La confusion des rôles (1) – Les devins

De plus en plus souvent, les scientifiques dont nous entendons parler ou qui bénéficient d’une tribune pour s’exprimer sont ceux qui font des prédictions. Toutes les prédictions que les scientifiques ont faites depuis l’arrivée du virus le montrent bien.

Un nouveau virus serait apparu, exceptionnellement contagieux et capable de provoquer une véritable hécatombe. Les traitements habituels contre les maladies respiratoires d’origine infectieuse étant déclarés a priori inefficaces, seuls de nouveaux vaccins qu’il faudrait injecter à toute la population seraient capables de mettre fin à la pandémie, en protégeant contre l’infection et les complications, en empêchant la transmission et en permettant d’atteindre l’immunité collective. Une deuxième vague devrait se produire en juillet, en août, en septembre, en octobre et finalement en novembre. À la différence des personnes adéquatement vaccinées, les personnes non vaccinées seraient inévitablement condamnées à attraper la COVID et à tomber parfois gravement malades, et risqueraient de provoquer l’effondrement du système hospitalier, qui subirait déjà de fortes pressions. Tel nouveau variant constituerait une menace pour la santé de toute la population, les enfants, les adolescents, les jeunes adultes et les personnes d’âge moyen étant tous vulnérables.

En plus de l’urgence sanitaire, il y a l’urgence climatique. Les émissions de gaz à effets de serre devaient d’abord causer un dangereux réchauffement climatique, puis on s’est ensuite mis à annoncer de dangereux changements climatiques. Les vagues de chaleur, les sécheresses, les inondations, les glissements de terrain, l’érosion des berges, les tornades et les ouragans dont l’intensité et la fréquence seraient sans précédents devraient être interprétés comme des signes annonciateurs des calamités à venir : baisse de rendement des terres agricoles, destruction des récoltes, famines, montée du niveau des océans, perte de terres habitées ou habitables, troubles sociaux et politique, migrations de masse, insécurité internationale et effondrement économique.

Plusieurs choses caractérisent les prédictions de cette nouvelle sorte de devins : on nous annonce toujours des catastrophes, et il est urgent d’agir, notamment en finançant à grands frais la recherche publique et privée et les projets devant permettre d’empêcher les calamités annoncées de se produire, de les endiguer ou d’en atténuer les effets. Il a toujours été dans l’intérêt des devins de prédire des catastrophes et de provoquer la panique, ou à tout le moins de susciter la peur. L’annonce d’heureux événements met généralement fin au commerce avec les devins. Pourquoi consulter à nouveau des devins quand ceux-ci annoncent bonheur, prospérité, santé et longévité ? Mais c’est exactement l’inverse qui se produit quand ils prédisent toutes sortes de malheurs. Ceux qui prêtent foi à leurs prédictions continuent de les consulter et attendent d’eux, contre rémunération, des précisions, des éclaircissements et des indications sur la manière de conduire leurs affaires. Ce stratagème des devins s’est montré efficace, au cours des dernières années et aussi des siècles et des millénaires passés, pour se rendre indispensables à des individus plus ou moins riches et puissants et aux chefs politiques, pour conserver l’emprise qu’ils exercent sur eux, et parfois même pour leur procurer les moyens d’exercer une emprise sur d’autres.

Pour arriver à leurs fins, il est nécessaire que les devins ne se contredisent pas les uns les autres, chantent sur la même note, ne soient pas contredits publiquement par des scientifiques, et disqualifient les observations et les prises de position de tous ceux qui n’appartiennent pas à la corporation des devins. C’est pourquoi il est nécessaire de fixer les prédictions en une sorte de corpus indiscutable sauf sur des points de détails ou pour faire quelques nuances, lequel peut avoir la forme d’une prophétie qu’on ne peut pas remettre en question sans commettre un sacrilège impardonnable et ainsi se disqualifier, en tant que scientifique, intellectuel ou personne qui réfléchit et exerce son jugement. Le monopole de la parole autorisée appartient ainsi aux initiés et à ceux qui répètent leurs prédictions et qui apportent de l’eau au moulin en usage de moyens qu’ils ont à leur disposition. Quant aux hérétiques et aux profanes, ils n’ont qu’à se taire.

