Dissection de la Charte des droits et libertés de la personne à la lumière de la crise actuelle (3)

Je poursuis ici l’analyse de la Charte des droits et libertés de la personne. En relisant le deuxième billet de cette série, publié hier, je viens de remarquer que j’ai passé du chapitre I, analysé dans le premier billet, au chapitre II, en oubliant d’analyser le chapitre I.1. Je veux remédier maintenant à cet oubli, mais sans analyser les articles un à un comme j’ai fait dans les billets précédents. Certains d’entre eux ne concernent pas directement la crise actuelle, alors que d’autres répètent ce qui a été dit dans d’autres articles, mais en faisant varier quelque peu le contexte d’application.

Je rappelle encore une fois que, même si je m’intéresse ici aux droits et aux libertés qui nous sont reconnus dans la Charte, ce que j’écris dans ce billet ne constitue pas un avis juridique. Comme dans les autres billets de cette série, il s’agit de voir jusqu’à quel point nos autorités politiques et sanitaires respectent ou ne respectent pas nos droits et nos libertés sous prétexte d’urgence sanitaire, et dans quelle mesure la Charte protège véritablement nos droits et nos libertés.


Le chapitre I.1 a pour titre « Droit à l’égalité dans la reconnaissance et l’exercice des droits et libertés ». Alors que le chapitre I décrit les droits et libertés que sa Majesté nous accorde, le chapitre I.1 traite des formes de discrimination à éviter quant à ces droits et à ces liberté :

« 10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.

Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit. »

Si nous avons de bonnes raisons de considérer l’idéologie sanitaire comme une sorte de nouvelle religion, et même de religion d’État (voir l’analyse de l’article 9.1 dans le premier billet de cette série), nous pouvons considérer que les personnes qui n’adhèrent pas à cette religion sont susceptibles d’être discriminées, soit parce qu’on les prive de certains de leurs droits et libertés et les exclut, soit parce qu’on accorde des privilèges aux fidèles de cette religion, ou du moins aux personnes qui affectent de croire aux dogmes de cette religion et d’agir conformément à eux, entre autres pour ne pas être discriminées. C’est par exemple le cas des personnes qui contestent la gravité de la COVID-19, qui jugent que les données rendues publiques par le gouvernement sont souvent fausses ou présentées de manière trompeuse, qui ne croient pas que les vaccins sont le seul moyen de venir à bout du virus, qui doutent de l’efficacité et de la sécurité des vaccins, qui sont d’avis que nous devrions faire preuve de beaucoup plus de prudence avant de les injecter à toute la population, etc. Ne les prive-t-on pas souvent de leur droit de s’exprimer dans les grands médias ? Ne les y dénigre-t-on pas en les qualifiant de récalcitrants, de complotistes, de covidiots et de tarés, notamment dans les chroniques du Père Lagacé ? Ne porte-t-on pas atteinte à leur réputation en les tenant responsables d’éclosions simplement parce qu’elles tiennent des propos non orthodoxes, ne respectent pas les règles sanitaires de manière rigoureuse et ne sont pas vaccinées, sans qu’on examine l’hypothèse que le virus peut très bien se propager parmi le personnel enseignant et les élèves d’une école même s’ils sont vaccinés et même s’ils portent en permanence le masque, sans avoir besoin de l’aide des récalcitrants non vaccinés ? Et nous pourrions en dire autant de ceux qui, en raison de leurs convictions politiques (par amour de la démocratie), pensent que le gouvernement abuse de son pouvoir, s’ingère dans des aspects de la vie sociale et privée des citoyens qui ne le regardent aucunement, qu’il utilise l’idéologie sanitaire pour obtenir leur obéissance et leur complicité et qu’il bafoue le principe de la laïcité de l’État, en érigeant cette idéologie en religion officielle.

