La Galère et le Vent - chapitre V

CONTE FOLKLORIQUE OCCIDENTAL

(Table des matières)

Après leur rembarquement, les galériens constatèrent qu’à la demande du docteur Quack, plusieurs nouvelles précautions pour contrer la propagation des miasmes avaient été prises. La case de chaque galérien avait été scellée hermétiquement avec du mastic. Toutes les surfaces de la galère étaient maintenant astiquées avec du vinaigre deux fois par jour, le matin et le soir, car des études réalisées pendant l’accalmie estivale avaient montré que les miasmes imbibaient le bois, les cordages et les voiles et pouvaient y demeurer pendant quatorze jours. Des couvercles en fonte avaient été ajoutés à tous les pots de chambre pour les rendre étanches. Des ateliers de fabrication de scaphandres et de cloches de verre, ainsi que des chenils où l’on croisait des dobermans et des pitbulls aux spécimens les plus parfaits de chiens dépisteurs de nouvelle génération, avaient été aménagés dans la cale. Les galériens, quand ils se trouvaient dans les lieux ouverts – où le Vent miasmatique soufflait – et dans les lieux fermés – où les miasmes scorbutiques secondaires saturaient l’air –, devaient asperger l’intérieur des casques de scaphandre, des cloches de verre et des fioles rectales qu’ils portaient avec de l’essence de clou de girofle, capable de neutraliser les miasmes qui pourraient s’y infiltrer ou qui s’y accumulaient. Enfin tous les galériens devaient se purger à l’huile de ricin une fois par semaine, afin de se purifier les entrailles. Car sept précautions valent mieux que six.

Alors que les chiens dépisteurs pourchassaient librement les galériens sur le pont, dans l’entrepont, dans les cuisines et jusque dans les hamacs, on décida d’isoler préventivement dans les hamacs de l’infirmerie les galériens les plus âgés et les plus mal en point qui avaient été dépistés et n’avaient pas encore de symptômes, car les hamacs hospitaliers, de par leur forme et leur tissu, étaient plus propices à leur prompte guérison que les hamacs conventionnels, de même que la vigilance des infirmiers était favorable à l’application rigoureuse des protocoles sanitaires dont dépendait la victoire sur le Vent et le scorbut de type Q. Quant au fait de soigner ces malades, il ne fallait même pas y penser : non seulement les remèdes traditionnels contre le scorbut étaient très inefficaces, mais malgré leur apparence inoffensive on avait découvert leur extrême nocivité pour l’estomac et le système nerveux des galériens. Il n’y avait pas d’autre solution, mais absolument pas d’autre solution, que d’attendre l’approbation et la mise en marché du remède Quack-Kwak, comme l’aumônier l’avait judicieusement baptisé. Alors les galériens seraient sauvés !

Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Plus la galère s’éloignait des côtes, plus l’horizon s’obscurcissait, et plus les prophéties du docteur Quack devenaient lugubres. L’aumônier se donnait à lui-même des sueurs froides en décrivant l’océan recouvert des cadavres de tous ceux qui bientôt mourraient immanquablement dans les galères et qu’on jetterait par-dessus bord. Du moins tel serait la triste réalité si on n’adoptait pas de nouvelles mesures adaptées à la transmission miasmatique et à la situation scorbutique qui ne cessaient de s’aggraver.

Conformément aux recommandations du docteur Quack, le capitaine annonça l’entrée en vigueur d’un système sectoriel d’alertes éoliennes et miasmatiques et d’interventions graduées pour éviter la séquestration généralisée de toute la galère, comme cela s’était produit au printemps dernier. D’ici trois jours, chaque secteur de la galère allait se voir attribuer un des paliers d’alerte en fonction de l’évaluation de la situation faite par le docteur Quack et ses assistants, à chacun desquels un secteur avait été confié. Après quoi des mesures graduées allaient être adoptées pour chaque secteur, en fonction du palier d’alerte qui lui serait attribué. Cela devait permettre aux galériens de prévoir l’évolution des mesures prises pour lutter contre le scorbut de type Q, même si les critères qui faisaient que l’on passait du palier 1 « brise » au palier 2 « rafale », au palier 3 « tempête » ou au palier 4 « ouragan » leur seraient demeurés inconnus si une copie du document de travail utilisé par le docteur Quack et ses assistants n’avait pas été clouée sur les mats par une âme charitable.

