Infantilisation généralisée

Nos autorités politiques et sanitaires nous traitent comme des enfants. Depuis presque un an, elles décident à notre place ce qui est bon pour nous, individuellement et collectivement. Elles nous disent ce qu’il faut faire, ce qu’il faut penser et ce qu’il faut sentir. Nous serions trop bêtes, trop attardés pour en juger nous-mêmes. Elles nous donnent des consignes sur tous les aspects de notre vie et sur les moindres de nos actions, en allant souvent dans le menu détail. Pour ajouter l’insulte à l’injure, le ton sur lequel elles nous parlent n’est pas un ton qu’on emploie avec des égaux ou entre adultes. Je parle de ce ton de grande personne qui essaie d’expliquer à des enfants des choses qu’elle croit trop complexes pour leur compréhension, mais qui cherche surtout à les convaincre d’être gentils et de faire ce qu’elle leur demande. Je pense aussi à ce ton de maman ou de papa sur le point de se mettre en colère quand lesdits enfants ne sont pas sages et dociles. Et si ces enfants sont alors récalcitrants, papa ou maman annule telle activité qu’ils aiment, il les empêche de voir leurs amis, il les envoie en punition dans leur chambre ou il les met à l’amende en les privant de leur allocation.

Pourtant, il y a de cela quelques décennies, on ne traitait pas les adultes de cette manière. Il aurait été inenvisageable de les traiter comme des enfants. Il aurait aussi été, à cette époque, inenvisageable de traiter les enfants comme on traite actuellement les enfants et, dans une certaine mesure, comme on traite actuellement les adultes.

 

Souvenirs d’enfance

Mes souvenirs d’enfance doivent diverger grandement de ceux de mes lecteurs qui ont moins de 30 ans ou de 25 ans, surtout s’ils ont grandi en ville et dans un milieu aisé ou bourgeois. Quant à l’éducation que reçoivent les enfants actuellement, elle a bien peu de chose avec celle que j’ai reçue : c’est une autre époque et un autre monde.

L’enfance dont il s’agit est celle d’un garçon qui habitait dans un village dans les années 1980. Je crois avoir reçu une éducation en partie semblable à celle de la génération de mes parents, les changements dans les mœurs, bons ou mauvais, prenant toujours plus de temps à se produire à la campagne. Je signale aussi que l’éducation qu’a reçue ma sœur diffère en plusieurs points de la mienne, et que ce que je dis de moi et de mes amis ne s’appliquent pas à elle et à ses amies. Mes parents me laissaient prendre des risques qu’ils ne laissaient pas prendre à ma sœur, tout simplement parce que cela faisait partie, à cette époque et dans ce milieu, de l’éducation normale d’un garçon. Mais on aurait tort de croire que les garçons étaient simplement avantagés : j’ai payé chèrement ces libertés par le travail forestier, parfois pénible, qu’on a commencé à m’imposer avant dix ans et ce, jusqu’à ce que je quitte la maison familiale pour commencer des études collégiales en ville. Alors que je passais des journées et des soirées à transporter et à corder du bois de chauffage (c’était le plus facile), et plus tard à tirer de billots qui devaient faire deux ou trois fois mon poids, ma sœur gambadait et jouait librement avec ses amies. Mais je ne veux pas m’attarder sur les avantages et les désavantages respectifs de l’éducation que recevaient les garçons et les filles dans le milieu où j’ai grandi. Ce n’est pas ce qui m’intéresse ici.

J’énumère quelques-uns de mes souvenirs d’enfance pour faire contraste avec l’éducation qu’on donne maintenant aux enfants.

  1. Il était inenvisageable, quand nous faisions du vélo, de porter un casque.

  2. À partir de l’âge de dix ans, je pouvais jouer après le coucher du soleil avec les autres gamins du village, et sans la moindre supervision parentale. Nos parents ne savaient même pas où nous étions exactement. La seule obligation que j’avais, c’était d’être revenu à la maison à l’heure convenue (à 9 h ou à 9 h 30), ou d’être à l’endroit convenu quand mon père ou ma mère venait me chercher en voiture.

