La confusion des rôles (4) – Les crieurs publics

Dans nos sociétés prétendument démocratiques, le rôle des journalistes devrait être d’offrir aux citoyens des informations de manière rigoureuse, de présenter des points de vue divergents et d’alimenter le débat public. Mais c’est rêver de croire qu’ils peuvent jouer correctement leur rôle et qu’ils essaient même de le faire alors que les scientifiques se mettent à prophétiser toutes sortes de calamités sous prétexte d’urgence sanitaire ou climatique et à agir comme des devins, alors que les médecins nous sermonnent de plus en plus, nous soignent de moins et se comportent donc comme des curés, alors que les chefs politiques, tels de grands seigneurs, s’accordent à eux-mêmes de nouveaux pouvoirs grâce à une idéologie sanitaire et une idéologie climatique qui transcenderaient la politique tout en étant instrumentalisées par elle. En fait, il n’est pas nouveau que les journalistes, au lieu de nous informer correctement et de contribuer intelligemment au débat public, s’efforcent de détourner notre attention de ce qui doit nous rester inconnu, de nous induire en erreur et de nous faire consentir aux sales coups que nous font nos gouvernements et les oligarques dont ils servent souvent les intérêts. Mais depuis l’arrivée du virus en 2020, ils sont devenus de véritables crieurs publics dont les clameurs assourdissantes, amplifiées par les puissants moyens de communication dont ils disposent, dictent dogmatiquement ce qui est vrai et bien et ce qui est faux et mal. Ils se transforment en hérauts des forces du bien qui enrégimentent les naïfs et qui doivent clouer le bec à ceux qui œuvrent pour les forces du mal par leur travail de mésinformation et de désinformation. Difficile de ne pas les entendre, même en se bouchant les oreilles.

C’est que ces crieurs publics pensent avoir leur heure de gloire en nous crachant à la figure, depuis plus de deux ans, le décompte des nouveaux cas, des nouvelles hospitalisations et des nouveaux décès liés ou attribués au méchant virus ; des déclarations alarmantes sur la saturation du réseau hospitalier ; de la publicité sur les vaccins sûrs et efficaces, qui seraient le seul moyen de mettre fin à la pandémie ou de la garder sous contrôle ; des affirmations péremptoires sur le danger que représenteraient les récalcitrants complotistes et non vaccinés pour les bons citoyens doublement ou triplement vaccinés ; des appels réitérés à exclure, à isoler préventivement et à châtier ces irresponsables, ces méchants et ces fous ; des révélations sur les tendances extrémistes et violentes des mouvements de résistance aux mesures sanitaires, qui seraient une menace pour la démocratie ; des accusations contre les soldats russes à propos des atrocités barbares et bestiales qu’elle commettrait contre les prisonniers de guerre et les civils en Ukraine ; des exhortations à consentir aux sanctions économiques contre la Russie, indépendamment des conséquences pour les économies occidentales et pour nos conditions de vie ; et des fables grâce auxquels toutes les vagues de chaleur, toutes les sécheresses, toutes les inondations et tous les ouragans seraient des signes annonciateurs des catastrophes climatiques qui vont s’abattre sur nous. Tout ça dans l’espoir d’obtenir notre consentement aux dispositifs de biosécurité qu’on a mis en place et qui pourraient être bientôt réactivés ; au maintien et au durcissement des sanctions prises contre la Russie, à la dégradation accélérée des relations diplomatiques et à une escalade des hostilités qui pourrait mener à un conflit chaud et direct avec la Russie ; à la crise énergétique, alimentaire et énergétique, avec l’appauvrissement généralisé qui en résulte ; et à la transition énergétique verte qui pourrait bien enfoncer le dernier clou dans le cercueil des économies occidentales et servir de prétexte pour étendre la surveillance et le contrôle dont nous sommes l’objet.

