La loi du silence

La censure de ceux qui ne pensent pas comme les autorités – politiques, bureaucratiques, sanitaires ou académiques – est devenue de plus en plus fréquente au cours des dernières décennies. La situation s’est particulièrement aggravée depuis la venue du virus et l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe. Il n’est pas exagéré de parler de persécution, des médecins et des professeurs-chercheurs ayant fait l’objet de campagne de dénigrement dans les médias de masse et sur les réseaux sociaux et ayant comparu devant des comités de discipline qui leur ont infligé des sanctions (interdiction d’exercer leur profession et suspension sans solde). Des journalistes et des analystes indépendants, en plus d’avoir été bannis des réseaux sociaux et des principales plateformes de diffusion, ont été exclus des plateformes de sociofinancement, ont vu leurs comptes bancaires gelés et font parfois même l’objet de poursuites devant les tribunaux pour avoir fait une couverture de la guerre en Ukraine qui n’était pas compatible avec l’hystérie russophobe et les visées expansionnistes de l’OTAN, ce qui les a forcés à s’exiler.

Même si nous sommes censés être protégés contre ces formes de censure et de persécution par les constitutions de nos pays prétendument démocratiques ou par les chartes ou les déclarations de nos droits et libertés, les censeurs et les persécuteurs peuvent généralement agir sans être inquiétés. Parfois ce sont des lois spéciales ou, plus rarement, permanentes qui autorisent ou même requièrent qu’on pratique la censure ou la persécution contre les opposants à certaines politiques sanitaires ou guerrières, ou contre ceux qui feraient de la désinformation ou qui ne se conformeraient au soi-disant consensus scientifique. Plus souvent, le sale travail de censure et de persécution est réalisé par les ordres professionnels et les administrations hospitalières, universitaires et bureaucratiques, qui peuvent infliger des peines qui ne sont pas prescrites d’après les lois, mais d’après une interprétation des règlements et des codes d’éthique internes qui y sont en vigueur. Bénéficiant d’un grand pouvoir discrétionnaire quant à la manière d’appliquer ces règlements, en fonction de leur opinion favorable ou défavorable vis-à-vis de ce qui a été dit par la personne jugée et leur évaluation du préjudice subi pour l’organisation et la société, ils peuvent décider de ne pas infliger des peines ou même ne pas faire d’accusation (ceux qui ont critiqué le gouvernement parce que les mesures n’auraient pas été assez strictes n’ont, sauf erreur, pas été inquiétés), ou d’en infliger d’une sévérité variable, selon leur bon plaisir, ou conformément à l’opinion publique, telle que façonnée par les journalistes et les campagnes de relations publiques de nos gouvernements, et qui réclame des représailles. Ce pouvoir discrétionnaire – je dirais plutôt arbitraire – n’est pas, selon nos dirigeants et nos concitoyens – un argument contre ces organes disciplinaires et les verdicts qu’ils rendent. Au contraire, ils y voient une raison de tolérer la réglementation des opinions et des prises de position publiques à un degré qui serait jugé outrancier si elle était inscrite dans la loi et si elle menait invariablement à une condamnation des personnes dont on prouverait qu’elles ont eu un écart de conduite. Mais puisqu’on s’en remet au bon jugement des juges qui n’en ont pas le titre et qui siègent au sein des instances disciplinaires, on a l’impression de modérer le pouvoir de condamner pour des délits d’opinion, et on tolère pour cette raison ce pouvoir qu’on tolérerait plus difficilement autrement, d’autant plus que les choses se déroulent souvent derrière les portes closes, loin du regard du grand public, qui au mieux ne connaît rien d’autre que le résultat d’une procédure disciplinaire opaque.

Nous nous retrouvons donc, en tant que société, dans une situation où ceux qui seraient les plus aptes à avoir un avis éclairé sur la politique sanitaire de nos gouvernements, sur leur manière autoritaire de nous gouverner, et sur ce qui se passe derrière les portes closes des hôpitaux et des organismes bureaucratiques, sont précisément ceux qui sont les plus visés par la censure et la persécution. Ce qui montre la raison d’être de ces procédés n’est pas de faire taire ceux qui ne savent pas de quoi ils parlent, mais plutôt ceux qui savent de quoi ils parlent. Je ne pense pas seulement aux médecins et aux chercheurs qui ont des connaissances et des compétences spécialisées en virologie, en épidémiologie, en génétique et en immunologie, par exemple. Je pense aussi aux universitaires qui ont fait des décennies de recherche en science politique, en sociologie, en histoire ou en philosophie et qui doivent parfois se dire, dans leur for intérieur ou entre eux, que beaucoup de choses ne vont pas du tout quant à la manière dont on nous gouverne et à la réglementation de l’ensemble des milieux sociaux et la moindre de nos actions. Ou encore aux professionnels de la santé et aux autres employés de l’État qui observent des choses qui se passent dans les hôpitaux et dans les organismes publics que la population québécoise ignore, mais qu’elle devrait connaître.

