Impressions après une semaine sans masque

Voici une semaine que nous n’avons plus à porter un masque dans les lieux publics et au travail. Je suis content de constater que, dès les premières journées, au moins 85 % des personnes ont cessé de porter un masque et ne semblent pas éprouver la moindre peur d’être infectées et de tomber gravement malades. Même dans les circonstances où la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail recommande de porter un masque, ces personnes ne le font pas. Quant à ceux qui continuent d’en porter un, certains d’entre eux commencent à imiter les autres et à porter un masque de moins en moins souvent. Les autres se contentent de porter un masque, sans réclamer des autres qu’ils en fassent autant.

Même si beaucoup se disent contents de ne plus avoir à porter un masque et ne réagissent pas comme des enfants à qui on essaie d’enlever leur doudou, nous pouvons douter qu’ils résisteront si le gouvernement essaie de leur imposer à nouveau le port du masque dans les lieux publics et au travail, à l’occasion de la prochaine « vague » ou de la prochaine « pandémie ». C’est que l’abolition de cette obligation n’est pas ou presque pas le résultat d’une résistance organisée et réfléchie de la part des Québécois, contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres pays et dans certaines provinces canadiennes.

Bien entendu, ce serait exagéré de dire qu’il n’y a pas eu d’opposition au Québec. Mais celle-ci semble avoir obtenu un soutien populaire moins important et avoir été moins tenace. Alors que nos concitoyens anglophones ont fait preuve de combativité en organisant le Freedom Convoy, ont continué de bloquer des postes frontaliers et se sont établis à Ottawa pendant des semaines, malgré les menaces du gouvernement fédéral, des gouvernements provinciaux de l’Alberta et de l’Ontario et du Conseil municipal d’Ottawa. S’il est vrai que des Québécois se sont rendus à Ottawa pour participer au Freedom Convoy (les drapeaux le montrent), le gouvernement du Québec n’a pas été exposé à de fortes pressions. Malgré les rodomontades de certains organisateurs, la version québécoise du convoi est passée à Québec pour repartir le dimanche et revenir deux semaines plus tard et repartir encore une fois. Ce qui nous a valu les moqueries bien méritées de manifestants qui étaient à Ottawa.

Ce n’est donc vraisemblablement pas un hasard si l’obligation de porter un masque a été abolie depuis plusieurs semaines ou quelques mois dans la majorité des provinces canadiennes, alors qu’il a fallu attendre jusqu’au 14 mai 2022 au Québec. La fin de cette obligation a été reportée plusieurs fois au Québec depuis le mois de mars sans que cela ne provoque une opposition soutenue et bien organisée. Nous pouvons faire l’hypothèse que la décision du gouvernement du Québec de lever cette obligation – loin d’être le résultat de savants calculs sur la situation épidémiologique et sur la saturation des hôpitaux – découle de l’isolement croissant du Québec quant au maintien du port du masque. En effet, il devenait de plus en plus difficile, pour le gouvernement, de continuer à dire que le masque permet au Québec de sortir plus rapidement de la sixième « vague », tout en prétendant qu’on ne peut pas lever l’obligation de porter un masque sous prétexte que les taux d’hospitalisation et de mortalité au Québec sont plus élevés que dans les autres provinces canadiennes où cette obligation n’est plus en vigueur depuis assez longtemps. On peut donc craindre que le gouvernement du Québec, qu’il soit encore contrôlé par la Coalition Avenir Québec ou non après les prochaines élections, n’hésite pas à imposer à nouveau l’obligation de porter un masque (parmi d’autres mesures dites sanitaires) dès qu’il aura un semblant de raison et que d’autres provinces ou États en feront autant. Il se pourrait même que le gouvernement du Québec, étant donné la docilité des Québécois, comptent parmi ceux qui ouvriront le bal.

