L’appel à la sobriété énergétique du ministre Fitzgibbon

Le ministre de l’Énergie du Québec, Pierre Fitzgibbon, suit les grandes tendances occidentales en nous parlant de sobriété énergétique, ce qui m’a tout l’air d’être un néologisme pour ne pas parler d’austérité énergétique. Car c’est ce dont il s’agit. Pour « décarboner » le Québec d’ici 2050, il faudrait augmenter la production d’électricité de 100 TWh, à savoir la moitié de la production actuelle. Tout serait sur la table, de la construction de parcs d’éoliennes ou de nouveaux barrages hydroélectriques, à la sobriété énergétique des particuliers et des entreprises :

« On a [l’équivalent de la production d’électricité d’un] barrage en sobriété, on a un ou deux barrages dans l’éolien, et on a un barrage avec [l’installation] de nouvelles turbines [dans les anciennes centrales]. »

Préparez-vous à baisser le chauffage », La Presse, 2 décembre 2022)

Bref, notre gouvernement considère la sobriété comme une source d’énergie à exploiter afin d’obtenir l’énergie manquante pour son projet de « décarbonation » du Québec, au même titre que l’énergie éolienne et l’énergie hydroélectrique. Ainsi, on envisage d’inclure la « tarification dynamique » dans un nouveau projet de loi, pour qu’Hydro-Québec vende l’électricité plus cher pendant les périodes de pointe, où la demande dépasse la production. On envisage même de ne pas fournir d’électricité à des entreprises pendant les périodes de pointe :

« Les entreprises qui veulent du courant, peut-être qu’on va leur dire : à la pointe, vous n’en aurez pas. Ou on va le baisser. Nous aussi, les consommateurs aussi, peut-être, il faut changer nos habitudes. Peut-être laver la vaisselle, le faire à minuit. »

Nous pouvons bien nous douter que si le gouvernement caquiste, fortement lié au milieu des affaires du Québec, est prêt à envisager de couper ou de réduire le courant fourni aux entreprises, il ne se contentera vraisemblablement pas de nous demander gentiment de laver la vaisselle à minuit. Il est déjà entendu qu’on nous demandera aussi de baisser ou de fermer le chauffage quand nous ne sommes pas à la maison, ou qu’on trouvera une manière de nous y contraindre, afin de nous faire porter le poids de la rareté énergétique qui résultera de la politique d’électrification des transports de notre gouvernement.

Étant donné la tendance croissante au télétravail, qu’on voudra renforcer pour réduire les dépenses énergétiques liées aux déplacements et au travail dans des bureaux qu’il faut chauffer et éclairer, les télétravailleurs pourraient se retrouver confronter à l’alternative suivante : ou bien réduire ou fermer le chauffage durant leur journée de travail pour diminuer leur consommation d’électricité, ou bien être pénalisés à cause de leur manque de sobriété énergétique, puisqu’il est douteux que, confronté à l’apocalypse climatique, on daigne leur accorder des tarifs énergétiques préférentiels. Bref, les télétravailleurs devraient alors assumer les coûts énergétiques du travail à la place des employeurs, ou se résigner à avoir froid.

Dans le cas des travailleurs qui doivent toujours aller au travail, et dont on voudrait qu’ils arrêtent ou diminuent le chauffage pendant qu’ils ne sont pas à la maison, ils ont souvent un horaire de travail semblable. Il en résulte qu’ils reviendraient à la maison à peu près en même temps, et qu’ils ouvriraient le chauffage à peu près à la même heure. Même si la consommation d’électricité a été réduite au cours de la journée, elle augmenterait fortement en fin de journée ou en début de soirée, car il faut plus d’énergie, sur une courte période de temps, pour élever la température de 5 ou de 10 degrés Celcius à la suite d’un manque de chauffage, qu’il en faut pour maintenir un logement à une température confortable quand on ne ferme pas le chauffage. À quoi bon nous demander de faire marcher le lave-vaisselle la nuit pour faire des économies d’énergie quand des millions de personnes reviennent du travail à 17 heures environ pour recommencer à chauffer leur logement en même temps ? En fait, c’est ainsi qu’une politique énergétique, censée éviter la saturation du réseau électrique, crée artificiellement une période de forte demande durant laquelle ceux mêmes qui ont fermé ou baissé le chauffage quand ils n’étaient pas à la maison doivent payer plus cher l’électricité utilisée quand ils reviennent à la maison.

Voilà qui rappelle le couvre-feu qu’on nous a imposé sous prétexte de réduire les contacts et la propagation du virus. Alors que nous devions être rentrés à la maison à 19 heures au Québec et à 17 heures en France, cela provoquait un achalandage plus grand dans les supermarchés et dans les autres commerces, où les travailleurs devaient se précipiter tous en même temps après le travail. Comment justifier une telle mesure dans une perspective de santé publique où il s’agirait de réduire les contacts ? Ce que cela montre, c’est qu’il n’est pas tant question de réduire les contacts et d’arrêter la propagation du virus, ou de réduire la pression exercée sur le système électrique, que d’accroître l’emprise des autorités sur ce que nous faisons. L’important, ce ne sont pas les effets obtenus, mais de montrer que nous faisons notre part, comme de bons boys-scouts. L’absurdité des mesures en question a pour fonction de nous inciter à nous abandonner complètement à la volonté des autorités, même si les raisons qu’on nous donne ne sont pas convaincantes, ou justement pour cette raison.

De toute évidence, ces mesures visant la réduction de la consommation d’électricité dans les résidences privées ne sont qu’un début. Nous pouvons nous attendre à en voir de toutes les couleurs au cours des prochaines années, alors que les problèmes d’approvisionnement énergétique s’aggraveront en Occident, et que la crise d’hystérie climatique deviendra plus aiguë. Ces mesures se multiplieront d’autant plus qu’elles ne parviendront pas à palier à la rareté énergétique que notre gouvernement, comme les autres gouvernements occidentaux, s’ingénie à provoquer, et que les richards qui nous gouvernent ne seront pratiquement pas affectés par ces mesures, bien que leurs domiciles, beaucoup plus grands que les nôtres, exigent beaucoup plus d’énergie pour être chauffés et être éclairés. Ce qui n’empêchera pas nos dirigeants hypocrites de faire comme s’ils étaient dans le même bain que nous, et de porter des gilets à col roulé ou des vestes de laine pour montrer qu’eux aussi, ils font leur part pour réduire la consommation d’électricité et sauver la planète et l’humanité de la crise climatique. De la même manière qu’ils nous ont joué la comédie en portant un masque en public, et en participant à des festins en cachette.