Hibernation collective (ou la stratégie de la marmotte)

Voilà, c’est à peu près certain : nous allons passer tout l’hiver en hibernation. Et il se pourrait bien que le printemps arrive tard cette année. Il est fort probable que la marmotte en chef nous annonce, la semaine prochaine, que ce long hiver – sans doute le plus long de tous – durera encore au moins six semaines, ou quelque chose comme ça. Jusque-là, il nous faudra continuer à sommeiller sagement dans nos terriers respectifs.

Les puristes diront que j’exagère : nous ne sommes pas dans un état léthargique, et nous mettons parfois le nez dehors, principalement pour aller acheter de quoi manger et pour nous dégourdir un peu, et aussi pour aller travailler, pour certains d’entre nous. Et nous pouvons faire une foule de choses à l’intérieur, si nous faisons preuve d’imagination. Nous pouvons faire du télétravail, nous pouvons faire des achats en ligne, nous pouvons regarder des films et des séries et nous pouvons avoir des rencontres virtuelles avec nos proches. C’est déjà quelque chose, non ? Tout au plus nous hivernons. Ce que nous faisions d’ailleurs jusqu’à un certain point tous les hivers, et même l’automne et le printemps, compte tenu de la rigueur du climat du Québec. Alors n’exagérons pas.

La belle affaire que cette hivernation ! Nous voilà presque réduits aux fonctions biologiques, intellectuelles et sociales de base, dans leur forme la plus rudimentaire ! Et quelle consolation d’apprendre que pour plusieurs d’entre nous, cette hivernation faisait partie de leur mode de vie bien avant l’arrivée du Virus ! Voilà qui donne de l’espoir pour l’avenir ! Voilà qui promet pour la saison estivale !

Mais ce n’est pas ce que j’entends par hibernation collective. Les puristes m’ont mal compris. Il s’agit de notre hibernation en tant que société. Nos autorités mêmes reconnaissent qu’il en est ainsi quand elles nous ont mis collectivement « sur pause ». C’est la plus grande partie de ce qui constitue notre société et de ce qui lui permet d’être viable et vivable qui a été progressivement mise sur pause depuis l’automne dernier. Non seulement tous les commerces non essentiels et des secteurs entiers de l’économie ont été mis indéfiniment « sur pause », mais c’est aussi toute la vie sociale qui a été mise en suspens : plus possible de nous rassembler à l’intérieur comme à l’extérieur (deux personnes qui n’habitent pas à la même adresse constituent un rassemblement illégal) sauf dans quelques exceptions. C’est aussi tout ce qui fait que la culture est vivante, et pas quelque chose que l’on regarde sur son téléviseur ou son écran d’ordinateur. C’est aussi tout ce qui nous permet d’examiner et de décider intelligemment ce qu’il est dans l’intérêt collectif de faire et de ne pas faire, tant il est pratiquement devenu impossible de discuter et d’exprimer publiquement des opinions divergentes, tant nous dormons d’un profond sommeil, avec pour seules idées dans la tête la trame onirique que tissent inlassablement nos autorités et nos médias de masse. Nous sommes collectivement dans un état de torpeur intellectuelle et de régression synaptique qui nous empêche de comprendre la situation dans laquelle nous nous trouvons et d’avoir un débat public un peu réfléchi à ce sujet. Raison pour laquelle nous croyons justement que la décision de nos autorités d’opter pour la stratégie de la marmotte – qui consiste à ralentir les fonctions vitales de notre société jusqu’à ce que les beaux jours reviennent – fait sens, et acceptons de nous terrer dans nos terriers, plus morts que vifs.

Il nous faut avoir dangereusement régressé intellectuellement pour nous imaginer que notre société pourra sortir d’hibernation – au printemps, ou quand le Virus aura été éradiqué, ou quand toute la population aura été « vaccinée », ou quand les personnes âgées ne connaîtront plus la maladie et la mort – et reprendre une vie relativement normale, quoiqu’un peu amaigrie et affaiblie. Notre société n’est pas une marmotte dont le métabolisme pourra s’accélérer et reprendre son rythme normal au moment opportun. Et il ne lui suffira pas de sortir de son terrier et de manger de l’herbe pour assurer sa subsistance. Privez la société de l’air qu’il lui faut : elle suffoquera. Entravez sa circulation sanguine : des dommages irréversibles seront causés à ses tissus. Faites-la jeûner : elle s’auto-digérera. Anéantissez son activité cérébrale : la voilà réduite à être une débile profonde. Suspendez ses fonctions vitales : elle se décomposera.

N’hiberne pas qui veut.

Ce billet a été mis à jour le 2021/01/29