Instrumentalisation, expansion et intensification de la santé et de la sécurité au travail

Il y a une époque, pas si lointaine, où les employeurs ne se souciaient aucunement de la santé et de la sécurité de leurs employés.

Qu’avaient à faire les entreprises minières des mineurs qu’elles exploitaient ! Ces travailleurs pouvaient être blessés, devenir invalides ou mourir à la suite de l’effondrement d’une galerie sans que la haute direction ne s’en formalise et ne prenne des mesures pour éviter que ça ne se reproduise. Même chose pour les coups de grisou et le poumon noir du mineur. Même chose pour l’usure prématurée du corps. La main-d’œuvre était bon marché et facile à remplacer.

Et on peut en dire autant des ouvriers qui se blessaient parfois grièvement à cause de machines dangereuses, et qui étaient pratiquement devenus des vieillards à 40 ans, voire avant, parce qu’ils avaient commencé à travailler à 8 ou à 10 ans, 16 heures par jour et 6 jours par semaine. Et c’est sans parler des incendies, des explosions et de l’effondrement des bâtiments où les ouvriers travaillaient.

Tout ça pour un salaire de misère, aussi bien pour les mineurs que pour les ouvriers. À peine de quoi louer un petit logement mal chauffé et insalubre et nourrir la famille nombreuse avec laquelle ils s’y entassaient. Et si par malheur ils tombaient malades ou devenaient prématurément inaptes au travail, c’était leur problème, pas celui de l’employeur.

Sauf pour certains ouvriers qualifiés qui étaient parfois rares et qu’il était dans leur intérêt de garder à leur emploi, les entreprises du début de l’ère industrielle traitaient les travailleurs comme des choses qu’elles pouvaient jeter et remplacer quand elles étaient brisées ou usées, comme un vieux cheval qu’on abattait quand il devenait trop faible pour tirer les chariots de la mine, ou comme une machine qui était irréparable. Ça faisait partie de la vie.

Et si les ouvriers en venaient à protester, on les mettait simplement à la porte. S’ils osaient faire la grève, la police et l’armée étaient au service des capitalistes pour mater les révoltés et emprisonner les figures les plus visibles de la résistance. Ou encore c’étaient les propriétaires des entreprises qui fermaient les usines, pour affamer et mettre au pas les ouvriers.

Quand on a une idée du peu de cas que les employeurs faisaient de la santé, de la sécurité et du bien-être des travailleurs, il y a de quoi s’étonner à ce que 200 ans, 150 ans, 100 ans ou même 75 ans plus tard, ils prétendent se soucier à ce point de la santé et de la sécurité de leurs employés, qu’ils consentent à fermer leurs portes pendant des semaines ou des mois selon le secteur économique, et obligent les travailleurs à pratiquer la distanciation sociale, à se désinfecter à répétition les mains, à porter un masque quand ils travaillent, à se faire vacciner, et vont parfois jusqu’à leur interdire d’entrer sur les lieux de travail, le tout sous prétexte de protéger la santé de tous contre le virus. Nous pouvons nous demander comment nous avons pu en arriver à ce qui semble être, à première vue, un renversement complet et une réforme morale des employeurs.


Commençons en examinant quels peuvent être les facteurs qui ont pu mener à une réelle amélioration de la santé et de la sécurité du travail, des conditions de vie et de la liberté des travailleurs, si nous faisons la comparaison au premier siècle ayant suivi l’industrialisation des sociétés occidentales. Il serait malhonnête d’interpréter les améliorations obtenues quant aux conditions de travail à partir des contraintes sanitaires que les employeurs se plaisent à imposer maintenant aux travailleurs, de leur propre initiative ou à la demande des autorités politiques et sanitaires. Les luttes menées par les mouvements syndicaux ont certainement permis d’obtenir des améliorations notables dans les conditions de travail, et plus particulièrement quant à la santé et à la sécurité des travailleurs, qu’ils soient syndiqués ou non. Les États occidentaux ont réglementé les conditions de travail et ont créé des organismes publics chargés de faire appliquer cette réglementation. Les travailleurs malades ou blessés à cause de leur travail peuvent bénéficier de prestations d’aide financière, auxquelles doivent participer dans une certaine mesure les employeurs. En cas de graves accidents, il est même possible pour les travailleurs blessés ou rendus malades par leur travail de poursuivre en justice les employeurs négligents et responsables de ces blessures et de ces maladies, même si leurs chances d’obtenir un verdict favorable est considérablement réduit par le fait qu’ils ont moins d’argent que leurs employeurs pour payer de bons avocats, et que le risque de se ruiner en se lançant dans de longs procès est bien réel.

