les autorités sanitaires pour ouvrir un centre de vaccination dans un pavillon, et jusqu’à réclamer la vaccination des étudiants pour fréquenter le campus et entrer dans certains édifices comme la bibliothèque. Il y a des universités canadiennes qui ont continué à exiger des preuves de vaccination pendant l’année académique 2022-2023, pour n’importe quel programme de formation, ou seulement pour des programmes en santé. L’obligation de porter du masque serait encore en vigueur dans certaines universités ou aurait été levée tout récemment, environ une année après la levée de cette obligation dans les lieux publics de presque toutes les provinces canadiennes. Tout ça ne peut pas s’expliquer seulement par la croyance en la contagion asymptomatique, ni par le conformisme et la vertu ostentatoire des administrations scolaires.

Pourquoi tant de rigueur sanitaire dans les établissements d’enseignement ? Pour la même raison que l’Église catholique a cherché à garder son emprise sur l’éducation aussi longtemps qu’elle a pu. Pour la même raison que la religion sanitaire – car c’est bien ce à quoi nous avons affaire – a réglementé avec zèle nos repas pendant deux années, c’est-à-dire avec qui, avec combien de personnes nous pouvions manger, où, quand et à quelles conditions. Car ce dont il s’agit, c’est de nous contrôler individuellement et collectivement et d’accroître du même coup l’influence et la puissance des autorités sanitaires. Et pour parvenir à cette fin, l’endoctrinement et la discipline sanitaires dans les écoles, les collèges et les universités sont un moyen très efficace. Ne façonne-t-on pas les enfants, les adolescents et les jeunes à un âge où ils sont très malléables, pour en faire des fidèles de la religion sanitaire, en leur montrant et faisant sentir que la santé conçue à la manière des autorités sanitaires aurait une valeur absolue, et que la matière enseignée et la manière d’enseigner devraient être subordonnées à cette conception dogmatique, absurde et délirante de la santé ? En traitant ainsi les élèves, les étudiants, les enseignants et les professeurs, ne développe-t-on pas des attitudes morales très chères à toutes les religions dogmatiques et oppressives, par exemple l’humilité, l’obéissance, la docilité, la résignation, la soumission et la crainte des méchants virus, qui remplacent les démons des religions traditionnelles ? Ne dégrade-t-on pas chez beaucoup d’entre eux la capacité et le désir de résister et d’être autonomes ? N’exclut-on pas les éléments récalcitrants, en les empêchant de poursuivre des études supérieures, ou en les suspendant ou congédiant quand ils enseignent ou sont chercheurs ? Ne finance-t-on pas les chercheurs, en science ou dans d’autres disciplines, qui adhèrent au scénario pandémique, qui le justifient, qui luttent contre l’opposition, qui cherchent à étouffer et à discréditer les critiques, et qui préparent la suite ? Ne contribue-t-on pas ainsi à former une classe de clercs ou de professionnels qui est purgée des éléments indésirables, qui constituera les rouages de la société, qui sera la seule réputée à détenir les connaissances et les compétences reconnues, qui occupera les positions d’influence et de pouvoir (dans les écoles, dans les centres de recherche, dans les grands médias, dans l’administration publique, dans les grandes entreprises, dans le système juridique, etc.), et qui sera un instrument que les autorités sanitaires auront mis à leur main et pourront manier pour contrôler la société, pour façonner les attitudes et les comportements des masses et pour les dresser ?

La situation est aggravée par le fait que d’autres religions, par exemple celle de la croisade contre les changements climatiques, affermissent leur emprise dans les écoles. Non seulement les établissements doivent enseigner la doctrine climatique officielle aux élèves et aux étudiants, mais elles commencent aussi à adopter – de leur propre initiative ou sous la pression des gouvernements – des mesures pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, à organiser des activités de sensibilisation aux changements climatiques, et à leur inculquer des habitudes de vie respectueuse du climat et autant que possible exemptes de gaz à effet de serre. Dans certaines écoles européennes, on dresse les enfants à la lutte contre les changements climatiques en interdisant la viande dans les cafétérias et en servant parfois des repas ou des collations à base d’insectes. Quant aux universités, elles abritent des chercheurs qui croient ou feignent de croire à l’apocalypse climatique qui risquerait de s’abattre du jour au lendemain sur nous, et qui favoriserait l’apparition de nouveaux pathogènes capables de provoquer d’autres pandémies. Alors que la situation économique continuera de se dégrader, que les populations occidentales continueront de s’appauvrir, et que les mesures d’austérité s’intensifieront, il est à craindre que la religion climatique devienne encore plus dogmatique et plus obscurantiste, et qu’on l’inculque aux élèves, aux étudiants, aux enseignants et aux professeurs, en les endoctrinant et en leur imposant une discipline austère, pour faire croire à ces populations qu’elles souffrent pour sauver l’humanité et la planète des changements climatiques, et qu’elles souffrent à cause de ces changements – un peu comme quand on veut faire croire aux fidèles chrétiens que les privations qu’ils s’imposent et qu’on leur impose leur permettent d’éviter des calamités dans la vie terrestre et dans la vie après la mort, ou qu’elles sont la punition pour leurs péchés. Si l’idéologie climatique est bien une religion, nous pouvons donc nous attendre à toutes sortes de belles trouvailles qu’on appliquera dans les écoles au cours des prochaines années, du moins si nous ne nous trouvons pas engagés dans une guerre trop violente, ou dans un effondrement social et économique trop brusque, pour nous occuper de pareilles fadaises. Nous pourrions en voir de belles d’ici quelques années, et les générations à venir encore plus que nous.

Et il y a aussi la religion « woke », qui devient de plus en plus présente dans les universités, dans les collèges et dans les écoles secondaires et élémentaires, et qui vise à interdire et à faire disparaître certaines positions morales et politiques jugées nauséabondes, dans les œuvres du passé et dans l’histoire enseignée, ou dans les mouvements d’opposition aux nouvelles religions qui dissimulent leur véritable nature, et qui se drapent du le manteau de la science, de la médecine et de la morale.

Le plus grave, c’est que l’ingérence de ces religions qui ne s’affichent pas ouvertement comme des religions est très insidieuse dans nos pays prétendument laïcs et dans nos systèmes d’éducation prétendument non confessionnels. Contrairement à ce qui arrive dans les écoles privées ou publiques ouvertement confessionnelles, les enfants, les parents, le corps professoral et les administrateurs n’ont souvent pas la moindre idée de l’enseignement religieux qui a lieu dans les écoles. Il en résulte que nous sommes en train d’entrer dans un nouvel âge des ténèbres et de devenir des serfs superstitieux, sans que s’en aperçoivent beaucoup de nos concitoyens, qui pensent naïvement se conformer à la science et la morale. Les écoles sont donc un terrain sur lequel il faut nous battre. Les grands efforts faits par les nouvelles religions sournoises pour contrôler les établissements d’enseignement nous montrent que ce terrain mérite d’être défendu par les parents des élèves, par les étudiants, par les enseignants et les professeurs et par les citoyens qui n’ont pas encore été convertis et qui refusent de subordonner l’éducation aux dogmes religieux, et de participer à cette grande opération de dressage servant à la fois les intérêts des autorités religieuses et les intérêts des autorités politiques et bureaucratiques avec lesquelles elles sont acoquinées.