La ségrégation des personnes vulnérables : une mesure inefficace, nuisible et aberrante

Ce n’est pas une découverte que la ségrégation des personnes considérées plus vulnérables, quand il y a une épidémie, est une mesure inefficace et même nuisible. C’est pourquoi de telles mesures, qui visent à la fois ces personnes et aussi celles qui sont bien portantes, ne faisaient pas partie des plans à mettre en application en cas d’épidémie avant l’arrivée du méchant virus en 2020. Ceux qui connaissent ces plans et qui entendent quelque chose à l’épidémiologie le disent depuis trois ans. Les autres, comme moi, qui ont refusé d’arrêter d’utiliser leur esprit critique ont depuis aussi longtemps ou presque l’impression que ça ne va pas du tout, et la mortalité excédentaire qui a suivi l’annonce du premier confinement et l’application de mesures soi-disant sanitaires dans les centres hospitaliers de soins de longue durée (CHSLD) et dans les résidences privées de personnes âgées semble leur donner raison, bien que les autorités politiques et sanitaires s’efforcent de justifier le confinement et les autres mesures grâce à ces décès qui les justifieraient et qui seraient en grande partie causées par ce confinement et ces mesures.

L’article de Joseph Hickey et de Denis Rancourt (« Predictions from standard epidemiological models of consequences of segregating and isolating vulnerable people into care facilities » (5 février 2023) est intéressant parce qu’il montre que les modèles épidémiologiques standard permettent de prévoir que la ségrégation des personnes vulnérables est non seulement inefficace, mais aggrave la situation. Pour éviter une partie importante des décès qui sont arrivés entre mars et juin 2020, il aurait fallu que les autorités sanitaires et les experts au service du gouvernement utilisent ces modèles et raisonnent bien à partir d’eux. Mais non : puisqu’il s’agissait supposément d’un virus respiratoire radicalement nouveau, ils ont décrété a priori que les modèles épidémiologiques principalement utilisés jusqu’alors ne pouvaient pas s’appliquer à cette situation exceptionnelle, et se sont plutôt tournés vers des modèles spéculatifs qui ne s’appuyaient pas et qui ne pouvaient pas s’appuyer sur des études observationnelles faute d’une occasion antérieure de les mettre à l’épreuve, et ce, pour faire imposer des mesures soi-disant sanitaires exceptionnelles, autoritaires et inusitées, dont l’efficacité n’a jamais pu être observée. Les autorités sanitaires et leurs experts de service n’ont donc pas d’excuse : ils auraient dû savoir et agir en conséquence. Nous ne devons donc pas les croire quand ils persistent à dire qu’ils ont sauvé des vies grâce à ces mesures ségrégatives, et nous ne devons pas les excuser quand ils avouent qu’en raison de leur ignorance sur le virus supposément radicalement nouveau et de leur désir de protéger les plus vulnérables d’entre nous, ils ont adopté des mesures un peu trop rigoureuses qui ont pu affecter négativement la santé physique et mentale de ces personnes.

Je n’entrerai pas dans les calculs assez complexes faits dans cet article. Je reconnais franchement que je ne les comprends pas et que, même si je faisais des efforts pour essayer de les comprendre et de les expliquer, les résultats ne seraient pas satisfaisants. Je suppose que c’est la même chose pour la plupart de mes lecteurs, qui ne sont pas des scientifiques. Pour les scientifiques qui me liraient et qui seraient bien meilleurs en mathématiques que moi, ils peuvent aller voir les calculs directement dans l’article. Quant aux politiciens, aux bureaucrates et aux journalistes qui exigent que nous ayons « confiance en la science » (c’est-à-dire la « science » du gouvernement) et qui accusent d’ignorance, de charlatanisme et de complotisme tous ceux (scientifiques ou non) d’avis divergent, et qui s’opposeraient certainement à la publication de ce billet, car je ne suis pas un expert, car je n’y entendrais rien, je réponds qu’eux non plus ils ne sont pas des experts, et que beaucoup d’entre eux ne sont pas plus compétents que moi en la matière, et n’y comprennent même rien du tout, puisqu’ils n’essaient même pas de penser de manière cohérente. Même les scientifiques qui occupent des postes élevés dans l’administration sanitaire n’y entendent peut-être presque rien, et se contentent de régurgiter ce que leur disent les experts de service pour justifier leurs mesures soi-disant sanitaires, car il faut des compétences très différentes de celles qui font de bons scientifiques pour gravir les échelons d’une administration publique pourrie, où il est d’usage de raconter n’importe quoi au public, à ses subordonnés, à ses collègues et à ses supérieurs, et aussi de se résigner à cet état de choses, puisque cela fait partie des règles du jeu que presque tous les administrateurs et les employés de l’État acceptent de suivre. En ce qui concerne les experts moins incompétents, qui sont directement ou non au service du gouvernement, ils n’ont qu’à débattre avec Denis Rancourt et Joseph Hickey et à essayer de démonter les calculs de ces derniers, tout en rendant publics leurs calculs et leurs modélisations pour qu’ils soient à leur tour soumis publiquement à la critique.