Mais il est douteux que les politiciens occidentaux et les propriétaires des grandes entreprises aient consenti à ces améliorations par simple altruisme envers les masses laborieuses, qu’ils considéraient et continuent de considérer, non sans raison, comme appartenant à une classe sociale distincte de la leur. Il faut nous rappeler les peurs provoquées par la révolution russe chez les « élites » politiques et économiques des pays occidentaux. Ils usèrent donc de la carotte et du bâton pour éviter que les masses laborieuses, séduites par le communisme, ne fassent des troubles et s’essaient même à faire une révolution. C’est pourquoi certains gouvernements mirent sous haute surveillance les militants communistes (ou socialistes et anarchistes, c’est c’était pour ces gouvernements à peu près la même chose) et furent à l’origine de graves répressions, comme aux États-Unis, pendant les épisodes de la Peur rouge. Mais, dans le contexte plus général de la Guerre froide, une amélioration modérée des conditions de travail (suffisante pour obtenir un certain confort) et une certaine prise en compte de la santé et de la sécurité des travailleurs pouvaient aussi bien détourner la majorité des masses laborieuses de la séduction du communisme, la répression étant alors surtout utilisée quand les travailleurs ne se contentaient pas de ce qu’on daignait leur accorder et se révoltaient.

Un autre facteur ayant contribué à la mise en place de mesures visant à protéger la santé et la sécurité des travailleurs, c’est la mobilisation de toutes les forces laborieuses dans la guerre contre l’Allemagne nazie et contre le Japon impérial. Dans les pays qui n’ont pas été occupés par l’armée allemande, comme l’Angleterre, les États-Unis et le Canada, l’effort de guerre exigeait que les usines, surtout d’armement et de nourriture, fonctionnent à plein régime, alors qu’une partie plus ou moins importante des forces productives avaient été intégrées aux armées de ces pays. Dans ce contexte, des travailleurs blessés ou malades à cause de leur travail étaient des forces productives perdues pour l’effort de guerre et pour l’industrie très profitable de la guerre (qui ne se réduit pas à l’industrie de l’armement). S’il est vrai que les gouvernements et les industriels avaient intérêt à ce que les travailleurs ne soient pas exposés inutilement à des risques pour leur santé et leur sécurité, le rythme de travail et le temps de travail exigés des ouvriers pouvaient certainement nuire à leur santé et à leur sécurité, surtout quand le pays était directement sous la menace de l’armée allemande, comme c’était le cas en Angleterre. Je doute toutefois que les ouvriers anglais ne se soient retrouvés dans une situation comparable à celle des travailleurs russes, par exemple pendant le siège de Leningrad par les Allemands. Il est aussi important de noter que la santé et la sécurité des travailleurs étaient aussi l’affaire des travailleurs eux-mêmes, qu’il s’agisse de protéger les autres ou de se protéger eux-mêmes. C’est pourquoi la mobilisation des travailleurs se faisaient aussi par des tentatives de modifier leurs comportements, dans le cadre d’une discipline laborieuse semblable à la discipline militaire. Ces quelques affiches de propagande de la deuxième guerre mondiale en témoignent.

(De nombreuses affiches de propagande à propos de la sécurité et de la santé en temps de guerre sont disponibles sur Wikimedia Commons. Il serait intéressant de les comparer de manière systématique avec les affiches de propagande utilisée depuis le début de la « pandémie », dans les milieux de travail et ailleurs.)

Enfin faisons remarquer qu’une partie de la diminution des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs est due à une transformation du travail. Le nombre de travailleurs qui exécutent des tâches dangereuses et exigeantes physiquement a diminué. Ce travail est de plus en plus fait par des machines qui ont de moins en moins besoin d’opérateurs, dont les conditions de travail sont généralement moins difficiles que celles des ouvriers du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Sans compter que les usines où le travail est le plus pénible ont été souvent relocalisées en dehors des pays occidentaux, par exemple en Asie, et qu’on importe de la main-d’œuvre étrangère à bon marché pour faire le travail le plus pénible qui reste.

Ainsi beaucoup d’Occidentaux travaillent dans des bureaux ou dans le secteur des services, où les risques pour la santé et la sécurité sont bien moindres que dans les anciennes usines.