Les crieurs publics ont bien beau hurler à l’unisson, il arrive que des voix discordantes parviennent malgré tout à se faire entendre. Cela est d’autant plus fâcheux que ces concurrents n’appartiennent généralement pas à la corporation des crieurs publics, et ne peuvent pas être rappelés à l’ordre ou congédiés par les patrons des grands médias, puisqu’ils publient et diffusent en ligne. Que faire ? Les crieurs publics ont essayé de se sortir de cette situation embarrassante en affirmant qu’ils sont les seuls détenteurs accrédités de la parole légitime et autorisée, par opposition à leurs concurrents indépendants, qui se rendraient coupables de mésinformation et de désinformation, ce que confirmerait le fait que ce qu’ils disent ne correspond à pas ce qui est dit dans les grands médias (qui seraient la source ultime de la vérité) et est incompatible avec les prophéties des devins, les sermons des curés et la communication officielle des grands seigneurs. Ce que revient à dire : « Ceci est vrai parce que c’est nous qui le disons. Et toute personne qui dit autre chose se trompe ou ment. » Ou encore : « Telle chose est vraie parce qu’elle est dite par les scientifiques, les médecins, les politiciens et les bureaucrates auxquels nous donnons la parole. Et toute personne qui affirme autre chose ou qui formule des doutes est un ignorant ou un fieffé menteur, à plus forte raison si elle détient une certaine expertise dans un domaine pertinent. » Les prérogatives de la réputée corporation des crieurs publics sont sauves. Comme c’est commode !

Hélas pour les crieurs publics, ce petit tour de passe-passe convainc seulement ceux qui sont déjà convaincus, alors qu’il les discrédite encore plus aux yeux de ceux qui se méfient d’eux ou qui les méprisent. C’est pourquoi les crieurs doivent tôt ou tard avoir recours à la calomnie et à l’intimidation contre leurs concurrents, et en exhortant les employeurs, les institutions académiques et les ordres professionnels à prendre contre eux des mesures disciplinaires. Voilà qui devrait faire taire plusieurs d’entre eux et dissuader ceux qui pourraient avoir envie de dire publiquement autre chose que ce que disent à l’unisson les crieurs publics et les autorités supposément infaillibles et intègres dont ils relaient les propos.

Les maîtres et les clients des crieurs doivent être contents de leur bon travail. Je veux dire par là les grands seigneurs et les grands oligarques qui profitent de toutes sortes de manières de la crise actuelle, qui cherchent à l’aggraver, qui travaillent à la destruction de nos institutions démocratiques, et qui cherchent à nous contrôler, à nous appauvrir et à nous réduire à l’impuissance.


Il est évident que ces crieurs professionnels jouent un rôle qui est incompatible avec le rôle que devraient jouer les journalistes dans une démocratie digne de ce nom. Au lieu d’investiguer pour informer correctement leurs lecteurs et leurs auditeurs, ils font des informations qu’ils répètent sans discernement les critères même de la vérité, empêchant ainsi toute forme d’investigation, puisque ce qui ne correspond pas à cette vérité établie serait de la mésinformation ou de la désinformation. Et au lieu de soumettre à la critique les prédictions catastrophiques des devins, les sermons superstitieux des curés et les décrets des grands seigneurs, ils se font un devoir de les proclamer à tue-tête. Étant donné le tapage que font les crieurs, ainsi que le conformisme et le dogmatisme qu’ils cultivent, le débat public devient à peu près impossible, ou du moins très difficile. Car on ne saurait discuter avec les crieurs professionnels et ceux qui reprennent leurs cris, pour la simple raison qu’ils crient et ne discutent pas.

Dans ce contexte, il n’est pas facile pour les citoyens de jouer leur rôle politique. S’ils sont confus au point de ne pas réaliser que ceux qu’ils croient être des journalistes intègres sont en fait des crieurs publics, ou s’ils ne trouvent pas un espace pour donner naissance à un véritable débat public et pour jouer leur rôle de citoyens, ils se retrouvent plus souvent qu’autrement à agir comme des fidèles. Le plus désolant, c’est que beaucoup ne font pas la différence entre ces rôles, et vont même jusqu’à croire qu’ils sont de bons citoyens quand ils acceptent docilement leur sujétion ou leur servitude. Ce dont se réjouissent en chœur les devins, les curés, les grands seigneurs et les crieurs publics.

À suivre.