Mais revenons-en à ce que je propose de faire dans ce billet, c’est-à-dire d’essayer de raisonner correctement à partir des principes de base de l’épidémiologie, tout en nous aidant de la description du modèle utilisé dans cet article et de la discussion des résultats. De même coup, j’espère pouvoir montrer que la science n’est pas impénétrable pour les non-scientifiques, et que nous pouvons en arriver nous-mêmes à des conclusions plausibles, que nous pouvons utiliser pour juger des mesures soi-disant sanitaires qu’on nous a imposées, et que nous pouvons aussi corriger et complexifier au contact de critiques et de nouvelles idées. Cela est très important : à défaut d’être capables d’exercer notre jugement de cette manière et sur ces questions, et aussi d’y être autorisés, il nous faudrait obéir sans discuter et sans penser aux autorités politiques et sanitaires et croire aveuglément ce qu’affirment péremptoirement les experts qui sont à leur service – ce qui serait bien entendu incompatible avec la démocratie.


Prenons pour point de départ les deux principaux facteurs du modèle utilisé par Hickey et Rancourt, lesquels sont présentés à la fin de l’introduction (p. 3) :

« At their core, the baseline epidemiological models on which essentially all more sophisticated models are built, have two main parameters determining whether an infectious disease epidemic emerges and, if it does, its magnitude and duration. These two parameters are: the rate at which individuals experience pairwise contacts with others that could result in transmission of the infection, and the rate at which infected individuals recover and become immune.

We construct a simple susceptible-infectious-recovered (SIR) epidemic model consisting of two interacting populations, one representing the relatively robust majority of society and the other the vulnerable minority. The different health states of individuals in the two populations are represented by their different recovery times upon infection, as is well established for respiratory diseases. We investigate the size and duration of epidemics occurring for a broad range of different within- and between-population contact frequencies representing different segregation or isolation policy-linked behaviours. This approach allows us to make broad-ranging conclusions about the consequences of segregation of vulnerable people that apply to all epidemic models based on the SIR foundational assumptions. »

(C’est moi qui souligne.)

Donc, les deux principaux facteurs à considérer dans ce modèle sont la fréquence des contacts entre les individus et la vitesse à laquelle les individus infectés se rétablissent et deviennent immunisés. Le premier facteur est déterminé par les mesures de « distanciation sociale ou physique » en vigueur, alors que le deuxième facteur est déterminé par l’état de santé des individus, c’est-à-dire par l’appartenance à la majorité de la population résistante à l’infection ou à la minorité de la population vulnérable. Sans être en mesure de quantifier la chose, nous pouvons déjà nous dire que ce n’est pas probablement pas une bonne idée d’enfermer ensemble, pendant quelques semaines ou même quelques mois, des personnes vulnérables, qui seront plus longtemps malades et donc plus susceptibles de transmettre le virus à d’autres personnes elles aussi vulnérables, qui seront plus longtemps malades et donc plus susceptibles de transmettre le virus à d’autres, et ainsi de suite. Une telle idée semble d’entrée de jeu une recette pour provoquer des éclosions qui durent et augmenter la fréquence des infections, des complications et des décès, à moins qu’on parvienne à isoler presque totalement les unes des autres les personnes vulnérables, et aussi à les isoler des personnes qui viennent de l’extérieur et qui pourraient faire entrer le virus dans un CHSLD ou dans une résidence privée de personnes âgées. C’est plus facile à dire qu’à faire. Et l’isolement qui en résulte, qu’il soit efficace ou non, a des effets sur la santé des personnes déjà vulnérables, ce qui les rend plus susceptibles de tomber gravement malades, de ne pas se rétablir rapidement et d’infecter d’autres personnes elles aussi plus vulnérables à cause de l’isolement, et ainsi de suite. Comme si on pouvait empêcher le virus, qu’on dit très contagieux, d’entrer dans ces établissements, alors que les soins nécessaires à la survie de ces personnes vulnérables dépendent entièrement de personnes qui viennent de l’extérieur ! Comme s’il était possible de protéger les résidents de ces établissements en les enfermant dans leurs chambres, seulement quand ils sont infectés et malades, ou même quand ils ne le sont pas, alors que le virus se transmet surtout à l’intérieur, grâce à des particules en suspension dans l’air que respirent les personnes vulnérables d’un même établissement en raison d’une ventilation déficiente, ce qui multiplie la fréquence des contacts entre ces personnes vulnérables !