  3. À partir de huit ou neuf ans, je pouvais me baigner dans la piscine avec ma sœur, mes amis et mes cousins et cousines, sans être surveillé par mes parents, et évidemment sans porter de « flotteurs ».

  4. À l’âge de dix ans, on m’a appris à conduire le « quatre roues » que je pouvais prendre pour me promener dans les champs, parfois y en attachant un petit « trailer » où montaient ma sœur et mes cousins et cousines. L’objectif était de les secouer le plus possible.

  5. Même chose pour la motoneige, avec bien entendu le « trailer » en moins.

  6. Toujours au même âge, je pouvais aller en chaloupe sur un grand lac, seul ou avec ma sœur, qui a deux ans de moins que moi.

  7. Je pouvais aussi me promener seul dans les bois, où tous savaient qu’il y avait des coyotes et, plus rarement, des ours.

  8. Quand j’étais en vacances chez une de mes tantes, à l’âge de onze ans, je pouvais faire de l’équitation seul dans les prés. L’étalon, sans être particulièrement fringant, n’avait pas été dressé pour aller au pas. Ce n’était tout de même pas pour une promenade de ce genre qu’on le sortait de l’écurie. Je n’étais pas bon cavalier et la bête le sentait bien. Quand elle allait au galop, c’était elle qui me dirigeait, et non le contraire. J’ai même fait une chute, sans me blesser, à part quelques contusions. Ma tante, loin de m’interdire de faire de l’équitation, m’a simplement donné quelques trucs pour mieux le diriger et pour rester en selle quand le cheval galopait. Après quelques semaines, je suis devenu un cavalier passable.

  9. Pour mon anniversaire de douze ans, on m’a donné une carabine de petit calibre (.22) et un couteau de chasse. On m’a appris à tirer à la cible. La carabine et le couteau étaient rangés dans ma chambre. Les balles étaient dans la chambre de mes parents, mais ils ne se donnaient même pas la peine de les cacher. C’était une manière de me montrer que j’étais en train de devenir une grande personne et qu’on pouvait me faire confiance. Quelques mois plus tard, quand je savais tirer assez bien, je chassais la perdrix avec mon père.

  10. Avant d’avoir quatorze ans, j’ai appris à manier de plus gros calibres et à tirer des pigeons d’argile. Je pratiquais aussi librement le tir à l’arc et à l’arbalète, à une cinquantaine de mètres derrière la maison.

Et ce n’est rien en comparaison de ce que la génération de mes parents – précisément celle qu’il faudrait protéger du Virus en arrêtant de vivre et qui parfois moralise les plus jeunes quand ils ne prennent pas toutes les précautions imaginables au nom de leur sécurité – pouvait faire. À la fin des années 1950, quand l’électricité est enfin arrivée dans le petit village où je suis né, mes oncles ont trafiqué les lignes électriques pour avoir de la lumière dans leur cabane dans les arbres, avec le matériel et les instructions sommaires que leur avaient donnés les monteurs de lignes qui logeaient chez ma grand-mère. Tout ça sans se cacher de mes grands-parents, qui voyaient même d’un bon œil ce bricolage électrique fait directement à partir des lignes électriques.

 

Supervision parentale et surprotection des enfants

Mais cette époque est révolue. Même si je suis assez âgé pour en avoir connu la fin, il m’arrive presque de douter de sa réalité historique et de me demander s’il ne s’agit pas là d’une légende, fruit des exagérations qui se sont accumulées au fil des années. Chose certaine, des parents qui accorderaient maintenant toutes ces libertés à leurs enfants finiraient par s’attirer tôt ou tard des ennuis. On les accuserait de négligence. Et si un enfant se blessait gravement ou mourait des suites de cette négligence, ces parents s’exposeraient à être poursuivis en justice. Mais cela ne risque guère d’arriver : ils ont été si bien dressés à être de bons parents, qu’il leur est inconcevable d’accorder de telles libertés à leurs enfants. Il y a même certaines de ces libertés qu’ils ne s’accorderaient pas à eux-mêmes, même en prenant des précautions.

