Le parti de l’urgence climatique

En allant faire mes courses, j’ai rencontré une sorte d’illuminé du climat qui voulait obtenir ma signature (la dernière qu’il lui fallait, disait-il) pour se présenter tardivement comme candidat d’un petit parti qui se nomme Climat Québec et qui trouve qu’on ne parle pas suffisamment du « climat » dans la campagne électorale qui se déroule présentement au Québec. On dirait que les partis politiques du Québec pratiquent maintenant la surenchère climatique, comme ils ont pratiqué la surenchère sanitaire au cours des dernières années.

« Ça prendra seulement quelques secondes. Il me faut votre signature. » Et moi de lui répondre : « Je ne suis pas pressé. J’ai même tout mon temps, ce qui tombe bien puisque j’ai pour principe de ne rien signer sans savoir exactement de quoi il s’agit. » Avant même que je commence à lui poser des questions sur son parti politique, il déclare qu’il a seulement besoin de ma signature, que cela ne m’engage à rien et que je suis libre de voter pour qui je veux après. Je lui fais remarquer qu’à ce compte, il nous faudrait donner notre signature au candidat d’un autre parti politique qui nierait l’existence des changements climatiques et tout lien de causalité avec les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine ; d’autant plus que cela lui procurerait un adversaire à affronter et donc de nombreuses occasions de parler du « climat ».

Mon interlocuteur fait une drôle de tête. Je vois qu’il a envie de me planter là et de trouver une cible plus facile pour obtenir la signature manquante. Mais personne d’autre à proximité : pas le choix d’essayer de l’obtenir de moi pour l’instant.

Après avoir entendu cet écologiste régurgiter quelques slogans creux où le mot « climat » revient constamment et répéter à quelques reprises qu’il se « sacrifie pour le climat » en faisant campagne (je suppose qu’il veut aussi tous nous sacrifier sur l’autel du « climat »), je déclare que ma principale préoccupation en politique n’est pas l’environnement, que ma principale préoccupation en matière d’environnement n’est pas le « climat », et que je me méfie des idées fixes et des priorités absolues en politique comme en toutes choses. Autrement dit, je lui dis que je veux savoir ce qu’il y a d’autre dans le programme de son parti politique, notamment à propos de la manière très autoritaire dont nous avons été gouvernés au cours des dernières années. Il me répond qu’il n’y a presque rien d’autre dans ce programme que le « climat », ou à tout le moins que tout y est abordé à travers le prisme du « climat ». Par exemple, on s’y opposerait à l’étalement urbain pour diminuer les déplacements responsables d’une partie importante des gaz à effet de serre, en essayant de venir en aide aux premiers acheteurs dans les secteurs urbains. Je réplique que c’est présentement un suicide financier, même avec un programme d’aide, d’acheter une maison ou un condominium, étant donné la hausse accélérée des taux d’intérêt qui rendra de plus en plus difficile de payer son hypothèque, surtout si de nombreuses entreprises ferment leurs portes ou font faillite et si beaucoup de travailleurs se retrouvent au chômage. À moins que son parti trouve une solution au problème de l’inflation, cette aide financière aggraverait probablement l’inflation et ferait gonfler encore plus la bulle immobilière, ce qui causerait encore plus de dégât quand elle viendrait à éclater.

C’est comme si je n’avais rien dit. Le candidat écologiste affirme que le plus important, c’est le « climat » et que c’est ce dont s’occupe exclusivement son parti politique. Après quoi il recrache les lieux communs habituels sur les changements climatiques et la transition énergétique verte, appliqués à la situation du Québec, car nous ne serions pas à l’abri des changements climatiques à cause de nos barrages hydroélectriques, dont l’alimentation en eau pourrait être insuffisante s’il y a des sécheresses causées par les émissions de gaz à effet de serre des véhicules et les systèmes de chauffage qui fonctionnent au mazout et au gaz naturel. À cela je réponds que les économies occidentales pourraient se dégrader sérieusement ou même s’effondrer avant que cette transition énergétique verte soit complétée ou même commencée, étant donné la politique étrangère aberrante des gouvernements occidentaux à l’égard de la Russie et les sanctions économiques qui sont en train de détruire ces économies et les conditions de vie des citoyens, et les graves troubles sociaux et politiques qui pourraient en résulter. Ce ne serait pas là un contexte propice à la grande transition énergétique dont son parti politique fait la promotion.

