Enjeux stratégiques de la fin de l’obligation de tenir un registre de la clientèle dans les restaurants et les bars et de faire du télétravail

Le gouvernement a consenti dernièrement à accorder quelques assouplissements sanitaires aux personnes « adéquatement » vaccinées et au secteur de la restauration. Parmi ceux-ci, il y a la fin de l’obligation de tenir un registre de la clientèle. Rappelons que ce registre devait servir à faire le traçage des contacts, dans un contexte où le gouvernement s’acharnait sur les restaurants et plus particulièrement sur les bars, dans son austérité sanitaire.

Il y a lieu de nous demander quels sont les enjeux de cet assouplissement. Nous savons depuis le début de l’état d’urgence sanitaire que notre gouvernement n’a pas l’habitude de nous accorder gratuitement des faveurs, surtout quand il s’agit de savoir qui est allé où et qui a fait quoi, surtout quand il s’agit de nous faire passer des tests de dépistage et de nous isoler à la maison de manière préventive.

Ceux qui croient à l’efficacité du vaccin pour diminuer de manière considérable la propagation du virus diront que c’est du « gros bon sens ». Maintenant que seules les personnes vaccinées peuvent entrer dans ces établissements, il serait inutile de garder ces registres pour faire le traçage des contacts, puisque le risque d’éclosions serait minimal, puisque celles-ci se produiraient surtout à cause des personnes non vaccinées. Mais qu’en savons-nous vraiment ? Le passeport vaccinal est entré en vigueur en septembre, la COVID-19 est une infection respiratoire virale saisonnière et la quatrième « vague » était une vaguelette, comme la troisième. Il aurait donc très bien pu ne se passer rien du tout, ou presque, en n’interdisant pas aux non-vaccinés l’accès aux restaurants et aux bars. Tout comme il n’est pas à exclure qu’il ne se passerait rien dans ces établissements cet hiver même si on permettait aux personnes non vaccinées d’y avoir accès. Tout comme ces lieux pourraient devenir des foyers de propagation du virus cet hiver même en étant seulement accessibles aux personnes vaccinées, puisqu’on ne peut pas présumer que ce qui vaut pour les mois de septembre et le mois d’octobre vaudra pour les mois de janvier et de février, durant lesquels le virus circulera vraisemblablement beaucoup plus. C’est seulement cet hiver que nous aurions pu en avoir le cœur net.

Le gouvernement ayant préféré simplement postuler qu’une catastrophe allait se produire si on laissait entrer les non-vaccinés dans les restaurants et les bars, et que les clients vaccinés de ces établissements ne pouvaient pas contribuer de manière significative à la propagation du virus, même pendant l’hiver, il aurait au moins pu se donner les moyens de vérifier ces suppositions en ne mettant pas fin à l’obligation de tenir un registre de la clientèle dans les lieux fréquentés seulement par des personnes vaccinées et au traçage et au dépistage des contacts des cas confirmés en laboratoire.

Qu’on me comprenne bien : je n’aime pas qu’on garde un registre de la clientèle, dans les restaurants et dans les bars ou dans d’autres commerces, pour faire le traçage des contacts. Pas plus que je n’aime le traçage et le dépistage des cas contacts dans les écoles et les milieux de travail. À mon sens, ce traçage et ce dépistage devraient prendre fin partout immédiatement. Il n’aurait même jamais dû commencer, tant il est invasif et absurde de traiter comme des malades des personnes qui n’ont pas de symptômes. Mais ce que je trouve pire – de manière générale et surtout en tant que non-vacciné – que l’existence de cette pratique dans beaucoup d’endroits, c’est le fait de faire ce traçage et ce dépistage de manière sélective, dans certaines circonstances et pour certaines personnes, et de ne pas le faire dans d’autres circonstances et pour d’autres personnes, en prétendant ensuite que certains milieux et certaines personnes sont en grande partie à l’origine de la propagation du virus, pour exercer toutes sortes de pressions sur elles, notamment pour qu’elles se fassent vacciner.

