La Loi, c'est moi !

Voilà ce que doivent se dire intérieurement nos autorités politiques et sanitaires depuis la déclaration de l’état d’urgence sanitaire. Et non sans raison. En effet, leur parole fait loi depuis dix mois. Je n’exagère pas. Ce que nous devons faire et ne pas faire est dicté par ce qu’elles disent dans les points de presse et ce qu’en rapportent et expliquent les journalistes.

Vous me direz que ce sont les décrets et les arrêtés promulgués par le gouvernement qui donnent force de loi aux déclarations et aux décisions des autorités politiques et sanitaires. S’il n’y avait pas de tels décrets et arrêtés, les paroles de nos autorités demeureraient sans effets d’un point de vue juridique. Nous ne vivons quand même pas dans une dictature.

Mettons. Mais nombreux sont ceux qui savent à peine ou qui ne savent pas que ces décrets et ces arrêtés existent. S’ils se conforment aux consignes de la Santé publique, c’est qu’ils ont entendu le premier ministre, le ministre de la Santé et des Services sociaux et le directeur national de la Santé publique dire qu’il faut le faire, c’est qu’ils ont lu ou entendu la même chose dans les journaux ou aux « nouvelles ». Donc, pour toutes ces personnes, les décrets et les arrêtés pourraient aussi bien ne pas exister, ou dire toute autre chose que ce qu’on annonce dans les points de presse et dans les médias, et cela ne changerait rien. Elles continueraient d’obéir à la troïka qui nous gouverne, et elles s’imagineraient ainsi obéir à la Loi. Car pour eux, c’est tout un. Ce que notre cher trio dit, c’est la Loi. Et la Loi, c’est ce que notre cher trio dit. Et si vous les renvoyez à un décret ou à un arrêté, elles vous regarderont avec de grands yeux, dans lesquels vous lirez probablement l’incompréhension la plus totale. Pourquoi aller lire un décret ou un arrêté si nos autorités ont ordonné de faire ou de ne pas faire telle chose ? On sait déjà ce qu’il faut faire ou ne pas faire. À la limite, à quoi sert-il de promulguer des décrets et des arrêtés qui disent la même chose que ce qui est dit dans les points de presse et répété dans les journaux et à la télévision ? Et si certains points doivent être clarifiés et expliqués, cela peut très bien être fait dans les points de presse et dans les journaux et à la télévision.

Quant à ceux d’entre nous qui préfèrent lire les règles qu’on leur impose, au lieu de se fier aux déclarations publiques des autorités et à ce qu’en rapportent et expliquent les journalistes, la plupart du temps ils s’arrêtent aux résumés, aux aide-mémoires et aux questions fréquemment posées (FAQ) qui sont publiés sur le site du gouvernement. Ces documents ne sont pourtant pas des textes de lois et ne renvoient même pas aux décrets et aux arrêtés promulgués par le gouvernement. Encore une fois, on pourrait très bien y dire une chose et dire autre chose dans les décrets et les arrêtés. Presque tous ceux qui appartiennent à cette deuxième catégorie de personnes se contentent de ces documents. Soit qu’ils ne voient pas l’utilité de se rapporter aux textes de loi une fois que les choses ont été clarifiées et qu’on a répondu à leurs questions ; soit que les textes de loi les ont rebutés après quelques lignes ou paragraphes, ou leur ont paru inintelligibles, non sans raison. Parmi ceux qui persisteront, beaucoup ne seront pas capables de s’y retrouver.

Donc, dans tous ces cas, c’est effectivement la parole (orale ou écrite) des autorités politiques et sanitaires qui tient lieu de loi. Les textes de loi semblent exister pour la forme, ou du moins ne pas être destinés à la population, mais seulement à des spécialistes du droit, pour lesquels il faut faire les choses dans les règles, notamment en cas de contestation. Il y aurait donc une loi pour le peuple, et une autre pour les juristes. Et il n’est pas certain qu’elles disent exactement la même chose.