Malgré la dissolution de l’URSS, la fin de la guerre froide et la disparition de la menace communiste et de la concurrence idéologique pour les pays capitalistes, malgré le fait que la guerre contre l’Allemagne était terminée depuis longtemps à ce moment et que les pays occidentaux n’étaient pas encore engagés à ce moment dans une nouvelle guerre froide ou même tiède contre la Russie, la Chine et leurs alliés (dont on craint maintenant qu’elle pourrait aboutir bientôt à une guerre chaude), malgré le fait que les tâches et les milieux de travail sont généralement beaucoup moins dangereux ou mauvais pour la santé en Occident qu’ils pouvaient l’être il y a 50, 75 ou 100 ans, malgré le fait que les associations syndicales se sont généralement affaiblies et peuvent de moins en moins compter sur l’implication et l’envie de lutter de leurs membres, l’importance accordée à la santé et à la sécurité au travail n’a pas diminué. Au contraire elle a augmenté. Ce phénomène, qui me semble avoir commencé au cours des années 1990, s’est intensifié à partir des années 2000. Nous devons nous demander pourquoi, étant donné que le travail lui-même est en général moins nuisible pour la santé et la sécurité des travailleurs, que les associations syndicales sont plus faibles, et que les gouvernements et les employeurs occidentaux ont perdu leurs principales motivations (l’effort de guerre contre l’Allemagne nazie et la séduction du communisme dans un contexte guerre froide contre l’URSS) pour se soucier des conditions de travail des employés occidentaux, et plus particulièrement de la santé et de la sécurité au travail.

Donnons quelques exemples du renforcement du souci de la santé et de la sécurité au travail au cours des dernières décennies, puis essayons de voir dans quel contexte ils s’inscrivent.

À une époque que je n’ai pas connue moi-même, les professeurs pouvaient fumer dans leurs bureaux. Un beau jour, sous prétexte de protéger leur santé et celle des jeunes – auxquels il ne fallait pas donner un mauvais exemple –, on a décidé d’interdire le « tabagisme » à l’intérieur des établissements d’enseignements, qu’il s’agisse d’écoles primaires ou secondaires, de collèges ou d’universités. S’ils voulaient fumer, ils devaient dorénavant aller à l’extérieur. Puis une loi provinciale adoptée en 2005 a interdit aux professeurs et aux étudiants de fumer à moins de neuf mètres des portes des pavillons. Enfin certains établissements vont jusqu’à imposer l’interdiction de fumer même à l’extérieur sur tout le campus, comme l’a décidé la directrice des ressources humaines du Cégep Garneau en 2017.

Ensuite, des programmes de santé au travail sont apparus depuis le début des années 2000, lesquels relèvent parfois d’organismes financés par l’État, comme c’est le cas du Groupe entreprises en santé, dont l’objectif est de « promouvoir la santé en convainquant les milieux de travail de la valeur et de la rentabilité des programmes en santé/mieux-être tout en réduisant les dépenses tant publiques que privées en soins ». Cela peut prendre la forme de formations et d’activités offertes aux employés visant à encourager l’adoption de bonnes habitudes alimentaires, à les sensibiliser contre les méfaits du tabagisme, de l’alcool et des drogues, à veiller à leur santé psychologique, à les soutenir en période de crise, à leur donner des trucs pour intégrer l’activité physique à leur vie professionnelle et privée, etc.

Puis des employeurs ont mis en place des cliniques de vaccination contre la grippe saisonnière plusieurs années avant l’arrivée du virus. C’est le cas de plusieurs ministères provinciaux, qui incitent fortement leurs employés à se faire vacciner au bureau, en faisant appel aux services d’une firme privée pour procéder à la vaccination. Les coûts sont défrayés en partie ou en totalité par l’employeur, qui y voit un investissement rentable en ce que l’immunisation de leurs employés permettrait, pense-t-on, de réduire de manière considérable le nombre et la fréquence des absences dues à la grippe pendant l’hiver, et le risque de contagion au sein des ressources humaines occupant les lieux de travail. Ces programmes de vaccination dans les milieux de travail sont apparus plusieurs années avant l’arrivée du virus et la déclaration de l’état d’urgence sanitaire en 2020.

