Impasse sur la participation et la non-participation à notre système politique pourri

Qu’il soit question de s’opposer aux mesures soi-disant sanitaires qui ne sont pas encore complètement disparues et qui pourraient revenir, aux soi-disant mesures écologiques pour lutter contre les changements climatiques, aux sanctions économiques contre la Russie et peut-être bientôt contre la Chine qui en fait détruisent l’économie des pays occidentaux et nous appauvrissent, à l’intervention militaire occidentale de plus en plus directe en Ukraine et peut-être bientôt aux alentours de Taïwan, à toutes les techniques de propagande et de censure pour mobiliser les populations occidentales, et à la grande vague autoritaire qui déferle en Occident, nous peinons à trouver des moyens de résistance efficaces. Ce que les uns décident de faire pour résister, les autres trouvent que c’est non seulement inefficace, mais même nuisible, naïf et absurde ; et vice versa. C’est par exemple le cas de la décision d’opter ou non pour des moyens d’action politiques, quelle qu’en soit la forme. Et nous pouvons comprendre pourquoi il en est ainsi, car les inconvénients d’essayer d’agir politiquement, ou de ne pas essayer, sont considérables, alors que les gains sont forts incertains et ne sont souvent que des broutilles, quand ils ne sont pas simplement illusoires.

 

Participation

Bien naïfs sont ceux qui ne pensent pas que tout ou presque est truqué dans notre système politique pourri. Même quand le vote ou le dépouillement des votes n’est pas truqué (ce qui peut arriver), même quand il n’y a pas de fraudes électorales à strictement parler, beaucoup de choses sont arrangées à l’avance. Ce sont les partis politiques qui décident des candidats pour lesquels nous pouvons voter dans chaque circonscription électorale et qui profitent de la machine publicitaire desdits partis et des médias de masse, contrôlés par des grandes corporations, ce qui ne laisse guère de chances aux candidats indépendants de se faire élire. Même avant d’être élus, les candidats des partis sont dans la dépendance de ces partis. Une fois élus, ils doivent se conformer à la ligne de parti décidé par les chefs du parti, qui sont sous l’influence de groupes de pression, de grandes corporations ou d’organisations bureaucratiques supranationales. Ce qui signifie que ceux qui sont censés nous représenter à l’assemblée législative sont en fait les représentants des chefs des partis, qui eux-mêmes servent des intérêts qui ne sont pas compatibles avec les nôtres et qui travaillent à l’avancement de leur carrière, au sein du système politique corrompu, mais aussi dans les grandes corporations et les organisations bureaucratiques supranationales, où ils pourront obtenir des postes.

Ceux qui nous gouvernent n’ont pas de comptes à nous rendre. Ils ne sont pas imputables des saloperies et des conneries qu’ils font quand ils nous dirigent. Nos représentants sont en fait leurs sous-fifres, et les membres des partis d’opposition viennent du même tonneau, bien qu’avec une étiquette politique différente. Tout au plus avons-nous la possibilité, quand nous sommes mécontents, d’attendre les prochaines élections pour voter pour des candidats d’autres partis politiques qui sont dans la même situation. Nous ne sommes pas plus avancés, car après les élections, la même histoire se répétera, encore une fois.

En acceptant de jouer à répétition le rôle que nos maîtres nous permettent de jouer dans ce système politique pourri, que faisons-nous sinon contribuer à donner une certaine légitimité au gouvernement et à ses décisions, qui servent des intérêts incompatibles avec les nôtres ? Au nom de cette légitimité qui prétend s’appuyer sur la volonté populaire, ne peuvent-ils pas agir de manière encore plus autoritaire ? Selon une certaine conception bornée de démocratie, ceux qui ont voté pour le gouvernement du moment ne doivent-ils pas accepter sans ronchonner les grandes orientations politiques de ce gouvernement, ainsi que les lois, les règlements et les décrets qu’il promulgue, puisqu’ils auraient déjà donné leur assentiment à tout ce qu’il a dit qu’il ferait pendant la campagne électorale, et à tout ce qu’il pourrait décider de faire une fois élu ? Quant aux autres qui n’ont pas voté pour le gouvernement du moment, ne doivent-ils pas accepter la volonté populaire telle qu’elle s’est exprimée à l’occasion des élections, et obéir docilement au gouvernement nouvellement élu ? Voter, dans ces circonstances, ne revient-il pas à nous livrer pieds et poings liés aux gouvernements pourris qui nous dirigent et à consolider leur autorité en reconnaissant leur légitimité ?

