Fierté nationale et souveraineté

C’est aujourd’hui la fête nationale du Québec. Raison pour laquelle notre premier ministre nous adresse ce message :

« Cette année, on a encore une fête nationale un peu différente, la pandémie nous a enlevé des moments précieux, fêter le Québec avec notre famille, avec tous nos amis, mais en même temps, ça ne nous a pas enlevé nos raisons de célébrer avec fierté.

Qu’est-ce qu’on fête dans le fond ? On fête notre nation, on fête un peuple fort, un peuple fier, un peuple qui a résisté à tellement d’épreuves depuis 400 ans, un peuple qui a été capable de rester tissés serrés, même dans les moments les plus difficiles.

Avec la pandémie, le Québec a été confronté à une autre grande épreuve et on a réagi comme on sait le faire : on s’est serré les coudes, on s’est battus, on a pas perdu espoir. Cette année on ne pourra pas se rassembler par milliers, mais on va sentir que l’été s’en vient et que la liberté approche.

« Cette année on va pouvoir célébrer notre liberté, nos retrouvailles, notre libération et on va avoir de quoi être fiers parce qu’on sait qu’on est capables, tous ensemble, de résister. On sait que le peuple québécois est plus fort, est plus fier que jamais. Bonne fête nationale à tous les Québécois et toutes les Québécoises. »

(Source : TVA.)

On dirait que les conseillers en communication de notre premier ministre lui ont dit de placer aussi souvent que possible certains mots-clés dans son petit discours : fierté, force, résistance, liberté, libération, etc. Quand on a recours à de tels procédés dans des communications publiques – ce qui arrive très souvent –, il est important de nous poser des questions. Car ce qu’on répète avec insistance, en usant de formules générales ou creuses, cache peut-être une réalité beaucoup moins belle.

 

Avons-nous vraiment des raisons d’être fiers de notre résistance ?

Ce qui devrait nous rendre particulièrement fiers cette année, ce serait notre force et notre capacité à résister collectivement pour surmonter la dure épreuve que serait la « pandémie ». Mais à quoi avons-nous résisté exactement ? Beaucoup répondront que c’est au virus, que c’est à la « pandémie » que nous avons résisté. Mais peut-on qualifier de résistance ce que nous avons fait collectivement ? Au contraire, nous avons battu en retraite devant le virus et nous nous sommes enfermés ou laissés enfermer chez nous pendant des mois à cause du virus. Ce n’est pas là une manière de résister, mais une manière de prendre la fuite et de capituler. Que de choses avons-nous accepté de nous priver ou de nous laisser priver, ou de bousiller, en raison de notre incapacité à résister au virus ! Notre vie sociale, notre liberté de déplacement sur le territoire du Québec et à l’étranger, notre liberté d’expression et de discussion, notre liberté de commerce, notre sécurité économique, l’éducation des enfants et des jeunes, le droit de veiller nous-mêmes sur notre propre santé, le droit de participer à des rassemblements, etc. Et tout ça même après la « première vague », au cours de laquelle les prédictions apocalyptiques des prophètes de malheur ne se sont pas réalisées. Et tout ça pour un virus qui ne constitue pas une menace pour une large majorité de la population, et qui tue essentiellement des personnes âgées qui ont déjà des problèmes de santé et qui ont déjà atteint l’espérance de vie. Et tout ça au nom de nouvelles « théories » qui contredisent tous les progrès en santé publique et en épidémiologie du dernier siècle. Et tout ça au nom du respect de mesures sanitaires dont on voit bien, en comparant l’évolution de l’épidémie dans les différents pays, qu’elles n’ont pas d’effets bénéfiques. Il n’y a donc pas de quoi être fiers de notre résistance, si résistance il y a eue. Ce que nous avons fait depuis quinze mois et continuons de faire, c’est tout sauf de la résistance.

Faut-il en conclure que notre premier ministre ne comprend pas les mots qu’il utilise ou les mots que lui ont mis dans la bouche ses conseillers en relations publiques ? Ou bien se paie-t-il effrontément notre tête en vantant notre résistance ? Est-il en train de pervertir l’idée que nous avons de la résistance pour s’assurer que nous continuerons à ne pas résister à ses acolytes et à lui et à son gouvernement ?

C’est là le plus important : nous n’avons pas résisté collectivement aux autorités politiques et sanitaires qui contrôlent notre vie et qui nous privent de nos droits et nos libertés depuis la déclaration de l’état d’urgence sanitaire, et nous continuons à ne pas leur résister collectivement. Il est plausible que l’idée d’une résistance ne soit même jamais venue à l’esprit de la majorité d’entre nous, auxquels ce mot n’évoque peut-être rien de précis et suscite-t-il des sentiments négatifs, bien que vagues.