Enfin, sans être en mesure de vérifier si c’est répandu, j’ai remarqué l’apparition (avant l’arrivée du virus) d’une tendance selon laquelle les employés légèrement malades ou indisposés, par exemple à cause d’un simple rhume, sont invités à rester à la maison pour ne pas infecter leurs collègues et les clients, et ce, même s’ils ne peuvent pas travailler à la maison et même s’ils ne disposent que de quelques rares congés de maladie payés qu’ils pourraient vouloir utiliser quand ils sont vraiment malades. Quand j’ai commencé à travailler, à la fin des années 1990, il était au contraire bien vu de se présenter au travail malgré un rhume et une grippe, afin de ne pas prendre de retard dans le travail à faire, de ne pas accroître la charge de travail de ses collègues et de montrer à son employeur qu’on est « vaillant » et qu’on n’est pas « douillet ».

Essayons maintenant de dégager des points communs à partir de ces exemples, en faisant ensuite des liens avec le contexte dans lequel ils s’inscrivent.

Premièrement, il ne s’agit pas de procurer aux employés des milieux de travail sécuritaires. Étant donné la transformation du travail des dernières décennies qui a eu pour effet que beaucoup exécutent des tâches qui ne sont absolument pas dangereuses (travail sur un ordinateur) et travaillent à des endroits où les risques d’accidents sont très réduits (dans des édifices à bureau ou des boutiques), les milieux de travail sont déjà très sécuritaires et ne constituent généralement pas une menace directe pour la santé des employés. Les nouvelles mesures prises pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs (et aussi des clients) n’ont plus pour objet les lieux de travail et le travail effectué L’objet de ces nouvelles mesures, ce sont les travailleurs eux-mêmes, ou du moins certains de leurs comportements et habitudes de vie qu’on s’efforce de modifier parce qu’ils constitueraient une menace pour leur santé et leur sécurité et celles des autres, et contribueraient à rendre moins sécuritaires les milieux de travail.

Deuxièmement, les mesures prises par les employeurs pour assurer la santé et la sécurité ne concernent pas des comportements directement liés au travail des employés, mais visent des habitudes de vie et des décisions qui dépassent le cadre du travail et qu’on juge nuisibles, pour soi-même, pour les autres et pour l’entreprise, comme le fait de fumer, de boire de l’alcool, d’être sédentaire, de ne pas se faire vacciner contre la grippe saisonnière et de ne pas rester à la maison quand on a un rhume. Ce qui constitue une forme d’interventionnisme sanitaire et sécuritaire de la part des employeurs et aussi du gouvernement, dans la mesure où celui-ci accepte, recommande, finance ou exige ce contrôle accru des actions des individus et l’ingérence des employeurs dans la vie des individus qui en résulte. Sous couvert de santé et de sécurité, le pouvoir des employeurs sur les individus s’étend bien au-delà des tâches à réaliser, des résultats à obtenir et même de ce qui se passe dans les milieux de travail. L’employé dont on veut obtenir qu’il abandonne le tabagisme, qu’il arrête de boire, qu’il fasse de l’activité physique ou qu’il reçoive le vaccin contre la grippe saisonnière doit effectuer des changements qui débordent sa prestation de travail et qui impliquent des comportements et des effets qui ne se limitent pas au travail à faire et qui doivent se faire sentir jusque dans sa vie privée. C’est pourquoi il devient encore plus la chose de son employeur et du gouvernement qui appuie ou impose ces mesures sanitaires et sécuritaires.

Remarquons maintenant l’importante diminution du pouvoir d’achat et l’aggravation de la précarité économique pour les travailleurs occidentaux, surtout à partir des années 1990, ce qui coïncide à peu près avec la disparition du principal rival idéologique du capitalisme occidental, qui a été interprété par les idéologues, les gouvernements et les « élites » économiques comme une victoire décisive, voire définitive, du capitalisme sur le communisme, et du « libéralisme » économique sur l’économie dirigée par l’État. Forts de la disparition de ce rival – dont l’existence justifiait qu’on ménage un peu les travailleurs occidentaux pour leur montrer qu’il vaut mieux vivre dans l’Occident capitaliste que dans la Russie communiste –, les gouvernements, les grandes entreprises et les banques entreprirent d’un commun accord d’exploiter encore plus ces travailleurs en ne prenant pas des mesures pour que les salaires augmentent à la même vitesse que le coût de la vie, en leur imposant de nouvelles taxes et de nouveaux impôts, en augmentant les frais de scolarité sans ajuster en conséquence les programmes de prêts et bourses, en les obligeant ou incitant à s’endetter davantage, en dégradant le filet social, en favorisant la relocalisation de nombreux emplois dans d’autres pays où la réglementation du travail est plus favorable aux entreprises, en adoptant des politiques économiques et commerciales ayant pour effet la disparation des petits entrepreneurs et la généralisation du travail salarié et de la condition d’employé, de revoir la réglementation du travail à l’avantage des employeurs et au désavantage des employés, etc.