Ce que disent Hickey et Rancourt dans la discussion des résultats obtenus (p. 13) grâce à leur modèle n’a donc rien de surprenant pour ceux d’entre nous qui ont de la suite dans les idées :

« Using a general two-population epidemic model, we have shown that increasing the degree of intermingling of the minority vulnerable (b) population with the majority robust (a) population reduces the attack-rate among the vulnerable. The advantage to the vulnerable group of intermingling with the robust group increases as the vulnerability of the minority group increases, that is, as their disease recovery time increases. Increasing the share of a vulnerable person’s interactions that are with other vulnerable people, by confining them together in the same facility, increases the likelihood of infection of the vulnerable person during the course of the epidemic or pandemic, because infected vulnerable people remain infectious for a long time, relative to robust people. »

Pas besoin d’être un grand scientifique ou épidémiologiste et de faire de grands calculs pour comprendre que la ségrégation des personnes vulnérables a des effets catastrophiques à proportion du mauvais état de santé des personnes, du temps plus long de rémission et de contagiosité, et du nombre de contacts avec d’autres personnes qui sont à peu près dans le même état de santé, les contacts pouvant consister dans le fait de respirer le même air que les autres résidents d’un même établissement ; et pour comprendre qu’au contraire, ces personnes vulnérables gagnent à sortir de l’établissement où elles vivent avec d’autres personnes vulnérables, et à avoir plutôt des contacts avec des personnes plus résistantes au virus, ayant moins de chances de tomber malades, se rétablissant plus rapidement quand ça arrive, et étant donc contagieuses moins longtemps (p. 13-14) :

« Isolation policies intending to protect the vulnerable reduce their contacts with the outside world, for example by barring visitors from entering care homes and by reducing the frequency of interaction between care home staff and residents. The care home isolation policies are also designed to reduce the number of epidemiological contacts between the care home residents themselves. However, since transmission of respiratory diseases is air-borne via long-lived suspended aerosol particles and occurs in indoor environments, confining many vulnerable people in the same facility in-effect increases the per-individual frequency of infectious contacts, because they are breathing the same air and ventilation is imperfect. Indeed, virtually all studied outbreaks of viral respiratory illnesses have occurred in indoor environments and care homes for the elderly are known to be “ideal environments” for outbreaks of infectious respiratory diseases, due to the susceptibility of the residents living in close quarters. A policy that decrease cba (le nombre de contacts des personnes vulnérables avec des personnes résistantes) for example by barring younger family members from entering care homes to visit their elderly relatives, causes the isolated vulnerable people to spend more time in the care home, breathing the same air as the other residents. This in-effect increases cbb (le nombre de contacts des personnes vulnérables avec d’autres personnes vulnérables). »

Autrement dit, les personnes résistantes servent de bouclier aux personnes vulnérables. C’est encore mieux quand elles bénéficient d’une immunité à cause d’un contact avec le virus en question ou avec un virus apparenté. Paradoxalement, nous pouvons imaginer une politique sanitaire diamétralement opposée à celle qu’ont adoptée et imposée les autorités politiques et sanitaires. En plus d’améliorer la ventilation des établissements de santé, elle consisterait, à l’occasion d’un épisode épidémique, à faire sortir les personnes vulnérables de ces établissements pour les faire vivre avec des personnes résistantes et, pour les cas trop lourds, à faire vivre des personnes résistantes avec elles dans ces établissements, ce qui aurait pour effet de réduire les contacts entre personnes vulnérables, sans les mettre au cachot.

Pour terminer, je pose une question. Ce qui vient d’être dit ne s’appliquant pas seulement à la COVID, mais aussi aux autres maladies respiratoires infectieuses, quelle proportion des décès attribués à la COVID ont en fait été causés par d’autres maladies respiratoires saisonnières qui ont fait plus de ravages dans les CHSLD et les résidences privées de personnes âgées à cause du confinement des résidents sous prétexte de les protéger du méchant virus ? Et dans quelle mesure cela a-t-il été aggravé par l’absence de traitement adéquat de ces maladies, prises pour la COVID réputée intraitable, et par la dégradation des soins de base due à l’isolement préventif du personnel soignant résistant et à la panique et au désordre provoquée chez ces personnes résistantes par le discours alarmiste des autorités politiques et sanitaires ? Ce serait des questions auxquelles les autorités politiques et sanitaires devraient essayer de répondre, au lieu d’organiser des commémorations nationales en l’honneur des victimes présumées de la COVID.