La culpabilité de la nature, des méchants et de l’humanité quant aux macroagressions

Il arrive assez souvent, quand nous essayons d’expliquer les causes d’un phénomène social ou moral, que nous nous imaginions pouvoir faire le tour du problème grâce à une seule piste d’analyse. Même quand nous ne prétendons pas avoir tout dit ce qui pourrait être dit sur cette question, nous voulons parfois dire par là que nous ne sommes pas allés jusqu’au bout de cette piste. Il arrive plus rarement que nous reconnaissions qu’il y a d’autres pistes d’analyses et que les causes d’un phénomène social ou moral sont multiples et complexes, et encore plus rarement que les mêmes personnes explorent elles-mêmes ces autres pistes d’analyse et ne se contentent pas de reconnaître leur existence. C’est pour explorer une autre piste de réflexion, parmi d’autres possibles, que je reviens rapidement sur le billet que j’ai écrit hier.

L’hypersensibilité aux microagressions, que j’ai analysée dans mon billet du 25 mars 2023, ne suffit pas à expliquer l’insensibilité de beaucoup de nos concitoyens aux macroagressions commises par les gouvernements, les organisations supranationales, les institutions financières et les grandes corporations. Une autre cause de cette insensibilité, c’est la croyance en la culpabilité de la nature, des méchants et de l’humanité quant à ces macroagressions, et donc en l’innocence de ceux qui les commettent en réalité.

Les politiques de confinement et les mesures prétendument sanitaires, qui constituent une attaque massive contre les droits, les libertés et la prospérité des citoyens occidentaux, ont été décrites et continuent d’être décrites comme l’effet inévitable de l’apparition naturelle d’un méchant coronavirus. La même chose pourrait être dite de futures politiques et mesures semblables sous prétexte de futurs virus. Ce serait donc la faute des virus si les gouvernements, en collaboration avec les organisations supranationales et les grandes corporations, nous imposent ces politiques et ces mesures. Il est alors difficile, pour qui croit à ces déclarations, de percevoir ces politiques et ces mesures comme des agressions massives contre nous. Bien au contraire, ces politiques et ces mesures serviraient à protéger les populations occidentales contre les agressions dévastatrices des méchants virus, et auraient donc des causes naturelles et non humaines. Ou plutôt, s’il s’agit de donner des causes humaines à ces politiques et mesures très agressives, ce serait la faute des méchants qui ne les respectent pas, qui deviennent les complices des virus et qui obligent les gouvernements à les maintenir et à les intensifier. Encore mieux, ce serait la faute de l’humanité toute entière qui provoquerait des changements climatiques qui résulteraient à leur tour en la cohabitation d’espèces animales jusqu’alors séparées et en la mutation des virus provoquée par des sauts inter-espèces, ce qui provoquerait enfin des pandémies de plus en plus fréquentes. Les victimes de ces macroagressions seraient ultimement les responsables de ces politiques et de ces mesures, en ce que celles-ci seraient les conséquences indirectes de leur mode de vie qui contribuerait grandement au réchauffement climatique et aux pandémies. Si elles ne veulent pas que cela se reproduise, il leur faut changer leur mode de vie : réduire leurs déplacements, prendre les transports en commun, changer leur voiture à essence pour une voiture électrique, manger moins de viande, baisser le chauffage, se passer d’air climatisé, prendre des douches très courtes, etc. Du même coup, c’est l’agression massive commise contre nous qui n’apparaît plus pour ce qu’elle est aux yeux de nos concitoyens qui croient aux causes naturelles qu’on lui attribue, qui croient que les coupables, ce sont les récalcitrants ou même l’humanité toute entière, et qui deviennent par le fait même les complices de leurs agresseurs véritables, qui passent pour leurs sauveurs.