Alors que d’un côté le copinage des grandes entreprises avec les gouvernements occidentaux a accéléré la paupérisation de la classe moyenne et aggravé la domination des grandes entreprises sur les masses laborieuses, de l’autre ils maintiennent et renforcent même les mesures de santé et de sécurité dont les travailleurs sont la cible, au travail et en dehors du travail. Ce qui a la double avantage de donner l’impression aux travailleurs qu’on se soucie de leur bien-être alors qu’en fait on les appauvrit et les asservit ; et d’accroître l’emprise qu’on a sur eux grâce à l’expansion et à l’intensification de la discipline laborieuse, dans laquelle s’inscrivent les nouvelles mesures de santé et de sécurité dont les travailleurs sont l’objet, et qui en vient à s’appliquer à la quasi-totalité de la population, qu’il s’agit de traiter de plus en plus comme des sujets, et de moins en moins comme des citoyens autonomes devant prendre en charge leur existence et jouer un rôle actif dans les affaires politiques.

Bref, le renforcement des mesures de santé et de sécurité dont les travailleurs sont la cible constitue un puissant instrument de domination pour les « élites » politiques et économiques et, dans la guerre qui est menée contre les citoyens et les travailleurs salariés, sert à faire diversion en dissimulant ou en atténuant ces rapports très antagonistes aux yeux des masses laborieuses de plus en plus pauvres et asservies.


Et voilà qu’en 2020 le virus fait son entrée sur scène. L’état d’urgence sanitaire est déclaré, suivi de son long cortège de mesures sanitaires et sécuritaires temporaires, changeantes, incohérentes ou appelées à devenir permanentes.

Avec les périodes de confinement plus ou moins radical, c’est la transformation de la santé et de la sécurité qui se poursuit, pour prendre encore plus pour objet les travailleurs, qui deviennent la principale menace pour la santé et la sécurité. S’il est vrai qu’on prétendait protéger la santé et la sécurité des travailleurs en allant jusqu’à fermer tous les commerces et toutes les entreprises jugés non essentiels, ce n’est pas contre un danger qui existerait indépendamment d’eux, mais contre un mal qui est en eux et dont ils seraient les porteurs et les propagateurs. À une époque déjà lointaine, c’est-à-dire bien avant l’arrivée du virus et aussi la période préparatoire à son arrivée, quand les ouvriers étaient exploités cruellement par les industriels du XIXe siècle et du début du XXe siècle, l’augmentation des salaires des ouvriers, l’augmentation de leur pouvoir d’achat, leur sécurité économique et l’amélioration de la santé et de la sécurité au travail marchaient main dans la main. Elles étaient les objectifs d’une même lutte du mouvement ouvrier contre les exploiteurs. Maintenant le prétendu souci des « élites » politiques et économiques pour la santé et la sécurité des travailleurs devient un instrument de la précarité, de l’appauvrissement, de l’exploitation et de l’asservissement des masses laborieuses, lesquels servent en retour à dégrader, voire à anéantir, la santé et la sécurité des travailleurs qu’on prétend protéger.

Car qu’est-ce qu’ont fait les périodes de confinement et les plans de relance économique, aussi peu judicieux les uns que les autres, sinon priver une partie importante des travailleurs de leurs revenus, sinon mettre en péril la rentabilité de nombreuses petites et moyens entreprises et provoquer parfois leur fermeture ou leur faillite, sinon affaiblir les chaînes d’approvisionnement, sinon dévaster certains secteurs de l’économie, sinon faire faire des déficits records aux États occidentaux et accroître dramatiquement leur dette et préparer le terrain à des politiques d’austérité radicales, sinon enrichir démesurément les grandes entreprises supranationales (le commerce et le divertissement en ligne, l’industrie pharmaceutique, l’industrie informatique, etc.), sinon provoquer une accélération de l’inflation et provoquer une grave crise économique ?