L’aumônier encensa le capitaine et le docteur Quack pour ce système sectoriel d’alertes éoliennes et miasmatiques et d’interventions graduées, qui allait permettre à la population galérienne de comprendre et d’adhérer pleinement aux difficiles décisions qu’allaient devoir prendre contre leur gré les deux éminents personnages, afin d’éviter une hécatombe parmi les galériens, mais sans avoir recours à une séquestration généralisée de toute la galère.

Des galériens, qui avaient profité de l’été pour installer un système de tuyauterie illicite pour pouvoir communiquer avec leurs semblables, signalèrent qu’un ratio élevé de chiens dépisteurs par galérien (ce qui était considéré comme une bonne chose) allait augmenter le nombre de tests canins positifs par 100 000 galériens ainsi que le ratio de galériens pistés à la suite d’un nouveau cas (ce qui était considéré comme une mauvaise chose). Si bien que le fait d’augmenter le nombre de chiens dépisteurs, et aussi de rendre la prochaine génération plus agressive dans sa chasse aux miasmes scorbutiques, sous prétexte de maîtriser la situation épidémiologique, allait nécessairement entraîner une dégradation de la situation d’après les deux autres critères, ce qui – qui sait ? – allait peut-être avoir pour effet la prise de mesures pour augmenter encore une fois le nombre de chiens dépisteurs encore plus agressifs dans leur chasse aux miasmes scorbutiques, ce qui allait ensuite entraîner une aggravation de la situation selon les deux autres critères susmentionnés, etc. À cela il fallait ajouter que la décision de passer d’un palier à l’autre était arbitraire puisque rien, dans ce système, ne précisait l’importance relative des différents critères et combien de critères devaient s’améliorer ou se dégrader pour justifier le passage à un palier inférieur ou supérieur et légitimer la fin de mesures en place ou l’adoption de nouvelles mesures. Enfin, quatorze jours d’amélioration de la situation épidémiologique selon l’un ou plusieurs critères pouvaient justifier le passage à un palier d’alerte inférieur, alors qu’il fallait seulement sept jours de dégradation pour justifier le passage à un palier d’alerte supérieur. Si bien qu’on pouvait en conclure que ce système avait été conçu pour donner une apparence de justification aux décisions progressives devant aboutir à une deuxième séquestration de toute la population galérienne, qui était déjà prévue par le capitaine, le docteur Quack et ses assistants.

Ces idées fausses, absurdes, dangereuses et criminelles se répandirent comme une traînée de poudre et furent condamnées à l’unanimité par l’aumônier dans tous ses sermons. Il y voyait la preuve incontestable de ce qu’il avait déjà déclaré quelques semaines plus tôt : les informations qui circulaient illicitement s’éloignaient beaucoup plus souvent de la stricte vérité que les informations qui circulaient sur le réseau de tuyauterie licite, qui était par définition le lieu où circulaient les informations vraies, comme on sait. Le capitaine déclara que de telles déclarations mécréantes étaient inadmissibles. S’il était évidemment pour la liberté de pensée – comme se devait de l’être tout capitaine d’une galère démocratique digne de ce nom –, il ne pouvait toutefois pas tolérer qu’on exprime publiquement ces idées nocives, qui diminuaient l’adhésion des galériens aux nouvelles mesures qu’il allait falloir prendre pour lutter contre le Vent miasmatique et le scorbut de type Q et sauver des vies. Bref, il autorisait les galériens mécréants à penser ce qu’ils voulaient pour autant qu’ils ne contaminent pas les autres galériens par leurs idées. Ainsi il faisait preuve de modération, d’ouverture d’esprit et de magnanimité, et n’abusait pas de son pouvoir, quand il ordonna aux gardes-chiourmes de démanteler le réseau de tuyauterie illicite. Quant au docteur Quack, il affirma qu’il n’y avait aucune relation entre le nombre, la sensibilité olfactive et l’agressivité des chiens dépisteurs, d’un côté, et le nombre de tests canins positifs par 100 000 galériens et le ratio de galériens pistés à la suite d’un nouveau cas, de l’autre. Toutes les déclarations contraires n’étaient pas conformes à la Science et étaient par conséquent non orthodoxes. Raison pour laquelle le docteur fit inscrire comme mécréants tous les galériens qui avaient fait circuler ces idées ou qui avaient adhéré à elles. Du coup, presque tous les secteurs de la galère passèrent au palier 3 (tempête), compte tenu qu’il fallait aussi tenir compte du facteur galérien dans l’évaluation de la gravité de la situation, c’est-à-dire de la tendance des galériens mécréants à devenir les complices du Vent et du scorbut de type Q, contre lesquels il aurait plutôt fallu faire front commun pour avoir des chances raisonnables de remporter la victoire. Hélas ! c’étaient des scorbéciles et il n’y avait rien à espérer d’eux.