Car il ne faut pas nous illusionner. Beaucoup des Québécois qui se réjouissent présentement de ne plus devoir porter un masque. Mais, pour la plupart, ils ont obéi au gouvernement pendant deux ans sans résister ou sans désobéir, sauf en se permettant quelques petits écarts sans conséquence à gauche et à droite, et en condamnant ceux qui prenaient ouvertement position contre les mesures dites sanitaires et ne les respectaient pas, ce qui leur permettait d’ailleurs de détourner l’attention de ces petits écarts. Ce qu’ils font maintenant, c’est d’obéir au gouvernement qui leur dit qu’ils n’ont plus à porter un masque, après avoir obéi au même gouvernement pendant deux ans, quand il leur disait qu’il fallait porter un masque. Ce qu’ils font maintenant, c’est croire le gouvernement qui leur dit que c’est beaucoup moins dangereux, pour soi et les personnes vulnérables, de ne plus porter un masque, après avoir crû le même gouvernement quand il leur a dit le contraire pendant deux ans. Maintenant ils sont contents que le gouvernement les récompense enfin pour les sacrifices auxquels ils ont consenti, leur permette de retirer leur masque et les laisse respirer un peu. Ce qui est tout à fait compatible avec l’idée qu’ils pourraient accepter le retour de plusieurs mesures sanitaires sans résister ou même rechigner, surtout si on leur fait croire que ce ne sont plus les personnes âgées qui sont principalement menacées par la nouvelle maladie, mais eux et leurs enfants. Dans ces circonstances, ils pourraient alors agir comme un chien auquel on a fait faire toutes sortes de tours déplaisants et dégradants, et qui a reçu comme récompense un biscuit. Bien dressé, il exécutera probablement à nouveau ces tours quand son maître les lui demandera, dans l’espoir d’obtenir la même récompense. À moins que les circonstances soient sensiblement différentes, et qu’il devienne manifeste que son maître n’est plus en mesure de lui assurer un certain confort ou même de veiller à ce que ses besoins les plus élémentaires soient satisfaits. Dans ce cas, il pourrait se mettre à aboyer, à hurler et même à mordre son maître. Mais nous n’en sommes pas encore là : nos concitoyens sont tellement bien dressés qu’il leur en faut encore beaucoup avant qu’ils se décident enfin à montrer les dents.

Pour montrer que la fin du masque obligatoire dans les lieux publics et au travail ne constitue pas la fin du dressage, je raconte deux brèves discussions que j’ai eues avec des collègues cette semaine.

Le premier devait enlever les affiches disant qu’il faut mettre un masque aussitôt qu’on quitte son bureau ou qu’on se lève de sa chaise. Constatant qu’il prend un certain plaisir à ne plus porter un masque et à enlever les affiches, je lui dis que je n’ai pas envie de le revoir passer dans trois ou quatre mois pour remettre les mêmes affiches. À quoi il répond placidement : « J’ai entendu dire que les cas commencent à remonter dans l’hémisphère sud. C’est comme pour la grippe. Ça fait le tour du monde. Quand c’est l’été ici, ça circule dans l’autre hémisphère, et ça revient ici durant l’automne et l’hiver. Si c’est dû pour arriver, ça va arriver. Il vaut mieux ne pas y penser et profiter de l’été. »

La deuxième s’est sentie obligée de porter un masque en arrivant au travail simplement parce qu’elle a vu, dans le hall d’entrée, que tout le monde ou presque en portait un. Elle s’est imaginé que les règlements avaient encore une fois changé et elle a remis son masque jusqu’à qu’elle soit arrivée à son bureau, devant lequel j’ai passé quand elle se demandait si elle pouvait enlever son masque ou non quand elle était assise (ce qu’elle pouvait d’ailleurs faire bien avant le 14 mai). J’ai dû lui expliquer que les règlements n’avaient pas changé, que le port du masque n’était pas redevenu obligatoire, qu’au moins 80 % des personnes ne le portaient plus, que c’était un hasard si elle avait vu beaucoup de personnes masquées dans le hall d’entrée, qu’elle n’a pas à regarder autour d’elle et à imiter les autres pour décider si elle doit porter un masque ou non, et que si elle ne veut pas en porter un, personne n’a le droit de lui demander d’en porter un.

De telles personnes, si on recommandait ou exigerait à nouveau de porter un masque au travail et dans les lieux publics l’automne ou l’hiver prochain (à cause d’une septième « vague » ou de la variole du singe qui se transmettrait aussi par voie aérienne), auraient probablement tôt fait de s’accommoder de la situation, en espérant les mêmes assouplissements quand le printemps arriverait. Un semblant de justification leur suffit. Si le gouvernement le demande, si les journalistes et les « experts » l’exigent, si beaucoup de leurs concitoyens obtempèrent, voilà qui suffit pour obtenir leur consentement.

Il est important de trouver des manières de lutter contre ce dressage et de redonner rapidement à nos concitoyens une partie de leur autonomie. Je ne ferai pas ici des propositions concrètes et je me fie à votre imagination et votre esprit d’initiative pour trouver vous-mêmes des idées adaptées au contexte. Voici néanmoins quelques idées générales :

  1. exploiter le plus possible la part de liberté qui nous a été rendue par le gouvernement afin de reprendre l’habitude de l’avoir, d’en éprouver du plaisir et d’accroître ainsi le désir de la défendre et de résister ;

  2. obtenir le même résultat en refusant de porter un masque dans les cas où il faudrait encore en porter un, soit en désobéissant simplement, soit en refusant de se mettre dans une situation où on exige toujours le port du masque, en s’assurant qu’il y ait des inconvénients pour les personnes qui réclament de nous que nous portions un masque ;

  3. critiquer avec verve toutes les incohérences quant au port du masque dans certaines circonstances ou dans certains endroits, et pas dans d’autres circonstances ou endroits où le risque serait comparable ;

  4. taquiner les personnes qui persistent à porter un masque.