Sur une étude qui montrerait que les vaccinés sont mis à risque par les non-vaccinés

Sauf erreur, l’usage du passeport vaccinal a été suspendu dans toutes ou presque toutes les provinces canadiennes, et ne serait plus exigé que pour les déplacements en avion, en train ou en bateau, qui sont sous la juridiction du gouvernement fédéral. Pourtant les journalistes et les scientifiques persistent dans leurs efforts pour montrer que les non-vaccinés représentent un danger pour les vaccinés, et ainsi essayé de justifier le recours au passeport vaccinal. C’est ce que tente de faire Morgan Lowrie, de la Presse Canadienne, dans son article « Les vaccinés mis à risque par les non-vaccinés » (La Presse, 25 avril 2022).

Le corps du texte est précédé d’un court résumé, en grands caractères :

« Une étude publiée lundi conclut que les personnes vaccinées qui se mêlent à celles qui ne le sont pas ont un risque significativement plus élevé d’être infectées que celles qui côtoient des personnes qui ont reçu le vaccin. »

(C’est moi qui souligne.)

Les termes choisis sont très révélateurs : cet article dégage, dès ses premières lignes, une effluve ségrégationniste. Il aurait été si facile d’écrire plutôt : « Une étude publiée lundi conclut que les personnes vaccinées qui côtoient celles qui ne le sont pas ont un risque significativement plus élevé d’être infectées que celles qui côtoient des personnes qui ont reçu le vaccin. » Mais non : la journaliste a préféré parler des vaccinés qui se mêlent aux non-vaccinés. Ce qui laisse entendre qu’il y aurait une différence de nature entre ces êtres appartenant à des catégories sociales différentes, et qu’il faudrait autant que possible garder séparées. C’est un peu comme si on disait, en parlant de nobles qui côtoient des roturiers, ou de riches qui côtoient les pauvres, ou de Blancs qui côtoient des Noirs, ou d’Aryens qui côtoient des Juifs, qu’en fait ils se mêlent à eux. Ce qui implique le jugement de valeur suivant : ils ne devraient pas se mêler à eux et vice versa. Il est fort douteux que cette position morale et politique soit fondée scientifiquement. Il est plus probable qu’elle soit un préjugé qui a orienté cette étude scientifique. Ça ne serait pas la première fois que ça arrive. Mais il se peut aussi que la journaliste, dont la profession consiste souvent à manier, à renforcer et à diffuser des préjugés, instrumentalise cette étude pour donner un fondement scientifique à ce préjugé. Pour l’instant, donnons le bénéfice du doute aux scientifiques, et attribuons cette entrée en matière à la journaliste seulement.

Donnons donc la parole à un de ces chercheurs. Ou du moins lisons ce que la journaliste rapporte de ses propos :

« Le message principal de l’étude selon son co-auteur, David Fisman, de l’École de santé publique Dalla Lana de l’Université de Toronto, est que le choix de se faire vacciner ne peut être considéré que comme simplement personnel. »

Ici, il est évident que la journaliste a écrit le contraire de ce qu’elle veut dire. Au lieu d’écrire que « le choix de se faire vacciner ne peut être considéré que comme simplement personnel », elle aurait dû écrire : « le choix de se faire vacciner ne peut pas être considéré comme simplement personnel ». Peut-être que Morgan Lowrie étant anglophone, elle éprouve parfois des difficultés à s’exprimer correctement en français. Ou bien c’est une erreur de traduction de la rédaction de La Presse. Ou bien il s’agit simplement d’une erreur d’inattention.

Quoi qu’il en soit, je me demande s’il est possible de tirer ce « message principal » d’une étude scientifique qui montrerait que les personnes vaccinées sont gravement mises en danger par les personnes non vaccinées. Même si la science montrait que la décision de ne pas se faire vacciner peut avoir des effets sur la santé des autres, une société pourrait décider – au lieu de tenir à l’écart les non-vaccinés et d’essayer de les contraindre à « relever leur manche », sous prétexte de protéger la santé des vaccinés – d’accorder plus d’importance au droit de refuser une intervention médicale qu’à la santé des vaccinés et des non-vaccinés, et de répondre aux vaccinés hypocondriaques qu’ils n’ont qu’à s’isoler à la maison s’ils continuent d’avoir peur des non-vaccinés après avoir été triplement ou quadruplement vaccinés. Car il faut tenir compte d’autres facteurs qui ne sont pas scientifiques ou médicaux, mais plutôt moraux et politiques, par exemple les abus de pouvoir dont peuvent alors se rendre coupables les gouvernements et la bureaucratie sanitaire, en décidant pour nous, qui sommes en principe des adultes autonomes et des citoyens devant prendre part aux affaires politiques, ce que nous devons nous faire injecter, comme si nous étions des poulets qu’il faut vacciner ou isoler pour protéger les autres poulets qui habitent dans le même poulailler.