Voici ce qu’on entend souvent par être un bon parent : surveiller constamment ses enfants et les accompagner dans presque toutes leurs activités, sauf quand d’autres adultes sont déjà là pour les superviser. Ce qui peut prendre diverses formes, quand on regarde autour de soi.

  1. Il est assez rare de voir des enfants faire une promenade ou du vélo sans être accompagnés par leurs parents, même dans les quartiers où les risques d’accident, d’agression et d’enlèvement sont à peu près inexistants. Toute la famille porte un casque, et parfois les enfants portent des genouillères et des coudières. Quand un enfant prend de l’avance ou traîne derrière, il se fait rappeler à l’ordre par ses parents. Qui sait ce qui pourrait arriver s’il s’éloignait trop, surtout à proximité d’une intersection ?

  2. Les enfants jouent rarement entre eux, dans les ruelles ou dans les cours. Le plus souvent ils vont au parc avec leurs parents, qui les surveillent étroitement, avec les parents des autres enfants, quand les enfants des différentes familles se mêlent. Ou bien ils sont enfermés à l’intérieur de la maison ou dans la petite cour clôturée qui se trouve à l’arrière.

  3. Des parents ne laissent pas leurs enfants prendre l’autobus pour aller à l’école ou s’y rendre à pied. Ils les y accompagnent, en voiture ou à pied. Ou ils attendent l’autobus avec eux.

  4. Certains parents, quand leurs enfants pratiquent un sport d’équipe, ne se contentent pas d’aller les reconduire à l’aréna ou au terrain de soccer, pour revenir les prendre quelques heures plus tard. Ils restent sur place pour soutenir moralement leurs enfants, pour les surveiller et pour surveiller les adultes qui les surveillent.

  5. J’ai déjà vu des parents, quand ils visitent des amis avec leur bambin, exiger qu’on déplace la table du salon qui a des coins à leur avis trop pointus et dangereux. Ou exiger qu’on mette le chien dehors ou qu’on l’enferme dans le sous-sol. Ou exiger qu’on ne laisse pas à porter du bambin des câbles d’alimentation qu’il pourrait mordiller et avec lesquels il pourrait s’électrocuter. Ou, pour ne pas imposer toutes ces exigences à leurs amis, apporter avec eux un parc qu’ils montent dans le salon, pour y parquer leur bambin.

  6. D’autres parents infligent à leurs enfants des consultations régulières auprès de spécialistes de toutes sortes (parfois à l’instigation des pédagogues) pour corriger des anomalies physiques, intellectuelles et comportementales dont on craint qu’elles aient de graves conséquences et qui, on ne saurait en douter, n’ont rien à avoir avec l’éducation que ces enfants reçoivent.

Des enfants élevés de cette manière – il s’agit bien d’élevage et pas d’éducation – ne peuvent certainement pas développer pleinement leurs capacités intellectuelles et physiques, sans parler de leur développement moral. Comment sauraient-ils apprendre à évaluer correctement le danger et prendre des risques intelligemment ? Et sans cette capacité, comment seraient-ils vraiment autonomes, et ne resteraient-ils dans la dépendance de leurs parents jusqu’à un âge avancé, pour ensuite être dans la dépendance des autorités qui se substituent progressivement à eux et qui prennent en charge leur vie d’adulte ?