En fait, la manière dont les membres du gouvernement, les membres des partis d’opposition et les journalistes exercent des pressions sur ces personnes, à cause de divergences en matière de religion et de politique, peut être considérée comme des menaces ou à tout le moins comme du harcèlement. Pourtant, cela est formellement interdit par la Charte :

« 10.1. Nul ne doit harceler une personne en raison de l’un des motifs visés dans l’article 10. »

Nous pouvons nous demander pour quels motifs (même s’ils ne font pas partie de la liste qui se trouve à l’article 10) il pourrait être légitime de harceler un groupe de personnes, surtout publiquement, surtout quand on occupe d’importantes fonctions politiques, surtout quand on dispose puissants moyens de communication, en doutant toutefois que le châtiment de tels comportements permette d’améliorer la situation, les puissants harceleurs pouvant en faire une arme de plus à utiliser contre les personnes qu’ils harcèlent et qui ripostent, qui pour leur part ne sont pas en position de force et peuvent difficilement utiliser cette arme contre leurs puissants harceleurs.

Il en va autrement quand un avis, un symbole ou un signe a pour effet la discrimination de personnes, au sens où elles sont privées de certains de leurs droits et de certaines de leurs libertés, par opposition à des paroles porteuses d’opinions discriminatoires, mais qui n’entraînent pas une privation de droits ou de libertés pour les personnes visées. Dans ce cas, l’interdiction est de rigueur :

« 11. Nul ne peut diffuser, publier ou exposer en public un avis, un symbole ou un signe comportant discrimination ni donner une autorisation à cet effet. »

Le décret du ministre de la Santé et des Services sociaux qui, par l’entrée en vigueur du passeport vaccinal, interdit aux personnes non vaccinées l’entrée dans certains lieux publics et la participation à certaines activités, implique une forme de discrimination à l’égard de ces personnes, alors que les personnes vaccinées bénéficient de privilèges. Et le code QR qui permet la vérification du statut vaccinal par les opérateurs des lieux publics et les organisateurs des activités visées constitue certainement un signe ou, si l’on préfère, un dispositif discriminatoire : ceux qui peuvent présenter un code QR valide peuvent entrer, mais les portes demeurent fermées pour les autres. Quant aux affiches conçues par le gouvernement qui se trouvent à l’entrée des établissements qui doivent se conformer aux exigences du gouvernement et qui disent aux clients qu’ils doivent présenter leur passeport vaccinal pour entrer, elles discriminent ouvertement les non-vaccinés qui n’ont pas le droit d’entrer dans ces établissements.

L’article 15 interdit pourtant formellement le fait d’empêcher, par discrimination, l’accès à des lieux publics à certaines personnes.

« 15. Nul ne peut, par discrimination, empêcher autrui d’avoir accès aux moyens de transport ou aux lieux publics, tels les établissements commerciaux, hôtels, restaurants, théâtres, cinémas, parcs, terrains de camping et de caravaning, et d’y obtenir les biens et les services qui y sont disponibles. »

Les promoteurs du passeport vaccinal diront que cette pratique n’est pas discriminatoire, mais sanitaire. Les personnes qui pratiquent la discrimination reconnaissant rarement que c’est le cas, nous ne pouvons pas prendre ces paroles pour argent comptant. Le fait que les promoteurs de ces dispositifs reconnaissent parfois ouvertement que l’implantation du passeport vaccinal sert à obtenir, grâce à l’interdiction d’accéder à certains lieux publics, la vaccination des personnes non vaccinées (qui se joindraient ainsi à la grande communauté des bonnes personnes vaccinées) nous autorise à douter de l’affirmation selon laquelle il ne saurait s’agir de discrimination. On prétendra que cette conversion obtenue par une certaine forme de contrainte sert des fins sanitaires en ce qu’elle résulte en une augmentation de la couverture vaccinale. Mais il faudrait se décider : le passeport vaccinal sert-il à éviter la propagation du virus dans les lieux visés, ou sert-il à obtenir la vaccination des hésitants et des récalcitrants en leur rendant la vie aussi désagréable que possible, ce qui serait censé procurer un bénéfice sanitaire à l’ensemble de la société ? Ce flottement devient encore plus louche puisqu’il est douteux que les lieux et les activités visés contribuent plus que les autres à la propagation du virus. Si bien que cette exclusion partielle de la vie sociale, dont la finalité serait la conversion sanitaire des personnes discriminées, ressemble aux moyens dont pourraient user les pontifes d’une religion officielle majoritaire pour obtenir la conversion des minorités infidèles et, à leurs yeux, obtenir des bénéfices comme une augmentation de la cohésion sociale et la disparition d’idées et de comportements qu’ils croient dangereux pour l’ordre public et la sécurité nationale.