Je trouve pour le moins dire curieux qu’après avoir purgé les lieux de réjouissances et de convivialité des personnes non vaccinées, on mette fin au traçage et au dépistage des contacts dans ces lieux, d’un côté ; et qu’on annonce, de l’autre, la fin de l’obligation de faire du télétravail et le retour dans les bureaux, où il y aura forcément des personnes non vaccinées et où on poursuivra ce dépistage et ce traçage, comme on le fait actuellement dans les écoles, le tout alors qu’arrive justement l’hiver. Bien entendu, on présumera que la propagation du virus est négligeable dans les restaurants et dans les bars où seuls des clients vaccinés peuvent entrer, mais on surveillera avec attention et même avec zèle les employés qui reviendront dans les bureaux, surtout ceux qui ne sont pas vaccinés, pour les tenir responsables des éclosions, essayer d’obtenir qu’ils obtempèrent et peut-être les suspendre sans solde ou les congédier s’ils ne le font pas, ou bien leur imposer des mesures sanitaires supplémentaires, par exemple le dépistage récurrent préventif, trois fois par semaine. Des résultats de cette politique de dépistage, on verra une confirmation de ce qui est présupposé et censé justifier cette politique, à savoir que ce seraient les non-vaccinés qui sont à l’origine des éclosions dans les milieux de travail, les vaccinés, quand ils sont dépistés et déclarés positifs, ne pouvant pas avoir été infectés par d’autres vaccinés (au travail ou ailleurs) ou avoir infecté les non-vaccinés. Ou si c’était le cas, ce serait tout de même la faute des non-vaccinés qui auraient été infectés par des vaccinés et auraient servi de courroie de transmission au virus pour atteindre les autres vaccinés, qui n’auraient probablement pas été infectés sans eux, croit-on.

Ainsi des personnes vaccinées pourraient être infectées en côtoyant d’autres personnes vaccinées au restaurant, et ensuite infecter leurs collègues, vaccinés ou non vaccinés, et ce serait souvent ces collègues non vaccinés qui seraient tenus responsables de l’éclosion, surtout quand on ne dépiste pas de manière aussi systématique les cas contacts quand ils sont vaccinés, surtout quand on soumet à un dépistage préventif récurrent les non-vaccinés.

Ainsi des employés vaccinés pourraient participer à un souper de Noël entre collègues, s’infecter les uns les autres, ou être infectés par les serveurs et les autres clients, et ensuite infecter leurs collègues, vaccinés ou non vaccinés, et ce serait souvent ces collègues non vaccinés qui seraient tenus responsables de l’éclosion.

Puisque les éclosions auraient alors tendance à se multiplier dans les milieux de travail, par opposition aux autres endroits, puisque les non-vaccinés seraient tenus responsables de ces éclosions, le gouvernement et les employeurs bénéficieraient d’un prétexte pour purger les milieux de travail des personnes non vaccinées, comme on a déjà purgé d’elles tant d’autres endroits.

Je conclus en remarquant que, même si les changements apportés à la politique de traçage et de dépistage n’ont pas été faits dans le but de fournir ce prétexte au gouvernement et aux employeurs, leurs effets seraient les mêmes et ils fourniraient malgré tout ce prétexte au gouvernement et aux employeurs, lesquels n’attendent parfois que ça. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’est pas pertinent de nous demander si on agit ainsi par bêtise ou par malveillance, ou les deux à la fois.

Une autre chose : dans l’hypothèse où les tests PCR ne seraient pas, pour différentes raisons, fiables et donneraient souvent des faux positifs, il serait tout aussi important d’interrompre, partout et pour tout le monde, le traçage et le dépistage des cas ; ou, si on décidait de persister sur cette voie, de tracer et de dépister aussi les personnes vaccinées qui fréquentent les restaurants et les bars. La deuxième branche de cette alternative priverait non seulement le gouvernement, les journalistes et les employeurs d’un prétexte de persécuter les non-vaccinés, mais elle pourrait peut-être aussi forcer une partie de la population à ouvrir enfin les yeux et à se demander si ce sont les vaccins qui sont inefficaces, ou si ce sont les tests PCR qui sont foireux, ou si c’est les deux à la fois.