Je fais remarquer que cette étude porte seulement sur le risque d’infection qui serait plus grand pour les vaccinés qui fréquentent des non-vaccinés et pas seulement des vaccinés. D’après cet article, il n’est pas question dans cette étude d’une augmentation considérable du risque de complications, et donc d’hospitalisation et de décès, chez les vaccinés en raison de contacts avec des non-vaccinés. Et comment pourrait-on le faire sans nier du même coup la grande protection que les vaccins procureraient contre les formes graves de la COVID-19 ? On aurait donc pu s’attendre à ce que David Fisman et la journaliste qui rapporte ses propos aient l’honnêteté intellectuelle de ne pas tenir les non-vaccinés responsables des complications, de l’hospitalisation et du décès des vaccinés sensés être adéquatement protégés. Mais c’est trop demander, comme le montre cette comparaison du David Fisman :

« Vous aimeriez peut-être conduire votre voiture à 200 kilomètres à l’heure et penser que c’est amusant, mais nous ne vous permettons pas de le faire sur une autoroute en partie parce que vous pouvez vous tuer et vous blesser, mais aussi parce que vous créez un risque pour ceux autour de vous. »

Faisons ici abstraction du fait que le conducteur qui roulerait trop vite risquerait de se blesser ou de se tuer, car l’étude scientifique dont il s’agit s’intéresse au danger présumé de la non-vaccination pour les vaccinés, et non pour les non-vaccinés. Disons seulement que, pour les non-vaccinés en bonne santé âgés de moins de 60 ans ou de moins 70 ans, il est fort improbable que le fait d’être infectés aient des conséquences comparables à celles d’un accident de voiture qui se produirait à 200 kilomètres par heure.

Venons-en aux vaccinés, dont on devrait pouvoir aussi dire qu’étant protégés contre les complications en raison de leur statut vaccinal, ils ont encore moins de chances d’avoir des complications dont les effets pourraient être raisonnablement comparés à ceux d’un accident de voiture qui se produirait à grande vitesse. Ce n’est assurément pas la même chose, pour des personnes considérées comme bien protégées, d’être happées par une voiture qui roule à toute allure ou d’entrer en collision avec elle, et d’être infectées par le virus après avoir été en contact avec des personnes non vaccinées (ou vaccinées, puisqu’on ne voit pas pourquoi ça changerait quelque chose à la gravité de l’infection). Si le scientifique et la journaliste croient vraiment que cette comparaison est juste, et que le virus est à ce point dangereux pour les personnes vaccinées et considérées comme adéquatement protégées, ils devraient en venir à la conclusion que ce ne sont pas les non-vaccinés qui sont le problème, mais plutôt les vaccins.

La mauvaise foi du scientifique apparaît au grand jour quelques lignes plus bas :

« Il a ajouté que l’étude minimisait en fait l’importance des vaccins, car elle ne tenait pas compte de la façon dont ils réduisaient considérablement les risques de décès et d’hospitalisation. »

Ainsi il invoque l’efficacité des vaccins quand ça lui convient, pour dire que les bienfaits des vaccins sont plus grands que ce que laisse entendre son étude, qui ne tient pas compte de la réduction considérable des risques de décès et d’hospitalisation. Mais si son étude en avait tenu compte, il pourrait difficilement affirmer que les non-vaccinés représenteraient un danger pour les vaccinés, qui souvent n’auraient pas de symptômes, ou devraient avoir des symptômes comparables à ceux d’un rhume, comme l’a reconnu lui-même François Legault, triplement vacciné, après avoir été infecté.

Si David Fisman n’est pas un tordu, il ne sait pas raisonner, bien qu’il se drape de l’autorité de la science. Ce qui n’est pas plus excusable.


Pour l’instant, on nous a seulement parlé des résultats de cette étude scientifique. À partir de ce qui est dit dans cet article de journal, essayons de nous faire une idée de la démarche qui aurait permis d’obtenir ces résultats :

« Les chercheurs ont utilisé un modèle mathématique pour estimer le nombre d’infections qui se produiraient dans une population, en fonction du degré d’interactions entre les personnes vaccinées et non vaccinées. Ils ont constaté que lorsque des personnes se mêlaient à des personnes ayant un statut vaccinal similaire, les taux d’infection parmi les personnes vaccinées diminuaient de 15 % à 10 %, mais qu’ils augmentaient de 62 % à 79 % parmi celles qui étaient non vaccinées. »

(C’est moi qui souligne.)