L’article 16 concerne précisément la discrimination dans les milieux de travail :

« 16. Nul ne peut exercer de discrimination dans l’embauche, l’apprentissage, la durée de la période de probation, la formation professionnelle, la promotion, la mutation, le déplacement, la mise à pied, la suspension, le renvoi ou les conditions de travail d’une personne ainsi que dans l’établissement de catégories ou de classifications d’emploi. »

Il est difficile de voir comment l’obligation vaccinale pour les travailleurs de la santé, qui devrait entrer en vigueur à la mi-novembre (après un premier report), peut être compatible avec cet article. Même si on peut essayer d’invoquer toutes sortes de prétextes sanitaires, il y a discrimination quand même. Ce qui apparaît clairement quand les défenseurs de cette obligation affirment que les travailleurs de la santé doivent donner l’exemple (être contraints à donner l’exemple) au reste de la population en matière de vaccination, ou que la population ayant fait de grands sacrifices pour les travailleurs de la santé, ce serait la moindre des choses qu’ils acceptent tous d’être vaccinés en retour. Nous sommes alors bien loin des justifications sanitaires étayées par la science. Cela devient encore plus manifeste quand on a recours aux mêmes raisons pour les députés et tous les fonctionnaires. Les députés et les fonctionnaires devraient tous être vaccinés pour donner l’exemple à la population. Les fonctionnaires, qui ont continué à être rémunérés aux frais des contribuables depuis l’arrivée du virus, devraient se faire vacciner pour réintégrer leurs bureaux au plus vite, ou être suspendus sans solde.

L’article 17 concerne la discrimination opérée par les ordres professionnels et les autres associations professionnelles :

« 17. Nul ne peut exercer de discrimination dans l’admission, la jouissance d’avantages, la suspension ou l’expulsion d’une personne d’une association d’employeurs ou de salariés ou de tout ordre professionnel ou association de personnes exerçant une même occupation. »

Les ordres professionnels du secteur de la santé ne peuvent pas justifier la suspension des permis d’exercice de leurs membres non vaccinés par la protection de la santé des malades, comme ils se sont engagés à le faire quand l’obligation vaccinale entrera en vigueur. À quoi sert cette suspension puisque les professionnels de la santé seront systématiquement suspendus sans solde par leur employeur et ne pourront pas recommencer à travailler, au même endroit ou ailleurs, tant que sera en vigueur cette obligation ou tant qu’ils ne seront pas vaccinés ? Il est alors manifeste que le but d’une telle suspension est d’ostraciser ces professionnels non vaccinés et d’exercer des pressions supplémentaires sur eux pour qu’ils se conforment à l’impératif vaccinal. L’idée, grâce à la suspension de leur permis d’exercice, d’empêcher les médecins de faire des consultations par vidéoconférence est simplement absurde d’un point de vue sanitaire, en ce que cette pratique professionnelle ne saurait constituer une menace pour la santé du personnel soignant et pour les malades, et peut au contraire permettre aux malades d’obtenir malgré tout une consultation médicale (qui, dans certains cas, peut se substituer à une consultation en personne et vaut sans doute mieux que rien), alors qu’on ne cesse de nous parler de délestage dans le réseau de la santé.