Nous sommes-nous opposés, comme peuple, à la déclaration et à la prolongation de l’état d’urgence sanitaire, grâce auquel le gouvernement s’est accordé à lui-même des pouvoirs exceptionnels, jusqu’à ce qu’il juge bon de se les retirer ? Non. Il y a bien une minorité qui proteste, mais les autres se taisent, ou se rangent du côté du gouvernement, trouvant sans doute qu’ils ont besoin de papas et de mamans pour régler tous les aspects de leur vie en cette période de « pandémie », et peut-être aussi après.

 

De quelle libération s’agit-il ?

Quelle sorte de libération peut raisonnablement espérer un peuple qui a montré qu’il est incapable de résister à son gouvernement quand celui-ci s’approprie des pouvoirs exceptionnels et abusifs ? Dans le meilleur des cas, une libération conditionnelle permanente. Dans le pire des cas, une libération conditionnelle temporaire, suivie d’une autre perte de libertés, peut-être encore plus grande. Car il ne faut pas croire que le gouvernement qui s’est arrogé de nouveaux pouvoirs voudra s’en défaire entièrement, et que le même gouvernement qui nous a privés de plusieurs de nos droits et de nos libertés voudra un jour nous les rendre dans leur totalité. Lui ayant montré par notre obéissance et notre absence de résistance que nous ne sommes pas un peuple fort, mais plutôt un peuple faible, il ne faut nous demander pourquoi il ne le ferait pas, mais pourquoi il le ferait.

 

Qu’est-ce que ça signifie d’être une nation ?

Notre premier ministre dit que nous, les Québécois, sommes une nation. S’il entend par là un peuple, il n’y a pas là de quoi fêter – surtout que nous n’avons pas de raisons d’être fiers de ce que nous sommes –, puisque tout peuple est nécessairement une nation comprise de cette manière.

Il est vrai que nous avons aussi un État, et qu’en ce sens nous sommes une nation, laquelle comprend les descendants de colons français qui ont commencé à arriver ici il y a un peu plus de 400 ans, les autochtones qui étaient déjà là depuis des millénaires, les conquérants originaires des îles britanniques et des colonies anglaises, les loyalistes de ces mêmes colonies après la déclaration d’indépendance américaine, et les immigrants d’autres origines qui sont arrivés plus tard. La nation québécoise, comprise de cette manière, est donc une entité politique bénéficiant d’une certaine autonomie, mais qu’elle ne peut exercer que dans les bornes fixées par les lois constitutionnelles canadiennes. Est-ce qu’il y a là de quoi fêter ?

Sommes-nous davantage maîtres de notre destinée parce que l’État québécois existe ? Compte tenu de ce qui se passe depuis la déclaration de l’état d’urgence sanitaire, il nous faudrait être aveugles pour croire que c’est le cas. Nos chefs ne se sont pas montrés moins autoritaires que les chefs des autres provinces canadiennes, par exemple. Ils ne se sont pas moins accordés des pouvoirs exceptionnels pour nous priver de plusieurs de nos droits et de nos libertés et pour échapper à notre contrôle et à celui de nos représentants, ce qui a été d’autant plus facile à faire que ce contrôle n’existe pas réellement dans nos institutions politiques, en raison du rôle fondamental qu’y jouent les partis politiques et de l’impossibilité d’organiser des référendums d’initiative citoyenne. Nous pouvons même nous demander si nos chefs politiques n’ont pas encore plus abusés de leur pouvoir et pris plus de décisions arbitraires que plusieurs de leurs homologues des autres provinces. Que gagnons-nous à l’existence de l’État québécois – qui a ses prérogatives dans lesquelles l’État canadien n’est pas censé intervenir, comme la santé – si c’est pour obtenir ce résultat ? Mais que pourrions-nous raisonnablement espérer d’autre considérant que les institutions politiques du Québec ont les mêmes défauts que celles du Canada et des autres provinces et, avec quelques différences, que celles des autres pays ?

Enfin, nos chefs politiques et leurs conseillers n’ont-ils pas décidé de « gérer la crise sanitaire » en utilisant les mêmes moyens inefficaces et aberrants que leurs homologues des autres provinces et des autres pays ? À quoi bon bénéficier, en tant qu’État, d’une grande autonomie, notamment en matière de santé, si c’est pour que nos chefs fassent simplement et bêtement comme les chefs des autres pays et des autres provinces, qui s’entre-imitent les uns les autres, qui se règlent sur les décisions des pays plus puissants, qui s’alignent sur les positions de l’Organisation mondiale de la santé (pour laquelle, après redéfinition, une « pandémie » est seulement une maladie contagieuse qui se répand sur plusieurs continents, indépendamment de sa gravité) et qui ont gobé ou fait semblant de gober les prédictions catastrophiques des modélisateurs ?