Car qu’est-ce qu’a fait cette destruction concertée de l’économie, sinon dégrader les conditions de vie des masses laborieuses et leur rendre de plus en plus difficile de subvenir à leurs besoins de base, sinon mettre en péril le financement public du réseau hospitalier et de la recherche dans les sciences de la santé, sinon amplifier l’ingérence de l’industrie pharmaceutique (dont les profits passent avant la santé des utilisateurs de leurs produits) par des partenariats publics-privés dans les hôpitaux, les universités et les centres de recherche médicale, sinon enrichir les marchands de vaccins et les fournisseurs privés de services en santé ?

Car qu’est-ce qu’a fait ce souci ostentatoire des « élites » politiques et économiques pour la santé et la sécurité des masses laborieuses, sinon accroître la pauvreté qui est très défavorable à leur santé, sinon leur imposer un mode de vie favorable la sédentarité, à l’isolement social, aux troubles psychologiques et à la consommation excessive d’alcool et de drogues parfois fortes, sinon contribuer à la mise en place de conditions favorables aux suicides, sinon aggraver la saturation de certains hôpitaux pendant l’hiver en isolant préventivement des travailleurs de la santé qui n’ont pas de symptômes, qui ne sont pas malades, mais qui mettraient en danger la santé et la sécurité des patients et de leurs collègues, sinon provoquer un report des examens médicaux, des traitements et des chirurgies, sinon profiter de la menace exagérée du virus et mettre les masses laborieuses dans une situation de précarité économique et sanitaire pour les dresser en les soumettant à toutes sortes de règles pointilleuses, changeantes, incohérentes, absurdes et abusives (désinfection compulsive des mains, distanciation sociale, port du masque, traçage des contacts, isolement préventif même en l’absence de symptômes et d’un test positifs) devant procurer à tous un environnement de travail sécuritaire, sinon permettre d’obtenir leur consentement ou de les forcer à se faire injecter plusieurs doses de « vaccins » qu’on dit efficaces et sécuritaires, mais qui n’empêchent ni l’infection et la propagation du virus, ni les complications et les décès, et dont les effets secondaires sont méconnus, sous-estimés ou dissimulés en raison de la brièveté des essais cliniques et des déficiences de la pharmacovigilance, sinon étouffer la remise en question de l’efficacité présumée des confinements et des autres mesures sanitaires, ainsi que de l’efficacité et de la sécurité des « vaccins », sous prétexte que cette remise en question serait dangereuse pour la santé et la sécurité de la population et serait même criminelle ?

Résumons : les mesures servant prétendument à protéger la santé et la sécurité des travailleurs servent maintenant de prétexte pour détruire l’économie, leurs conditions de travail et de vie, leur pouvoir d’achat, leur stabilité d’emploi et les services publics (notamment de santé) dont ils bénéficient ; pour faire entrer les petits entrepreneurs et les travailleurs autonomes dans le grand troupeau des travailleurs salariés, renforcer la domination des grandes entreprises au détriment des petites et moyennes entreprises et le déséquilibre des forces entre employeurs et employés (malgré une pénurie momentanée de main-d’œuvre, sur laquelle il faudrait d’ailleurs investiguer), et réduire les travailleurs salariés au statut de chose des employeurs pouvant et devant leur imposer des obligations sanitaires et vaccinales ; pour imposer une discipline laborieuse, sanitaire et en quelque sorte militaire (après tout, nous serions en guerre contre le virus) pour contrôler et dresser ceux qui sont censés être des citoyens, mais qu’on traite de plus en plus comme des sujets et même des serfs, dans un contexte où les autorités politiques et sanitaires et les « élites » économiques mondialistes s’accaparent de nouveaux pouvoirs arbitraires et tentent de soumettre notre existence à une réglementation de plus en plus étendue, de plus en plus lourde et de plus en plus capricieuse.


La gauche et les syndicats des travailleurs sont presque toujours dépassés par les événements. Même si tous pensent être bien de leur temps, même si certains d’entre eux se disent ou se croient progressistes, ils pensent et agissent généralement comme si le combat qui oppose les masses laborieuses à leurs maîtres et à leurs exploiteurs n’avait, pour l’essentiel, presque pas changé depuis 50 ans, depuis 75 ans, depuis 100 ans, depuis 150 ans ou même depuis 200 ans. Ce qui ne manque pas de leur faire jouer un tout autre rôle que leurs prédécesseurs dans la guerre qui a actuellement lieu, et dont beaucoup d’entre eux ignorent même l’existence. Je veux dire le rôle de complices ou de collaborateurs au sein du l’ordre social, politique et économique de plus en plus autoritaire qui est en train de se mettre en place, notamment grâce à l’instrumentalisation de la santé et de la sécurité des masses laborieuses, au travail et ailleurs – laquelle s’inscrit dans un processus qui a commencé bien avant l’arrivée du virus, comme on l’a vu plus haut, et ne constitue pas une rupture ou une nouveauté, bien que ce processus se soit fortement accéléré et intensifié depuis l’arrivée du virus, la déclaration de l’état d’urgence sanitaire et l’imposition des mesures soi-disant sanitaires aux masses laborieuses.