Des galériens orthodoxes pendirent une trentaine de mécréants aux vergues après les avoir badigeonnés de purée de mollusques pour qu’ils soient dévorés par les goélands. Au moins le double fut jeté par-dessus bord. Les gardes-chiourmes faisaient mine de ne rien voir ou regardaient ces scènes avec attendrissement.

Malgré les efforts soutenus des galériens pour réduire le ratio de mécréants, il n’était pas possible d’obtenir un retour au palier 2 (rafale), car le mal était déjà fait. C’est pourquoi le docteur Quack convainquit le capitaine d’ordonner le resserrement des mesures miasmatiques et antiscorbutiques et d’accorder des pouvoirs supplémentaires aux gardes-chiourmes afin de faire appliquer comme il se devait ces mesures. Les rassemblements redevinrent illicites partout ailleurs que sur le pont et sur les bancs des rameurs. Les déplacements devaient à nouveau être réduits au minimum. Et tous les galériens durent se recoucher dans leurs hamacs, pour y passer des jours et des nuits entières, en buvant du rhum, faute d’avoir autre chose à faire. Tous les secteurs de la galère étaient ratissés jour et nuit par les meutes de chiens dépisteurs et les patrouilles de garde-chiourmes. Leur commandant en chef avait ordonné la pose de jeux de miroirs et de lentilles afin de permettre de voir n’importe quel point de la galère à partir de n’importe quel autre point, car les galériens devaient faire preuve d’une transparence totale au nom de la lutte contre le Vent et le scorbut de type Q. Bien sûr cette transparence n’était pas requise du capitaine, du docteur, de l’apothicaire et de l’aumônier, qui n’étaient d’ailleurs pas des galériens. Sans compter que l’impératif de transparence, pour ces grands personnages, n’était pas judicieux : la population galérienne était contaminée par des éléments mécréants et traîtres, qui se feraient un plaisir de revendre les plans stratégiques à l’ennemi dont ils étaient les complices. La prudence était donc de mise.

La fréquence des cas de scorbut de type Q dépistés par les chiens ne cessait de croître, tout comme celle des plaies de hamac. Pour répondre à une question que lui avait posée l’aumônier dans ses tuyaux, le docteur Quack affirma que c’était bien pire que tout ce qu’il avait prévu en dressant l’horoscope de la galère : il n’avait pas remarqué qu’en plus de Mars qui était en conjonction avec Pluton, cela se produisait sous le signe du Scorpion, ce qui était très très mauvais. On n’avait pas idée ! Et cette ceinture de nuages qu’on apercevait à l’horizon et ce vent d’ouest ne lui disait rien qui vaille. Si on ne faisait rien pour arrêter l’avancée des miasmes scorbutiques, même les scénarios les plus pessimistes allaient se montrer bien au-dessous de la réalité.

Alors que l’ouragan miasmatique s’avançait à toute allure dans la direction de la galère, le docteur Quack et le capitaine annoncèrent à tous les galériens le passage prochain de la quasi-totalité des secteurs au palier 4 (ouragan). En effet, tous les secteurs sauf les cabines du capitaine, des officiers, du docteur et de l’apothicaire Quack étaient visés par une interdiction d’inspirer et d’expirer plus de cinq fois par minute, afin de réduire les chances de se contaminer et de contaminer les autres. On réduisit de moitié le nombre de galériens autorisés à faire la manœuvre des voiles et des rames. La présence d’un guetteur à la hune fut jugée superflue et dangereuse. Même le timonier ne fut requis à sa position que quelques heures par jour, compte tenu que l’ouragan allait frapper de plein fouet la galère qu’il tînt ou non la barre.