Il serait cependant exagéré de dire que les personnes qui n’ont pas des connaissances et des aptitudes spécialisées en raison de leur formation, de leurs recherches et de leurs expériences professionnelles, ou qui ne disposent pas d’un bon poste d’observation, sont à l’abri des représailles. L’ordre des comptables peut radier certains de ses membres pour leurs prises de position contre les mesures sanitaires, ce qui serait « indigne de la profession de comptable ». Les employeurs peuvent faire toutes sortes d’ennuis à ceux qui critiquent vivement ces mesures et le gouvernement, auprès de leurs collègues, en discutant avec des clients, ou en dehors du travail, par exemple sur les réseaux sociaux. Il n’est pas à exclure que des étudiants qui s’impliqueraient ouvertement dans des mouvements d’opposition aient des ennuis avec les administrations collégiales ou universitaires qui entreprendraient de les discipliner ou de les exclure des programmes de formation par des moyens détournés. Toutes ces personnes ont donc aussi intérêt à se montrer prudentes et à user de ruse pour éviter les représailles.

Pour les deux grandes catégories de personnes que nous venons de décrire, la crainte des sanctions est probablement plus nuisible que les sanctions elles-mêmes. S’il est vrai que les sanctions imposées à des opposants peuvent parfois les faire taire, les faire rentrer dans les rangs, les inciter à faire preuve de plus de prudence dans leurs interventions publiques, ou les priver de leurs revenus et des moyens de poursuivre leurs recherches et de former les étudiants qui prendront la relève dans quelques années, la peur des sanctions a pour effet qu’un nombre beaucoup plus grand de personnes décident de se taire ou de s’exprimer dans des cercles assez restreints et considérés sûrs.

Je dis la chose franchement : je trouve que la loi du silence qu’on nous impose, dans nos sociétés soi-disant démocratiques, et plus particulièrement à ceux qui occupent des fonctions au sein des institutions médicales, scientifiques, universitaires et bureaucratiques, rappelle celle qui est en vigueur dans les organisations criminelles, malgré des différences certaines.

Que le crime organisé cherche à se soustraire au regard des citoyens et de ne pas devenir l’objet d’un débat enflammé où on exige la prise de mesures contre lui, c’est dans l’ordre des choses. Il a des crimes, parfois violents, à cacher ; et c’est justement la crainte des actes violents qu’il pourrait commettre qui contribue à cacher les crimes violents déjà commis. Nous pouvons même dire que le crime organisé fait, à sa manière, preuve d’une certaine franchise, car s’il cherche à entourer de ténèbres les crimes commis, il n’essaie pas de faire croire hypocritement qu’il est blanc comme neige, ce qui serait incompatible avec sa pratique de l’intimidation pour obtenir le silence de ses membres et de ses victimes.

La situation est plus étrange quand ce sont nos autorités politiques, médicales, scientifiques, universitaires et bureaucratiques qui prétendent, à force de sanctions et de mesures disciplinaires, nous imposer la loi du silence. Ne prétendent-elles nous dire la vérité, ne rien nous cacher et vouloir notre bien, au point que ce serait sombrer dans le complotisme le plus délirant de penser le contraire ou simplement d’en douter ? Si ces autorités n’ont rien à se reprocher, pourquoi tolèrent-elles qu’on fasse taire ceux qui leur adressent des critiques sur l’existence ou la gravité de la « pandémie » et sur les mesures très restrictives qui ont été imposées à toute la population, et qui pourraient l’être à nouveau bientôt, en partie ou en totalité ? Pourquoi ne pas favoriser un véritable débat public et même encourager la tenue d’enquêtes indépendantes où leurs détracteurs joueraient un rôle ? Ne devraient-elles pas en sortir blanches comme neige et lavées de tout soupçon, ce qui renforcerait nos démocraties et redonneraient confiance en elles ? Au contraire, en tolérant la censure et la persécution de leurs critiques, en pratiquement directement cette censure et cette persécution, en traitant ces opposants comme des traîtres qui diraient à une puissance étrangère (c’est-à-dire aux citoyens) ce qu’il ne faudrait pas dire, ces autorités ne renforcent-elles pas le soupçon selon lequel elles auraient commis des crimes qu’elles s’efforceraient de cacher, à supposer que cette censure et cette persécution ne constituent pas déjà des crimes contraires aux lois en vigueur dans nos sociétés démocratiques ?