 

Transposition sur les adultes

Nos bureaucraties sanitaires, où travaillent des milliers de fonctionnaires, traitaient les adultes comme des enfants bien avant l’arrivée du virus. Cela a certainement l’avantage de donner du boulot à ces fonctionnaires et de leur donner l’impression qu’ils s’investissent dans une importante mission sociale. Tant de choses dont non seulement nous pourrions nous passer, mais que nous devrions aussi catégoriquement refuser, si du moins nous avions un peu de fierté. Nous sommes des adultes et nous devrions pouvoir décider librement de ce qui est bon pour nous, et assumer les conséquences de nos décisions individuelles et collectives, sans être exposés à des campagnes de sensibilisation devant nous apprendre quels comportements sont mauvais pour nous et nous dicter les comportements à adopter.

Mais ces bureaucrates sont d’un autre avis. Leur mission consiste non seulement à conseiller les autorités politiques qui auront à légiférer, mais aussi à sensibiliser et à moraliser la population pour essayer de lui faire changer ses habitudes, sous prétexte de veiller à sa propre santé et à celle des autres. Leur champ d’action comprend les domaines des règles d’hygiène, de la bonne alimentation, de l’activité physique, des saines habitudes de vie et de la lutte contre le tabagisme, l’alcoolisme et la consommation d’autres drogues. Par exemple, les organismes gouvernementaux impliqués :

  1. publient des guides alimentaires destinés aux adultes pour leur apprendre ou leur rappeler qu’il est important de manger suffisamment de fruits et de légumes pour rester en bonne santé ;

  2. informent sur les circonstances dans lesquelles il est recommandé de se laver les mains et la manière de le faire, indépendamment de tout contexte de pandémie ;

  3. financent des programmes d’activité physique pour promouvoir un mode de vie sain auprès des adultes ;

  4. formulent des indications pour jouer en sécurité – c’est-à-dire ne pas oublier de s’étirer avant de faire du sport et de boire de l’eau en en faisant – et sur la manière de bien ajuster son casque de vélo ;

  5. sensibilisent aux graves problèmes de santé et aux accidents de voiture pouvant résulter de la « consommation excessive d’alcool de courte durée » et de la « consommation problématique d’alcool de longue durée » ;

  6. sensibilisent aussi aux maladies liées au tabagisme et à la fumée secondaire et publient des guides pour devenir un non-fumeur exemplaire ;

  7. dirigent des consultations sur l’emballage des cigarettes, pour réduire leur attrait, par exemple en y faisant apparaître des photographies d’un homme atteint d’un cancer du poumon en phase terminale, d’une femme qui a subi une trachéotomie, ou un gros plan d’une tumeur cancéreuse à la bouche.

Une chose ressort de tout cela : la forte tendance de la bureaucratie sanitaire à s’ingérer dans la vie quotidienne des adultes, à vouloir régler les moindres aspects de leur vie grâce à des consignes, à des recommandations et même à des interdictions, sous prétexte de les inciter à se soucier de leur santé et de celle de leur entourage. Si bien que, dans certains pays, les fumeurs sont pratiquement persécutés par leur entourage et même des inconnus sous l’influence des campagnes de sensibilisation aux méfaits du tabagisme financées par l’État. Depuis environ 15 ans, il interdit au Québec de fumer dans les lieux publics (les restaurants et les bars) et on peut même se faire donner une amende si on fume à moins de 9 mètres de l’entrée d’un lieu public. Non seulement il faut réduire à zéro les risques de maladies liées à la fumée secondaire – même quand on est à l’extérieur –, mais aussi il ne faut pas s’adonner en public à quelque chose d’aussi répréhensible que le tabagisme. C’est donner le mauvais exemple, aux enfants et aux adultes. Il faudrait se cacher pour fumer. Mais certains propriétaires d’immeubles à logement vont même jusqu’à exiger que leurs locataires ne fument pas dans leur appartement, pour ne pas incommoder et intoxiquer les voisins ou les futurs locataires de l’appartement.

