La confusion des rôles (3) – Les grands seigneurs

Les devins qui réussissent à passer pour des scientifiques, ainsi que les curés qui réussissent à passer pour des médecins, interviennent de plus en plus dans la politique. Cela a forcément des effets sur le rôle que peuvent ou doivent jouer ceux que nous avons élus pour nous gouverner. Les prophéties apocalyptiques et les sermons moralisateurs et superstitieux auxquels nous avons droit quotidiennement procurent aux décrets de nos chefs politiques une légitimité qui les dispensent de se justifier à nos yeux et de nous rendre des comptes. Au lieu de se considérer comme élus par nous, ils en viennent de plus en plus à se considérer comme élus tout court, c’est-à-dire pour gouverner la populace ignare, indisciplinée et dangereuse à laquelle nous appartiendrions tous, le tout conformément aux prédictions des devins et aux sermons des curés, lesquels acquièrent une valeur absolue, et qu’il n’est pas permis de critiquer sauf sur les points de détails ou pour exiger encore plus de zèle sanitaire ou climatique. Voilà que le débat public, pourtant nécessaire à la démocratie, qui vient d’être jeté par-dessus bord ! Voilà que nos dirigeants politiques peuvent nous gouverner comme des rois de droit divin ! Voilà qu’ils peuvent se croire ou se prétendre nos sauveurs, et justifier leurs décrets en invoquant l’urgence sanitaire et l’urgence climatique, contre lesquelles la lutte serait la priorité absolue !

Comme l’histoire de l’Europe permet de le constater, les rapports entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux sont complexes. Il arrive que les princes de droit divin, investis de l’autorité divine, s’appuient sur l’Église pour garder le peuple dans un état de subordination, de servitude et même de misère. À l’inverse, les prélats de l’Église s’appuient sur les princes pour garder les fidèles dans l’obéissance et pour punir ceux qui s’éloignent de l’orthodoxie sacrée, que ce soit en actes ou en paroles. Il arrive aussi que des conflits opposent les princes et l’Église. Cela se produit par exemple quand les prélats prétendent gouverner à la place des princes, les humilier et soumettre leur politique entièrement à la doctrine chimérique de l’Église, rendant ainsi le pays plus difficile à gouverner en raison des troubles que cela provoque. À l’inverse, il arrive que les prélats se révoltent quand les princes prétendent leur imposer la doctrine qui sert leur politique et faire d’eux leurs valets. Quand ces conflits s’enveniment, le pape frappe d’interdit les princes, ses vassaux et ses sujets, et utilise alors ces derniers contre lui, en les incitant même à se révolter pour que les seigneurs en question se soumettent à l’autorité de l’Église ou soient remplacés par des princes plus collaboratifs ou plus dociles. De leur côté, les rois peuvent toujours nommer leurs propres papes ou rompre avec l’Église pour se nommer chefs d’une nouvelle Église.