Les devins à l’ancienne mode, qui n’avaient généralement pas de prétentions scientifiques (à part peut-être les astrologues qui avaient recours à des modèles mathématiques plus complexes qu’on le croie souvent et dont les pratiques devraient être comparées avec celles des biostatisticiens et des experts des changements climatiques), et qui prétendaient pratiquer une certaine forme de magie, rendaient non seulement opaque leur art divinatoire, mais aussi les prédictions faites. Cela avait l’avantage de tenir les profanes à l’écart, de leur faire croire que les révélations qu’on leur faisait avaient une origine supra-humaine ou divine, et les disposaient à interpréter après-coup ces prédictions obscures pour les faire coïncider avec les événements qui se produisaient. Les devins déguisés en scientifiques se font pour leur part imposer des contraintes par le rôle qu’ils doivent jouer pour tromper les profanes et même des scientifiques. Il n’est pas question pour eux d’invoquer l’inspiration divine ou un art secret d’interpréter les signes dans le but de procurer une certaine autorité à leurs prédictions et éviter d’être pris en défaut si elles ne se réalisent pas. C’est pourquoi ils imposent des définitions, des postulats et des modélisations mathématiques qui sont censées rendre compte de la réalité actuelle et à venir, et même se substituer à elle, puisque ce serait grâce à ces définitions, à ces postulats et à ces modélisations qu’il faudrait interpréter la réalité et qu’il serait possible d’agir sur le cours des événements. C’est ainsi que les nouveaux devins contrôlent l’observation légitime et autorisée de ce qui se produit, et orientent les politiques et les protocoles sanitaires, médicaux ou scientifiques capables de confirmer ou de renforcer leurs prédictions.

Dans le cas de la COVID, il s’est agi d’avoir recours au dépistage préventif de la population en général, y compris les personnes asymptomatiques, et de considérer comme des « cas » toutes les personnes qui obtiennent un résultat positif (même si elles ne sont pas malades), sous prétexte qu’il s’agirait d’une maladie très contagieuse et très dangereuse, contre laquelle il n’existerait pas de remèdes efficaces. Ce qui a suffi à donner l’impression que les « vagues » successives annoncées avec tambours et trompettes se sont réellement produites. Quant aux hécatombes annoncées qui ont justifié les confinements dans presque tous les pays occidentaux, c’est une prédiction dont on nous demande de croire qu’elle se serait réalisée sans les confinements, alors que l’absence d’hécatombes confirmerait la prédiction selon laquelle elles ne se produiraient pas si on adoptait des politiques de confinement, sans qu’on considère la possibilité qu’elles ne se seraient pas réalisées sans ces confinements. Enfin, en ce qui concerne les « vaccins » dont on disait qu’ils auraient une efficacité de plus de 90 % contre l’infection et les complications et qu’ils permettraient d’arrêter la contagion et d’atteindre l’immunité collective, quand il est devenu manifeste que les données officielles de tous les pays montraient le contraire, les devins ont postulé que c’était à cause de nouveaux variants plus résistants et plus contagieux, et ont recommandé l’injection d’une troisième dose, puis d’une quatrième. Voilà qui montre que le fait de faire croire à ces prédictions, de contrôler la manière dont il faut interpréter les événements, et d’adopter des politiques et des protocoles sanitaires ou médicaux en fonction de ces croyances, produit une illusion de confirmation de ces prédictions.