 

Repenser le souverainisme

Alors quelle différence cela ferait-il de nous séparer du Canada si nous gardions ces institutions avec leurs défauts et si nos chefs continuaient à régler leurs politiques sur ce qui se fait dans les autres pays, en suivant les grandes tendances internationales et les recommandations d’entités comme l’Organisation mondiale de la santé ? Bien peu de chose, à mon avis.

Toutefois, l’idée d’un État québécois souverain, c’est-à-dire vraiment indépendant des autres puissances et vraiment démocratique, ne doit pas être abandonnée. L’une des choses que doit nous apprendre la crise politique actuelle, c’est que les institutions politiques que nous avons actuellement ne nous permettent pas d’assurer la souveraineté d’un État et les droits et libertés qui sont censés être garantis à ses citoyens. Loin de nous dégoûter de l’invention politique, ce constat devrait stimuler cette invention. Sinon les problèmes que nous avons constatés dans nos institutions politiques en pleine déchéance continueront d’exister et pourront même s’aggraver, jusqu’à ce que, tôt ou tard, de nouvelles institutions encore pires nous soient imposées.

Le mouvement souverainiste du Québec, pour faire sens, doit donc impliquer un projet politique au sens fort du terme. Une piste de réflexion est la formation d’une Assemblée nationale constituée de véritables représentants des citoyens par définition indépendants, car ils ne peuvent pas nous représenter tout en représentant un parti politique. Une autre piste de réflexion est la possibilité d’organiser des référendums d’initiative citoyenne. De même que d’autres pistes de réflexion qui, comme celles-ci, partiraient du constat que la souveraineté d’un futur État québécois dépend en grande partie de ne pas céder le pouvoir politique à une classe politique corrompue qui n’a pas de comptes à rendre aux citoyens, et d’accorder un véritable pouvoir politique aux citoyens et à leurs représentants.

Je sais bien que cela ne se fait pas en un tourne-main : cela demande beaucoup de réflexion et exige un véritable débat public, ce qu’il est très difficile d’avoir présentement, compte tenu de l’autoritarisme des autorités politiques et de la censure et de la désinformation qui sévissent dans les médias. Et pourtant il nous faut nous presser, étant donné l’état de déchéance et de corruption de nos institutions politiques.

Je sais aussi que le gouvernement canadien, avec l’appui de beaucoup de nos concitoyens des autres provinces, essaierait de saboter notre projet politique, avant et après un référendum favorable à l’indépendance du Québec. Il suffit de nous rappeler les manœuvres du gouvernement canadien à l’occasion du référendum de 1995. Je ne crois pas qu’une rupture tout en douceur avec le Canada soit possible, surtout si le Québec rompt avec la tradition politique canadienne et britannique. Ceci dit, il y a tout de même quelque chose à faire, notamment réaliser une alliance avec les mouvements souverainistes qui existent dans d’autres provinces (par exemple en Alberta ou en Colombie-Britannique), et essayer de favoriser l’apparition de tels mouvements où il n’en existe pas encore en ne faisant pas de l’identité l’enjeu principal de la souveraineté des provinces, qui devrait être traité comme un projet politique. Puisqu’il serait aussi dans l’intérêt de ces provinces de s’émanciper du gouvernement fédéral et de se débarrasser de ce torchon désuet et indigeste que sont les lois constitutionnelles canadiennes, cela pourrait peut-être marcher. Même si les projets politiques indépendantistes des autres provinces pourraient différer grandement de celui du Québec (en raison de différences sociales et culturelles, je doute que des projets semblables pourraient convenir à ces autres provinces et au Québec), cela n’empêcherait pas ces différents mouvements de se liguer contre le gouvernement fédéral et les partisans du fédéralisme pour réaliser leurs projets respectifs.

C’est seulement en entreprenant un tel projet politique que nous pourrions devenir un peuple fort, fier et combatif qui prend sa destinée en main et qui est à la hauteur des compliments que nous adresse notre premier ministre, peut-être en s’illusionnant sur le compte du Québec (cela rejaillirait sur lui), peut-être pour nous flatter ou nous tromper. Et c’est seulement ainsi que nous pourrons obtenir la libération et la liberté qu’il nous promet, peut-être sans comprendre ce que ça signifie ou sans s’en soucier le moins du monde, car cela n’est pas dans son intérêt.