La situation des grands seigneurs actuels est différente : contrairement aux princes des siècles passés qui pouvaient et devaient gouverner de manière très autoritaire, ils doivent jouer la comédie de la démocratie pour ne pas heurter les sentiments de leurs sujets qui croient être des citoyens. C’est pourquoi nos seigneurs ont à ce point besoin des devins et des curés pour justifier les nouveaux pouvoirs qu’ils s’accordent à eux-mêmes et leurs ingérences répétées dans toutes les sphères de la société et dans la vie privée des individus. Une superstition d’État leur est donc nécessaire pour régner sur la populace, et la lutte contre les pandémies et les changements climatiques – dont on dit qu’elle est une priorité absolue – remplit très bien cette fonction, d’autant plus qu’elle n’est pas reconnue comme une religion, qu’elle ne semble pas aller à l’encontre de la laïcité de l’État, et qu’elle passe pour être scientifique et incontestablement vraie. Voilà qui explique au moins en partie pourquoi nos dirigeants politiques adhèrent à ce point à l’idéologie sanitaire et à l’idéologie climatique, et entretiennent avec les fonds publics les prophètes et les curés grâce auxquels ils peuvent réclamer notre obéissance inconditionnelle, et prétendre être des sauveurs dont le règne s’appuie sur les prophéties des devins et les sermons moralisateurs et superstitieux des curés, qui leur procurent une sorte de droit divin qui fait de toute critique ou de tout acte de désobéissance un sacrilège impardonnable et un crime de lèse-majesté pouvant entraîner des conséquences catastrophiques, et qui n’a pas à tenir compte des dispositifs mis en place pour restreindre leur autorité et contrôler la manière dont ils exercent le pouvoir politique. C’est ainsi que nos seigneurs, grâce aux devins et aux curés dont ils s’entourent et qu’ils font monter à la tribune, ne règnent pas seulement sur notre corps, mais aussi sur notre esprit ; et qu’ils prétendent s’élever au-dessus de nos lois et de nos institutions, et n’avoir de comptes à rendre à personne. Rien n’échappe à leur pouvoir, qui devient absolu quand les devins et les curés leur fournissent un semblant de justification s’inscrivant dans la lutte contre les méchants virus ou les changements climatiques, laquelle, c’est bien connu, devrait être notre priorité absolue : notre respiration, l’heure à laquelle nous devons rentrer à la maison, les personnes que nous fréquentons, la manière dont nous nous saluons, les lieux où nous avons le droit d’entrer, les sports que nous avons le droit de pratiquer, les moyens de transport que nous avons le droit d’utiliser, les manifestations que nous soutenons, les sources d’information que nous consultons, les traitements médicaux que nous recevons ; et peut-être, dans le futur, la quantité de viande que nous pouvons manger, la température de notre logement, la fréquence à laquelle nous faisons la lessive, la durée des douches que nous prenons, la distance que nous parcourons en voiture, etc. Restrictions qui ne doivent évidemment pas s’appliquer à eux, qui font partie d’une classe distincte qui doit gouverner les manants que nous sommes !

Nous devons néanmoins nous demander si certains des grands seigneurs qui nous gouvernent (et aussi des devins et des curés), tout imbus de leur autorité sacrée, n’en viennent pas à perdre la tête et à se croire investis d’une mission divine, comme plusieurs princes des siècles passés, qui se considéraient sincèrement comme des défenseurs de la foi et des serviteurs de Dieu. Nous n’aurions plus alors affaire à une instrumentalisation cynique de la superstition à des fins politiques. Dans ce cas, les grands seigneurs qui nous gouvernent croiraient à ce qu’ils veulent nous faire croire, à savoir qu’ils ont pour mission de sauver les grands enfants que nous sommes des méchants virus et d’empêcher que ne se produise l’apocalypse climatique qui devrait anéantir l’humanité et détruire la planète. Se pourrait-il que les intentions bienveillantes mais délirantes de ces illuminés soient encore plus dangereuses pour nous que les calculs malveillants de certains de leurs confrères ? Car avec les fous, on ne peut pas discuter, alors que cela n’est pas entièrement exclu avec les personnes malveillantes, à condition de raisonner à partir de leurs intérêts et non des nôtres.


La manière de gouverner de ces grands seigneurs épris de leur propre autorité sacrée, et qui exigent de nous une obéissance inconditionnelle, diffère grandement de l’attitude attendue de dirigeants élus dans des pays qui se disent démocratiques. Le fait que beaucoup d’entre nous ne perçoivent plus cette différence et confondent ces deux rôles a assurément des conséquences dramatiques pour nos sociétés soi-disant démocratiques. Comme s’il suffisait, pour agir comme un dirigeant élu démocratiquement, de prétendre tout faire pour protéger la population d’un quelconque cataclysme, en n’hésitant pas à suspendre ou à restreindre des droits et des libertés sans lesquels la démocratie ne pourrait pas exister, le tout sur fond de prophéties et de sermons ! Comment ne pas y voir une forme d’absolutisme incompatible avec l’esprit de la démocratie, d’autant plus nuisible et sournoise qu’elle se drape de bons sentiments et prétend s’appuyer sur l’autorité absolue de la science et de la médecine !

La manière dont ces sinistres personnages qui nous gouvernent jouent leur rôle affecte certainement les rôles joués par ceux qui prétendent être des journalistes ou des citoyens. Il en résulte encore d’autres formes de confusion des rôles, puisque ceux qui sont gouvernés et ceux qui sont censés les informer et susciter le débat public ne peuvent pas agir de la même manière quand une société a à sa tête des dirigeants respectueux des institutions démocratiques et quand elle est plutôt dirigée par de grands seigneurs dont l’autorité et la volonté seraient sacrées et ne sauraient rencontrer la moindre résistance, laquelle constituerait un affront impardonnable devant être dûment châtié.

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