Non satisfaits d’être de vulgaires électeurs qui doivent choisir des pseudo-représentants parmi les candidats qu’on leur impose, certains d’entre nous pourraient essayer de devenir les représentants de leurs pairs, sans s’affilier aux partis politiques pourris qui existent déjà. Mais auraient-ils l’argent nécessaire pour rivaliser avec la puissante machine électorale des partis politiques ? Ne risqueraient-ils pas d’être ignorés par les médias de masse qui n’en ont que pour les candidats des principaux partis politiques, et d’être aussi ignorés par une importante majorité des électeurs ? Et si jamais certains d’entre eux réussissaient à se faire élire, ne se perdraient-ils pas dans la masse des larbins des partis politiques, par définition pourris, qui constituent l’assemblée législative et qui sont favorisés par le système politique actuel ? Pour remédier à ces inconvénients, ces représentants de leurs pairs pourraient décider de s’organiser en un ou en plusieurs partis politiques, pour s’entendre sur les enjeux importants et s’exprimer en commun sur ces enjeux. Mais voilà que la porte est ouverte pour une dérive vers les partis politiques auxquels ils prétendent s’opposer et pour les tentatives de récupération auxquelles sont exposées les petites formations politiques, qui finissent parfois par devenir de grands partis politiques aussi corrompus que leurs prédécesseurs.

Les opposants, qui comprennent bien ou qui sentent vaguement que le système politique actuel les prive de tout pouvoir effectif au sein des institutions politiques, descendront parfois dans la rue pour manifester, se faire entendre des dirigeants et exercer des pressions sur eux. Mais on voit mal pourquoi le gouvernement serait plus disposé à écouter les manifestants qu’il ne l’était à écouter les électeurs mécontents. Si les manifestations ne regroupent pas beaucoup de personnes, si elles ne causent pas de désagréments réels ou apparents, si elles se font dans l’ordre et la discipline, le gouvernement peut simplement les ignorer jusqu’à ce qu’elles se dispersent ou jusqu’à ce que le mouvement de protestation s’épuise. Par contre, si les participants sont nombreux, si le gouvernement voit en elles un défi à son autorité, si elles occasionnent des désagréments réels ou apparents pour lui et ses partisans, si elles tendent à échapper au contrôle policier, le gouvernement insultera et menacera les manifestants, aura recours à des agents provocateurs pour rallier l’opinion publique et justifier la répression qu’il prépare, et enfin lâchera les policiers contre les manifestants, en se scandalisant des violences commises par les manifestants à l’égard des policiers, ou aura recours à des mesures d’urgence, comme le gel des comptes bancaires et des cartes de crédit. Même dans les cas où, en raison de la persévérance des manifestants, les dirigeants sont contraints de démissionner ou où le gouvernement s’effondre, ce sont le plus souvent des dirigeants et un gouvernement d’un autre parti bien établi dans le système politique pourri qui les remplaceront. Ceux-ci feront preuve de sympathie à l’égard des manifestants, leur donneront quelques broutilles, et leur feront peut-être de vagues promesses qu’ils ne tiendront pas, pour obtenir un certain apaisement et consolider leur pouvoir nouvellement acquis. Ce sera essentiellement le même plat, mais servi avec une sauce différente, pour faire changement.

Il semble donc qu’en luttant politiquement, nous nous engagions sur un terrain entièrement contrôlé par nos adversaires. Ce serait donc une perte de temps et une forme de résistance irréaliste, inefficace et même nuisible, puisqu’en jouant les rôles politiques secondaires et minables qu’on daigne nous laisser dans le système politique pourri actuel, nous reconnaissons la légitimité de ce système, des gouvernements, de leur autorité et de ce qu’ils font, sans tenir compte de nos intérêts, et même en s’opposant à eux, frontalement ou sournoisement. Ne serait-il pas temps d’arrêter d’agir comme si nous détenions un véritable pouvoir au sein de ce système politique ? Libérons-nous de cette illusion nuisible ! Ne nous compromettons plus avec ce système politique, qui ne peut être que pourri ! Ainsi aurons-nous bonne conscience et pourrons-nous user de notre temps et de notre énergie pour sortir de ce système, pour constituer des communautés de résistants, et pour former des structures parallèles et même une société parallèle, où nous aurons une certaine liberté et échapperons dans une certaine mesure au contrôle du gouvernement ! Certes, ça ne sera pas facile, mais nous n’avons pas le choix.

Mais avant de faire de ces affirmations des conclusions définitives, nous gagnerions à regarder quels sont les inconvénients de la non-participation à ce système politique pourri, car ceux-ci ne sont pas négligeables.