On décida aussi d’augmenter la capacité de dépistage canin. Pour que les chiens dépisteurs soient capables de fournir à l’ouvrage, il fut décidé de les nourrir avec les barils de viande salée et les légumes qu’on avait eu le temps de mettre dans la cale avant le grand rembarquement. Cela aurait aussi l’avantage de réduire au minimum les déplacements des galériens aux cuisines, qui dorénavant devaient se nourrir exclusivement de pain noir et d’eau dont ils iraient s’approvisionner une fois par semaine seulement. Cette nourriture et cette boisson saines, de par leur simplicité, n’entraînaient pas d’éructations et de flatulences saturées de miasmes scorbutiques, et allaient permettre d’abaisser le coefficient de miasmes secondaires. Quant aux chiens dépisteurs, il était bien connu qu’ils n’étaient pas infectés par les miasmes scorbutiques et qu’ils constituaient un organisme barrière capable de protéger la santé des galériens. Pour cette raison, le docteur Quack réalisait une étude visant à établir si les chiens dépisteurs pouvaient manger les cadavres des galériens morts du scorbut de type Q sans que leurs éructations et leurs flatulences ne deviennent porteuses de miasmes délétères. Car cela aurait un avantage important : les réserves de viande salée et de légumes allaient bientôt s’épuiser et les galériens allaient devoir partager leur pain noir et leur eau avec les chiens dépisteurs pour maintenir la capacité de dépistage canin, ce qui pourrait d’ailleurs diminuer la vitesse de dépistage des chiens, dont l’organisme n’est pas adapté à une alimentation aussi pauvre et peu variée, contrairement à l’organisme des galériens, qui en avaient vu d’autres durant leur chienne de vie.

Le docteur Quack, en en jugeant d’après la teinte des nuages, la vitesse et l’orientation du Vent et la carte du ciel qu’il avait dressée avec son frère l’apothicaire, statua que l’ouragan miasmatique allait durer environ un mois. Il exhorta donc tous les galériens à relever le défi de trente jours, qui devait commencer dans une semaine et durant lequel ils devaient non seulement suivre scrupuleusement les consignes qu’on leur avait données, mais même en faire plus. Car leurs sacrifices, de par l’ordre moral inhérent au monde, allaient certainement être récompensés.

Des groupes de galériens virent la chose d’un autre œil. Il y eut quelques rassemblements illégaux que le capitaine qualifia de mutinerie. Le docteur Quack, pour sa part, préféra parler d’attentat contre la santé galérienne. Pour l’aumônier, il s’agissait au contraire d’un crime de lèse-majesté divine, le capitaine, le docteur et lui-même étant les représentants de Dieu sur la galère. Quoi qu’il en fût, les garde-chiourmes écrasèrent cette misérable révolte comme il se devait. Ils encerclèrent les mécréants, qui se laissèrent faire. Quand on leur distribua des constats d’infraction accompagnés d’une amende équivalente à un mois de pécule, ils protestèrent qu’on portait atteinte à leurs droits et libertés. Puis ils rentrèrent paisiblement dans leurs cases et se couchèrent dans leurs hamacs avec le sentiment du devoir accompli, car leur chef leur avait demandé de ne pas avoir recours à la violence, de ne pas résister aux gardes-chiourmes, et d’être moralement irréprochables, ce qui devait leur permettre d’obtenir gain de cause tôt ou tard, en raison de l’ordre moral qui régissait le monde.

Malgré tout la colère larvée des galériens mécréants inquiétait le capitaine et le docteur Quack. Alors qu’ils se demandaient justement s’ils ne devaient pas prendre des mesures supplémentaires spécifiquement contre les galériens mécréants, comme le réclamaient l’aumônier et les galériens orthodoxes, un cuisinier pris d’une crise de folie égorgea avec son coutelas cinq galériens, qu’il saigna comme des cochons. Et il en aurait bien égorgé quelques centaines si les gardes-chiourmes, jusque-là occupés à faire respecter les consignes du docteur Quack, n’étaient pas intervenus pour maîtriser le forcené trois heures après le premier assassinat. Malgré les efforts des garde-chiourmes pour nettoyer le pont, les galériens furent consternés de voir d’immenses flaques de sang indélébiles. L’aumônier sauta habilement sur l’occasion de parler d’autre chose que du défi de trente jours.