Tout cela pose plusieurs problèmes pour le présent et pour l’avenir, lesquels nous analyserons un à un.

 

Dictature en matière de loi (du point de vue des autorités)

Le fait qu’on se mette à légiférer dans des points de presse, et non à l’Assemblée nationale, changent le rapport que les autorités politiques et sanitaires et la population ont avec la Loi.

Du côté des autorités, la Loi devient alors leur chose. C’est eux qui dictent la Loi, et les journalistes et les téléspectateurs sont dans la salle de presse ou devant leur écran pour l’entendre sortir de leur bouche. Ce sont eux qui parlent, et les autres écoutent. Quand la Loi est édictée, la communication se fait dans un sens seulement. Les téléspectateurs ne peuvent évidemment rien dire qui se rendent aux oreilles des autorités. Quant aux journalistes, ils doivent écouter jusqu’à ce que la Loi ait été formulée. Après ils peuvent poser des questions. Mais les autorités ne sont pas tenues de donner une réponse satisfaisante à ces questions, de se justifier et encore moins de transformer la Loi pour tenir compte d’elles. Celle-ci était déjà coulée dans le béton avant la conférence de presse. Pas question d’y changer quoi que ce soit, pour l’instant. Quand elle changera, ce sera parce que les autorités auront décidé de la changer, et pas à cause des raisons d’un interlocuteur. Les autorités ne discutent pas, pas plus que les journalistes, qui se montrent pour la plupart collaboratifs, ou qui chicanent un peu sur des points de détails, mais en admettant les principes qui guident nos autorités.

Bien entendu, c’est tout autre chose qui se passerait si les autorités avaient à soumettre chaque décret et chaque arrêté au vote de l’Assemblée nationale. Même si le parti gouvernemental est majoritaire, la procédure d’adoption d’un projet de loi a pour effet de faire sentir au gouvernement qu’il ne fait pas simplement la Loi. Par exemple, il ne lui est pas possible de faire voter une loi sans la soumettre à la lecture et à la discussion, et sans que des amendements soient proposés. Ça ne se fait pas en quelques jours. Et quand le projet de loi est finalement adopté, on ne peut certainement pas amender à répétition son texte en soumettant tous les dix jours ou tous les mois un nouveau projet loi, comme cela se produit actuellement avec les décrets et les arrêtés que le gouvernement promulgue librement.

Le gouvernement fait donc sa propre loi. Ce qui lui donne un grand pouvoir. Sur de nombreux points, il n’a plus à gouverner en fonction des lois votées par l’Assemblée nationale. Il gouverne en fabriquant sur mesure des décrets et des arrêtés, un peu comme des juges qui élaboreraient au fur et à mesure les lois à partir desquelles ils jugent.

Un tel pouvoir monte rapidement à la tête de ceux qui l’exercent. Après quelques mois, l’humanité se divise pour eux en deux grandes catégories : d’un côté, ceux qui gouvernent par décrets et arrêtés ; de l’autre, tous ceux qui doivent leur obéir – ce qui comprend les partis d’opposition, qu’on considère comme d’inutiles fauteurs de trouble qui devraient se rallier au gouvernement, et qu’il faut rappeler à l’ordre quand ils protestent un peu trop fort – ce qui arrive d’ailleurs rarement.

Résumons : en ce qui concerne les décrets et les arrêtés, nous vivons de facto dans un système à parti unique. C’est le gouvernement qui dicte la Loi. Les députés qui appartiennent au parti gouvernemental pourraient aussi bien ne pas exister : ce sont des pantins qui servent à procurer la majorité parlementaire et qui suivent la ligne de parti. Quant aux partis d’opposition, ils sont réduits à l’impuissance, même s’ils ont le droit d’exister et de protester (mais pas trop). Cela a l’avantage de dissimuler le fait que le pouvoir s’exerce de manière dictatoriale. Et ces partis politiques, dans la mesure où ils acceptent de jouer le jeu qu’on leur impose, collaborent avec le pouvoir dictatorial, même quand ils semblent s’opposer à lui.