C’est ne comprendre rien à rien que de s’indigner de la réouverture supposément hâtive des entreprises, des commerces et des bureaux (comme on l’a vu au printemps 2020, et aussi plus tard, avec moins d’intensité), sous prétexte que les méchants capitalistes (en fait, souvent de petites et de moyennes entreprises) sacrifieraient la santé et la sécurité des travailleurs, et les enverraient même à l’abattoir, pour pouvoir recommencer à s’enrichir. C’est ne rien comprendre non plus que d’en faire autant à propos de la réouverture des écoles et de la reprise des cours « en présentiel », en réclamant la prolongation du « télé-enseignement » et le renforcement de la réglementation sanitaire afin de protéger le corps enseignant, que l’administration scolaire et le ministère de l’Éducation traiteraient avec aussi peu d’égards que les employés dans les entreprises privées.

Penser ainsi, c’est ne pas comprendre que les travailleurs ne sont nullement les bénéficiaires de ce souci exacerbé de la santé et de la sécurité au travail, mais sont plutôt le danger – en tant que porteurs potentiels, symptomatiques ou asymptomatiques, du virus qui n’a pas d’existence autonome – pour la santé et la sécurité au travail qu’il s’agirait de combattre, et sont donc l’objet que les mesures dites sanitaires doivent façonner. C’est ne pas comprendre que ces mesures dites sanitaires qu’on réclame ou qu’on veut maintenir dans certains milieux de travail constituent un renforcement et une expansion de la discipline laborieuse imposée aux travailleurs salariés, en ce qu’elle n’a plus rien à voir avec ce que sont les tâches à réaliser et le milieu de travail où elles sont réalisées, à un point tel que l’obligation vaccinale a été imposée à des travailleurs qui sont presque toujours seuls (les camionneurs et les facteurs) ou qui peuvent souvent faire leur travail à distance en restant à la maison (les fonctionnaires fédéraux), comme ça a été le cas des fonctionnaires fédéraux depuis mars 2020. C’est ne pas comprendre que cette discipline renforcée et expansionniste accroît la domination des employeurs, des autorités politiques et sanitaires et des « élites » économiques qu’elles servent sur les travailleurs. C’est ne pas comprendre que cette discipline, si elle est permanente ou récurrente, est capable de nous priver du désir des droits et des libertés dont elle nous prive, et donc de nous transformer en serfs des maîtres qui nous l’impose. Ce n’est pas comprendre que les bons sentiments affichés par nos maîtres dissimulent ou excusent leur possessivité à notre égard, et sont à l’origine d’une servitude particulièrement étouffante, à laquelle il est très difficile de nous soustraire, justement en raison de ces bons sentiments ostentatoires et attentatoires à nos droits et à nos libertés. Ce n’est pas comprendre qu’alors que nos maîtres nous imposent des sanctions économiques dévastatrices sous prétexte de châtier la Russie, emploient les fonds publics pour (dit-on) soutenir l’Ukraine, semblent bien décidés à nous entraîner dans un conflit économique et militaire encore plus chaud, que cette discipline sanitaire leur sera encore plus utile pour nous garder dans l’obéissance malgré la pauvreté grandissante et, pour certains, la misère. Enfin, ce n’est pas comprendre que la guerre qu’on dit mener contre le virus et pour s’opposer aux visées expansionnistes russes, c’est en fait contre nous tous qu’on la mène.

Nous ne perdons vraisemblablement rien pour attendre, malgré une certaine accalmie sanitaire. Accepter avec docilité les effets néfastes de la guerre d’attrition que l’Occident mène contre la Russie, ainsi que le maintien ou le retour probable des mesures dites sanitaires devant protéger les masses laborieuses auxquelles nous appartenons, ce serait littéralement creuser notre propre tombe, ou plutôt les oubliettes où nos maîtres nous emprisonneront.