La bureaucratie sanitaire n’hésite donc pas à traiter les adultes comme des enfants, car autrement elle ne saurait justifier son existence sous cette forme, et ses fonctionnaires – des prêcheurs rémunérés par l’État pour apprendre au peuple ce qui est bon pour lui – n’auraient pas de travail à faire. Quant aux adultes, non seulement ils acceptent d’être traités comme des enfants, mais ils s’approprient cette morale sanitaire qui les privent de leur autonomie, et s’efforcent de l’imposer à leurs concitoyens plus réfractaires. C’est qu’eux aussi – comme les bureaucrates sanitaires – se sentent investis d’une noble mission morale. Alors que leur importent le sacrifice de la liberté aux normes morales et sanitaires et la régression de l’autonomie des adultes ! Non contents de suivre les consignes de ces prêtres de la Santé, ils deviennent eux-mêmes de petits prêtres qui s’efforcent d’inculquer ces normes morales et sanitaires aux grands enfants qu’ils ont pour concitoyens.

Les adultes surprotégés et dressés de cette manière sont, à différents degrés, attardés ou sous-développés intellectuellement et moralement. Comment pourraient-ils juger intelligemment du danger que représente une situation et être capables de prendre des risques de manière réfléchie et calculée ? Ce n’est donc pas à tort qu’on les considère comme de grands enfants. Seulement on prend l’effet pour la cause. Ce n’est pas parce qu’ils sont de grands enfants qu’on les traite comme de grands enfants. Ils sont de grands enfants justement parce qu’on les traite comme de grands enfants.

 

L’arrivée du Virus et le triomphe de la Santé publique

L’arrivée du Virus, on l’aura compris, est une occasion en or pour la bureaucratie sanitaire. Elle peut maintenant donner libre cours à ses tendances infantilisantes et autoritaires. Elle peut prendre en charge une partie encore plus grande de la vie des adultes. Elle peut leur refuser l’autonomie la plus élémentaire, et même la détruire à force d’obligations, d’interdictions et de campagnes de moralisation. Et elle ne semble pas avoir envie de « lâcher l’os », puisqu’elle étend et radicalise de plus en plus son emprise sur nos vies et notre société, qu’elle entend normaliser et aseptiser.

J’énumère rapidement quelques exemples du traitement infantilisant, insultant et même dégradant que nous inflige la bureaucratie sanitaire, dans nos vies et quant aux orientations données à la société. Nous n’avons pas notre mot à dire à ce sujet. Seul l’avis des autorités sanitaires – nos nouveaux parents – mérite d’être pris en compte, en plus de l’avis de tous ceux qui abondent dans le même sens.

  1. Les autorités sanitaires, qui nous prennent pour des enfants attardés, éprouvent le besoin de nous dire, étape par étape, comment nous laver les mains. Si vous n’avez jamais fait attention, ou si vous êtes cloîtrés chez vous, regardez les affiches préparées par des fonctionnaires qu’on colle dans les toilettes publiques ou dans celles des milieux de travail. Voilà qui devrait être insultant pour des enfants. Mais les adultes tolèrent ces affiches, et les considèrent même comme tout à fait utiles et pertinentes dans le contexte actuel, et peut-être de manière plus générale.

  2. Une autre affiche qu’on trouve à l’entrée de presque tous les lieux publics s’adresse à nous à la première personne du singulier : « Ici je porte mon couvre-visage ». On nous parle comme si nous étions des enfants. On croit que si ce que nous lisons n’était pas écrit à la première personne, nous ne comprendrions pas qu’il s’agit de nous. Ou on veut nous donner l’impression – par une petite ruse puérile – que cette obligation émane de nous, ou renforcer notre adhésion à elle en nous faisant prêter intérieurement une sorte de serment quand nous la lisons.

  3. Nos bureaucrates sanitaires entendent régler nos fréquentations, pour le bien de la société et notre propre bien. Ils décident si nous pouvons voir nos amis ou non et à quelles conditions. Et ils nous imposent d’être rentrés à la maison à telle heure, par crainte des actes de délinquance que nous pourrions commettre avec nos amis, à la faveur de l’obscurité.