Puisque la santé publique serait maintenant devenue la priorité du gouvernement, ce sont l’économie, l’éducation, la famille, la culture et les droits et libertés des individus qui sont soumis à l’arbitraire du pouvoir dictatorial. Les soi-disant bons sentiments des autorités politiques et sanitaires ne changent rien à l’affaire. Ils peuvent même aggraver la situation, compte tenu que ces autorités se sentent alors investies d’une mission de sauvetage de la population québécoise et peuvent s’aveugler sur la manière dictatoriale dont elles exercent le pouvoir. Pour ceux qui se croient des bons et qui s’imaginent lutter contre des méchants qui s’opposent au salut de la population québécoise, tout est permis.

 

Dictature en matière de loi (du point de vue de la population)

Du côté de la population, la Loi devient pour elle quelque chose qui lui est révélée lors des points de presse des autorités politiques et sanitaires. Elle n’est plus discutée devant elle. Non seulement la population ne participe pas au processus législatif (c’était déjà ainsi avant la déclaration de l’état d’urgence sanitaire), mais celui-ci lui est maintenant caché. Les délibérations, s’il y en a eues, ont eu lieu derrière des portes-closes. La Loi, quand elle est présentée à la population, doit lui apparaître comme quelque chose dont on ne discute pas, et dont on ne saurait discuter. Elle est alors simplement quelque chose à quoi il faut obéir sans poser de questions, sauf pour demander des informations quant à la manière dont il faut obéir. Les raisons qui ont motivé l’adoption de telle mesure sanitaire sont toujours exposées sommairement, sans que ne soient sérieusement exposées les raisons que l’on pourrait avoir de ne pas l’adopter. Quant à une réponse rigoureuse à ces objections, il ne faut même pas y penser. Comme j’ai dit, on ne discute pas, on ne délibère pas, on dicte la Loi devant le peuple, laquelle est déjà une décision irrévocable avant les points de presse. Il faut donc faire preuve, dans ces opérations de communication publique, d’un mélange équilibré de fermeté et de pédagogie. Il s’agit de persuader la population d’obéir et de lui faire sentir qu’il y a aura des punitions si elle n’est pas sage, comme on le ferait avec des enfants dont l’avis ne doit pas être pris en compte par leurs parents, et auxquels il faut inculquer le respect de l’autorité.

La population s’habitue donc à considérer la Loi comme des dogmes qui sortent de la bouche des autorités et auxquels il lui faut se soumettre. Au lieu de se révolter contre le dogmatisme des autorités qui dictent la Loi, ces sujets s’approprient cette attitude. Quand ils ont affaire à des opposants, ils se contentent souvent de dire que le premier ministre, le ministre Dubé ou le docteur Arruda a dit qu’il faut faire telle chose pour telle raison, sinon… Puisque cela ne suffit pas à faire taire les opposants, soit ils se bouchent les oreilles pour que la pureté du dogme ne soit pas compromise par des idées dissidentes, soit ils assument le rôle de grandes personnes qui ont le devoir d’apprendre la vérité et le respect de l’autorité aux grands enfants qu’ils ont pour concitoyens, en adoptant un ton de pédagogue semblable à celui des autorités.

D’autres, voyant qu’on ne réussit pas à étouffer ainsi les voix dissidentes et à empêcher des actes de désobéissance, en concluent l’échec de nos institutions démocratiques, et réclament ouvertement qu’on accorde des pouvoirs supplémentaires à nos autorités et qu’elles les exercent avec la rigueur la plus extrême. Le temps n’est pas à la discussion et à la mollesse ! On a presque l’impression d’entendre de petits orateurs fascistes des années 1920 ou 1930. Je ne plaisante pas : c’est ce qu’on peut parfois lire dans les commentaires des articles de journaux. Heureusement c’est rare. Pour l’instant.