 

Non-participation

Bien naïfs sont ceux qui pensent pouvoir assez facilement échapper au système politique pourri actuel. L’époque à laquelle il était possible de fonder des communautés qui échappaient en totalité ou en grande partie au pouvoir politique est depuis longtemps révolue. Le gouvernement et les grandes corporations avec lesquelles il entretient des rapports de copinage ont le bras plus long que jamais. Les territoires inoccupés et isolés sont de plus en plus rares et souvent inhabitables. L’anonymat, la vie privée et le secret sont en train de disparaître même dans les grandes villes, non seulement en raison des nouvelles technologies de surveillance et de contrôle, mais aussi à cause que le désir de beaucoup de nos concitoyens pour ces choses s’atrophie et est peu à peu remplacé par le consentement béat à leur disparition. Et le gouvernement, qui met son sale nez partout, ne disparaîtra pas, ne perdra pas sa légitimité ou son apparence de légitimité, et ne sera pas privé du pouvoir qu’il exerce sur nous parce que nous, qui sommes des opposants, décidons de ne plus jouer de rôle dans ce système politique pourri, de ne plus aller voter et d’ignorer les autorités politiques et bureaucratiques. S’imaginer le contraire, c’est de la pensée magique.

Nos concitoyens qui ne sont pas des opposants, et qui ne sont pas non plus des indifférents politiques, continueront à voter même si nous, qui sommes des opposants, n’allons plus voter. Certes, nous pourrons alors nous complaire dans le fait d’avoir bonne conscience, de ne pas nous être compromis avec ce système pourri et de ne pas avoir contribué à rendre légitime l’autorité du gouvernement ou à donner l’impression qu’elle est légitime. Cependant, ce sentiment de pureté morale n’empêchera pas le gouvernement élu au suffrage universel d’avoir une certaine légitimité et de paraître bénéficier du soutien des citoyens. Les abstentions des opposants ne changent rien à l’affaire. Bien au contraire ! Elles n’empêchent pas les élections d’avoir lieu. Soit que les opposants aient annulé leurs bulletins de vote, soit qu’ils ne soient même pas allés aux urnes, on ne tient pas compte des votes annulés et des abstentions pour calculer le pourcentage des votes obtenus par le président ou un parti politique (comme au Canada, où l’élection du chef du gouvernement a lieu en même temps que celle des députés), ou pour calculer le nombre de sièges obtenus par chaque parti politique à l’assemblée législative. À la rigueur, les opposants qui refusent même de faire un vote de protestation contre le ou les partis politiques les plus susceptibles de remporter les élections contribuent à donner l’impression que le ou les partis politiques victorieux (dans le cas d’une coalition) bénéficient d’un soutien plus grand qu’il n’est en réalité, et à leur procurer une apparence de légitimité plus grande. Fort de ce soutien apparent, le gouvernement pourra agir de manière encore plus autoritaire, abuser encore plus de son pouvoir et prétendre avec plus de crédibilité que la volonté populaire s’incarne en lui et dans ses décisions.

Remarquons aussi que le gouvernement et la classe politique, malgré leurs beaux discours sur le déficit démocratique, s’accommodent fort bien de faibles taux de participation aux élections. Ils peuvent alors faire plus facilement ce qui leur chante, les seuls qui s’intéressent encore à la politique étant ceux qui croient encore, dans une certaine mesure, que le système politique n’est pas entièrement pourri, ou qui se contentent de faire leur devoir en déposant leurs bulletins de vote dans les urnes et en ne sachant de la politique que ce que leur en disent les médias de masse. Et ils peuvent dire aux abstentionnistes mécontents qu’ils n’avaient qu’à voter, comme ils peuvent dire aux opposants qui ont voté de respecter la volonté de la majorité et de se rallier au gouvernement.

À la rigueur, le système politique actuel n’a pas vraiment besoin des citoyens, et surtout des opposants, pour fonctionner. Il n’est pas possible de faire la grève du vote ou de démissionner en tant que citoyens, pour aller chez un concurrent, sauf en s’exilant dans un autre pays dont le système politique serait moins pourri, ce qui n’est pas facile à faire. Même si 80 % ou 90 % des citoyens ne votaient pas pour exprimer leur opposition au système politique pourri actuel, les élections pourraient quand même avoir lieu. Et les autorités déjà en place, politiques ou bureaucratiques, élues ou non élues, s’accommoderaient fort bien de la situation, en se plaignant hypocritement que tout le poids des affaires publiques reposent sur leurs épaules à cause du manque d’intérêt des citoyens. Le pouvoir politique deviendrait encore plus exclusivement leur affaire, et elles pourraient encore moins se soucier des intérêts des citoyens et s’occuper principalement de leurs propres intérêts et de ceux des grandes corporations et des organisations bureaucratiques supranationales auxquelles elles sont liées et qui les influencent. C’est pourquoi le cynisme politique arrange aussi le gouvernement et la classe politique et bureaucratique, et c’est pourquoi les opposants qui rejettent intégralement le système politique pourri actuel jouent actuellement leur jeu et contribuent à les mettre dans une position où ils peuvent être encore plus corrompus et abuser encore plus de leur pouvoir, dont l’exercice devient alors de plus en plus arbitraire. Le gouvernement et cette classe auraient donc intérêt à alimenter ce cynisme par leur manière de traiter les citoyens, opposants ou non, comme des moins que rien.