Des remarques semblables pourraient être faites sur les attaques massives commises contre l’industrie pétrolière et gazière et l’appauvrissement généralisé qui sera causée par la rareté énergétique. La vraie cause de ces macroagressions qui nous touchent tous, ce ne seraient pas l’avidité et la soif de pouvoir et de contrôle des élites politiques et bureaucratiques, des grands oligarques, des organisations supranationales, des institutions financières et des grandes corporations, mais ce serait plutôt l’humanité et chacun d’entre nous, en raison de nos habitudes de vie génératrices de gaz à effet de serre et de changements climatiques qui obligeraient ces intervenants à prendre des mesures radicales pour nous sauver de nous-mêmes et des catastrophes climatiques et naturelles que nous provoquons. Pas le choix, nous dira-t-on ! Plus concrètement, on pourra dire que la hausse des coûts de production des denrées alimentaires, les difficultés d’approvisionnement et les famines qui auront peut-être lieu dans certaines parties du monde sont causées par les phénomènes naturels gravissimes qui découleraient des émissions de gaz à effet de serre dont nous serions responsables, par exemple des sécheresses, des déluges, des vagues de chaleur ou de froid, des nuées d’insectes ou des maladies qui dévasteraient les récoltes ou qui décimeraient les animaux de boucherie, alors que les causes véritables seraient, entre autres, la baisse de la productivité des terres à cause de la pénurie et de la cherté des engrais résultant des sanctions économiques prises contre la Russie et des nouvelles lois visant à réduire l’utilisation d’engrais à base d’azote, ainsi que l’augmentation du coût du pétrole qui affecte la production agricole et le transport des denrées alimentaires. Au besoin, on pourra aussi déclarer que, si les récoltes sont mauvaises et les coûts de production dans le secteur agricole augmentent, c’est la faute des méchants Russes qui affament le monde en empêchant l’exportation de céréales et d’engrais, ou que c’est la faute des méchants Russes et des méchants Chinois qui ne font pas leur part pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et qui entraînent le monde entier dans une catastrophe climatique, alimentaire et humanitaire, ce au nom de quoi nos maîtres pourraient exiger de nous des sacrifices supplémentaires, pour compenser les émissions des Russes et des Chinois qui ne font pas leur part pour sauver l’humanité et la planète. Bref, grâce à toute cette propagande, les politiques économiques, énergétiques et alimentaires de nos maîtres ne seraient pas perçues comme une attaque massive contre nous, mais comme la conséquence du mode de vie à l’occidentale, des actions des méchants Russes et des méchants Chinois et des phénomènes naturels que ce mode de vie et ces actions provoqueraient. Nos maîtres, eux, seraient non seulement innocents, mais seraient aussi des héros qui lutteraient pour le salut de l’humanité et de la planète et qui auraient le courage d’exiger de nous les sacrifices qui s’imposent.

Ça ne sera pas jojo, si la situation évolue de cette manière au cours des prochaines années ou décennies ! Les maux résultant de ces agressions massives contre nous deviendront de plus en plus difficiles à ignorer, même pour les plus endoctrinés, les plus résignées et les plus insensibles d’entre nous. C’est pourquoi nos maîtres jugeront que des exutoires sont nécessaires pour canaliser le mécontentement croissant de la canaille que nous constituons à leurs yeux. C’est pourquoi cette ligne d’analyse peut se combiner avec la ligne d’analyse précédente. Au fur et à mesure que les conditions de vie des masses endoctrinées deviendront pénibles et misérables, plus il sera important pour leurs maîtres de les rendre hypersensibles aux microagressions convenues, qui seront autant d’occasions de décharger de manière inoffensive pour nos maîtres l’agressivité de ces masses, idéalement en visant des opposants. Il est à craindre que ces masses soient particulièrement réceptives à ces efforts, et qu’elles soient contentes de se déchaîner contre des cibles qu’elles auront à portée de la main et que leurs maîtres se feront un plaisir de leur présenter sous un très mauvais jour, comme cela se fait d’ailleurs déjà.

S’il est vrai que d’autres peuples occidentaux semblent enfin se réveiller et qu’il y a peut-être de l’espoir pour eux, les Québécois dorment pour la plupart d’un profond sommeil et continuent de suivre béatement leurs bergers.