Bref, une partie importante de la population non seulement obéit docilement à la réglementation imposée de manière dictatoriale, mais offre même sa collaboration aux autorités politiques et sanitaires.

 

Les médias comme intermédiaire entre la population et la Loi

Il n’est pas nouveau que les médias « informent » la population sur les nouvelles lois. Ce qui est nouveau, c’est que les médias sont devenus la courroie de transmission grâce à laquelle les autorités dictent quotidiennement à la population les nouvelles lois et les nouveaux règlements auxquels elle doit se conformer. La proximité des médias de masse avec le pouvoir politique est beaucoup plus grande. Et cette proximité accrue se combine mal avec une prise de distance critique véritable à l’égard de ce que dictent les autorités. C’est pour cette raison que les médias en viennent à se considérer et à être considérés comme des instruments des autorités politiques et sanitaires.

Ce changement de rôle a plusieurs conséquences. Les journalistes sont les seules personnes présentes (ou à peu près) quand les autorités dictent les nouvelles lois et les nouveaux règlements, et sont par conséquent les seules personnes à pouvoir s’adresser directement à elles. Il est à craindre que cette position privilégiée donne aux journalistes l’impression qu’ils occupent une fonction politique, et qu’ils sont devenus les représentants de la population auprès des autorités. En quelque sorte, ils se substitueraient aux députés qui sont actuellement tenus à l’écart des audiences où les autorités dictent la Loi ; sauf que les journalistes, contrairement aux députés, n’ont pas le droit de voter les lois, n’ont pas été élus par la population, n’ont pas de comptes à lui rendre aux prochaines élections et doivent plutôt rendre des comptes à leurs employeurs, qui généralement ne veulent pas avoir d’ennuis avec les autorités, et espèrent plutôt être récompensées pour leurs bons services, par exemple en obtenant des contrats publics ou du financement public. Ce qui est bien entendu incompatible avec le rôle de représentants de la population. À un tel point que les journalistes peuvent en venir à se considérer comme des représentants des autorités auprès de la population, un peu comme les députés sont des représentants de leur parti politique auprès des électeurs.

Il peut résulter de tout ceci un mélange confus de différentes fonctions, dans l’esprit des journalistes et dans celui de la population.

D’un côté, les journalistes seraient ceux qui posent les questions qui importent au public et même qui feraient quelques réclamations en son nom (pendant les points de presse, dans des émissions et dans des articles), c’est-à-dire telles qu’ils peuvent se représenter l’opinion du public sans l’avoir consulté (à part quelques sondages dont la valeur, la pertinence et la crédibilité peuvent être remises en cause), et en se conformant à la politique éditoriale et aux intérêts de leurs employeurs.

De l’autre, les journalistes seraient ceux par lesquels devrait être communiqué et expliqué au public (grâce à des points de presse, des émissions et des articles) ce que dictent les autorités, conformément à la politique éditoriale et aux intérêts de leurs employeurs. Car il y a des choses qu’il vaut mieux ne pas expliquer correctement et clairement. Ces bons services peuvent aussi comprendre le dénigrement des idées dissidentes et des opérations de « salissage » des opposants.

L’enchevêtrement de ces deux fonctions idéologiques a pour effet que le public des journalistes en vient à confondre les différentes choses que font les journalistes. Ce que dit la Loi, ou plutôt ce que les journalistes disent que dit la Loi, vient à se confondre avec le travail idéologique de ces derniers. On prend l’habitude de croire que ce que disent les représentants du gouvernement dans les médias, et ce qu’en rapportent les médias, a force de loi. On pourrait facilement faire passer pour des obligations ou des interdictions légales de simples recommandations faites devant les médias, ou les interprétations et les commentaires qu’en font les journalistes. Qu’importent les décrets et les arrêtés. Ainsi certaines personnes peuvent en venir à croire qu’il est interdit de mettre son dîner dans le réfrigérateur au travail et d’utiliser le micro-ondes sous prétexte de diminuer les risques de contagion, et essayer d’imposer cette « obligation » à ses collègues, en les invitant à manger des repas froids qui seraient conservés dans des boîtes à lunch contenant des « ice packs », alors qu’en fait ils ont seulement entendu dire dans les médias qu’il faudrait agir ainsi, selon tel expert ou tel journaliste, conformément aux vœux des travailleurs, qui tiendraient tous à être protégés du virus par tous les moyens imaginables, sauf s’ils sont des récalcitrants, bien entendu.