  4. Si on nie notre autonomie pour des choses aussi simples, on n’hésitera pas à le faire pour des choses qui sont plus complexes. La Santé publique a donc décidé que la santé – quelle surprise ! – est la chose la plus importante pour nous et notre société. Pas question de nous consulter à ce sujet et de nous laisser décider ! C’est une question de santé, et seule la Santé publique serait apte à décider en cette matière, contrairement à nous, qui sommes de grands enfants qui aurions besoin d’être guidés par ces bureaucrates et ces experts, qui voudraient assurément notre bien et qui sauraient ce qui est bon pour nous, individuellement et collectivement, comme les parents qui veulent nécessairement le bien de leurs enfants, et qui savent nécessairement ce qui est bon pour eux. Être des profanes en matière de santé et être des enfants, c’est tout un.

  5. La bureaucratie sanitaire – parfois sous le couvert des autorités politiques – nous dicte ce qui est essentiel pour nous et pour la société dans laquelle nous vivons. La culture – nos bureaucrates sanitaires savent-ils même ce que peut signifier ce mot ? – ne fait certes pas partie de ce qui est essentiel. Ceux pour qui la culture est essentielle – je ne parle pas des consommateurs de « culture », mais de ceux qui participent activement à la culture – n’ont qu’à prendre leur mal en patience, à obéir à des règles qui ne peuvent que détruire leur discipline intellectuelle ou leur art, et sont même invités cavalièrement à se « recycler » dans un autre domaine. Il est bien connu que nos bureaucrates sont des philistins ou, si l’on préfère, des barbares en veston-cravate. S’ils peuvent parfois manifester un certain intérêt pour la culture, c’est surtout pour se distinguer du peuple inculte et ignorant qu’ils prétendent gouverner comme des enfants. Maudits soient les intellectuels et les artistes s’ils prétendent être plus que des fonctionnaires de la culture!

Nous avons tellement pris l’habitude d’être traités comme de grands enfants par les bureaucrates sanitaires et de leur laisser le soin de décréter ce qu’il faut pour assurer notre sécurité, que beaucoup d’entre nous sont devenus incapables d’agir de manière autonome et aussi d’évaluer le risque réel que représente le Virus, comparativement aux dangers qu’impliquent les pouvoirs presque sans bornes que les autorités politiques et sanitaires se sont accordés à elles-mêmes, notamment les troubles économiques, sociaux et politiques qui pourraient se produire bientôt. Nous nous contentons, avec une naïveté qui surpasse celle des enfants (qui sentent parfois que leurs parents et leurs éducateurs les trompent et ne veulent pas leur bien, contrairement à ce qu’ils prétendent), de supposer que ce que disent nos autorités doit être vrai, et d’agir conformément aux consignes qu’elles nous donnent. Bref, nous sommes dans la dépendance de ces autorités, ce qui devrait nous paraître honteux. Mais ce n’est pas le cas, hélas !

 

Constat

L’existence de ces autorités sanitaires, et la manière dont elles prétendent gouverner ce que nous faisons, sentons et pensons, sont incompatibles avec l’autonomie attendue des adultes que nous sommes et, par conséquent, avec des institutions démocratiques véritables, c’est-à-dire plus que formelles. Il en était ainsi avant la « pandémie », il en est ainsi pendant la « pandémie » et il en sera ainsi après la « pandémie », à supposer qu’on déclare un jour la fin de cette « pandémie », et que cette déclaration ne revienne pas à pérenniser l’état d’urgence sanitaire et les mesures qui l’accompagnent, en partie ou en totalité.

Si nous valorisons l’autonomie et la démocratie, nous ne pouvons pas tolérer l’existence de cette bureaucratie sanitaire. Il nous faut réformer la Santé publique et lui donner une forme radicalement différente. J’esquisserai bientôt les principes d’un tel projet de réforme, en espérant – sans me faire des illusions – que l’occasion se présentera tôt ou tard pour le mettre en œuvre. Cela aura à tout le moins l’avantage de nous rendre encore plus visibles les inconvénients de la bureaucratie sanitaire.