Inconstance du statut vaccinal et du champ d’application du passeport vaccinal

Je veux revenir ici sur certains des aspects de mon analyse du décret ordonnant l’implantation du passeport vaccinal afin de me concentrer sur eux et de les développer autrement, et aussi pour attirer l’attention sur des choses que je n’ai pas remarquées à la première lecture. Pour ce faire, je commencerai par le dernier alinéa, qui relativise tout ce qui est ordonné dans les alinéas précédents :

« QUE le ministre de la Santé et des Services sociaux soit habilité à ordonner toute modification ou toute précision relative aux mesures prévues par le présent décret. »

Ce qui revient à ordonner que le ministre a le droit d’ordonner, sans délai et sans formalité (voir le préambule du décret), la modification de tout ce qui a été ordonné dans les autres alinéas. Ce qui est tout sauf rassurant. Ce qui est une manière de faire savoir aux lecteurs du décret que non seulement on pourrait changer ce qu’on y ordonne, mais aussi que ça va probablement changer.

À la lumière de cette drôle de clause par laquelle le ministre se donne à lui-même carte blanche, relisons le premier alinéa qui définit ce qu’on entend par adéquatement protégée :

« QU’aux fins du présent décret, on considère « adéquatement protégée contre la COVID-19 », une personne qui, selon le cas : 

1° a reçu deux doses de l’un ou l’autre des vaccins à ARNm de Moderna ou de Pfizer-BioNTech ou du vaccin AstraZeneca/COVIDSHIELD, avec un intervalle minimal de 28 jours entre les doses et dont la dernière dose a été reçue depuis 7 jours ou plus;

2° a contracté la COVID-19 et a reçu, depuis 7 jours ou plus, une dose de l’un ou l’autre des vaccins visés au paragraphe 1° avec un intervalle minimal de 21 jours après la maladie;

3° a reçu une dose du vaccin Janssen depuis 14 jours ou plus. »

Il ne s’agit pas simplement d’être vacciné pour être adéquatement protégé, il faut être adéquatement vacciné pour être adéquatement protégé. Une expression aussi vague peut se prêter facilement à toutes sortes de modifications, par exemple la décision d’administrer une troisième dose de vaccin sous prétexte de stimuler l’immunité acquise durant la saison hivernale, ou d’administrer de nouvelles doses de vaccins prétendument plus efficaces contre de nouveaux variants très contagieux et très dangereux qui seraient résistants aux anciens vaccins.

Ce n’est donc probablement pas par hasard qu’on trouve cette remarque sur la page sur l’application VaxiCode du site du gouvernement :

« Il est important de faire les mises à jour afin d’assurer le bon fonctionnement de l’application et d’ainsi afficher le code QR le plus à jour, par exemple dans le cas d’une nouvelle dose de vaccin reçue. Les mises à jour de l’application permettront d’inclure l’évolution des recommandations de la santé publique. »

Et ce n’est probablement pas non plus pour des raisons simplement techniques qu’on trouve cette autre remarque sur la page portant sur l’application VaxiCode Vérif :

« L’application doit être mise à jour aux 14 jours afin de permettre un meilleur contrôle épidémiologique et d’assurer son bon fonctionnement.

Tous les 7 jours, l’application vérifie les mises à jour et envoie un avertissement. L’application affichera l’avertissement pendant 7 jours jusqu’à ce que la mise à jour soit réalisée. Si aucune action n’est prise, elle cessera de fonctionner au 14e jour. Il est fortement recommandé de brancher l’appareil mobile sur un réseau le plus fréquemment possible. »

Car les mises à jour des deux applications peuvent servir à autre chose qu’à faire des correctifs de sécurité et qu’à changer un peu l’interface, par exemple à « implémenter » les nouvelles recommandations quant au statut vaccinal des personnes que l’on peut considérer comme adéquatement protégées, en fonction de l’évolution de la situation sanitaire et pour permettre un meilleur contrôle épidémiologique de la population québécoise.