Autrement dit, il s’agit de spéculations mathématiques dont, faute d’une observationnelle pour les mettre à l’épreuve, on ne sait pas si elles sont fiables et si elles permettent de rendre compte de ce qui se passe dans la réalité. Mais le scientifique croit tellement à la justesse de son modèle mathématique qu’on a l’impression qu’il a pu observer ce qu’il a estimé à partir de ce modèle :

« David Fisman a déclaré que dans la vraie vie, les gens ont tendance à passer plus de temps avec des personnes qui leur ressemblent. Ainsi, a-t-il dit, même si les personnes vaccinées sont plus susceptibles de passer du temps avec d’autres qui ont reçu des vaccins, elles sont disproportionnellement touchées lorsqu’elles passent du temps avec celles qui n’ont pas reçu d’injection. »

Il serait aussi intéressant de savoir ce qu’on entend par « passer du temps avec d’autres personnes ». Combien de temps ? À quelle fréquence ? Dans quelles conditions ? S’agit-il de cohabiter avec elles, de travailler avec elles, de les recevoir à la maison, d’aller manger avec elles au restaurant, de les croiser à l’entrée d’un café ou dans un gym ? Voilà des questions auxquelles on ne s’efforce pas de répondre dans cet article de journal, pour la simple raison qu’on ne les y pose pas. La journaliste n’en fait pas moins dire au scientifique que les résultats de son étude justifient la suspension ou la privation des certains de droits et libertés des non-vaccinés :

« Les résultats de l’étude, selon David Fisman, justifient la mise en œuvre de mesures de santé publique telles que les passeports vaccinaux et les obligations vaccinales. »

Mais le scientifique ne nous dit pas quelle extension des passeports vaccinaux et des obligations vaccinales les résultats de son étude seraient censés justifier, et quelle devrait être la situation épidémiologique pour que ces mesures de santé publiques soient justifiées. Faute de quoi les résultats de son étude ne justifient rien de précis, ou devraient justifier toutes sortes de mesures qu’on désignerait par le même nom. Voilà qui n’est certainement pas scientifique. Peut-être le scientifique et la journaliste s’en aperçoivent-ils, dans une certaine mesure :

« Cependant, il reconnaît qu’un modèle mathématique simple ne reflète pas pleinement le monde réel ou les divers facteurs qui doivent être pris en compte lors de l’établissement d’une politique de santé publique, y compris les considérations politiques et la colère du public. »

Ce qui revient à rétracter ce qu’il vient tout juste de dire.

L’étude elle-même n’est peut-être pas aussi rudimentaire qu’il ne le semble en lisant cet article de journal. La faute en est alors à la journaliste qui a interviewé ce scientifique, et à ce scientifique qui a accepté d’être interviewé par cette journaliste. Loin de contribuer au débat, ils ne font qu’ajouter à la confusion ambiante. Les deux auraient mieux fait de se taire.


La science n’est pas une discipline qui se pratique dans une tour d’ivoire, sans être affectée par les intérêts financiers et professionnels des scientifiques, et sans subir l’influence des milieux de pouvoir et des puissantes industries qui profitent des découvertes scientifiques et de leur mise en marché. Et le domaine de la santé ne fait pas exception, l’industrie pharmaceutique (ou l’industrie de la maladie, comme on voudra) n’étant pas moins vorace que les autres grandes industries, par exemple l’industrie militaire, l’industrie agroalimentaire et l’industrie informatique. C’est pourquoi il est important de nous demander si les auteurs de cette étude entretiennent des rapports d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique et les milieux de pouvoir, et si les institutions académiques et les instituts de recherche auxquels ils appartiennent ont des partenariats avec cette industrie.

Commençons par David Fisman et par Ashleigh R. Tuite, qui sont les co-auteurs de l’étude. Dans une brève section qui se trouve à la fin de l’étude en question (« Impact of population mixing between vaccinated and unvaccinated subpopulations on infectious disease dynamics: implications for SARS-CoV-2 transmission » (Canadian Medical Association Journal, 25 avril 2022), nous apprenons ceci de leurs « competing interests » :

« David Fisman has served on advisory boards related to influenza and SARS-CoV-2 vaccines for Seqirus, Pfizer, AstraZeneca and Sanofi-Pasteur Vaccines, and has served as a legal expert on issues related to COVID-19 epidemiology for the Elementary Teachers Federation of Ontario and the Registered Nurses Association of Ontario. He also served as a volunteer scientist on the Ontario COVID-19 Science Advisory Table. Ashleigh Tuite was employed by the Public Health Agency of Canada when the research was conducted. The work does not represent the views of the Public Health Agency of Canada. No other competing interests were declared. »

(C’est moi qui souligne.)