Mais qu’importe à cet écologiste – une sorte de Baerbock ou de Habeck de petite envergure – qui n’a pas encore été affecté dans son existence bourgeoise et dans son petit confort ! Sur un ton de reproche, il déclare qu’il va essayer d’obtenir la signature manquante avec quelqu’un d’autre, puisque je lui aurais fait perdre 5 minutes sans lui accorder ma signature. À quoi je réponds que c’est qui lui m’a abordé et qui m’a fait perdre 5 minutes. Mais son temps n’a pas la même valeur que le mien : il y a urgence climatique, il veut agir politiquement, et il n’a pas le temps de discuter. On a déjà trop parler ! La situation est trop grave ! Il faut agir sans plus attendre. Paroles que nous avons entendu dans la bouche d’autres personnes quand il s’agissait de l’état d’urgence sanitaire.

Il n’empêche que j’hésite : peut-être que cette rencontre, finalement, s’explique par les changements climatiques. Ce militant écologiste ayant lui-même sous-estimé l’ampleur des changements climatiques, je fais l’hypothèse qu’il a attrapé un fort coup de soleil à la tête même si c’est la mi-septembre, lequel l’indispose et le fait penser encore plus mal ou moins que d’habitude. Cela expliquerait aussi pourquoi, de manière plus générale, les têtes brûlées écologistes se multiplient dangereusement et mettent en péril notre avenir.


Rentré chez moi, j’ai consulté le site de Climat Québec, où on y confirme la réduction ou la subordination de la politique à la lutte contre les changements climatiques.

Le début du texte fondateur du parti (Un nouveau pays pour agir véritablement) explique clairement sa vision politique simpliste et absolue :

« L’urgence climatique est manifeste

Les impacts du réchauffement climatique sont maintenant bien présents et les données scientifiques qui démontrent ses effets sont de plus en plus alarmantes. L’augmentation de l’intensité et de la fréquence des catastrophes naturelles nous rappelle l’urgence d’agir. Le climat ne peut plus être une priorité parmi d’autres. »

Les rédacteurs de ce manifeste devraient savoir que les données censées démontrer que la situation climatique est catastrophique ne font pas consensus chez les scientifiques, pas plus que les observations faites sur le terrain. Cependant, au nom de l’urgence d’agir, on ignore ceux qui sont en désaccord et on fait comme s’il y avait un consensus à ce sujet, pour ensuite leur reprocher de ne pas respecter ce prétendu consensus. C’est la même chose que pour l’urgence dite sanitaire, qui devait être notre priorité absolue et au nom de laquelle le débat public et scientifique devait être entravé et même rendu impossible, sous prétexte de mobilisation générale, et au nom de laquelle nos droits et nos libertés et nos conditions de vie ont pu être attaqués frontalement, avec le consentement de la majorité de la population. La principale différence, c’est qu’on a remplacé le virus et les « vagues » épidémiques par les changements climatiques et les catastrophes naturelles.

Comme dans le cas l’urgence dite sanitaire, l’alarmisme ou même le catastrophisme climatique exclut la discussion et l’examen critique, considérés comme contraires à l’action et donc à l’attitude réaliste et pragmatique qui serait nécessaire en ce temps de crise :

« Le temps des tergiversations est largement dépassé

Soyons réalistes, la survie du monde tel que nous le connaissons est en péril. Le réchauffement climatique n’est plus une menace, mais une fatalité, une crise qui doit être traitée en priorité absolue. Il faut collectivement sortir du déni. Nous n’avons pas le choix. Le Québec doit impérativement mettre l’effort nécessaire pour atténuer les conséquences et les chocs à venir. Nous devons absolument nous rassembler pour livrer une action sans complaisance. La création d’un parti politique dédié complètement à la cause du climat permettra aux Québécoises et aux Québécois de se coaliser pour donner pleine légitimité à un plan d’action à la hauteur de la situation avec le rapatriement de tous nos pouvoirs. »

Comme avec l’arrivée du virus, les changements climatiques constitueraient une rupture ontologique : il y aurait le monde d’avant les changements climatiques et le monde depuis les changements climatiques. Le pragmatisme et le réalisme pour ces écologistes, c’est de faire de la politique l’instrument de la lutte pour le climat, comme d’autres ont fait d’elle l’instrument de la lutte contre la « pandémie » actuelle et les « pandémies » à venir, ou encore de la lutte pour la vraie foi et contre les infidèles :