Autrement dit, à la suite de la modification de cet alinéa par le ministre et la mise à jour des applications, il se pourrait que VaxiCode Vérif interprète autrement, dans quelques mois, le code QR qui permet maintenant à une personne d’être considérée comme adéquatement vaccinée et protégée et de bénéficier de certains privilèges comparativement à une personne considérée comme non adéquatement vaccinée et protégée. Ainsi les personnes qui se sont dites, après avoir reçu leur deuxième dose de vaccin, que c’était une bonne chose de faite pourraient avoir à refaire une visite ou des visites dans les centres de vaccination pour ne pas perdre leurs privilèges, dans le but d’obtenir un nouveau code QR tout neuf, en raison d’une sorte d’obsolescence prévue et peut-être programmée des vaccins. Voilà qui devrait faire déchanter plusieurs d’entre eux, surtout si les effets secondaires à moyen et à long terme des vaccins sont mieux connus entre-temps, et s’il devient notoire qu’ils ne sont pas aussi efficaces que l’ont promis les départements de marketing des sociétés pharmaceutiques, les journalistes et notre gouvernement.


Passons maintenant au troisième alinéa, qui porte sur les lieux et les activités concernés par l’implantation du passeport vaccinal :

« QUE toute personne du public âgée de 13 ans ou plus soit tenue, afin de participer aux activités ou d’accéder aux lieux suivants, d’être adéquatement protégée contre la COVID-19, d’en présenter la preuve au moyen d’une pièce d’identité et du code QR qu’elle a reçu à cette fin du gouvernement du Québec et d’en permettre la vérification au moyen de l’application VaxiCode Verif :

1° à un évènement extérieur ouvert au public, auquel assistent ou participent plus de 50 personnes, à l’exception :

a) d’un évènement se déroulant dans un ciné-parc ou un autre lieu utilisé à des fins similaires;

b) d’un évènement ou d’un entraînement amateur auquel assistent un maximum de 500 personnes assises dans les gradins ou dans tout autre type d’aménagement permettant aux personnes de s’asseoir à des places déterminées;

2° à un cinéma, à une salle où sont présentés les arts de la scène, y compris un lieu de diffusion, à une production, à un tournage audiovisuel, à un spectacle intérieur et à un entraînement ou à un évènement sportif intérieur, à l’exception d’un évènement ou d’un entraînement amateur auquel assistent un maximum de 25 personnes ou un maximum de 250 personnes lorsqu’elles sont assises dans les gradins ou dans tout autre type d’aménagement permettant aux personnes de s’asseoir à des places déterminées;

3° à un biodôme, un planétarium, un insectarium, un jardin botanique, un aquarium et un jardin zoologique;

4° à un casino, à une maison de jeux ou pour participer à un bingo;

5° à un bar, à une discothèque, à une microbrasserie, à une distillerie, à un restaurant, à une aire de restauration d’un centre commercial ou d’un commerce d’alimentation, incluant les terrasses de tels lieux, sauf pour une commande à emporter ou une commande à l’auto;

6° à une arcade, à un site thématique, à un centre ou à un parc d’attraction, à un centre d’amusement, à un centre récréatif et à un parc aquatique ainsi que pour la pratique des jeux de quilles, de fléchettes, de billard ou d’autres jeux de même nature;

7° à une croisière touristique ou récréative;

8° à un congrès ou à une conférence;

9° à tout lieu public intérieur afin d’y pratiquer un sport ou une activité physique, sauf dans les cas suivants :

a) pour la pratique d’un tel sport ou d’une activité qui fait partie de l’offre des programmes de sport-études ou d’art-études et des programmes d’éducation physique et à la santé, de concentration sportive et autres projets pédagogiques particuliers de même nature dispensés dans le cadre des services éducatifs de la formation générale des jeunes ou de la formation générale aux adultes par un centre de services scolaire, une commission scolaire ou un établissement d’enseignement privé, à l’exception des compétitions sportives, des ligues et des tournois;

b) pour la pratique d’un tel sport ou d’une telle activité qui fait partie de l’offre de formation en matière de sport et de loisir dans les programmes d’enseignement de niveau collégial ou universitaire, à l’exception des compétitions sportives, des ligues et des tournois;

c) pour la pratique d’un sport professionnel ou de haut niveau qui évolue dans un environnement protégé conformément au sous-paragraphe f du paragraphe 21° du quatorzième alinéa du décret numéro 885-2021 du 23 juin 2021, modifié par les arrêtés numéros 2021-049 du 1er juillet 2021, 2021-050 du 2 juillet 2021, 2021-053 du 10 juillet 2021, 2021-055 du 30 juillet 2021, 2021-057 du 4 août 2021, 2021-058 du 13 août 2021, 2021-059 du 18 août 2021, 2021-060 du 24 août 2021 et 2021-061 du 31 août 2021;