David Fisman a donc des liens avec les sociétés pharmaceutiques qui commercialisent des vaccins contre la grippe et contre le COVID-19, en plus d’avoir servi d’expert au gouvernement ontarien, évidemment favorable au passeport vaccinal et à l’obligation vaccinale, par exemple pour les professionnels de la santé.

Ashleigh Tuite travaillait pour l’Agence canadienne de santé publique du Canada, favorable à l’obligation vaccinale et au passeport vaccinal pour ce qui est sous juridiction fédérale, et qui ne s’est jamais positionnée contre les restrictions semblables adoptées par les autorités politiques et sanitaires des provinces.

Quant à l’Université de Toronto, elle a annoncé au début du mois d’avril 2022 un partenariat de recherche avec Moderna :

« The University of Toronto and Moderna, Inc. – known for its mRNA-based COVID-19 vaccine – plan to work together to develop new tools to prevent and treat infectious diseases.

Guided by a partnership framework agreement, the U.S. biotechnology firm will collaborate with U of T researchers who are working across a wide range of fields, including molecular genetics, biomedical engineering, biochemistry and beyond. »

U of T partners with Moderna to advance research in RNA science and technology », 7 avril 2022)

Un tel partenariat est fructueux pour l’Université de Toronto et ses chercheurs à proportion qu’on continuera d’organiser des campagnes de vaccination massive de la population canadienne, et qu’on utilisera les passeports vaccinaux et les obligations vaccinales pour contraindre plus de personnes possibles à se faire vacciner. Les résultats de cette étude et les conclusions de cette étude vont donc tout à fait dans le même sens que les intérêts économiques de l’Université de Toronto et la réussite professionnelle des chercheurs spécialisées en virologie, en génie génétique, en immunologie et en épidémiologie.

La Fondation Bill & Melinda Gates – qui joue un rôle important dans la détermination des politiques vaccinales nationales et internationales qui permettent à l’industrie pharmaceutique de s’enrichir démesurément – a subventionné à dix-sept reprises la recherche faite à l’Université de Toronto, pour un total de presque 28 millions de dollars. L’Université de Toronto, si elle ne veut pas perdre cette source de financement qui lui permet de se démarquer des universités concurrentes, a donc tout intérêt à ce que ses chercheurs ne mordent la main qui les nourrit, et qu’ils règlent les sujets et les résultats de leurs recherches sur la politique du « tout vaccinal » défendu par Bill Gates et ses acolytes.

En ce qui concerne l’École de santé publique Dalla Lana (qui fait partie de l’Université de Toronto), son Centre for Vaccine Preventable Diseases compte parmi ses partenaires de choix la Santé publique de l’Ontario, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Alliance globale pour les vaccins et l’immunisation (GAVI en anglais). Les relations qu’entretient ce centre de recherche avec la Santé publique de l’Ontario, qui fait de la vaccination la voie de salut et qui est favorable aux passeports vaccinaux et aux obligations vaccinales, nous autorise à avoir des doutes quant à l’impartialité de ses chercheurs et de ses administrateurs. La même remarque peut être faite à propos des relations entretenues avec l’OMS et GAVI, qui sont étroitement liées à l’industrie pharmaceutique et plus particulièrement aux marchands de vaccins.

Que la journaliste de La Presse Canadienne et que la rédaction de La Presse aient omis de faire ces recherches quant aux conflits d’intérêts des co-auteurs de l’étude et des partenariats de l’Université de Toronto et de l’École de santé publique Dalla Lana avec l’industrie pharmaceutique et les milieux de pouvoir, voilà qui est inexcusable. Cela revient à faire passer pour une étude scientifique une étude qui est en fait très intéressée, et qui tient peut-être plus du marketing ou de la propagande que de la science.


Revenons au prétendu message principal de cette étude prétendument scientifique :

« Le message principal de l’étude selon son co-auteur, David Fisman, de l’École de santé publique Dalla Lana de l’Université de Toronto, est que le choix de se faire vacciner ne peut pas être considéré comme simplement personnel. »

À ce message de David Fisman, nous répondons par un autre message, adressé à la fois à ce scientifique et à la journaliste :

Le fait de raisonner n’importe comment en public quand on a derrière soi l’autorité de la science et à sa disposition les puissants moyens de diffusion des médias de masse, d’élaborer de petits modèles mathématiques sans les éprouver grâce à des études observationnelles, et de se compromettre avec l’industrie pharmaceutique et les hauts lieux de pouvoir, ne peut pas être considéré comme un choix simplement personnel, surtout quand cela peut contribuer à la suspension des droits et des libertés des citoyens non vaccinés, à l’ingérence de nos gouvernements dans notre vie privée, et à la destruction des conditions d’existence de notre démocratie.