Docilité et mépris de la loi comme effets de l’autoritarisme et de l’arbitraire

Il faudrait être aveugle pour ne pas avoir remarqué que les mesures autoritaires et arbitraires que nous impose notre gouvernement depuis quinze mois ont changé notre rapport à la loi, d’une manière ou d’une autre.

 

Docilité

Le changement le plus répandu et le plus visible, c’est une plus grande docilité. Bien sûr, plusieurs d’entre nous sont dociles de longue date. La docilité – qu’il nomme simplement obéissance – a toujours été pour eux une vertu, même s’ils ne pouvaient pas le dire trop ouvertement avant l’arrivée du virus, sauf quand ils étaient entre eux. Mais maintenant que le virus est ici et qu’il semble avoir décidé de rester, ils peuvent montrer au grand jour leur docilité et l’exiger de leurs concitoyens, qui viennent grandir leurs rangs. Ce glissement dans la docilité se fait assez naturellement compte tenu de l’omniprésence, de la mobilité et de l’incohérence de toutes les recommandations, obligations et interdictions que formule ou promulgue le gouvernement, et qui sont reprises par les médias et dans tous les lieux que nous fréquentons, ad nauseam. Puis il y a la manière dont on les décide et fait respecter, c’est-à-dire de manière autoritaire, arbitraire et même invasive et agressive. Du jour au lendemain, on décide d’une nouvelle mesure, on la change ou on l’annule, on y apporte des exceptions et des nuances, on impose des amendes démesurément élevées pour la faire respecter, on augmente la présence policière, on encourage la délation, etc. Comme nous n’arrivons pas à nous y retrouver dans le fatras de décrets et d’arrêtés qui en résulte, c’est ce que disent les membres du gouvernement dans leurs points de presse qui fait loi.

Plusieurs d’entre nous intériorisent donc tout ce que notre gouvernement exige de nous. Non seulement ils se conforment scrupuleusement à ces exigences, mais ils croient en leur pertinence, en leur utilité et en leur légitimité. Ils font du prosélytisme auprès des autres et ils les surveillent, les réprimandent ou les dénoncent pour que les autres soient aussi obéissants qu’eux, en actes et jusqu’au fond du cœur. Leur respect pour la loi qui émanent des autorités politiques et sanitaires est tel qu’ils ne font pas la différence entre une recommandation et une obligation, et exigent qu’on fasse comme si les recommandations étaient des obligations, puisque tout ce qui sortirait de la bouche des autorités aurait force de loi.

D’autres ne sont pas animés du même zèle, mais n’en obéissent pas moins. Ne s’y retrouvant plus dans toute cette histoire, et n’ayant pas la curiosité nécessaire pour essayer d’y comprendre quelque chose et la force de caractère nécessaire pour résister au mouvement qui les entraîne, ils ont décidé bien assez vite de remiser leur cerveau et de se fier aux autorités, aux experts et aux journalistes qui décident pour eux et qui pensent à leur place. Ils font ce qu’on leur demande. S’il leur arrive parfois de se poser des questions et d’avoir des hésitations, ils essaient de penser à autre chose. C’est plus confortable.

Dans les deux cas, ces personnes sont encore plus disposées à faire ce qu’on leur demande, que cela concerne directement la « pandémie », ou qu’il s’agisse plutôt de transformations morales, politiques, économiques et juridiques que la « pandémie » permet de réaliser plus facilement et plus rapidement, les pouvoirs exceptionnels dont dispose le gouvernement à cause de l’état d’urgence aidant.

 

Mépris de la loi

Ce qui est moins perceptible et probablement moins fréquent, c’est une certaine tendance à désobéir, en ce qui concerne spécifiquement les mesures sanitaires ou en ce qui concerne d’autres lois depuis longtemps en vigueur. Après avoir passé un hiver à subir des mesures changeantes, arbitraires, contraignantes et invasives, et à avoir été l’objet d’une surveillance accrue par les forces de l’ordre (auto-patrouilles, hélicoptères, drones) et par les voisins et les employeurs, le respect que nous avions pour la loi en a certainement pris un coup. Son champ d’application est tellement devenu grand qu’il est devenu difficile pour plusieurs d’entre nous de la supporter. Ce qui a aussi fait du tort à la loi, c’est la manière dont nos autorités politiques ont fait la loi. Ce n’est pas en tâtonnant, en allant parfois dans une direction pour aller dans une autre direction un peu plus tard, en disant une chose et son contraire, en déclarant que telle obligation devrait durer un mois pour la prolonger quelques mois, et en apportant des changements petits ou grands à la loi presque chaque semaine, qu’on contribue à la rendre respectable aux yeux des citoyens. La loi, pour être respectée, doit être stable. Et si nous pouvons lui apporter des changements, il faut qu’on sente que ceux-ci ont été mûrement réfléchis et qu’ils ne sont pas le résultat d’une lubie ou du mimétisme de nos dirigeants, qu’il nous présente dans un point de presse. En raison des pouvoirs exceptionnels qu’il s’est accordés à lui-même en déclarant l’état d’urgence sanitaire, c’est exactement le contraire que notre gouvernement a fait : nous avons l’impression que la loi est devenue son jouet et que les points de presse sont autant d’occasions de manifester son autorité et d’exercer ses pouvoirs exceptionnels. Enfin, certaines mesures sont en elles-mêmes tellement abusives, arbitraires et absurdes qu’elles entament inévitablement le respect que les citoyens peuvent avoir pour la loi. Je pense notamment au couvre-feu. Comme si l’on risquait vraiment d’être contaminé par les autres ou de contaminer les autres en faisant une promenade le soir. Comme si on pouvait présumer que toutes les personnes qui ne respectent pas le couvre-feu sans avoir une raison reconnue ont l’intention de participer à un rassemblement illégal. Comme si cela faisait sens d’infliger des amendes d’environ 1 500 $ en s’appuyant sur cette présomption, c’est-à-dire comme si ces personnes avaient été prises en flagrant délit de participation à des rassemblements illégaux. Le gouvernement aurait difficilement pu trouver une mesure plus apte à faire tomber dans le discrédit la loi aux yeux de nombreux citoyens. Et le fait de l’avoir prolongé du début du mois de janvier jusqu’au début du mois de mai a aggravé la situation.