10° à une activité physique impliquant des contacts fréquents ou prolongés ou à un sport d’équipe pratiqués à l’extérieur, sauf dans les cas suivants :

a) pour la pratique d’un tel sport ou d’une telle activité qui fait partie de l’offre des programmes de sport-études ou d’art-études et des programmes d’éducation physique et à la santé, de concentration sportive et autres projets pédagogiques particuliers de même nature dispensés dans le cadre des services éducatifs de la formation générale des jeunes ou de la formation générale aux adultes par un centre de services scolaire, une commission scolaire ou un établissement d’enseignement privé, à l’exception des compétitions sportives, des ligues et des tournois;

b) pour la pratique d’un tel sport ou d’une telle activité qui fait partie de l’offre de formation en matière de sport et de loisir dans les programmes d’enseignement de niveau collégial ou universitaire, à l’exception des compétitions sportives, des ligues et des tournois;

c) pour la pratique libre d’une telle activité ou d’un tel sport;

d) pour la pratique d’un sport professionnel ou de haut niveau qui évolue dans un environnement protégé conformément au sous-paragraphe f du paragraphe 21° du quatorzième alinéa du décret numéro 885-2021 du 23 juin 2021, tel que modifié. »

Il n’est pas question ici d’analyser cette longue liste pointilleuse de lieux et d’activités, ou de savoir si le ministre pourrait décider d’y ajouter d’autres activités jugées non essentielles. Il est certain qu’il peut le faire et il est vraisemblable qu’il le fera.

Le fait qu’on trouve dans cet alinéa cette longue liste de lieux et d’activités qu’il est convenu de considérer comme non essentiels a pour effet de détourner l’attention des lecteurs du décret de deux choses très importantes :

  • qu’on n’ordonne pas dans ce décret que le passeport vaccinal ne saurait être exigé pour des activités et des lieux essentiels (lesquels on ne définit pas, ce qui ne serait d’ailleurs pas une mince affaire) ;

  • qu’on ne précise pas que les personnes qui travaillent dans les lieux visés par le passeport vaccinal sont exemptées de faire valider une preuve de vaccination.

Je sais bien que les autorités politiques et sanitaires ont fait plusieurs déclarations publiques pour dire que le passeport vaccinal s’appliquera seulement aux activités et aux lieux dits non essentiels. Je sais aussi que c’est écrit noir sur blanc à plusieurs endroits sur le site du gouvernement dédié à la COVID-19.

Mais je sais aussi que les autorités politiques et sanitaires peuvent se rétracter quant au champ d’application du passeport vaccinal, faire des déclarations publiques diamétralement opposées à celles déjà faites, et d’ordonner de mettre à jour le site gouvernemental en conséquence, le tout en invoquant la détérioration de la situation épidémiologique et l’apparition de nouveaux variants. Loin de rendre plus difficile cette volte-face des autorités politiques et sanitaires, le décret semble le faciliter et peut-être même le préparer.

Pour exiger le recours au passeport vaccinal pour les personnes qui travaillent dans les lieux visés, il suffirait de « préciser » que ça s’applique aussi à elles si elles veulent accéder aux lieux concernés, puisqu’il n’est pas précisé dans le décret que ça ne s’applique pas à elles.

Pour étendre cette exigence à des activités et à des lieux qu’on pourrait difficilement considérer comme « non essentiels », il suffirait de les ajouter à la liste des activités et des lieux considérés comme « essentiels », puisqu’il n’est pas précisé dans ce décret que le passeport vaccinal ne peut pas être exigé dans ces cas, puisqu’on ne fait même pas de différence entre ces deux catégories d’activités et de lieux. Après quoi on pourrait assez facilement exiger le passeport vaccinal pour les personnes qui doivent entrer dans ces lieux où l’on offre des services essentiels, en plus des clients.

Voici la conséquence de ces omissions : que la seule garantie dont nous disposons quant au champ d’application du passeport vaccinal, c’est la parole des autorités politiques et sanitaires. Les volte-faces que nous avons déjà dû subir nous ont appris depuis longtemps ce qu’elle vaut.