Dans le cas des calamités qui seraient engendrées par les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine, la décision d’annoncer des changements climatiques plutôt qu’un simple réchauffement climatique revient à prédire ce dont on pourra voir des signes dans les moindres irrégularités météorologiques. Comme si la normalité, c’était d’avoir des conditions météorologiques stables, maintenant ou au cours des siècles derniers ! Les prédictions à court terme erronées des météorologues dont nous nous moquons régulièrement depuis des décennies, sans nécessairement arrêter de consulter ces pseudoscientifiques, montrent bien que les irrégularités météorologiques sont la norme. Ainsi, les devins qui prophétisent les changements climatiques peuvent être certains que le temps finira par leur donner raison, d’une manière ou d’une autre, puisqu’ils prédisent des irrégularités qui se produisent régulièrement : trop chaud ou trop froid, trop de pluie ou pas assez de pluie, trop de neige ou pas assez de neige, hiver hâtif ou tardif, printemps hâtif ou tardif, trop de vent ou pas assez de vent. Les devins peuvent aussi expliquer après-coup par les changements climatiques les mauvaises récoltes et les famines qui se produisent sporadiquement en Afrique, à cause des irrégularités normales du climat de ces contrées et des outils et techniques agricoles rudimentaires que ces populations sont obligées d’employer, et aussi à cause des guerres économiques conduites par d’autres pays, mais dont elles doivent quand même faire les frais, en subissant des difficultés d’approvisionnement en blé et en engrais et une forte hausse du prix de la nourriture, comme c’est actuellement le cas à cause des sanctions économiques occidentales contre la Russie. Les profanes naïfs, toujours prêts à papoter à propos du temps qu’il fait et à s’en plaindre, sont disposés à reprendre tout ce qu’annoncent les devins à ce sujet, ce que leur manque de jugement et de mémoire rendent possible. On n’aurait jamais vu une telle vague de chaleur, une telle sécheresse, un tel déluge ou une telle inondation ! À les entendre, on nous croirait frapper des dix plaies d’Égypte, ce qui est plus qu’il n’en faut pour les faire tomber dans un délire superstitieux et leur faire accepter la transition économique, énergétique et alimentaire verte que cherchent à imposer ces devins et ceux qui les rémunèrent.


On l’aura compris, la pratique de la divination diffère beaucoup, malgré les apparences trompeuses, de la pratique de la science, qui consiste à comprendre l’enchaînement des causes et des effets qui fait que les phénomènes naturels se produisent ou ne se produisent pas, et se produisent de telle manière ou de telle autre dans telles ou telles circonstances, afin de faire de prédictions ou plutôt des prévisions à partir de cette connaissance qui, par le fait même, est continuellement mise à l’épreuve et est corrigée et perfectionnée par essais et erreurs. La divination, pour sa part, consiste plutôt à dire ce qui doit arriver, à obtenir qu’on croie à ces prédictions, à donner l’impression qu’elles se réalisent, et à manipuler et à contrôler les êtres humains. Il faut donc choisir : soit on fait de la science, soit on fait de la divination. L’outillage mathématique ne change rien à l’affaire même s’il peut permettre à des devins de passer pour des scientifiques, puisque l’usage qu’on en fait diffère en fonction des fins visées, c’est-à-dire la connaissance de la vérité ou la tromperie, la maîtrise de la nature ou le contrôle des êtres humains. Il revient donc à nous, qui sommes des citoyens, de distinguer les scientifiques et les devins, et de ne pas nous en remettre sur ce point à l’avis de ceux qui se prétendent scientifiques, qui pourraient être en fait des devins, et auxquels la confusion des deux rôles pourrait donc être très avantageuse

Le rôle joué par les devins dans nos sociétés, ainsi que la fâcheuse tendance de nos dirigeants politiques à faire comme s’ils étaient des scientifiques et la tendance de nos concitoyens à les prendre pour des scientifiques, ont pour effet que les rôles joués par ces dirigeants et leurs gouvernés diffèrent des rôles que devraient jouer les membres d’un gouvernement démocratiquement élu et les citoyens censés participer activement à la délibération politique ou, à tout le moins, au débat public, et auxquels les dirigeants politiques devraient rendre des comptes. Il en résulte donc d’autres formes de confusion des rôles.

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