 

Confusion entre les recommandations et la Loi

Les autorités politiques et sanitaires en viennent elles-mêmes à confondre leurs propres recommandations avec la Loi. Puisqu’elles dictent la Loi dans des points de presse, le pas consistant à croire que tout ce qu’elles demandent à la population a force de loi est facile à faire. Les journalistes et une partie importante de la population est sujette à la même confusion.

C’est ce qui s’est produit quand les autorités, après avoir prétendu que le port du masque ou du cache-binette par la population n’est pas une mesure efficace pour lutter contre la propagation du Virus, a recommandé le port du sale machin, pour ensuite le recommander fortement et très fortement. Les journalistes traitèrent cette recommandation comme si elle était une obligation légale et se mirent à faire campagne pour que la population porte docilement ledit machin dans les lieux publics fermés comme si la Loi l’exigeait qu’eux. Il était clair que c’était une recommandation et pas une obligation légale. Mais pour beaucoup cela ne changeait presque rien : puisque les autorités avaient recommandé le port du masque ou du cache-binette dans les lieux publics, il fallait le faire comme si c’était une obligation légale. On avait alors l’obligation morale de le faire. Les autorités, les médias et ce qui a réussi à passer pour la majorité de la population se mirent à exiger du reste de la population qu’il se conforme à cette recommandation comme si elle était une obligation légale. Sinon les autorités, avec le soutien des médias et de la soi-disant majorité, se verraient dans l’obligation de transformer la recommandation en obligation légale – ce qui arriva. Et le seul moyen d’empêcher que cela se produise aurait été, pour tous, d’obéir à cette recommandation comme si elle avait été depuis le tout début une obligation légale. Le décret ou l’arrêté n’aurait alors fait qu’officialiser une obligation qui en aurait été déjà une dès que la recommandation a été formulée par les autorités. Et pourtant il y a un gouffre entre la recommandation la plus forte et l’obligation légale. On ne gouverne pas et on ne légifère pas en faisant des recommandations morales, même en s’efforçant de les assimiler à des obligations légales en faisant de celles-ci des obligations morales. Seules des autorités qui glissent vers la dictature, et qui s’imaginent que tout ce qu’elles disent à la population doit avoir force de loi, sont incapables de faire la différence ou ne désirent pas la faire. Seuls des journalistes qui collaborent à ce glissement en sont aussi incapables. Et seuls de sujets déjà à moitié asservis en sont aussi incapables. Voilà qui explique comment le port du cache-binette a pu être déclaré obligatoire dans les transports en commun (et appliqué comme telle par la majorité des usagers) le 13 juillet 2020, alors que le décret 813-2020 concernant cette mesure a seulement été adopté le 22 juillet 2020 et était censé prendre effet seulement le 27 juillet 2020 (p. 4) sous prétexte d’accorder une période de grâce de 14 jours à ceux qui étaient « réluctants » vis-à-vis de cette nouvelle obligation. Ce qui est une absurdité : comment accorder une période de grâce pour quelque chose qui n’a pas encore été rendu obligatoire par décret ou arrêté ? Mais qu’importe quand on croit que la parole des autorités fait loi !