« L’action conséquente est indispensable

L’alarme a sonné. Nous devons répondre à l’appel. Face à l’urgence climatique, tous les autres enjeux deviennent secondaires. Climat Québec s’imposera dorénavant comme la seule option politique réellement pragmatique, agissant pour contrer la crise environnementale. Le climat doit devenir le prisme à travers lequel tous les autres enjeux sont évalués. »

En d’autres termes, Climat Québec serait l’unique détenteur de la vérité et seul lui pourrait nous sauver des changements climatiques. Si l’idéologie de ce petit parti politique devenait plus puissante dans la classe politique et bureaucratique (l’aspirant candidat que j’ai rencontré est un imbécile fonctionnel qui travaille au ministère de l’Environnement et des Ressources naturelles), ou si elle devenait utile pour expliquer la crise économique, énergétique et alimentaire qui résulte en grande partie de l’injection par les gouvernements occidentaux de sommes d’argent astronomiques dans l’économie pour atténuer les effets des confinements et relancer l’économie, et des sanctions économiques contre la Russie qui constituent en fait des sanctions contre les pays occidentaux, nous pourrions alors nous retrouver dans une situation analogue à celle de l’Allemagne (où les dirigeants du Parti vert s’accommodent fort bien de la forte augmentation des coûts énergétiques, des pénuries à venir et de la désindustrialisation et des souffrances qui en résulteront, puisque l’Allemagne serait en train d’en finir avec la consommation du gaz naturel russe), mais avec l’hydroélectricité qui atténuerait peut-être les choses au Québec, du moins si on ne se met pas à militer contre elle sous prétexte qu’elle produirait elle aussi des émissions de gaz à effet de serre. N’en déplaise à ces écologistes qui ont des prétentions au réalisme et au pragmatisme, une transition énergétique verte devant exclure presque entièrement les énergies fossiles ne se fait pas en un tourne-main, surtout quand on se dispense de discuter sous prétexte d’urgence climatique ; à moins bien entendu qu’on soit prêt à tout subordonner à cette grande entreprise, en allant jusqu’à une désindustrialisation plus ou moins importante et à notre appauvrissement généralisé pour essayer de réaliser coûte que coûte cette « utopie verte », qui pourrait s’avérer invivable pour nous.

Ainsi, si l’alarme a sonné, il faut nous demander pour qui et pour quoi le glas sonne.

S’il est vrai qu’il est important de protéger l’environnement (il n’y a pas seulement les soi-disant « changements climatiques »), s’il est juste de vouloir prendre des mesures contre les grandes entreprises qui polluent les sols, l’eau et l’air, qui détruisent nos forêts et qui empoisonnent notre nourriture, c’en est une autre d’élaborer tout un programme politique où la lutte contre les changements climatiques est la priorité absolue, et de promouvoir la séparation du Québec et la constitution d’une république dont la raison d’être serait la mise à exécution de ce programme et, de manière plus générale, la subordination de la politique à l’idéologie des changements climatiques, qui deviendrait alors la nouvelle religion d’État :

« Continuellement, le Canada sabote la capacité du Québec à se déployer efficacement pour le climat. Tant que notre démocratie ne disposera pas de tous ses leviers de pouvoir et qu’elle devra se faire complice de l’irresponsabilité canadienne — eu égard à notre statut provincial —, aucun plan d’action pour contrer la crise climatique ne pourra véritablement s’accomplir sur notre territoire. De plus, les démarches et les représentations du Québec sur la scène internationale sont encadrées par le Canada de manière à servir Ottawa et ses intérêts pollueurs. Le Québec est un des États les plus riches du monde et il a tout pour devenir très rapidement un influenceur majeur à la tête de la mobilisation mondiale de lutte contre le réchauffement climatique. En étant émancipée de la mainmise du Canada, la République du Québec pourra enfin incarner une réelle force de frappe face à la crise. L’indépendance du Québec est une nécessité pour que nous puissions faire ce qu’il se doit. »

À ce compte, je préférerais que le Québec reste au sein du Canada malgré tous les griefs que j’adresse au gouvernement canadien et tous les défauts des institutions politiques canadiennes. Si le Québec venait à se séparer du Canada pour ces raisons et de cette manière, j’envisagerais de déménager dans une autre province canadienne ou dans un autre pays, pour éviter ce mélange de la superstition et de la politique, ainsi que la nouvelle grande noirceur qui pourrait en résulter.