Bref, le gouvernement – s’il est vrai qu’il a pu rendre plus dociles beaucoup de nos concitoyens par la manière dont il a usé de ses pouvoirs exceptionnels – a miné pour beaucoup d’autres la crédibilité de la loi et le respect qu’on doit avoir pour elle. Je ne veux pas seulement dire par là que c’est telle loi qui est discréditée, mais que c’est le respect pour l’ensemble des lois qui s’en retrouve miné, par association.

Pour plusieurs d’entre nous, cela prendra seulement la forme de petits actes de désobéissance souvent peu réfléchis : le non-respect ostentatoire de la signalisation routière et des limites de vitesse et la participation à des rassemblements extérieurs sans respecter les règles sanitaires, par exemple, mais sans aller trop loin et sans s’opposer de manière organisée et argumentée contre la loi oppressive et arbitraire.

Pour d’autres – qui pourraient devenir plus nombreux si le gouvernement décide de ne pas mettre fin à l’état d’urgence sanitaire l’automne prochain et continue à nous imposer toutes sortes de mesures parce que sa parole fait toujours loi –, une opposition plus soutenue, plus réfléchie et plus calculée à ce foisonnement d’obligations et d’interdictions semblera nécessaire.

À partir ce point, il y a trois possibilités quant au rapport de ces personnes à la loi et à la nature de leur résistance. Ou bien la loi aura peu de crédit à leurs yeux tant que durera l’état d’urgence sanitaire, et elle ne pourra retrouver ce crédit qu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire, quand on reviendrait à la « normalité d’avant ». Ou bien la loi a perdu tout crédit à leurs yeux et elles en viennent à s’opposer à la loi prise en général, qui serait par définition oppressive et arbitraire. Ou bien la loi telle qu’elle est édictée et appliquée présentement a perdu à leurs yeux tout crédit parce qu’elle ne respecte pas des principes politiques et juridiques élémentaires en l’absence desquels l’État de droit ne peut pas exister, ou ne peut exister que sous une forme très imparfaite, et en l’absence desquels nos droits et nos libertés sont constamment menacés.

Dans le premier cas, la résistance aurait pour but de faire un retour en arrière, pour revenir à un état de choses où la loi ne serait plus oppressive et arbitraire, et où nous pourrions récupérer nos droits et nos libertés. Il est douteux que cela fonctionne. Si nous avons pu basculer aussi facilement et rapidement dans un état d’urgence où la loi est devenue oppressive et arbitraire et une menace pour nos droits et nos libertés, il est vraisemblable que loi devait déjà, dans la « normalité d’avant », être dans une certaine mesure oppressive et arbitraire, et ne nous fournissait pas des garanties suffisantes pour nos droits et nos libertés. Un simple retour en arrière ne suffirait pas à nous protéger contre un autre déferlement autoritaire.

Dans le deuxième cas, la résistance serait essentiellement négative et aurait pour but de réduire l’emprise de la loi sur notre société et d’entraver son application, en ne gaspillant pas de temps et d’énergie à essayer pour transformer quelque chose qui ne peut être qu’oppressif et arbitraire. Mais on peut se questionner sur l’efficacité et l’utilité de cette approche, puisque le temps et l’énergie économisés seraient dépensés dans une lutte sans fin contre la loi forcément oppressive et arbitraire, laquelle on abandonnerait simplement aux oppresseurs.

Dans le troisième cas, même si le fait de réduire l’emprise de la loi dans notre société et d’entraver son application dans de nombreux cas aurait certainement son importance, il ne serait pas considéré comme vain d’essayer de transformer la loi pour qu’elle cesse d’être oppressive et arbitraire, ou pour qu’elle le devienne moins ; ce qui pourrait d’ailleurs être une manière de diminuer son emprise et de réduire son champ d’application. Il s’agit alors de trouver des points d’appui qui existent dans nos institutions (qui ne sont pas simplement tyranniques ou totalitaires) pour leur redonner leur importance et les rendre à nouveau effectifs, non pas pour les considérer comme la fin ultime à atteindre, mais plutôt pour les utiliser afin de réaliser d’autres transformations qui entraveront l’usage oppressif et arbitraire de la loi et qui nous procureront des garanties plus solides de nos droits et de nos libertés.