Comme si ce n’était pas suffisant, cette confusion peut mener à d’autres abus de pouvoir. Les autorités s’imaginant que tout ce qu’elles dictent à la population peut devenir loi, des obligations et des interdictions légales qui, par leur nature, auraient tout au plus pu être des recommandations, sont imposées à la population. La Loi devient alors inapplicable. Par exemple, comment empêcher, sur presque tout le territoire du Québec, les rassemblements illégaux intérieurs ? Parfaitement impossible de faire appliquer cette obligation de manière régulière. Tout législateur compétent aurait décidé de ne pas légiférer à ce sujet, et aurait laissé à d’autres le soin d’en faire une recommandation qu’il n’aurait pas fallu confondre avec une interdiction légale ou même morale. Mais ceux qui ont pris l’habitude de dicter la Loi décidèrent plutôt d’encourager la délation « citoyenne » pour faire appliquer ce qui n’aurait jamais dû devenir une interdiction légale ; et décidèrent aussi de nous imposer un couvre-feu sous prétexte de faciliter l’application de cette interdiction difficile applicable. Ce qui revient à assimiler arbitrairement toute personne qui ne se trouve pas à son domicile après 20 heures, et qui n’a pas de raison valable à fournir, à quelqu’un qui aurait participé ou qui voudrait participer à un rassemblement illégal. Autrement dit, la confusion qui a fait que ce qui aurait dû être tout au plus une recommandation (à laquelle on aurait pu se soustraire sans s’exposer à des sanctions ou à des réprimandes) est devenue une obligation légale, a eu pour effet l’adoption de cette nouvelle mesure et le jugement sommaire et arbitraire qu’elle implique.

 

Obscurité des décrets et des arrêtés

Pour savoir avec exactitude ce que nous sommes dans l’obligation de faire et ce qu’il nous est interdit de faire, il nous faudrait lire les décrets et les arrêtés publiés par le gouvernement. Alors qu’au début de la « crise sanitaire », ils étaient mis en évidence sur le portail du gouvernement consacré au Virus (on pouvait les consulter grâce à un lien qui se trouvait initialement sur la même page que les bilans quotidiens des cas de contamination, des hospitalisations et des décès), il est devenu plus difficile de trouver la page où sont publiés tous ces décrets et arrêtés, à la suite des mises à jour successives de ce portail. Faut-il soupçonner nos autorités de ne pas vouloir que nous lisions les décrets et les arrêtés, afin de nous inciter à considérer leur parole même comme la Loi ? Malheureusement, la forme que prennent ces décrets et ces arrêtés semblent confirmer ce soupçon. Ils sont à peu près illisibles et inintelligibles.

Prenons par exemple le décret 2-2021 (8 janvier 2021) grâce auquel le gouvernement a instauré un couvre-feu de 20 heures à 5 heures, entre autres. Je ne parle même pas de la centaine de références aux décrets et arrêtés précédents qu’on trouve dans le préambule de ce document, et sur lesquels s’appuierait ce qui est ordonné dans ce décret. Je dis seulement qu’il est impossible de lire tous ces documents, qui ne sont pas autonomes, qui s’amendent les uns les autres, et qui ne font sens que quand on prend connaissance des milliers de renvois. Je passe directement à ce qui concerne le couvre-feu.

D’abord, les dispositions concernant le couvre-feu doivent s’intégrer au dispositif du décret 1020-2020 du 30 septembre 2020, dont on ne nous dit rien sauf qu’il a été modifié à de multiples reprises, c’est-à-dire par 14 arrêtés et 1 décret (p. 5). Il s’agit en fait du décret par lequel les premières régions du Québec sont entrées en « zone rouge », et qui contient une pléthore de nouvelles mesures.

Bien entendu, les amendements dont on parle n’ont pas été intégrés au décret 1020-2020. Seul le texte original est disponible sur le portail du gouvernement consacré au Virus. Ainsi pas moyen de savoir ce que dit maintenant ce décret à moins de lire un à un les arrêtés et le décret qui le modifient, et de modifier nous-mêmes le texte du décret 1020-2020. Nous en aurions au moins pour plusieurs heures à faire ce fastidieux travail de moine, et nous ferions probablement des erreurs.