Enfin, les opposants qui refuseraient aussi de prendre part à des manifestations pour s’opposer à des mesures gouvernementales particulières ou à un gouvernement donné, parce que les dirigeants de ce système politique pourri peuvent facilement ignorer les manifestations qui ne les dérangent pas, réprimer celles qui les dérangent, et être remplacés par d’autres dirigeants du même tonneau s’il n’y a pas moyen de faire autrement pour apaiser la grogne populaire, ces opposants, dis-je, contribueraient à donner l’impression aux dirigeants politiques et bureaucratiques qu’il n’existe pas d’opposition assez forte pour s’exprimer par des manifestations et que presque tous les citoyens sont en fait des sujets dociles et même bien dressés. S’il est effectivement naïf de croire que les dirigeants, qui n’ont rien à faire de nos intérêts, reculeront parce que des opposants manifestent, ils ne se gêneront pour aller toujours plus loin et toujours plus vite s’ils ne rencontrent pas de résistance visible de la part des citoyens, notamment sous la forme d’imposantes manifestations.

Il semble donc qu’en refusant de lutter politiquement, nous cédions entièrement le terrain de la politique aux dirigeants politiques et bureaucratiques et à leurs sujets. Ne rencontrant pas la moindre de résistance lors des élections ou sous la forme de manifestations, ils se croiront imbus d’une autorité illimitée et ils s’imagineront régner seulement sur des esclaves invertébrés qui se soumettront au moindre de leurs caprices. Ils croiront alors pouvoir faire n’importe quoi, ils ne se gêneront pas pour y aller encore plus à fond, ils essaieront d’étendre leur pouvoir à toute la société et de réglementer notre existence jusque dans les moindres détails, et ils donneront la chasse à ceux qui ne se conforment pas aux nouveaux modes de vie qu’ils cherchent à imposer, ou qui semblent seulement suspects, en usant des moyens de surveillance et de contrôle, traditionnels ou nouveaux, qu’ils auront à leur disposition. Dans leur mire seront ceux qui, ne se contentant pas de désobéir, essaient de constituer des communautés de résistants à l’écart du système politique pourri ou des structures parallèles dans les interstices de ce système, peut-être avec pour but ultime de constituer une société parallèle. Ce ne sont certainement pas là de bonnes conditions de réalisation pour ce projet ambitieux, dont le succès ou l’échec dépend grandement des circonstances politiques qui ne deviennent pas meilleures quand on ne veut rien à avoir à faire avec un système politique certainement pourri, et qui deviennent plutôt encore plus mauvaises pour cette raison.


Qu’on me comprenne bien : je ne dis pas simplement qu’il faut abandonner l’idée de constituer des structures parallèles pour échapper au contrôle auquel on s’efforce de nous soumettre de plus en plus. Je dis plutôt qu’il est illusoire de nous imaginer que le système politique autoritaire qui s’ingère partout et qui nous pousse à constituer de telles structures n’attaquera pas ces dernières et les laissera exister indéfiniment, et de croire que ceux qui essaient de résister de cette manière et qui rejettent en bloc l’action politique pourront avoir la paix alors que ce système pourri continue d’exister et de devenir plus pourri. Ce que peuvent faire ces structures parallèles, c’est nous procurer temporairement les moyens d’échapper à certaines des contraintes qu’on veut nous imposer, d’accroître notre indépendance et notre capacité d’opposition politique, et de rendre plus difficile l’application de ces mesures autoritaires et invasives, en attendant une occasion de transformer pour le mieux le système politique actuel qui, s’il devient plus autoritaire, craque aussi de partout. Car les mesures autoritaires ne seront pas imposées toutes d’un coup. Car tout n’est pas joué d’avance.

Si les résistants qui optent pour la constitution de structures parallèles continuent de faire les dégoûtés quand il s’agit d’action politique visant à transformer le système politique pourri qu’ils rejettent, et s’ils font de ces structures des fins en soi, ils réaliseront à leurs dépens qu’elles ne sont pas suffisantes quand le système autoritaire pourri les prendra comme cibles et ne les laissera plus faire leurs petites affaires à l’écart, ou quand il se décomposera pour laisser un grand vide politique ou pour être remplacé par quelque chose de pire qu’on leur imposera.