Comme annoncé par le docteur Quack, l’ouragan miasmatique frappa de plein fouet la galère. La vie des galériens était dépourvue de tout superflu et se limitait à l’essentiel : labeur sporadique sur le pont et sur les bancs des rameurs, repas constitués de pain noir et d’eau, roupillons dans les hamacs et incessantes séances d’informations sur l’évolution de la situation miasmatique. Les cas de plaies de hamac et de gingivites aiguës se multipliaient. Beaucoup avaient perdu le peu de cheveux et de dents qu’il leur restait. On commença à enregistrer les premiers décès. Quant à la galère, elle subissait de nombreux avaries et les voies d’eau se comptaient par milliers.

Alors qu’il semblait ne pas y avoir de lumière au bout du tunnel, une bonne nouvelle arriva par pigeon voyageur. L’apothicaire Kwak annonça à son confrère l’apothicaire Quack que les études cliniques du remède Quack-Kwak étaient concluantes : les habitants du port qui avaient participé à l’étude développaient beaucoup moins souvent des symptômes que les galériens qui servaient de groupe témoin, tout comme ils avaient beaucoup moins souvent qu’eux de graves complications. On estimait la durée de la résistance conférée par deux injections à au moins six mois, ce qui suffisait pour résister à un ouragan miasmatique et aux miasmes secondaires qui résultaient de lui. Quant aux effets indésirables, ils étaient à peu près inexistants : un peu de fièvre, un léger mal de tête, des étourdissements, de l’arythmie et une légère douleur au bras où on avait fait l’injection. Cela montrait seulement que le remède marchait et que le corps développait des défenses efficaces contre les miasmes du scorbut du type Q. Par conséquent, l’autorisation d’urgence d’administrer le remède à base de vif-argent allait bientôt être délivrée et les galériens seraient sauvés, même si le remède ne mettait pas fin à l’exhalaison de miasmes secondaires et donc à la circulation communautaire du scorbut de type Q et à la fin des mesures prises pour lutter contre ce fléau.

Ignorant les protestations des mécréants (dont quelques infirmiers et toubibs qui furent démis de leurs fonctions en tant que désinformateurs et saboteurs) qui mettaient en doute l’efficacité du remède et aussi son innocuité, le vif-argent leur semblant – dans leur ignorance – un produit dangereux dont les effets secondaires à long terme ne pouvaient pas être connus par une étude clinique de six mois, le capitaine finalisa les pré-arrangements pour obtenir les premières doses du remède Quack-Kwak d’ici un mois, et envoya un acompte à l’apothicaire Kwak pour conclure l’entente.

Cette lueur d’espoir arrivait à point : les chiens dépistaient toujours plus de scorbutiques, les gingivites et les plaies de lit s’aggravaient, les bouches et les crânes se dégarnissaient, les décès se multipliaient, alors que les galériens désespéraient. La décision fut prise de prolonger le défi de trente jours pendant trente autres jours, d’ici l’arrivée de la première cargaison du précieux sérum.

Une rumeur, qui avait commencé à circuler il y a quelques mois, se fit plus persistante : le capitaine envisageait d’imposer un passeport Quack-Kwak qui permettrait aux galériens traités de reprendre peu à peu une vie normale, alors que ces privilèges seraient rigoureusement interdits aux galériens qui refuseraient d’être traités. Le capitaine démentit publiquement cette affirmation : il ne voulait pas créer deux classes de galériens. Les galériens orthodoxes virent dans cette rumeur une tentative délirante des mécréants de saboter la lutte contre le Vent et le scorbut de type Q, tout en se disant que cette idée de passeport Quack-Kwak était pleine de bon sens : si les mécréants égoïstes refusaient de se faire traiter et exposaient les autres galériens traités à leurs miasmes, ils méritaient d’être privés de leurs libertés.

Enfin un pigeon voyageur apporta la nouvelle de l’autorisation d’urgence du remède Quack-Kwak. Le capitaine et le docteur Quack annoncèrent l’injection des premières doses aux galériens les plus éclopés d’ici trois semaines. L’aumônier et les galériens orthodoxes louèrent Dieu au plus haut des cieux. Les galériens mécréants s’assombrirent.

 

À suivre.