Mais on fait comme si tout était limpide dans le décret 2-2021 quand il s’agit de le modifier une autre fois pour y intégrer les dispositions qui concernent le couvre-feu (p. 8 à 9, g) par l’ajout du paragraphe 29° à la fin du décret 1020-2020.

Même si le contenu de ce paragraphe est relativement clair (encore faut-il le trouver dans tout le reste), il nous manque le contexte (celui du décret 1020-2020) dans lequel on l’insère et qui doit lui donner une partie de son sens.

On aurait difficilement pu faire mieux si on avait volontairement voulu rendre ce texte de loi obscur à la grande majorité de la population, et lui faire sentir que la Loi, sous cette forme, ce n’est pas son affaire, mais l’affaire des autorités et des juristes. Pourtant nul n’est censé ignorer la Loi, nous dit-on. Mais pas de problème, car la Loi, c’est ce que disent les autorités. Force est de reconnaître qu’avec de pareils textes de loi, il ne saurait en être autrement pour presque tous les gouvernés.

Le fait d’amender constamment les décrets et les arrêtés pose en lui-même problème. Il y a des changements presque toutes les semaines, voire plus souvent. Mais c’est dans l’ordre des choses. En effet, pouvons-nous raisonnablement espérer que les autorités politiques et sanitaires ne profitent de toutes les occasions qui se présentent de dicter la Loi, ce qu’il faut bien transcrire dans un second temps sous la forme de décrets et d’arrêtés, question de sauver les apparences, en donnant l’impression que nous vivons dans un État de droit ?

Malgré tout, si on avait voulu rendre ces textes de loi intelligibles, on aurait pu facilement nous éviter ce labyrinthe de renvois. Le fait qu’on n’a pas décidé de le faire, et qu’on semble prendre un malin plaisir à nous infliger ce labyrinthe, montre que nos autorités n’ont généralement que faire de ces décrets et de ces arrêtés, qui n’existent que pour la forme, à part peut-être pour les spécialistes du droit, en cas de litige.

N’aurait-on pas pu décider d’apporter directement les modifications dans les décrets et les arrêtés amendés, en conservant les versions antérieures ? N’aurait-on pas pu décider d’abroger simplement des décrets et des arrêtés qui demandent trop de modifications, pour les remplacer par de nouveaux décrets et de nouveaux arrêtés ? N’aurait-on pas pu faire des décrets et des arrêtés distincts, pour chaque mesure ou groupe de mesures, au lieu d’essayer d’en faire des salades où l’on trouve un peu de tout et dans lesquelles on ne cesse d’ajouter de nouveaux ingrédients ? Il serait difficile de s’y retrouver dans tous ces documents, mais au moins le texte de loi qui concerne telle mesure ou groupe de mesures ne serait plus dispersé et éparpillé dans plusieurs décrets et arrêtés en perpétuel changement. Ne procède-t-on pas souvent ainsi pour les lois qui sont votées et amendées à l’Assemblée nationale ?

Mais non : pour comprendre les décrets et les arrêtés, il faut passer par le discours officiel du gouvernement, relayé et expliqué par les médias de masse. La principale fonction de ces décrets et de ces arrêtés, à l’égard de la population, est donc de lui faire comprendre et sentir que c’est là la seule manière de savoir ce que dit la Loi. Ce qui revient à la mettre en situation de dépendance et même de sujétion, en ce que l’interprétation de la Loi est laissée aux autorités qui font la Loi et qui nous gouvernent grâce à elle, et aux journalistes qui abondent presque toujours dans leur sens, sauf pour exiger de nouvelles mesures et exiger des sanctions encore plus sévères pour obtenir leur application, supposément au nom de la majorité.