Le Collège des médecins a interdit, l’année dernière, aux médecins québécois d’exprimer publiquement des opinions qui ne sont pas en accord avec la Science, les mesures sanitaires du gouvernement et l’ensemble de sa gestion de la crise dite sanitaire, en les menaçant de sanctions disciplinaires. Le Collège punit ou menace de punir ses membres pour ce qu’il considère être des délits d’opinion, sous prétexte que ces opinions affaibliraient l’adhésion de la population aux mesures sanitaires et constitueraient une menace pour la santé et la sécurité de la population, sans qu’on envisage que, si ces doutes ou ces critiques sont légitimes, il se pourrait que ce soit la gestion de la crise dite sanitaire par le gouvernement qui constitue un danger pour la population, et pas seulement pour sa santé et sa sécurité.

D’autres ordres professionnels, qui n’ont pourtant rien à voir avec la santé, entreprennent contre certains de leurs membres des procédures pour les radier, sous prétexte qu’ils ont un comportement inapproprié et qu’ils expriment publiquement des opinions indignes de leur profession, par exemple celle de comptable.

Tout ceci montre clairement que les ordres professionnels infligent ou cherchent à infliger des sanctions à ceux de leurs membres qui défient l’orthodoxie politique et sanitaire, et qui sont par conséquent traités comme des hérétiques qu’il faudrait ramener sur le droit chemin, dont il faudrait obtenir la rétraction ou dont il faudrait purger ces ordres professionnels, au nom de leur respectabilité. On ne fait donc aucun cas de cet article de la Charte, et ce, impunément.


Je n’ignore pas que la Commission responsable de l’application de la Charte est bien loin de pouvoir concevoir l’existence d’une idéologie sanitaire ou d’une religion sanitaire, surtout quand elle a une allure scientifique et prétend à la plus haute moralité. Si cette piste d’analyse peut être fructueuse pour nous, qui sommes déniaisés, c’est autre chose pour les personnes qui siègent à la Commission. Sans doute seront-elles parmi les dernières à se déniaiser, à supposer que cela arrive un jour. Malheureusement, les bien-pensants tendent à reconnaître les religions et les idéologies pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire comme très nuisibles, seulement quand elles ont déjà fait beaucoup de mal. En attendant, ces bonnes âmes s’accommodent d’elles ou y adhèrent même.

Pour cette raison, il faudrait, autant que possible, ne pas admettre de cas dans lesquels les droits et les libertés qu’on nous reconnaît dans la Charte pourraient être légitimement suspendus ou abolis, sous prétexte d’urgence sanitaire ou sous quelque autre prétexte. Autrement, on prétend nous accorder des droits et des libertés tout en fournissant au gouvernement les moyens de nous les retirer facilement.

En ce sens, nous pourrions considérer qu’on porte atteinte à nos droits et à nos libertés dès que le gouvernement, ou qui que ce soit d’autre, nous prive de ces droits et de ces libertés, indépendamment de possibles motifs discriminatoires, sans avoir préalablement démontré que cette privation est absolument nécessaire, qu’elle n’a pas plus d’inconvénients que d’avantages, qu’il n’y a pas d’autres possibilités qui seraient plus avantageuses ou qui comporteraient moins d’inconvénients. Ce qui devrait se faire ouvertement, dans le cadre d’un débat contradictoire à l’Assemblée nationale et, plus largement, d’un débat public. À défaut de faire une telle démonstration, le gouvernement devrait être dans l’impossibilité d’aller de l’avant ou, s’il décidait de n’en faire qu’à sa tête, s’exposerait automatiquement à des poursuites pouvant avoir des graves conséquences pour les personnes qui le composent.

C’est tout le contraire qui se produit actuellement : on présume que le gouvernement a de bonnes raisons de nous priver de nos droits et de nos libertés, sous prétexte d’urgence sanitaire ; et ce serait nous qui aurions le fardeau de la preuve et devrions prouver que nos droits et nos libertés sont brimés injustement et que nous sommes victimes de discrimination, seulement pour les motifs reconnus et énumérés dans la Charte. En attendant d’être entendus par les tribunaux ou à défaut de l’être, nous sommes privés de certains de nos droits et de certaines de nos libertés. Si bien que la Charte a toujours du retard sur les événements et ne saurait être considérée comme une véritable garantie de nos droits et de nos libertés.