Appelons les choses par leur nom : c’est de l’obscurantisme juridique. Rappelons-nous le clergé catholique qui, en interdisant la traduction de la Bible dans des langues vernaculaires et en célébrant les rites en latin, devenait le maître de la parole divine et pouvait mieux assujettir les fidèles. Et surtout tirons les conséquences pratiques de cette comparaison.

 

Écarts entre le discours officiel des autorités et le contenu des décrets et des arrêtés

Nous savons hors de tout doute raisonnable que les autorités politiques et sanitaires ne jugent pas nécessaire que nous soyons capables de lire les décrets et les arrêtés. Elles préfèrent que nous les considérions comme la source de la Loi. Autrement elles auraient fait des efforts pour nous rendre plus accessibles ces textes de loi. Reste à voir si elles peuvent tirer profit du fait que nous ne lisons presque jamais ces documents et que nous pouvons difficilement nous y retrouver.

Comment savoir s’il y a un écart entre la Loi telle que les autorités la dictent dans les points de presse, et la Loi telle qu’elle existe dans les décrets et les arrêtés, si nous ne lisons pas ces documents ? Ne se pourrait-il pas qu’on atténue certaines mesures dans les points de presse pour mieux faire passer la pilule, alors qu’en réalité ces atténuations ne sont pas présentes dans les décrets et les arrêtés ? Dans ces cas précis, la Loi ne serait pas ce que dictent les autorités dans les points de presse, mais ce qui est écrit dans les décrets et les arrêtés. Autrement dit, les paroles des autorités qui auraient pour but de nous rassurer et d’obtenir notre collaboration n’auraient aucune valeur légale. Ce ne seraient que des paroles en l’air, qui n’engagent à rien les autorités.

Malgré les déclarations publiques des autorités qui nous ont invité à relever le défi de 28 jours en octobre, et qui laissaient entendre la fin probable ou possible de ces mesures à la fin du mois d’octobre, rien de tel n’existe dans le décret 1020-2020. Nous voilà en janvier, et le défi « de 28 jours » se poursuit toujours. Même chose en ce qui concerne la fermeture des commerces jugés non essentiels à l’occasion de la pause des Fêtes, dont les autorités et les journalistes nous ont dit qu’elle pourrait prendre fin le 11 janvier, alors que dans le décret 1419-2020 on ne fait pas mention de cette possibilité, et que la fermeture de ces commerces a été prolongée jusqu’au 8 février 2020 (pour l’instant), d’après les déclarations publiques des autorités. Même chose en ce qui concerne le couvre-feu, dont nos autorités et les médias nous disent qu’il pourrait prendre fin le 8 février 2020, alors qu’il n’y a rien à ce sujet dans le décret 2-2021.

Combien de fois pourra-t-on nous faire le même coup sans que nous ne comprenions que ces déclarations publiques et médiatisées des autorités n’ont aucune valeur légale et qu’on nous dupe ? Ces mesures, décrétées sans date de fin, peuvent se poursuivre indéfiniment (jusqu’à nouvel ordre) sans que le gouvernement n’ait rien à faire. Même pas besoin de prendre une décision à ce sujet et de publier de nouveaux décrets. Ce qui est très différent de ce qu’on nous a dit ou laissé croire dans les points de presse et dans les médias.

 

L’infinie complaisance de la population à l’égard du gouvernement

Il y a de quoi nous demander si nous vivons encore dans un État de droit tant la manière dont on exerce le pouvoir et dont on légifère est devenue arbitraire et manque de transparence. Et pourtant cela semble normal à la majorité de la population, compte tenu de l’urgence sanitaire. Elle se moque même de ceux qui signalent ces aspects dictatoriaux. Si une telle chose est possible, il est vraisemblable que la population était déjà habituée, bien avant la déclaration de l’état de l’urgence sanitaire, à l’exercice arbitraire et autoritaire du pouvoir politique, et à l’opacité des lois. C’est une question à laquelle il faudra réfléchir.